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Décisions

Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Rapporteur :

M. Rémery

Avocat général :

M. Bonnet

Avocats :

SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard

T. com. Paris, 2e ch., du 17 oct. 2009

17 octobre 2009

Sur le premier moyen du pourvoi n° P 10-13.990 : - Attendu que les sociétés HOLD et Dame Luxembourg font grief à l'arrêt (RG n° 09/22756) d'avoir déclaré recevable la tierce opposition formée par la société Eurotitrisation, alors, selon le moyen, que la tierce opposition visant le jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, qui ne peut être demandée que par le débiteur, n'est recevable qu'à la condition, pour le créancier demandeur, d'établir que ledit jugement a été prononcé en fraude de ses droits ou d'invoquer des moyens propres ; qu'un moyen propre ne peut tendre à la contestation d'un effet inhérent à la procédure, ni être commun à tous les créanciers ; qu'en se bornant à énoncer en l'espèce, pour dire que la société Eurotitrisation disposait de moyens propres, que la société HOLD avait, en sollicitant l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, cherché à imposer au FCT la modification des contrats de prêts qu'elle disait n'être plus en mesure de respecter et que la société Dame Luxembourg avait, pour sa part, cherché à faire échec à la mise en oeuvre du pacte commissoire, sans rechercher, concrètement, si les arguments ainsi invoqués, relatifs aux buts prêtés aux demandeurs à la sauvegarde, lesquels ne se distinguaient pas des effets légaux de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, n'auraient pas pu être invoqués par n'importe quel autre créancier de la société HOLD, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 661-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 583 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte des articles L. 661-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008, et 583, alinéa 2, du code de procédure civile, que la tierce opposition est ouverte à l'encontre du jugement statuant sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde à tout créancier invoquant des moyens qui lui sont propres ; qu'ayant retenu que la société Eurotitrisation alléguait que la procédure de sauvegarde avait pour but exclusif de permettre aux sociétés HOLD et Dame Luxembourg d'échapper, au moins temporairement, à l'exécution de leurs obligations contractuelles envers le seul FCT, qu'elle représentait, ou de la contraindre à négocier leur aménagement, de sorte que les moyens invoqués par le créancier lui étaient propres, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen du même pourvoi, pris en ses trois premières branches : - Vu l'article L. 620-1, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008, ensemble l'article 4 du code de procédure civile ; - Attendu que, pour accueillir la tierce opposition de la société Eurotitrisation et rétracter le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société HOLD, l'arrêt retient que celle-ci n'a pas prétendu éprouver de difficultés à poursuivre son activité de bailleresse de bureaux, mais seulement fait état de circonstances imprévues lui rendant plus onéreuse l'exécution de son obligation de couverture du risque de variation des taux d'intérêt, imposée par les contrats de prêt ayant originellement financé son acquisition et que la difficulté alléguée ne concerne que le renchérissement du contrat de couverture ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la société HOLD soutenait qu'il était impossible de trouver, en octobre 2008, une nouvelle contrepartie pour des contrats de couverture et que le prix d'un tel produit financier, de l'ordre de 60 à 70 millions d'euros, était, non seulement insurmontable, mais purement théorique en l'absence de tout marché à ce moment, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige ; Sur le troisième moyen du même pourvoi, pris en sa huitième branche : Vu l'article L. 620-1, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008, ensemble l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour accueillir la tierce opposition de la société Eurotitrisation et rétracter le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société Dame Luxembourg, l'arrêt retient que la seule conséquence pour elle de la défaillance de la société HOLD serait la perte de son investissement, en exécution du pacte commissoire portant sur les actions nanties de sa filiale, mais qu'elle n'aurait à faire face à aucune autre dette après son exécution, la dette délictuelle invoquée par les obligataires du FCT n'étant pas fondée et le prêt de 249 000 000 euros envers ses actionnaires n'étant pas prouvé ni exigible, les actionnaires soutenant la demande de sauvegarde ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Dame Luxembourg qui soutenait qu'elle serait privée de son seul actif par la défaillance de sa filiale, tandis qu'elle se trouverait exposée au risque de devoir rembourser le prêt, figurant à son bilan, de 249 000 000 euros consenti par ses propres actionnaires, ce qui était de nature à la conduire à la cessation des paiements au sens du premier des textes susvisés, la cour d'appel a violé ces textes ;

Sur le deuxième moyen du même pourvoi, pris ses quatrième et cinquième branches, et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, réunis : Vu l'article L. 620-1, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 ; -
Attendu que, si la procédure de sauvegarde est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin, notamment, de permettre la poursuite de l'activité économique, il ne résulte pas de ce texte que l'ouverture de la procédure soit elle-même subordonnée à l'existence d'une difficulté affectant cette activité ;

Attendu que, pour rétracter les jugements ayant ouvert les procédures de sauvegarde des sociétés HOLD et Dame Luxembourg, l'arrêt retient aussi que la première n'invoque pas l'existence de difficultés pouvant affecter son activité de bailleresse et que la seconde n'a pas prétendu éprouver de difficultés à poursuivre son activité de gestion de son portefeuille de titres ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé ;

Sur le deuxième moyen du même pourvoi, pris en sa huitième branche et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, réunis : - Vu l'article L. 620-1, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 ; - Attendu que, hors le cas de fraude, l'ouverture de la procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur, au motif qu'il chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu'il justifie, par ailleurs, de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à le conduire à la cessation des paiements ;

Attendu que, pour rétracter les jugements ayant ouvert les procédures de sauvegarde des sociétés HOLD et Dame Luxembourg, l'arrêt  retient encore que la première a cherché à porter atteinte à la force obligatoire de la clause des contrats de prêt lui imposant une obligation de couverture répondant à certains critères de notation et la seconde à échapper à l'exécution du pacte commissoire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé ; Sur le deuxième moyen du même pourvoi, pris en sa neuvième branche et le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, réunis : Vu l'article L. 620-1, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 ;

Attendu que, pour rétracter les jugements ayant ouvert les procédures de sauvegarde des sociétés HOLD et Dame Luxembourg, l'arrêt retient que l'activité de location immobilière de la première pourrait se poursuivre normalement quelle que soit la composition de son actionnariat ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, si la société débitrice justifie de difficultés qu'elle n'est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à la conduire à la cessation des paiements, l'ouverture d'une procédure de sauvegarde ne peut lui être refusée au motif que ses associés ne seraient pas fondés à éviter, par ce moyen, d'en perdre le contrôle, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et, vu l'article 625 du code de procédure civile ; - Attendu que la cassation de l'arrêt RG n° 09/22756 entraîne, par voie de conséquence, celle de l'arrêt RG n° 09/21530, qui a dit sans objet l'appel du ministère public à l'encontre du jugement du 9 septembre 2009 ayant arrêté le plan de sauvegarde, et de l'arrêt RG n° 09/21184, qui a confirmé, en raison de la rétractation du jugement de sauvegarde, la mainlevée du séquestre des loyers et charges et ordonné le versement des sommes séquestrées entre les mains de la société Eurotitrisation ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirmé le chef du dispositif du jugement déféré ayant déclaré recevable la tierce opposition, l'arrêt RG n° 09/22756 rendu le 25 février 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à statuer sur les pourvois n° M 10-13.988 et N 10-13.989.