ADLC, 3 mai 2021, n° 21-D-10
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Fleury Michon
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Philippe Couton, rapporteur, et l’intervention de M. Joêl Tozzi, rapporteur général adjoint, par M. Henri Piffaut, vice-président, président de séance, Mme Fabienne Siredey-Garnier, Mme Irène Luc et M. Emmanuel Combe, vice- présidents
L’Autorité de la concurrence (Commission permanente),
Vu la lettre du 21 septembre 2012, enregistrée sous le numéro 12/0080 F, par laquelle la société Établissements Guy Harang SA a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques dans le secteur de la découpe de porcs dans la région parisienne ;
Vu la décision n° 13-SO-01 du 30 janvier 2013 enregistrée sous le n° 13/0006 F par laquelle l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office des pratiques mises en œuvre dans le secteur des achats et ventes des pièces de porc et de produits de charcuterie ;
Vu la décision n° 20-D-09 du 16 juillet 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des achats et ventes des pièces de porc et de produits de charcuterie ;
Vu le livre IV du code de commerce et notamment les articles L. 420-1 et L. 464-2 ;
Vu la décision du 25 avril 2014 procédant à la jonction de l’instruction des saisines n° 12/0080 F et n° 13/0006 F ;
Vu le rapport en date du 22 juillet 2019 relatif à la mise en œuvre du V de l’article L. 464-2, alinéa 2, du code de commerce, concernant l’obstruction par le groupe Les Mousquetaires à l’investigation ou à l’instruction des services de l’Autorité ;
Vu les observations du 7 octobre 2019 des sociétés Fleury Michon LS, Fleury Michon et Société Holding de contrôle et de participations ;
Vu le procès-verbal de transaction du 5 novembre 2020 signé par le rapporteur général adjoint et les sociétés Fleury Michon LS et Fleury Michon et Société Holding de contrôle et de participations ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, et les représentants des sociétés Société Holding de contrôle et de participations, Fleury Michon et Fleury Michon LS, entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 16 mars 2021, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqué ;
Adopte la décision suivante :
Résumé1
Aux termes de la décision ci-après, l’Autorité a prononcé une sanction de 100 000 euros à l’encontre de la société Fleury Michon LS, en tant qu’auteure, et à la société Fleury Michon, en tant que société mère (ci-après le « groupe Fleury Michon »), sur le fondement des dispositions du V de l’article L. 464-2 du code de commerce, pour avoir fait obstruction à l’instruction de la saisine référencée sous le numéro 13/0006 F.
Le groupe Fleury Michon a finalisé une opération de fusion-absorption de la société Fleury Michon Charcuterie par la société Fleury Michon Traiteur, plus d’un mois avant l’envoi de la notification de griefs. Cependant, le groupe Fleury Michon n’a pas tenu les services d’instruction informés de cette restructuration interne, alors même que ceux-ci lui avaient demandé expressément de leur signaler toute modification de la structure du groupe auquel appartient Fleury Michon Charcuterie.
Le groupe Fleury Michon, non seulement n’a pas signalé ce changement, mais a, en outre, donné l’apparence d’une stabilité dans sa structure juridique. Ainsi, il a déposé, par l’intermédiaire de ses conseils, des observations sur la notification de griefs et ultérieurement une demande de secret des affaires au nom et pour le compte de la société Fleury Michon Charcuterie, alors que cette société n’existait plus. Ce faisant, le groupe Fleury Michon a contribué activement à induire les services d’instruction en erreur.
Par son comportement, le groupe Fleury Michon aurait pu compromettre l’efficacité de l’action des services d’instruction, en les empêchant d’identifier et de suivre avec précision l’évolution des personnes morales à qui il convenait d’imputer et de notifier les griefs.
Les dispositions relatives à l’obstruction revêtent une importance cruciale pour garantir l’effectivité des pouvoirs d’enquête et d’instruction de l’Autorité. L’entreprise faisant l’objet d’une mesure d’investigation est ainsi soumise à une obligation de collaboration active et loyale, qui implique notamment de sa part qu’elle tienne à la disposition des services d’instruction tous éléments d’information et justificatifs répondant à l’objet des demandes et qu’elle informe l’Autorité de tout changement pouvant avoir un impact sur le déroulement de l’instruction, notamment les modifications de sa structure sociale. Ainsi, les représentants d’une entreprise, par le truchement, le cas échéant, de leurs conseils dûment mandatés, sont tenus de communiquer avec diligence les renseignements et les documents, complets, exacts et non dénaturés, qui leur sont demandés.
L’Autorité a défini le montant de la sanction en tenant compte de la gravité de l’infraction d’obstruction, qui fait obstacle à l’exercice de sa mission de répression des pratiques anticoncurrentielles. Elle a également pris en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce, en particulier la signature d’un procès-verbal de transaction du groupe Fleury Michon.
