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Décisions

Cass. crim., 27 avril 2000, n° 99-85.192

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Martin

Avocat général :

M. Géronimi

Avocat :

M. Capron

Douai, du 25 mai 1999

25 mai 1999

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :

- la société d'Exploitation des biens d'équipement d'Artois (SEDA), partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 25 mai 1999, qui, après avoir condamné Jacques X... du chef de banqueroute et David X... pour complicité de banqueroute et recel de détournement d'objets saisis à diverses peines et les avoir relaxés pour le surplus de la prévention, a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR, 

Vu les mémoires ampliatif et rectificatif produits ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 197. 2°, de la loi du 25 janvier 1985, 1382 et 1383 du Code civil, 2 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a débouté la société Seda de l'action civile qu'elle formait contre Jacques X... pour obtenir réparation du préjudice qu'elle a subi du fait du détournement d'une somme de 1 585 759, 01 francs ;

" aux motifs qu'en ce qui concerne les apports en trésorerie, ou apports de fonds, par But Isques (1 500 000 francs)... au profit de But Coudekerque Branche, la Cour estime que Jacques X... peut revendiquer l'adoption d'une " stratégie de groupe " : il disposait lui-même, ou en famille, de 99 % du capital des sociétés ; les trois sociétés But avaient une enseigne commune et des méthodes de vente identiques, une zone d'achalandage ayant fait l'objet d'une même stratégie et une activité commune ; les quatre sociétés travaillaient, finalement, en synergie et il a, d'ailleurs, été dit que c'est à la suite de la création de But Coudekerque que les autres sociétés ont périclité " (cf. arrêt attaqué, p. 12, paragraphe II, 1er alinéa) ; que Jacques X... sera donc relaxé pour banqueroute au titre des transferts de fonds dont la Seda Expansion (But Coudekerque Branche) a bénéficié ; qu'il est, ici, utile de noter Gérard Y..., commissaire aux comptes des sociétés, qui écrivait à Me Z... (lettre du 21 octobre 1992) ; " Je ne pense pas que les avances de la société Seda... à la société Seda Expansion aient été effectuées dans un but personnel, surtout qu'à l'époque, le contexte économique était différent " (cf. arrêt attaqué, p. 12, paragraphe II, 2e alinéa) ; " 1o alors que le dirigeant poursuivi pour banqueroute par détournement d'actif ne peut se prévaloir de l'existence d'un intérêt de groupe, lorsque la procédure collective dont la victime a fait l'objet, lui a restitué, dans l'intérêt de ses créanciers, son indépendance économique et financière ; qu'en visant, dès lors, l'intérêt du groupe que Jacques X... administrait, sans se demander si la procédure collective à laquelle la société Seda a été soumise ne lui a pas restitué, dans l'intérêt de ses créanciers, son indépendance économique et financière, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; " alors que la recherche d'un intérêt personnel n'est pas un élément constitutif de la banqueroute par détournement d'actif ; qu'en visant l'opinion de Gérard Y..., suivant lequel Jacques X... n'avait pas agi dans un intérêt personnel, la cour d'appel a violé les texte susvisés ;

" alors qu'il faut, pour qu'il y ait intérêt de groupe, que le concours financier que la société d'un groupe apporte à une autre société du même groupe, ne soit pas dépourvu de contrepartie, et qu'il n'excède pas les facultés de la société apporteuse ; qu'en énonçant que le détournement perpétré par Jacques X... au détriment de la société Seda se trouvait justifié par l'intérêt du groupe qu'il administrait, sans s'expliquer sur la contrepartie que la société Seda aurait perçue en échange de son apport, ni sur la proportion entre les facultés de cette société et l'apport qu'elle a consenti, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jacques X..., président des sociétés Seda, Sedac Expansion et Seda Expansion, qui exploitaient respectivement à Isques, Calais et Coudekerque des magasins de meubles à l'enseigne " But ", dans lesquels il détenait avec sa famille la quasi-totalité du capital, a fait avancer courant 1991 à la troisième de ces sociétés par les deux premières, ainsi que par une autre qui assurait le service après-vente du magasin de Calais, des sommes de l'ordre de 3, 5 millions de francs ; Que l'ensemble des sociétés ont été mises en redressement judiciaire, à des dates différentes, courant 1992 ;

Attendu que, pour relaxer le prévenu, poursuivi pour banqueroute par détournement d'actifs à raison de ces avances non remboursées, la cour d'appel, après avoir dit qu'il n'y avait pas lieu de requalifier la poursuite en abus de biens sociaux, énonce que les sociétés avaient une enseigne commune et des méthodes de vente identiques, une zone d'achalandage ayant fait l'objet d'une même stratégie et une activité commune, que les sociétés travaillaient en synergie, que c'est à la suite de la création de But Coudekerque que les autres sociétés ont périclité et enfin que Jacques X... n'a pas agi dans un intérêt personnel ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'intérêt de groupe ne saurait être invoqué en cas de poursuites pour banqueroute, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 197. 2 de la loi du 25 janvier 1985, 1382 et 1383 du Code civil, 2 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a débouté la société Seda de l'action civile qu'elle formait contre Jacques et David X... pour obtenir réparation du préjudice qu'elle a subi du fait du détournement d'une somme de 15 775 francs en liquide ; 

" aux motifs que " les prévenus ont reconnu que, dans la période de la prévention (octobre 1992 à janvier 1993), les caissières du magasin (...) d'Isques (pour une somme de 17 775 francs) avaient reçu l'ordre de placer, dans les enveloppes, les payements effectués en espèces par la clientèle " (cf. arrêt attaqué, p. 11, paragraphe 1, 1er alinéa) ; que " David X... se chargeait d'opérer les manipulations informatiques nécessaires pour annuler fictivement les ventes correspondant aux payements en espèces et ajuster les stocks d'autant ; qu'il doit être déclaré complice par aide et assistance de ces actes de banqueroute par détournement d'actif à bon droit reprochés à son père " (cf. arrêt attaqué, p. 11, paragraphe 1, 2e alinéa) ; que " la société Seda est (...) victime directe de certaines infractions reprochées " (cf. arrêt attaqué, p. 13, 6e alinéa) ; que, " compte tenu des déclarations de culpabilité qui délimitent le champ des demandes en réparation des préjudices, et compte tenu des justifications produites, la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer comme suit les préjudices de parties civiles : Seda : 1 franc " (cf. arrêt attaqué, p. 14, 1er alinéa) ;

" alors que, dans le cas de banqueroute par détournement d'actif, le préjudice subi par la victime est nécessairement égal à la valeur du bien détourné ; que la cour d'appel, qui admet que Jacques et David X... ont détourné une somme de 15 775 francs au préjudice de la société Seda, et qui énonce que la société Seda ne prouve pas que les faits de banqueroute imputés à Jacques X... (auteur principal) et David X... (complice) lui ont causé un préjudice supérieur à 1 franc, a violé les textes susvisés " ;

Vu les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ;

Attendu que les juges sont tenus d'assurer la réparation intégrale du préjudice découlant de l'infraction ;

Attendu qu'après avoir déclaré Jacques et David X..., en qualité respectivement d'auteur et de complice, coupables de détournements d'une somme de 17 775 francs au préjudice de la société Seda et déclaré cette dernière recevable en sa constitution de partie civile, l'arrêt alloue à celle-ci la somme de 1 franc en réparation de son préjudice au seul visa des justifications produites ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans mieux s'expliquer sur les motifs de la limitation de la réparation à la somme précitée, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe susénoncé ; D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions civiles concernant la société Seda, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, l'arrêt de la cour d'appel de Douai, en date du 25 mai 1999 ; 

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens.