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Décisions

Cass. crim., 21 juin 1993, n° 92-84.526

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Hecquard

Avocat général :

M. Amiel

Avocat :

SCP Célice et Blancpain

Douai, ch. corr., du 9 avr. 1992

9 avril 1992

CASSATION sans renvoi sur le pourvoi formé par :

- X... Daniel,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, chambre correctionnelle, en date du 9 avril 1992, qui, pour banqueroute, l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR, 

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 3 et 197 de la loi du 25 janvier 1985, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable du délit de banqueroute par détournement d'actif pour s'être dessaisi courant octobre 1989, c'est-à-dire en période suspecte, d'une partie des stocks de la société au profit de la société Roques et Lecoeur ;

" aux motifs qu'au mois d'octobre 1989 l'entreprise était en état de cessation des paiements, la situation s'étant gravement détériorée durant la période allant du 1er octobre 1988 au 30 septembre 1989, le mois d'août 1989 pouvant être retenu comme date initiale de cette cessation des paiements en raison de l'encaissement, durant le mois par la SFP, d'une somme de 164 196 francs correspondant à une facture cédée au Crédit agricole conformément à la procédure prévue par la loi Dailly, somme non réglée à son échéance du 31 octobre 1989, créance présentée par le Crédit agricole lors des opérations de déclaration de créance, cette somme ayant servi selon le propre aveu de X... lors de sa garde à vue à payer les fournisseurs ou les salariés dans le cadre de la société ;

" alors, d'une part, qu'il résulte de l'article 197 de la loi du 25 janvier 1985 que le délit de banqueroute suppose l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire constatant la cessation des paiements en sorte que l'arrêt attaqué, qui rend inopérante cette condition préalable en s'arrogeant le pouvoir de déterminer une date de cessation des paiements autre que celle fixée par la juridiction consulaire, viole le texte susvisé ;

" alors, d'autre part, que l'article 3 de la loi du 25 janvier 1985 définit la cessation des paiements comme l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible en sorte que l'arrêt attaqué, qui présume que la SFP se trouvait en état de cessation des paiements dès le mois d'août 1989 par le seul fait de l'encaissement d'une facture litigieuse et de l'affectation de cette somme en paiement de fournisseurs et des salariés, ne donne pas de base légale à sa décision " ;

Attendu que, pour fixer au 1er août 1989 la date de cessation des paiements de la Société française de plaisance (SFP), la cour d'appel relève que, pour obtenir un crédit à court terme, cette société a cédé à cette date au Crédit agricole une créance de 164 190 francs qui n'a pas été réglée à son échéance le 31 octobre suivant, et qu'elle a été ensuite incapable, jusqu'au jugement du tribunal de commerce prononçant son redressement judiciaire, de payer sa dette à l'égard de la banque ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que le juge répressif a le pouvoir de retenir, en tenant compte des éléments soumis à son appréciation, une date de cessation des paiements autre que celle fixée par la juridiction consulaire, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen qui doit être écarté ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 197 de la loi du 25 janvier 1985 et 402 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable du délit de banqueroute par détournement d'actif pour s'être dessaisi en période suspecte d'une partie des stocks de la SFP au profit de la société Roques et Lecoeur ;

" aux motifs que la clause de réserve de propriété, établie pour les besoins de la cause, datée du 20 juillet 1989, et communiquée pour la première fois par la société Roques et Lecoeur après son assignation au tribunal de commerce le 17 juillet 1990, ne comportait sur papier à en-tête de la société Roques et Lecoeur qu'une seule griffe, en l'absence de tout cachet de la société SFP qui aurait permis d'en présumer l'antériorité ; que la société Roques et Lecoeur ne justifiait pas de la stricte identité entre les marchandises qu'elle prétend avoir reprises et celles qu'elle-même aurait livrées et que, s'il y avait bien eu renvoi d'une marchandise livrée précisément par la société Roques et Lecoeur, il appartiendrait au fournisseur de faire un " avoir " à la société qui restituait le matériel et non de procéder à une facturation de la part de la SFP, et que devait être relevée l'absence, dans les déclarations des créances de la société Roques et Lecoeur, d'allusion à des factures annulées suite au renvoi de marchandises stockées par la SFP ;

" alors que ne constitue pas le délit de banqueroute par détournement de l'actif d'une société le fait par le dirigeant de celle-ci de céder, à un ou plusieurs créanciers de la personne morale, tout ou partie des biens de cette dernière dans la mesure où, égale ou supérieure à la valeur de ces biens, la créance du bénéficiaire est liquide, certaine et exigible ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué, qui déclare X... coupable d'un tel délit pour avoir restitué et facturé à leur fournisseur des marchandises impayées, ne donne pas de base légale à sa décision " ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 197 de la loi du 25 janvier 1985, 402 du Code pénal, 1382 du Code civil, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué recevant Me Y... en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SFP en sa constitution de partie civile a condamné X... à lui payer la somme de 789 187, 67 francs ainsi qu'une indemnité en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

" aux motifs que Me Y..., ès qualités, était bien fondé à réclamer à X..., coupable du délit de banqueroute par détournement d'actif, les sommes par lui détournées peu important qu'une action ait été engagée par lui auprès de la société Roques et Lecoeur ;

" alors qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué, qui, nonobstant l'action engagée de ce chef devant la juridiction consulaire contre la société Roques et Lecoeur, déclare Me Y..., ès qualités, fondé à réclamer à X... le remboursement des sommes qu'il aurait détournées, expose sa décision à un double emploi manifeste " ;

Les moyens étant réunis ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que le délit de banqueroute par détournement d'actif suppose, pour être constitué, l'existence d'une dissipation volontaire d'un élément du patrimoine d'une société en état de cessation de paiements par le dirigeant social de fait ou de droit ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'il est reproché à Daniel X..., président du conseil d'administration de la SFP, en état de cessation des paiements, de s'être dessaisi d'une partie des stocks de la société au profit de la société Roques et Lecoeur sans exiger le paiement des factures correspondantes, soit la somme de 789 187 francs ;

Attendu que, pour le déclarer coupable de détournement d'actif, à raison de ces seuls faits, la cour d'appel énonce, par des motifs adoptés des premiers juges, que la valeur des stocks dont le prévenu s'est dessaisi s'imputait sur les sommes dues par la société SFP à la société Roques et Lecoeur ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, abstraction faite d'autres motifs inopérants, et alors qu'une dation en paiement réalisée pendant la période suspecte s'analyse en un paiement préférentiel non punissable pénalement depuis l'entrée en vigueur de la loi du 25 janvier 1985, la cour d'appel a méconnu le principe sus-énoncé ; Que la cassation est dès lors encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 9 avril 1992 ;

Et attendu qu'il ne reste rien à juger ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.