I. Les constatations
A. RAPPEL DE LA PROCEDURE
1. Par lettre du 21 septembre 2012, enregistrée sous le numéro 12/0080 F, l’Autorité de la concurrence (ci-après l’« Autorité ») a été saisie d’une plainte de la société anonyme Établissements Guy Harang concernant le secteur de la découpe de porcs dans la région parisienne, dans laquelle elle dénonçait une double entente entre plusieurs charcutiers- salaisonniers2. La saisissante soutenait que plusieurs sociétés de charcuterie-salaisonnerie se seraient entendues pour, d’une part, déterminer un prix artificiellement élevé sur le marché de Rungis sur un nombre limité de pièces de jambons sans mouille (ci-après le « JSM ») et, d’autre part, acquérir à un prix inférieur le reste de leurs pièces auprès de l’ensemble de la filière.
2. Par décision n° 13-SO-01 du 30 janvier 2013, enregistrée sous le numéro 13/0006 F, l’Autorité s’est saisie d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des achats et ventes des pièces de porc et de produits de charcuterie. La saisine d’office est intervenue après la réception de deux demandes de clémence formulées pour le compte du groupe Campofrio, concernant des pratiques mises en œuvre dans les secteurs, d’une part, de l’approvisionnement en pièces de JSM par les salaisonniers auprès des abatteurs découpeurs3 et, d’autre part, de la vente des produits de salaisonnerie et charcuterie, commercialisés sous marque de distributeur (ci-après « MDD ») ou sous forme de premiers prix en France4.
3. Le 15 mai 2013, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, par ordonnance du 2 mai 2013 prise sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce, l’Autorité a mené des opérations de visite et saisie dans les locaux de plusieurs entreprises, dont plusieurs sociétés du groupe Fleury Michon (voir paragraphes 12 et suivants ci-après).
4. À la suite de ces opérations, le 25 septembre 2013, le rapporteur général adjoint de l’Autorité a reçu une nouvelle demande de clémence formulée pour le compte du groupe Coop concernant des pratiques mises en œuvre sur le marché français de produits de charcuterie, notamment MDD5.
5. Par décision du 25 avril 2014, le rapporteur général adjoint a joint les saisines n° 12/0080 F et n° 13/0006 F en application de l’article R. 463-3 du code de commerce6.
6. Le 12 février 2018, les services d’instruction ont adressé une notification de griefs à plusieurs sociétés de charcuterie-salaisonnerie. Certaines d’entre elles appartenaient au groupe Fleury Michon, dont la société Fleury Michon Charcuterie, radiée le 8 janvier 2018 à la suite de sa fusion-absorption le 31 décembre 2017 par la société Fleury Michon Traiteur, devenue Fleury Michon LS le 25 janvier 2018.
7. Le 26 juillet 2019, les services d’instruction ont adressé un rapport d’obstruction aux sociétés Fleury Michon LS venant aux droits de la société Fleury Michon Charcuterie, Fleury Michon et Société Holding de contrôle et de participations (ci-après « SHCP ») pour ne pas les avoir tenus informés de la fusion absorption de la société Fleury Michon Charcuterie par la société précitée.
8. Le 7 octobre 2019, les sociétés Fleury Michon LS, Fleury Michon et SHCP ont présenté leurs observations au rapport d’obstruction, contestant l’infraction retenue à leur encontre.
9. Par décision n° 20-D-09 du 16 juillet 2020, l’Autorité a infligé des amendes à plusieurs sociétés actives dans le secteur des achats et ventes de pièces de porc, notamment les sociétés du groupe Fleury Michon, pour avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles. L’Autorité a imposé une amende de 8 030 000 euros à Fleury Michon LS, solidairement avec la société Fleury Michon, au titre des pratiques visées à l’article 1er de cette décision.
10. Le 5 novembre 2020, les sociétés Fleury Michon LS, Fleury Michon et SHCP ont signé un procès-verbal de transaction avec le rapporteur général de l’Autorité, par lequel elles se sont engagées à ne pas contester la réalité de l’infraction d’obstruction, renonçant de ce fait au bénéfice des écritures qu’elles avaient déposées le 7 octobre 2019.
11. À l’occasion de son intervention orale lors de la séance du 16 mars 2021, le conseil du groupe Fleury Michon a confirmé, en toute connaissance de cause, son plein accord avec les termes de la transaction.
B. L’ENTREPRISE CONCERNEE
12. Fleury Michon est un groupe familial, intervenant dans les secteurs de la charcuterie et des plats préparés. L’activité du groupe se décompose en trois pôles : « GMS France », « International » et « Service ». Il fabrique ainsi de la charcuterie et des produits traiteurs, approvisionne des compagnies aériennes ou des hôpitaux en plateaux-repas et exerce une activité de conseils nutritionnels7.
