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Décisions

Cass. com., 24 octobre 1995, n° 94-10.399

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Tricot

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Célice et Blancpain

Rennes, du 17 nov. 1993

17 novembre 1993

Attendu, selon l'arrêt déféré (Rennes, 17 novembre 1993), que la société Cloarec a été mise en redressement judiciaire le 24 janvier 1986, la date de cessation des paiements étant fixée au 5 décembre 1985 ; que l'administrateur du redressement judiciaire, devenu ensuite commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société, a demandé que la Banque populaire Bretagne Atlantique (la banque) soit condamnée à payer la somme de 1 744 770,44 francs correspondant à des remises effectuées par la société, postérieurement à la date de cessation des paiements, sur le compte courant tenu par la banque ; que l'arrêt, après avoir déclaré irrecevables les dernières conclusions signifiées par la banque, l'a condamnée à verser au commissaire à l'exécution du plan la somme de 1 564 365,26 francs ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;

Et sur le second moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que la banque reproche encore à l'arrêt d'avoir prononcé, en application de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985, la nullité des remises par virements et des remises de chèques et d'effets effectuées par la société Cloarec les 9 et 10 décembre 1985, à hauteur de la somme de 1 564 365,26 francs, et de l'avoir en conséquence condamnée à verser cette somme au commissaire à l'exécution du plan, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'autorité de la chose jugée attachée à la décision d'admission de la créance par le juge-commissaire, dont elle a constaté le caractère irrévocable, est générale et interdit que cette décision puisse être remise en cause en ce qu'elle fixe le montant de la créance admise, par l'exercice d'une action en nullité d'un paiement ou d'un acte à titre onéreux, accompli pendant la période suspecte ; que si les paiements partiels concernant la même créance reçus par le créancier pendant cette période peuvent cependant être contestés, il n'en va pas de même des remises effectuées sur un compte courant dont le solde a été définitivement admis, une éventuelle décision d'annulation ayant inéluctablement pour effet de modifier la créance admise, ledit solde procédant directement des remises en compte ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil, l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985 et le principe d'indivisibilité du compte courant ; alors, d'autre part, qu'en se bornant, pour estimer que le compte courant avait fonctionné de façon anormale, à partir de cette date, à relever l'absence de " découvert significatif " après le 9 décembre 1985, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'importance du solde débiteur de ce compte constatée entre le début du mois de décembre et cette date n'était pas exceptionnelle, puisque la société Cloarec ne bénéficiait plus depuis de nombreux mois du crédit de caisse qui lui avait initialement été consenti, et si ce compte n'avait pas ensuite donné lieu à des remises réciproques de chacune des parties dans le cadre de leurs relations d'affaires habituelles, le crédit d'escompte dont la société Cloarec avait toujours bénéficié ayant, au surplus, été maintenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors, en outre, qu'en déduisant la connaissance, par la banque, de l'état de cessation des paiements de la société Cloarec du seul fonctionnement du compte courant, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, en l'état de l'importance des concours financiers dont elle continuait de bénéficier, et des diverses solutions qui avaient été trouvées pour remédier à ses difficultés, un plan de règlement lui ayant notamment été consenti par son principal créancier, et un plan de restructuration globale, qui devait être financé par l'ensemble de ses partenaires, étant en cours d'élaboration, la banque n'avait pas pu légitimement penser que la société débitrice parviendrait à faire face à son passif exigible avec l'actif disponible, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors, au surplus, qu'en ne répondant pas aux conclusions de la banque qui faisait valoir que le prononcé de la nullité facultative sur le fondement de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985, était subordonné à la condition que les remises litigieuses aient porté préjudice au débiteur, et que cette condition n'était pas remplie en l'espèce, puisqu'elles avaient servi à payer les créanciers de la société Cloarec, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'en considérant, par principe, qu'aucune connexité n'était envisageable entre une dette de restitution consécutive au prononcé de la nullité de remises en compte courant effectuées après la date de cessation des paiements et une créance admise, sans rechercher, s'agissant là de deux créances réciproques, existant en sens inverse entre les deux mêmes personnes, si elles n'étaient pas toutes deux effectivement nées d'un même rapport de droit, l'exécution de la convention de compte courant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1289 du Code civil et de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir énoncé que l'admission de la créance de la banque au passif du redressement judiciaire de la société Cloarec rendait irrecevable, comme contraire à l'autorité de la chose jugée, toute contestation du solde débiteur du compte, la cour d'appel a retenu à bon droit que rien ne s'opposait, en revanche, à ce que des remises opérées de façon anormale par le débiteur pendant la période suspecte soient annulées par application de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985, la décision d'admission n'ayant pas pour effet de réputer réguliers les paiements qui, effectués en période suspecte, auraient diminué le solde débiteur à une date où la banque avait connaissance de la cessation des paiements ;

Attendu, d'autre part, qu'après avoir retenu que la demande d'annulation des opérations effectuées sur le compte courant litigieux ne saurait prospérer pour celles engagées avant le lundi 9 décembre 1985 dès lors qu'il n'était pas établi que la banque ait eu connaissance, avant cette date, de l'état de cessation des paiements, la cour d'appel a constaté qu'après cette date, le compte n'avait plus été significativement débiteur jusqu'au jugement d'ouverture du redressement judiciaire ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision, sans avoir à effectuer la recherche inopérante dont fait état la deuxième branche ;

Attendu, en outre, que l'arrêt constate que, le 4 décembre 1985, le compte courant de la société Cloarec était débiteur d'une somme de 1 899 908 francs et que les 5 et 6 décembre, une autre banque a refusé le paiement d'effets de commerce pour un montant de 6 200 000 francs ; qu'il retient encore qu'il n'a pas échappé à la banque que son client ne pouvait faire face à ses dettes exigibles avec ses actifs disponibles puisqu'à partir du 9 décembre, elle a progressivement réduit ses concours et a obtenu des remises immédiates qui ont eu pour conséquence de porter, le 10 décembre, le solde du compte à un montant créditeur de 651 082,63 francs ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer les recherches inopérantes visées à la troisième branche, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, au surplus, qu'aux termes de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985, les paiements pour dettes échues effectués après la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis après cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements ; qu'en vertu des articles 1 et 110 de la même loi, l'action en nullité a pour effet de reconstituer l'actif du débiteur en vue du maintien de l'activité et de l'emploi ; qu'il s'ensuit que les juges du fond, pour prononcer la nullité prévue à l'article 108, ne sont pas tenus de constater l'existence d'un préjudice subi par le débiteur ou par ses créanciers ; que, dès lors, la cour d'appel n'avait pas à répondre aux conclusions de la banque qui soutenaient le contraire ;

Attendu, enfin, que la nullité du paiement prononcée en application de l'article 108 de la loi du 25 janvier 1985 a pour effet, en vertu de l'article 110 de la même loi, de reconstituer l'actif du débiteur ; que la cour d'appel en a déduit à bon droit que toute compensation est exclue entre la dette de restitution consécutive au prononcé de la nullité de remises en compte courant effectuées après la date de cessation des paiements et une créance admise au passif de la procédure collective ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.