Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-14.211
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Ghestin, SCP Ortscheidt, SCP Thouin-Palat et Boucard
Joint les pourvois n° D 10-14.211 et n° K 10-30.593 qui attaquent le même arrêt ;
Statuant tant sur les pourvois principaux formés par M. X... en qualité de commissaire à l'exécution du plan des sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères d'une part, et par les sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères d'autre part, que sur les pourvois incidents éventuels, relevés par la société Calyon, la BNP Paribas, la société Natixis, le Crédit lyonnais, la Banque internationale pour le commerce et l'épargne au Cameroun, la Société générale, la banque du bâtiment et des travaux publics ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen, 11 janvier 2010), que pour leurs activités de terrassement et travaux publics en France et en Afrique, les sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères ont obtenu divers financements auprès d'un groupement bancaire, dont la société Unicrédit (devenue Crédit agricole Indosuez puis société Calyon) était chef de file et qui regroupait notamment la BNP Parisbas, la Banque française du commerce extérieur, devenue société Natixis Banque populaire puis société Natixis (la société Natixis), la Banque du bâtiment et des travaux publics, le Crédit lyonnais et la Société générale, moyennant notamment deux cessions de créances détenues sur l'Etat du Cameroun et du Congo signées les 4 avril et 7 novembre 1985 ; que d'autres concours ont été obtenus auprès de la Banque internationale pour le commerce et l'industrie du Cameroun (BICIC) devenue la Banque internationale pour le commerce et l'épargne du Cameroun (la BICEC) ; que le 31 décembre 1985, la société Unicrédit a encaissé pour le groupement bancaire une somme de 32 021 470 francs par billet à ordre endossé le 23 octobre 1985 par la société Entreprise Ducler ; que le 28 février 1986 les sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères ont été mises en redressement judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er janvier 1985 ; que les banques ont déclaré leurs créances, lesquelles ont été admises à titre irrévocable ; qu'un plan de cession partiel a été arrêté ; que le 28 décembre 1989, M. Y..., en qualité de représentant des créanciers et de commissaire à l'exécution du plan, a assigné les banques aux fins, notamment, de voir prononcer la nullité des actes des 4 avril et 7 novembre 1985, par application de l'article 107 de la loi du 25 janvier 1985, d'obtenir la restitution de la somme de 32 021 470 francs ainsi que diverses autres sommes dont celle de 19 543 070 euros résultant de la fusion de deux comptes ouverts à la BICEC en application d'une lettre d'unité de compte signée le 9 juillet 1982 ; qu' en cause d'appel cette instance a été reprise par M. X... en qualité de commissaire à l'exécution du plan des sociétés du groupe Ducler en remplacement de M. Y..., décédé ; qu'une demande a également été formée pour obtenir l'annulation du paiement d'un billet à ordre du 30 juin 1985, pour un montant de 29 581 859 francs et le paiement de sommes encaissées au titre des règlements de l'Etat du Cameroun en vertu d'une "convention de régularisation" signée le 22 novembre 1989 et d'une convention de titrisation conclue en 1997 ; que les sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères sont intervenues volontairement à l'instance à titre accessoire ; que par arrêt du 11 janvier 2010, la cour d'appel a déclaré recevable les interventions volontaires des sociétés Ducler et rejeté ou déclaré irrecevables toutes les demandes de M. X... ;
Sur les premiers moyens des pourvois principaux, rédigés dans des termes similaires, réunis :
Attendu que M. X..., ès qualités, et les sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères font grief à l'arrêt d'avoir dit irrecevable M. X..., ès qualités, en sa demande d'annulation des cessions de créances des 4 avril et 7 novembre 1985, alors, selon le moyen, que la décision d'admission de la créance ne tranche pas dans son dispositif, qui seul a autorité de la chose jugée, la question de la validité du paiement effectué par cession de créances professionnelles en période suspecte ; qu'en considérant que l'admission des créances des banques faisait obstacle, en raison de l'autorité de chose jugée de cette décision, à toute action tendant à la nullité des cessions de créances des 4 avril et 7 novembre 1985, la cour d'appel a violé les articles L. 621-107 du code de commerce et 1351 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les déclarations de créances faites par le groupement bancaire visaient les deux actes de cession de créance litigieux et que ces créances avaient été admises au passif du redressement judiciaire des sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères par arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 mars 2006, la cour d'appel a, à bon droit, décidé que l'autorité de chose jugée s'attachant à l'admission de ces créances faisait obstacle à toute demande d'annulation des actes qui en constituaient le fondement ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les deuxièmes moyens des mêmes pourvois, rédigés dans des termes similaires, réunis :