13. Ses principales filiales dans le secteur de la fabrication de charcuterie étaient, pendant la durée des pratiques les sociétés Fleury Michon Charcuterie (RCS n° 439 220 203), Charcuteries Cuisinées du Plelan (RCS n° 444 525 240) et Société d’innovation Culinaire (RCS n° 489 625 111). Ces trois sociétés étaient détenues, directement ou indirectement, à 100 % par la société Fleury Michon SA (RCS n° 572 058 329), dont l’actionnaire principal est la société SHCP (RCS n° 347 638 538) qui détient près de 50 % du capital de Fleury Michon SA8.
14. Installée en Vendée sur le site historique du groupe, Fleury Michon Charcuterie intervenait principalement dans la fabrication de jambons (de porc et de volailles), de rôtis, de saucisses, de pâtés, ainsi que d’aides culinaires (émincés, dés, allumettes, etc.). Fleury Michon Charcuterie centralisait les achats de pièces de porc des deux autres sociétés du groupe, Charcuteries cuisinées du Plelan et Société d’Innovation Culinaire9.
15. La société Fleury Michon Charcuterie a été radiée le 8 janvier 2018, après une opération de fusion-absorption par la société Fleury Michon Traiteur, devenue Fleury Michon LS (RCS n° 340 545 441).
C. LES PRATIQUES CONSTATEES
16. Le 14 septembre 2016, la société Fleury Michon Charcuterie a donné mandat à des avocats pour la représenter devant l’Autorité dans le cadre des saisines n° 12/0080 F et 13/0006 F et réaliser toutes démarches ou procédures y afférant. Elle a également élu domicile en leur cabinet pour les besoins de la procédure10.
17. Par courriel du 10 novembre 2016, doublé d’une lettre recommandée avec accusé de réception, les services d’instruction ont adressé une demande d’informations à la société Fleury Michon Charcuterie, par laquelle ils lui demandaient de les tenir systématiquement informés de toute modification éventuelle de la structure du ou des groupe(s) auxquel(s) la société Fleury Michon Charcuterie appartenait11.
18. Le 22 novembre 2017, les sociétés Fleury Michon Charcuterie, Fleury Michon Traiteur (RCS n° 340 545 441) et Fleury Michon Logistique (RCS n° 389 667 007) ont déposé, auprès du greffe du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, un projet de traité prévoyant la fusion par absorption des sociétés Fleury Michon Charcuterie et Fleury Michon Logistique par la société Fleury Michon Traiteur12.
19. Le 8 janvier 2018, la société Fleury Michon Charcuterie a déposé auprès du greffe du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon :
- le procès-verbal des décisions de son actionnaire unique, la société Fleury Michon, du 31 décembre 2017, qui indique que ce dernier approuve l’ensemble des dispositions du projet de traité de fusion du 22 novembre 2017 et décide que la société Fleury Michon Charcuterie sera dissoute de plein droit, sans liquidation, du seul fait et à compter de la décision de l’actionnaire unique constatant la réalisation définitive de l’augmentation de capital rémunérant la fusion13 ;
- la déclaration de régularité et de conformité indiquant que la fusion par absorption des sociétés Fleury Michon Charcuterie et Fleury Michon Logistique par la société Fleury Michon Traiteur a été réalisée et que les sociétés Fleury Michon Charcuterie et Fleury Michon Logistique se trouvent définitivement et régulièrement dissoutes sans liquidation dans les conditions stipulées au contrat de fusion du 22 novembre 201714.
20. Le 16 janvier 2018, les services d’instruction ont tenu une conférence téléphonique avec deux dirigeants du groupe Fleury Michon et ses avocats, ayant pour objet de présenter les griefs et les suites de la procédure.
21. Au cours de cette réunion, les services d’instruction ont donné lecture du grief n° 1 aux représentants du groupe Fleury Michon tel qu’il figure à la fin de la notification des griefs et, notamment, énoncé l’identité des sociétés du groupe qui allaient être destinataires de la notification de griefs et à quel titre leur responsabilité allait être retenue15. Les représentants du groupe Fleury Michon qui ont assisté à cette réunion, n’ont pas informé les services d’instruction de l’opération de fusion-absorption de Fleury Michon Charcuterie.
22. Le 16 février 2018, les services d’instruction, non avertis de l’opération de fusion-absortpion au sein du groupe Fleury Michon, ont notifié les griefs à la société Fleury Michon Charcuterie ainsi qu’aux autres sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause, dans les locaux des conseils chez qui elles avaient toutes élu domicile. Le courrier accompagnant cette transmission mentionnait expressément l’obligation pour les entreprises destinataires de signaler sans délai les modifications de situation juridique ayant un impact sur les conditions de réprésentation ou l’imputation des griefs.
23. Le 23 mai 2018, les conseils du groupe Fleury Michon ont adressé un courrier aux services d’instruction annonçant le dépôt des observations en réponse à la notification de griefs des sociétés Fleury Michon Charcuteries, Fleury Michon SA, Charcuteries Cuisinées du Plélan, Société d’innovation Culinaire et Société Holding de contrôle et de participations en réponse à la notification de griefs16. Ce courrier était accompagné de deux jeux d’observations17. Le premier était commun aux sociétés Charcuteries Cuisinées du Plélan, Fleury Michon Charcuterie, Société d’innovation Culinaire et Fleury Michon ; le second était spécifique à la Société holding de contrôle et de participations. Ces observations ne faisaient aucunement état de la radiation de la société Fleury Michon Charcuterie et de l’existence de la société Fleury Michon LS.
