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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 5 mai 2021, n° 20/00781

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Société Sanofi Pasteur Europe (SAS), L'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), CPAM de Lot-et-Garonne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Saunier-Ruellan

Conseillers :

Mme Masson-Bessou, Mme Quentin De Gromard

TGI Lyon, du 17 déc. 2019

17 décembre 2019

Le 19 octobre 2007 Chloé D., née le 26 août 1990, recevait une injection du vaccin Typhim contre la typhoïde, produit par la société Sanofi Pasteur.

Le 27 juin 2012 le diagnostic de sclérose en plaques était annoncé à la jeune femme.

Invoquant un possible lien entre la vaccination dont elle avait fait l'objet et la pathologie dont elle souffre, Mme D. faisait assigner devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon, par actes des 23, 24 et 25 septembre 2019, la SA Sanofi Pasteur, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ci-après Oniam) et la caisse primaire d'assurance maladie du Lot et Garonne (ci-après CPAM), sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, aux fins de voir ordonner une expertise confiée à un collège d'experts spécialisés en neurologie et en pharmacologie pour déterminer si la sclérose en plaques dont elle souffre est imputable à l'administration en 2007 du vaccin Typhim.

Par ordonnance contradictoire du 17 décembre 2019, ce juge des référés, relevant sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile l'absence de motif légitime, a débouté Mme D. de sa demande d'expertise et laissé les dépens à sa charge.

Le 29 janvier 2020 Mme D. a interjeté appel de cette décision.

Dans ses conclusions régulièrement transmises le 13 juillet 2020, auxquelles il convient de se reporter, Mme D. demande à la Cour, sur le fondement des articles 1245-1 et suivants du code civil, 1242 et suivants du code civil, 2226 du code civil, L. 3111-9 du code de la santé publique et 145 du code de procédure civile, de :

. réformer l'ordonnance querellée,

. dire son action non prescrite et légitime,

. désigner un collège d'expert en neurologie et en pharmacologie avec la mission décrite dans ses conclusions,

. lui donner acte de ce qu'elle avance les frais d'expertise « et pour ceux d'appel distraits au profit de la SAS T. et Associés, avocats, sur son affirmation de droit ».

Elle soutient que :

. son action portant sur l'indemnisation d'un dommage corporel consécutif à un accident de vaccination, action conduite à la fois contre le laboratoire Sanofi Pasteur et contre l'Oniam, le délai de prescription de dix ans à compter de la consolidation, prévus aux articles 2226 du code civil et L. 1142-28 du code de la santé publique, à vocation à s'appliquer par préférence aux délais prévus en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ;

. s'agissant d'une sclérose en plaques rémittente, soumise à des poussées espacées dans le temps, il n'est pas possible de retenir une date de consolidation au sens des articles précités et que dès lors le délai de prescription de son action n'a pas commencé à courir et que donc son action ne peut être prescrite ;

. la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 transposée en droit interne par les articles 1386-1 et suivants du code civil, relative au régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux, exclut l'application de tout autre régime de responsabilité, sauf si celui-ci repose sur un fondement différent comme la faute, et qu'en l'espèce, elle est fondée à agir ultérieurement au fond en responsabilité à l'encontre de la SA Sanofi Pasteur sur le fondement de la faute de droit commun de l'article 1242 du code civil ; qu'en application de l'article 2226 du code civil son action ne peut être prescrite dès lors que son état n'est toujours pas consolidé ;

. elle dispose d'un motif légitime à une expertise dès lors qu'au moment de l'injection du vaccin elle était en parfaite santé, sans antécédent médical particulier et que dans les semaines ayant suivi cette vaccination elle a présenté pour la première fois de sa vie, des malaises et des céphalées, puis de nouveaux symptômes en 2011 et enfin en 2012 qui ont permis de poser le diagnostic de la sclérose en plaques ; que la chronologie de ces événements laisse à penser en l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination et l'apparition de la maladie ; que le juge des référés n'a pas à procéder préalablement à l'examen de la recevabilité d'une éventuelle action, non plus que de ses chances de succès au fond.