Attendu que M. X..., ès qualités, et les sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de M. X... tendant à la condamnation des banques défenderesses à lui verser une somme de 702 041 euros correspondant aux frais liés aux cessions de créances des 4 avril et 7 novembre 1985, alors, selon le moyen, que la cassation d'un chef de dispositif emporte l'annulation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif qui sont dans un lien de dépendance nécessaire avec lui ou qui en sont la suite, l'application ou l'exécution ; que la cour d'appel a rejeté la demande tendant au paiement d'une somme de 702 041 euros, correspondant aux frais liés aux cessions de créances des 4 avril et 7 novembre 1985, motif pris que l'irrecevabilité de la demande de nullité de ces cessions la privait de fondement juridique ; qu'en conséquence, la cassation à intervenir sur ce point, sur le fondement du premier moyen de cassation, entrainera l'annulation, par voie de conséquence, du chef de dispositif de l'arrêt qui a rejeté la demande en paiement de la somme de 702 041 euros, en application de l'article 625 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le rejet du premier moyen rend sans objet l'examen de ce moyen ; que celui-ci ne peut être accueilli ;
Sur les troisièmes moyens des mêmes pourvois, pris en leur première branche, rédigés en des termes similaires, réunis :
Attendu que M. X..., ès qualités, et les sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de M. X... tendant à obtenir la condamnation des banques défenderesses à lui payer la somme de 1 583 960 euros figurant sur le compte dit de cantonnement, alors, selon le moyen, que la cassation d'un chef de dispositif emporte l'annulation par voie de conséquence des chefs de dispositif qui sont dans un lien de dépendance nécessaire avec lui ou qui en sont la suite, l'application ou l'exécution ; que la cour d'appel a rejeté la demande de versement des sommes figurant sur le compte de cantonnement au motif qu'elle était dépourvue de fondement juridique du fait de l'irrecevabilité de la demande de nullité des cessions de créances des 4 avril et 7 novembre 1985 ; qu'en conséquence, la cassation à intervenir sur ce point, sur le fondement du premier moyen de cassation, entrainera l'annulation, par voie de conséquence, du chef de dispositif de l'arrêt qui a rejeté la demande en paiement des sommes versées sur le compte dit de cantonnement, par application de l'article 625 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le rejet du premier moyen rend sans objet l'examen de ce moyen ; que celui-ci ne peut être accueilli ;
Sur les troisièmes moyens des mêmes pourvois, pris en leur deuxième branche, rédigés en des termes similaires, et les troisième et quatrième branches du troisième moyen du pourvoi n° D 10-14.211, réunis :
Attendu que M. X..., ès qualités, et les sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de M. X... tendant à obtenir la condamnation des banques défenderesses à lui payer la somme de 1 583 960 euros figurant sur le compte dit de cantonnement, alors, selon le moyen :
1°) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motif ; qu'en affirmant, d'une part, que le compte de cantonnement avait été ouvert par la société Unicrédit et, d'autre part, qu'il l'avait été par la société BICIC, la cour d'appel s'est contredite et partant, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) qu'en s'abstenant de préciser les quelles pièces sur lesquelles elle s'est fondée, et a fortiori de les analyser, pour déterminer le nom du titulaire du compte, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) qu'en s'abstenant de préciser les pièces sur lesquelles s'est fondée, et a fortiori de les analyser, pour retenir que les sommes crédités sur le compte de cantonnement provenaient de versements effectués au titre des créances cédées par actes des 4 avril et 7 novembre 1985, ce que M. X... contestait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu, dans l'appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que le compte ouvert auprès de la BICIC sur lequel ont été crédités les règlements effectués par l'Etat du Cameroun au titre des créances relatives aux marchés de travaux cédés par la société Entreprise Ducler aux termes des actes des 4 avril et 7 novembre 1985, était un compte ouvert non pas au nom de la société Entreprise Ducler mais au nom du groupement bancaire, la cour d'appel, qui s'est prononcée par une décision motivée et qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les quatrièmes moyens des mêmes pourvois, rédigés dans des termes similaires, réunis :