24. Le 22 juin 2018, les conseils du groupe Fleury Michon ont formulé une demande de secret des affaires pour le compte des sociétés Fleury Michon Charcuteries, Fleury Michon SA, Charcuteries Cuisinées du Plélan et Société d’innovation Culinaire18.
D. LE RAPPORT
25. Le 26 juillet 2019, les services d’instruction ont adressé un rapport aux sociétés Fleury Michon LS, Fleury Michon et Société Holding de contrôle et participations, leur reprochant de ne pas avoir informé les services d’instruction de la fusion-absorption par une autre société du groupe (Fleury Michon LS) de l’une des sociétés retenues comme auteures des pratiques (Fleury Michon Charcuterie) : « Or, à aucun moment, avant et après l’envoi de la notification des griefs, les représentants du groupe Fleury Michon et, notamment, de la société Fleury Michon Charcuterie n’ont informé les services d’instruction de l’opération de fusion-absorption de cette société par la société Fleury Michon Traiteur, devenue Fleury Michon LS, décidée à la fin de l’année 2017 et finalisée en février 2018, soit concomitamment à l’envoi de la notification des griefs.
[…] Les services d’instruction proposent donc au collège de l’Autorité de faire application au groupe Fleury Michon des dispositions de l’alinéa 2 du V de l’article L. 464-2 du code de commerce. ».
II. Discussion
26. Le deuxième alinéa du V de l’article L. 464-2 du code de commerce dispose : « Lorsqu’une entreprise a fait obstruction à l’investigation ou à l’instruction, notamment en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées, l’Autorité peut, à la demande du rapporteur général, et après avoir entendu l’entreprise en cause et le commissaire du Gouvernement, décider de lui infliger une sanction pécuniaire. Le montant maximum de cette dernière ne peut excéder 1 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre ».
27. Dans sa décision n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021 société Akka technologies et autres, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le second alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, en ce qu’il méconnaissait le principe de non-cumul des sanctions19.
28. Le Conseil constitutionnel a précisé au paragraphe 27 de sa décision que : « afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, dans les procédures en cours fondées sur les dispositions contestées, la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée lorsque l'entreprise poursuivie a préalablement fait l'objet de poursuites sur le fondement de l'article L. 450-8 du code de commerce ».
29. Le groupe Fleury Michon n’ayant pas fait l’objet de poursuites sur le fondement de l’article L. 450-8 du code de commerce, il ne peut invoquer la déclaration d’inconstitutionnalité précitée.
A. SUR L’OBLIGATION DE COLLABORATION ACTIVE ET LOYALE DE L’ENTREPRISE ET SA PORTEE PRATIQUE
30. L’Autorité est investie par la loi de la mission de réprimer les pratiques anticoncurrentielles, sur le fondement, notamment, des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce et des articles 101 et 102 du TFUE.
31. Pour conduire leur instruction en vue de la recherche et de la constatation des infractions aux articles L. 420-1 à L. 420-6 du code de commerce, les rapporteurs de l’Autorité mettent en œuvre les moyens d’investigation prévus aux articles L. 450-1 à L. 450-8 et R. 450-1 et R. 450-2 du même code.
32. Le quatrième alinéa de l’article L. 450-3 dudit code prévoit : « [l]es agents peuvent exiger la communication et obtenir ou prendre copie, par tout moyen et sur tout support, des livres, factures et autres documents professionnels de toute nature, entre quelques mains qu’ils se trouvent, propres à faciliter l’accomplissement de leur mission. Ils peuvent exiger la mise à leur disposition des moyens indispensables pour effectuer leurs vérifications. Ils peuvent également recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement, document ou toute justification nécessaire au contrôle ».
33. L’entreprise faisant l’objet d’une mesure d’investigation est ainsi soumise à une obligation de collaboration active et loyale, qui implique qu’elle tienne à la disposition des services d’instruction tous éléments d’information et justificatifs répondant à l’objet des leurs demandes. Ainsi, les représentants d’une entreprise, par le truchement, le cas échéant, de leurs conseils dûment mandatés, sont tenus de communiquer avec diligence les renseignements et les documents, complets, exacts et non dénaturés, qui leur sont demandés20.
34. En droit de l’Union, les dispositions du 4 de l’article 18 du Règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002 édictent, de manière similaire aux dispositions législatives précitées, que les entreprises « [s]ont tenues de fournir les renseignements demandés » par la Commission européenne. La jurisprudence de l’Union rappelle régulièrement que l’entreprise faisant l’objet d’une mesure d’instruction est soumise à une obligation de collaboration active, qui implique qu’elle tienne à la disposition de la Commission européenne tous les éléments d’information relatifs à l’objet de l’enquête. Le règlement n° 1/2003 a doté la Commission européenne de larges pouvoirs d’enquête et a imposé aux particuliers concernés l’obligation de collaborer activement aux mesures d’investigation, obligation qui implique qu’ils tiennent à la disposition de la Commission européenne tous les éléments d’information relatifs à l’objet de l’enquête21.