Dans ses conclusions « responsives et d'appel incident » régulièrement transmises le 19 novembre 2020, auxquelles il convient de se reporter, la SAS Sanofi Pasteur Europe demande à la Cour, sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil et 145 du code de procédure civile, de :

. à titre principal :

- réformer l'ordonnance en ce qu'elle a jugé que l'action ne serait pas manifestement irrecevable alors précisément qu'elle l'est en considération du délai préfix de 10 ans pour agir,

- confirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a débouté Mme D. de l'intégralité de ses demandes.

. subsidiairement :

- lui donner acte de ses protestations et réserves,

- désigner un collège d'expert composé d'un médecin neurologue et d'un pharmacologue clinicien avec une mission détaillée dans le dispositif de ses conclusions,

- dire que les experts n'auront à examiner les préjudices allégués par Mme D. que pour autant que ceux-ci seront susceptibles d'être en relation avec la vaccination pratiquée,

- dire que les frais d'expertise seront avancés par Mme D.,

- en tout état de cause, condamner Mme D. aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de Maître L., avocat, sur son affirmation de droit.

Elle réplique que :

. en matière de responsabilité du fait des produits, les dispositions de la directive CEE n° 85-374 du 24 juillet 1985, transposée le 19 mai 1998 sous les articles 1245 et suivants du code civil (anciens article 1386-1 et suivants) enferment l'action dans un délai préfix, et non un délai de prescription, de dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage ; que la question de la consolidation est donc sans incidence sur le jeu du délai préfix de dix ans ; que les dispositions de la directive qui tendent à harmoniser le droit des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ne sont pas optionnelles ; qu'en l'espèce la vaccination ayant été réalisée le 19 octobre 2007 et l'assignation ayant été délivrée le 25 septembre 2019, l'action envisagée in fine par Mme D. est manifestement irrecevable car éteinte et il n'existe en conséquence aucun motif légitime d'ordonner une expertise ;

. Mme D. ne justifie pas d'un motif légitime à la mesure d'expertise, aucun des éléments produits par elle sur sa situation médicale et ses antécédents, d'ailleurs limités, n'étant de nature à caractériser un lien de causalité entre la vaccination et la sclérose en plaques ; qu'en outre certains de ces documents médicaux, qui questionnent l'hypothèse d'un lien, sont affirmatifs pour l'écarter.

Dans ses conclusions régulièrement transmises le 23 novembre 2020, auxquelles il convient de se reporter, l'Oniam demande à la Cour, sur le fondement des articles L. 1142-1 II et D. 1142-1 et suivants du code de la santé publique, et 145 du code de procédure civile, de :

. à titre principal, confirmer l'ordonnance querellée,

. à titre subsidiaire :

- lui donner acte de ses protestations et réserves sur le bien-fondé de sa mise en cause et sur la mesure sollicitée,

- d'étendre la mission de l'expert comme suit :

1 - dire si les préjudices subis sont directement imputables au vaccin Typhim,

2 - en cas d'imputabilité des préjudices au vaccin Typhim, dire si ces préjudices sont directement imputables à une valence en particulier du vaccin,

- en tout état de cause, réserver les dépens.

Il fait valoir qu'il n'existe aucun motif légitime d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée.

La CPAM du Lot et Garonne régulièrement assignée le 11 février 2020, à personne habilitée, n'a pas constitué avocat. Le présent arrêt est donc réputé contradictoire à son égard.

SUR CE, LA COUR

Attendu qu'aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ;

Que l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès « en germe » possible, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui ;

1 - sur l'existence d'un motif légitime au regard du délai d'action

Attendu que le motif légitime exigé par l'article 145 du code de procédure civile pour obtenir l'organisation d'une mesure d'instruction est inexistant lorsque la prétention est manifestement vouée à l'échec, notamment par l'effet d'une prescription évidente de l'action ou de sa forclusion ;

Attendu que Mme D. fait valoir qu'elle dispose d'une part, d'une action au fond fondée sur le régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux, prévu par l'article 1386-1, aujourd'hui 1245 du code civil, et d'autre part d'une action en responsabilité pour faute fondée sur l'article 1242 du même code à l'encontre du fabricant du vaccin Typhim ;

Attendu que la responsabilité du fait des produits défectueux, prévu par les articles 1245 et suivants du code civil, pèse, à titre principal, sur le producteur professionnel ayant mis en circulation un produit qui présente un défaut de sécurité ;