Attendu que M. X... ès qualités, et les Entreprises Ducler font grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable la demande, tendant à obtenir la condamnation des banques défenderesses à payer la somme totale de 14 453 510 euros, encaissée au titre de règlements de l'Etat du Cameroun en vertu de la convention de régularisation du 22 novembre 1989 et de la convention de titrisation, alors, selon le moyen :
1°) que sont recevables, pour la première fois en cause d'appel, les prétentions nouvelles tendant à faire juger une question née de la survenance ou de la révélation d'un fait nouveau , c'est-à-dire d'un fait qui n'a été connu de celui qui l'invoque que postérieurement au jugement de première instance ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la demande de condamnation n'était pas fondée sur un fait qui avait été découvert en janvier 2000, postérieurement au jugement de première instance rendu le 25 juillet 1997, à savoir que l'Etat du Cameroun avait réglé une part significative des créances de la société Ducler en exécution d'une convention de régularisation conclue en 1989 et d'une convention de titrisation signée en janvier 1997, ce dont il résultait qu'il s'agissait d'une question née de la survenance ou de la révélation d'un fait nouveau, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 564 du code de procédure civile ;
2°) que sont recevables les demandes nouvelles appel qui sont la conséquence ou le complément des demandes présentées devant les premiers juges ; qu'en déclarant irrecevables comme nouvelles de restitution des sommes versées par l'Etat camerounais dans le cadre des conventions de régularisation et de titrisation, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette demande n'était pas le complément des demandes présentées en première instance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 566 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant rappelé, d'une part, que M. X... et les sociétés Ducler demandaient le paiement de ces sommes dont M. Y..., ès qualités, n' avait jamais demandé le paiement en première instance pour la raison qu'il avait introduit à ce titre une procédure qui est toujours pendante devant le tribunal de commerce de Paris, et, d'autre part, que leur demande en restitution n'était pas une demande en annulation des actes des 4 avril et 7 novembre 1985, mais de restitution des sommes détenues sans titre par les banques, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que ces demandes en paiement, nouvelles, n'étaient pas nées de la survenance ou de la révélation d'un fait nouveau et ne constituaient ni la conséquence ni le complément des demandes initiales, a légalement justifié sa décision de les déclarer irrecevables ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les sixième moyens des pourvois principaux, rédigés dans des termes similaires, réunis :
Attendu que M. X..., ès qualités, et les sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères font grief à l'arrêt d'avoir dit irrecevable la demande de M. X... tendant à obtenir la condamnation de la BICEC à lui payer la somme de 19 543 070 euros figurant sur le compte bloqué n° 686001219052 ouvert dans les livres de cette banque, alors, selon le moyen, que la décision d'admission de la créance ne tranche pas dans son dispositif, qui seul a autorité de la chose jugée, la question de la validité du paiement effectué par cession de créances professionnelles en période suspecte ; qu'en considérant que l'admission des créances des banques faisait obstacle, en raison de son autorité de chose jugée, à la restitution de la somme de 19 543 070 euros déposée sur un compte bloqué ouvert à la BICEC, la cour d'appel a violé les articles L. 621-107 du code de commerce et 1351 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que la déclaration de créance de la BICIC du 16 avril 1986 était relative au solde fusionné de deux comptes et qu'y était visée et annexée la lettre d'unité de compte du 9 juillet 1982, et d'autre part que cette créance avait été admise au passif du redressement judiciaire des sociétés Entreprise Ducler et Ducler frères par arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 mars 2006, la cour d'appel a, à bon droit, décidé que l'autorité de chose jugée s'attachant à l'admission de cette créance faisait obstacle à toute demande d'annulation de l'acte qui en constituait le fondement ; que le moyen n'est pas fondé ;
Attendu que la première branche du cinquième moyen du pourvoi D 10-14.211 et la deuxième branche du cinquième moyen du pourvoi K 10-30.593, la deuxième branche du cinquième moyen du pourvoi D 10-14.211 et la première branche du cinquième moyen du pourvoi K 10-30.593, les troisièmes branches des mêmes moyens des pourvois, ainsi que sur la quatrième branche du même moyen du pourvoi D 10-14.211, ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Et attendu que le rejet des pourvois principaux rend sans objet l'examen des pourvois incidents qui sont éventuels ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.