35. C’est au regard de l’obligation de répondre activement, diligemment et de bonne foi aux demandes de renseignement qui pèse sur les sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause, comme sur toute entreprise faisant l’objet d’une instruction menée par l’Autorité, qu’il convient d’apprécier les manquements qui leur sont reprochés.
36. L’alinéa 2 du V de l’article L. 464-2 et la pratique décisionnelle de l’Autorité disposent que l’obstruction peut, « notamment », résulter de la fourniture par l’entreprise de renseignements incomplets ou inexacts, ou de la communication de pièces incomplètes ou dénaturées22. L’obstruction, dont les formes ne sont pas limitativement définies par le V de l’article L. 464-2 du code de commerce, recouvre tout comportement de l’entreprise tendant, de propos délibéré ou par négligence, à faire obstacle ou à retarder, par quelque moyen que ce soit, le déroulement de l’enquête ou de l’instruction23. Ainsi, le refus de communiquer les renseignements ou les documents demandés dans le délai prescrit, de même que l’omission de rectifier une réponse incorrecte ou incomplète, peuvent constituer une obstruction, au sens du deuxième alinéa du V de l’article L. 464-2 précité, dès lors qu’ils font obstacle aux pouvoirs d’enquête dévolus aux agents de l’Autorité.
37. L’obstruction prévue à l’article L. 464-2 du code de commerce ne comporte aucune référence à un élément intentionnel frauduleux de la part de l’entreprise qui « fait obstruction » à l’instruction, notamment en « fournissant » des renseignements incomplets ou inexacts, ou en « communiquant » des pièces incomplètes ou dénaturées. L’infraction est définie par des comportements objectifs, sans référence à un élément intentionnel quelconque. L’infraction d’obstruction peut donc résulter d’une simple négligence.
38. Il en est de même en droit de l’Union qui, conformément à l’article 23 du Règlement n° 1/2003 précité, sanctionne les infractions commises délibérément ou par négligence. L’analyse de la jurisprudence européenne permet de conclure que ce n’est pas seulement « la volonté d’induire en erreur les enquêteurs » qui est sanctionnée au titre de l’obstruction. La négligence de l’entreprise, ou sa passivité, qui a compromis l’efficacité de l’action des enquêteurs, peut constituer, à elle seule, l’infraction. Ainsi, le Tribunal de l’Union a jugé que : « En raison de l’obligation de collaboration active imposée aux particuliers concernés au cours de la procédure d’enquête préalable, une réaction passive peut justifier, à elle seule, l’adoption d’une décision formelle au titre de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17 »24.
B. SUR LE COMPORTEMENT DU GROUPE FLEURY MICHON
39. En l’espèce, les services d’instruction ont, dès le 10 novembre 2016, expressément demandé à la société Fleury Michon Charcuterie de les tenir « systématiquement informés de toute modification éventuelle de la structure du ou des groupe(s) auxquel(s) la société Fleury Michon Charcuterie appartient »25.
40. Cette demande d’informations avait pour objet de permettre aux services d’instruction d’identifier et de suivre l’évolution des personnes morales auxquelles il convenait d’imputer et de notifier les griefs.
41. En outre, comme mentionné ci-avant, dans son courrier du 16 février 2018 accompagnant l’envoi de la notification de griefs, le rapporteur général a rappelé, en ces termes, aux sociétés destinataires des griefs et, notamment, aux sociétés concernées du groupe Fleury Michon, les dispositions de l’article L. 463-2 du code de commerce : « (…) les entreprises destinataires des griefs doivent signaler sans délai aux rapporteurs chargés des dossiers, à tout moment de la procédure d’investigation, toute modification de leur situation juridique susceptible de modifier les conditions dans lesquelles elles sont représentées ou dans lesquelles les griefs peuvent leur être imputés ; à défaut de l’avoir fait, elles seront irrecevables à s’en prévaloir »26.
42. Or, à aucun moment, que ce soit avant ou après l’envoi de la notification de griefs, les représentants du groupe Fleury Michon n’ont informé les services d’instruction de l’opération de fusion-absorption.
43. Les sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause ont ainsi finalisé l’opération de fusion- absorption le 8 janvier 2018, soit plus d’un mois avant l’envoi de la notification de griefs, sans informer les services d’instruction de cette restructuration interne.
44. En outre, les services d’instruction ont indiqué expressément qu’un grief allait être notifié à la société Fleury Michon Charcuterie lors d’une conférence téléphonique avec les avocats et deux dirigeants des sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause le 16 janvier 2018. Or, ni les avocats du groupe Fleury Michon, ni les représentants du groupe Fleury Michon qui ont assisté à cette conférence téléphonique, n’ont signalé aux services d’instruction la radiation de la société Fleury Michon Charcuterie.