Qu'en application de l'article 1245-15 du code civil, « sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci fondée sur les dispositions du présent titre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période la victime n'ait engagé une action en justice » ;

Qu'en l'espèce, il est établi que Mme D. a reçu le vaccin Typhim le 19 octobre 2007 et que le diagnostic de la sclérose en plaques lui a été annoncé le 27 juin 2012 ;

Qu'il ressort des éléments de fait et de preuve produits et, à défaut de toute autre indication contraire, que la date de mise en circulation du vaccin Typhim doit être fixée au 19 octobre 2007, date à laquelle Mme D. a été vaccinée ;

Qu'il s'en déduit que la prescription de l'action en responsabilité du fait d'un produit défectueux fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, faute d'avoir été interrompue par une action en justice à cette fin avant le 20 octobre 2017, était manifestement acquise à la date de l'assignation en référé délivrée par actes des 23, 24 et 25 septembre 2019 par Mme D. ;

Attendu toutefois que Mme D. invoque la possibilité d'une action ultérieure au fond en responsabilité pour faute du producteur du vaccin Typhim au regard des dispositions de droit commun de l'article 1242 du code civil ;

Qu'en ce qui concerne la possibilité d'une action fondée sur le régime de responsabilité de droit commun, il résulte de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 transposée en droit interne par les articles 1386-1 et suivants du code civil, devenus 1245 et suivants, que le régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux mis en place par ces dispositions exclut l'application de tout autre régime de responsabilité sauf si celui-ci repose sur un fondement différent, comme la faute ou la garantie contre les vices cachés ;

Que dès lors Mme D. est fondée à invoquer la possibilité d'une action ultérieure au fond en responsabilité pour faute de la société Sanofi Pasteur au regard des dispositions de droit commun de l'article 1242 du code civil ;

Qu'il est constant qu'en application de l'article 2226 du code civil, l'action en responsabilité née en raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ;

Qu'en l'espèce, en l'absence de toute indication ou allégation de la date de consolidation du dommage subi par Mme D. dont la sclérose en plaques est évolutive, il n'est pas établi, avec l'évidence requise en référé, qu'est prescrite l'action en responsabilité pour faute du fabricant du vaccin Typhim, fondée sur les dispositions de l'article 1242 du code civil, qui reste manifestement ouverte à l'appelante ;

Qu'en conséquence, n'est pas fondé le moyen invoqué par la société Sanofi Pasteur Europe tiré de l'absence d'un motif légitime à l'expertise médicale sollicitée en raison de la prescription ou de l'extinction de toute action au fond ;

2 - sur l'existence d'un motif légitime au regard de la recherche de l'établissement de la preuve

Attendu que le motif légitime de nature à justifier l'organisation d'une mesure d'expertise doit être apprécié au regard de la pertinence des investigations demandées et de leur utilité à servir de fondement à l'action envisagée, qui ne doit pas être manifestement vouée à l'échec ;

Attendu en l'espèce que Mme D. a été vaccinée le 19 octobre 2007 contre la typhoïde, avec le vaccin Typhim produit par la société Sanofi Pasteur et le 27 juin 2012 le diagnostic de sclérose en plaques était annoncé à la jeune femme, soit cinq années après l'injection critiquée ;

Qu'elle indique que quelques semaines après la réalisation de la vaccination Typhim, au cours du mois de décembre 2007 elle a présenté une série de « malaises et de céphalées avec des faiblesses aux membres inférieurs » (ses conclusions page 5) épisode se répétant plusieurs fois en quelques jours ; qu'elle a alors été dirigée vers un neurologue le docteur R., sans cependant qu'elle explique pourquoi elle a été orientée vers ce spécialiste, qui va procéder à différents examens et qui indique le 13 décembre 2007 (pièce 3 de Mme D.) que : « L'examen neurologique est rigoureusement normal. Pas de déficit sensitif ou moteur. Pas de syndrome vestibulaire, cérébelleux, pyramidal ou méningé. Pas d'atteinte des nerfs crâniens. Pas de trouble du champ visuel. Au total, il semble que ces malaises soient plutôt de nature vaso vagale » ; que des examens complémentaires, examen tomodensitométrique crânien SPC PUIS APC, sont réalisés le 20 décembre 2007 (pièce 4 de l'appelante) qui conduisent à la conclusion suivante de la part du docteur A. : « Sur la série sans contraste, pas d'hyperdensité pathologique que ce soit à l'étage sus ou sous tensoriel. Pas d'effet de masse sur les structures ventriculaires ou les sillons corticaux. Pas d'anomalie focalisée. En conclusion : Examen sans anomalie. » ;