45. En s’abstenant de communiquer cette information aux services d’instruction, alors qu’elle était tenue de le faire conformément à la demande d’informations du 10 novembre 2016 et à son obligation de coopération, la société Fleury Michon Traiteur, venant aux droits de la société Fleury Michon Charcuterie, a manqué à son obligation de coopération loyale et active vis-à-vis des services d’instruction.
46. Il convient de souligner que si, comme rappelé ci-avant, de simples omissions suffisent à caractériser l’infraction d’obstruction prohibée par le V de l’article L. 464-2 du code de commerce, le comportement d’obstruction ne s’est pas limité en l’espèce à une attitude passive des sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause vis-à-vis des services d’instruction.
47. En effet, les avocats du groupe Fleury Michon ont, après l’envoi de la notification de griefs, déposé des actes au nom et pour le compte de la société Fleury Michon Charcuterie (observations en réponse à la notification de griefs du 28 mai 2018, demande de secret des affaires), donnant ainsi l’apparence que le statut juridique de cette société demeurait inchangé. Ce faisant, les sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause, par l’intermédiaire de ses conseils, ont contribué activement à induire les services d’instruction en erreur.
48. Enfin, les sociétés concernées du groupe Fleury Michon mises en cause ont tenté de se prévaloir de leurs propres manquements, en soutenant dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’adoption de la décision n° 20-D-09, que la société Fleury Michon LS devait être mise hors de cause, faute d’avoir été personnellement destinataire de la notification de griefs.
49. Les sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause ont ainsi marqué leur volonté de faire obstacle à l’instruction, en s’abstenant d’abord d’informer les services d’instruction de la radiation de la société Fleury Michon Charcuterie, en déposant ensuite des courriers et des observations donnant l’impression que cette société continuait à exister après l’envoi de la notification de griefs, puis en demandant enfin sa mise hors de cause, au motif que la notification de griefs avait été adressée à une société radiée.
50. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’infraction d’obstruction est constituée.
C. SUR L’IMPUTABILITE DE L’INFRACTION
1. SUR L’IMPUTABILITE DE L’INFRACTION AUX SOCIETES AUTEURES
51. Il ressort d’une jurisprudence constante que tant que la personne morale responsable de l’exploitation de l’entreprise qui a mis en œuvre des pratiques enfreignant les règles de concurrence subsiste juridiquement, elle doit en être tenue responsable.
52. En revanche, aux termes d’une jurisprudence constante, lorsque la personne morale responsable de l’exploitation de l’entreprise qui a commis les pratiques a cessé d’exister juridiquement, ces pratiques doivent être imputées à la personne morale à laquelle l’entreprise a juridiquement été transmise, c’est-à-dire celle qui a reçu les droits et obligations de la personne auteure de l’infraction, et, à défaut d’une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle27. Il en résulte qu’en cas de dissolution par absorption de la personne morale, les pratiques doivent être imputées à la société qui succède, sur le plan juridique, à la société auteure des pratiques, c’est-à-dire la société absorbante28.
53. En l’espèce, la société Fleury Michon Charcuterie n’a pas tenu les services d’instruction informés des changements qui la concernaient, alors qu’elle était tenue de le faire (voir paragraphe 39).
54. Comme indiqué supra, la société Fleury Michon Charcuterie a été absorbée par la société Fleury Michon Traiteur, devenue société Fleury Michon LS. En application du critère de la continuité économique, l’infraction commise par la société Fleury Michon Charcuterie doit donc être considérée comme ayant également été mise en œuvre par la société Fleury Michon LS, qui l’a, au demeurant poursuivie après avoir absorbé la société Fleury Michon Charcuterie. À ce double titre, l’infraction doit donc lui être imputée.
55. En outre, tant Fleury Michon LS que Fleury Michon ont contribué à tromper les services d’instruction en déposant des actes (observations en réponse à la notification de griefs et demande de protection de secret des affaires) au nom de la société Fleury Michon Charcuterie. L’infraction doit donc également leur être imputée en qualité d’auteures.
2. SUR L’IMPUTABILITE DE L’INFRACTION AUX SOCIETES MERES
56. Au sein d’un groupe de sociétés, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques29.
57. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d’une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteure d’un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, présomption compatible avec les principes de responsabilité personnelle et d’individualisation des peines. Dans cette hypothèse, il suffit pour l’autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteure des pratiques à la société mère. La société mère peut renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d’action sur le marché. Si la présomption n’est pas renversée, l’autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale30.
58. Ces principes s’imposent à l’Autorité lorsqu’elle fait parallèlement application des articles 101 et 102 du TFUE et des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce : « la notion d’entreprise et les règles d’imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence de l’Union. L’interprétation qu’en donnent les juridictions de l’Union s’impose donc à l’autorité nationale de concurrence lorsqu’elle applique ce droit »31. Dans un arrêt du 19 mai 2016, la cour d’appel de Paris a énoncé que cette présomption d’imputabilité est applicable par l’Autorité « même lorsqu’elle applique exclusivement le droit national de la concurrence, pour des raisons de cohérence juridique »32.
59. Par ailleurs, comme l’a indiqué la Commission dans une décision du 24 mai 2011 devenue définitive33, les règles régissant l’imputabilité des infractions aux règles de fond et aux règles de procédure sont identiques. Les infractions aux règles de procédure relatives aux pouvoirs d’instruction de la Commission ayant pour effet d’empêcher ou de rendre plus difficile la détection d’infractions aux règles de fond, elles ne sauraient être régies par des principes différents s’agissant de leur imputabilité.
60. Enfin, dans sa décision Akka technologies et autres, le Conseil constitutionnel a indiqué qu’« en faisant référence à la notion d'entreprise, qui désigne les entités constituées sous l'un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif, et à celle de chiffre d'affaires mondial, le législateur s'est référé à des catégories juridiques précises permettant de déterminer avec une certitude suffisante les personnes responsables et la peine encourue ». Le Conseil constitutionnel a considéré que le fait d’imputer à une société mère une obstruction commise par l’une de ses filiales était conforme à la Constitution, et a écarté le grief tiré d’une méconnaissance du principe de personnalité des peines et de la présomption d’innocence34.
61. Par conséquent, les règles d’imputabilité des infractions édictées par la jurisprudence européenne et adoptées en droit national, en particulier la présomption d’imputabilité à la société mère des agissements de sa filiale, sont applicables aux infractions d’obstruction visées par le V de l’article L. 464-2 du code de commerce 35.
62. En l’espèce, il convient d’appliquer les règles qui commandent l’imputabilité des infractions de la filiale à sa mère et d’opposer à la société Fleury Michon, qui détenait 100 % du capital des sociétés Fleury Michon Charcuterie et Fleury Michon LS pendant la durée des pratiques, la présomption selon laquelle, constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence, elle exerçait une influence déterminante sur le comportement de ses filiales.
63. En revanche, cette présomption ne peut pas être appliquée à SHCP, qui détenait moins de 50 % du capital de Fleury Michon Charcuterie à l’époque des faits. Dans la décision n° 20-D-09, l’Autorité a considéré, sur la base d’un ensemble d’éléments factuels, qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments pour permettre d’établir l’effectivité de l’exercice par SHCP d’une influence déterminante sur ses filiales auteures, dont Fleury Michon Charcuterie. La responsabilité de SHCP en sa qualité de société mère doit être écartée dans la présente espèce.
D. SUR LES DETERMINANTS DE LA SANCTION
64. Le deuxième alinéa du V de l’article L. 464-2 du code de commerce dispose : « Lorsqu’une entreprise a fait obstruction à l’investigation ou à l’instruction, (…) l’Autorité peut (…) décider de lui infliger une sanction pécuniaire. Le montant maximum de cette dernière ne peut excéder 1 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre ».
65. L’Autorité de la concurrence n’a pas adopté de lignes directrices énonçant la méthode de calcul qui s’imposerait à elle pour la fixation des amendes en cas d’obstruction mais doit, en toute hypothèse, tenir compte des principes de proportionnalité et d’individualisation de la sanction et prendre en considération, partant, la gravité du comportement reproché aux sociétés mises en cause à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, des effets de ce comportement sur le déroulement de l’instruction, et plus généralement, de ses conséquences sur l’ordre public économique que l’Autorité a pour mission de préserver.
66. À cet égard, il convient tout d’abord de relever que l’infraction d’obstruction, prévue à l’article L. 464-2 du code de commerce, est, en soi, une infraction particulièrement grave, dès lors que, par nature, elle met en péril, voire peut faire échec à la finalité de l’instruction des saisines contentieuses de l’Autorité, qui est de constater les infractions au droit de la concurrence, national et européen, d’en établir la preuve et de les sanctionner, et au rétablissement du bon fonctionnement concurrentiel du marché, ce qui préjudicie tant à l’ordre public économique qu’aux entreprises ou acteurs victimes des pratiques anticoncurrentielles.
67. Pour la détermination du montant de l’amende, l’Autorité est fondée à prendre en considération la nécessité de garantir à celle-ci un effet suffisamment dissuasif, ce qui revêt d’autant plus d’importance pour la sanction des infractions d’obstruction que les entreprises ne doivent pas pouvoir estimer qu’il serait avantageux pour elles de faire obstacle à une instruction, et de se prémunir ainsi à bon compte de toute possibilité de sanction.
68. En l’espèce, en violant leur obligation d’informer les services d’instruction sur l’absorption de la société Fleury Michon Charcuterie par la société Fleury Michon Traiteur, devenue par la suite Fleury Michon LS, les sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause auraient pu compromettre l’efficacité de l’action des services d’instruction en les empêchant d’identifier et de suivre avec précision l’évolution des personnes morales à qui il convenait d’imputer et de notifier les griefs.