Que le docteur R., au vu de ces résultats, indique dans son courrier du 21 décembre 2007 adressé à son confrère le docteur G. (pièce 6 de l'appelante) :

« Le bilan biologique sanguin ne retrouve pas d'anomalie particulière en dehors d'une discrète accélération de la vitesse de sédimentation à 15/36 et d'une petite augmentation des alpha 2 globulines, sans anomalie de la CRP et sans autre anomalie par ailleurs, faisant évoquer un petit syndrome inflammatoire. Le scanner cérébral sans et avec produit de contraste est rigoureusement normal. De même l'électroencéphalogramme ce jour est rigoureusement normal. Pas d'élément de la série comitiale. » et elle conclut « Au total, les malaises présentés par cette patiente sont donc des malaises de nature vaso vagale » ;

Qu'entre ce bilan de décembre 2007 et l'hospitalisation au service de neurologie du CHU de Toulouse de juin 2012, au cours de laquelle Mme D. a été prise en charge pour une névrite optique rétro-bulbaire (sa pièce 7), aucun incident médical notable n'est invoqué par l'appelante ni ne ressort des fiches du docteur G., son médecin traitant (pièce 1/1 bis) à l'exception d'un épisode vertigineux, un an auparavant, soit en juillet 2011, avec une grosse fatigue ayant duré environ trois semaines, épisode mentionné dans le courrier du docteur G. du 6 juillet 2012 (pièce 9 de l'appelante) mais sans autre information sur cet événement ; que des suites de cette hospitalisation au CHU de Toulouse de juin 2012 une sclérose en plaques va être diagnostiquée ;

Que par ailleurs Mme D. communique l'avis du docteur B., neurologue, du 21 mai 2016 (sa pièce 10), qui a fait le point avec elle sur le traitement mis en route depuis 2013 et a eu une longue discussion au sujet de la vaccination au terme de laquelle il écarte tout lien entre la maladie développée et l'injection du Typhim contre la typhoïde en 2007, relevant notamment : « Elle avait été vaccinée pour la typhoïde en 2007, le premier événement démyélinisant est noté en 2012, chez elle ce qui fait la difficulté, c'est qu'il faut revenir sur des épisodes anciens et rétrospectivement cette proximité est particulièrement difficile à établir. Je ne lui ai pas caché une fois de plus que pour moi, il peut y avoir un lien entre vaccination et maladie démyélinisante aigue unique. Par contre, quand il s'agit d'une maladie chronique comme la sclérose en plaques c'est une coïncidence » ;

Qu'au vu de l'ensemble de ces éléments médicaux, des analyses approfondies réalisées en 2007 suite aux troubles présentés par Mme D. qui n'ont pas mis en évidence de lésions neurologiques telles qu'observées chez les patients qui font une première poussée de sclérose en plaques, de l'épisode médical documenté de juin 2012 correspondant potentiellement à la première poussée de sclérose en plaques, soit cinq années après la vaccination critiquée, et de l'avis du professeur B. écartant un lien entre la maladie et la vaccination, une expertise judiciaire n'est pas susceptible de ménager à Mme D. une preuve utile à la solution d'une action au fond en vue de la condamnation de la société Sanofi Pasteur Europe à réparer le préjudice consécutif à sa maladie ; que le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction n'étant pas rapporté, il convient de confirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a débouté Mme D. de sa demande d'expertise.

3 - sur les autres demandes

Attendu que le sort des dépens a été exactement réglé par le premier juge ;

Que Mme D., partie perdante, doit supporter les dépens de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme l'ordonnance rendue le 17 décembre 2019 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon.

Y ajoutant,

Condamne Mme D. aux dépens de l'instance d'appel lesquels seront distraits au profit de Maître L., avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.