69. À cet égard, il convient de relever que les sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause ont eu l’opportunité, à de nombreuses reprises, d’informer les services d’instruction de l’évolution de la société Fleury Michon Charcuterie, ce qu’elles se sont abstenues de faire. Il doit être souligné, en outre, que les sociétés du Fleury Michon mises en cause, non seulement n’ont pas signalé ce changement, mais ont donné l’apparence d’une stabilité dans la structure juridique de Fleury Michon Charcuterie, notamment en présentant, le 23 mai 2018, des observations sur la notification de griefs ou en déposant, le 22 juin 2018, une demande de secret des affaires au nom et pour le compte de cette société (v. supra).
70. Ainsi, le comportement des sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause est constitutif d’une infraction grave, amplifiée par la circonstance qu’il a perduré après l’envoi de la notification de griefs.
71. Au vu de l’ensemble de ces éléments et dans le respect des termes de la transaction, le montant de la sanction infligée solidairement aux sociétés Fleury Michon LS et Fleury Michon est fixé à 100 000 euros.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Fleury Michon LS, en tant qu’auteure de l’infraction, et la société Fleury Michon, en sa qualité de société mère, ont enfreint les dispositions du V de l’article L. 464-2 du code de commerce, en faisant obstruction à l’instruction de la saisine n° 13/0006 F.
Article 2 : Au titre de l’infraction visée à l’article 1er, il est infligé solidairement à la société Fleury Michon LS, en tant qu’auteure de l’infraction, et à la société Fleury Michon, en sa qualité de société mère, une sanction pécuniaire d’un montant de 100 000 euros.
NOTES
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
2 Cotes 1-53, 12/0080 F.
3 Cotes 2 et 4 – 12/0084 AC, cote 5 571.
4 Cotes 2 et 4 – 12/0083 AC, cote 5 023.
5 Cotes 1-3, 13/0069 AC.
6 Cotes 8 088 et 8 089.
7 Cote 21 304.
8 Cotes 20 212 à 20 215.
9 Cote 8 979.
10 Cote 17 280.
11 Cotes 20 107-20 108.
12 Cotes 48 201- 48 227.
13 Cotes 48 188-48 190.
14 Cotes 48 183-48 188.
15 Cotes 40 298-40 299.
16 Cote 42 898.
17 Cote 42 899.
18 Cote 45 093.
19 Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a constaté que les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur. En effet, l’article L. 464-2 du code de commerce a été modifié, depuis l’ordonnance du 9 mars 2017, par la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020. Conformément à l’appréhension traditionnelle du Conseil constitutionnel de la notion de rédaction contestée de la disposition qui lui déférée, le Conseil était donc saisi uniquement de l’article L. 464-2 dans sa rédaction en vigueur depuis l’ordonnance du 9 mars 2017 jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2020 et n’avait pas à décider ou non d’un report de sa déclaration d’inconstitutionnalité (voir le commentaire du Conseil constitutionnel sur la décision n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021).
20 Décision n° 17-D-27 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par Brenntag, paragraphe 181.
21 CJUE, 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, points 22 et 27 ; Tribunal, 14 mars 2014, T-297/11, point 61.
22 Décision n° 17-D-27 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par Brenntag, paragraphe 187.
23 Décision n° 19-D-09 du 22 mai 2019 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Akka, paragraphes 34 et s.
24 TUE, 9 novembre 1994, Scottish Football Association/Commission, T-46/92, point 31.
25 Cotes 20 107-20 108.
26 Cote 41 109.
27 Arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2004, BNP Paribas e.a., n° 01-17896 et 02-10066 et arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 janvier 2009, Eurelec Midi Pyrénées e.a., n° 2008/01095, page 5.
28 Cour d’appel de Paris du 23 octobre 2007, SNC Eiffage Construction Languedoc, n° 04794, page 6 ; décision n° 11-D-02 du 26 janvier 2011relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, paragraphes 617.
29 Arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 58, General Quimica/Commission, point 37, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 19.
30 TUE, 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T-112/05, point 58, 31 mars 2009, ArcelorMittal Luxembourg/Commission, T-405/06, point 96, TUE, 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, T-299/08, point 54, et CA Paris, 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., RG n° 2011/01228, pp. 18-19.
31 Décision n° 11-D-17 du 8 décembre 2011 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des lessives, paragraphe 541.
32 CA Paris, 19 mai 2016, Mobilitas SA, RG n° 2014/25803, p. 6.
33 Décision de la Commission européenne du 24 mai 2011, aff. 39.796, Suez Environnement, paragraphes 88 et suivants.
34 Décision du conseil constitutionnel n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021 société Akka technologies et autres, paragraphes 9 et 18.
35 Décisions de l’Autorité n° 19-D-09 du 22 mai 2019 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Akka, points 77 et suivants et n° 17-D-27 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par Brenntag, points 217 et suivants.