CA Poitiers, 1re ch. civ., 16 mai 2007, n° D20070083
POITIERS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SCP BROUARD-DAUDE , Me B.
Le 18 mars 1999, la S.A.R.L. ANI DIFFUSION a déposé à l'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE (I.N.P.I.) un modèle de " Collier de chien ", qui a été enregistré sous le numéro national 99 1927et publié au Bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI) n° 99/15 du 23 juillet 1999. Le 26 juin 2000, elle a déposé à l'I.N.P.I. un modèle de " Harnais pulling " harnais pour animaux domestiques " ", qui a été enregistré sous le numéro national 00 3692 et publié au BOPI n° 00/22 du 27 octobre 2000. Le 04 juillet 2001, la S.A.R.L. ANI DIFFUSION a fait assigner la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE devant le Tribunal de Commerce de LA ROCHE SUR YON, pour faire juger que son adversaire avait commis des actes de contrefaçon en fabriquant et en commercialisant un modèle de collier de chiens dit " collier d'intervention " et un modèle de harnais pulling analogues aux siens, et pour le faire condamner à lui payer diverses sommes d'argent.
Par le jugement déféré, le tribunal l'a déboutée de ses demandes, au motif que les modèles qu'elle avait déposés n'étaient pas nouveaux, que leur forme était exclusivement utilitaire et indissociable du résultat technique recherché, et que les colliers et harnais fabriqués et commercialisés par les deux parties présentaient des différences notables, suscitant une impression visuelle différente, de sorte qu'il ne pouvait être prétendu à une contrefaçon.
Pour conclure à la réformation du jugement, la S.C.P. BROUARDDAUDE, agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la S.A.R.L. ANI DIFFUSION, soutient que la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE ne justifie d'aucune antériorité de toutes pièces des modèles déposés, le tribunal ayant au contraire détaillé les nombreuses différences existant entre les articles en cause. Elle ajoute que la forme des modèles n'est pas exclusivement imposée par le résultat technique recherché, mais présente une recherche esthétique et ornementale, soulignée par le jugement attaqué, révélant l'effort créatif de la S.A.R.L. ANI DIFFUSION. Elle prie en conséquence la Cour de faire droit à ses demandes initiales, qu'elle reprend à l'identique.
La S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE fait valoir que la S.A.R.L. ANI DIFFUSION n'a pas déclaré sa créance au passif de son redressement judiciaire, ouvert par jugement du Tribunal de Commerce de LA ROCHE SUR YON du 03 décembre 2003, ce dont elle conclut qu'elle est irrecevable en ses demandes. Elle prie donc la Cour, à titre principal de constater cette irrecevabilité, à titre subsidiaire de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté son adversaire de toutes ses prétentions. Relevant appel incident en ce qui concerne le rejet de ses demandes reconventionnelles, elle prie la Cour de prononcer la nullité des modèles revendiqués, au motif qu'ils présentent un caractère purement fonctionnel et qu'ils sont dépourvus de nouveauté comme d'originalité.
Soutenant en outre que les dépôts ont été faits de mauvaise foi, dans le seul but de nuire à des concurrents en les déstabilisant, elle sollicite la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de l'appelante à la somme de 29.367,35 Euros à titre privilégié.
Attendu que l'article L. 511-3 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2001-670 du 25 juillet 2001, rédaction applicable en la cause, énonce que " si le même objet peut être considéré à la fois comme un dessin ou modèle nouveau et comme une invention brevetable et si les éléments constitutifs de la nouveauté du dessin ou modèle sont inséparables de ceux de l'invention, ledit objet ne peut être protégé que conformément aux dispositions du livre VI [relatif à la protection des inventions] " ; que ce texte signifie que ne peut être protégée au titre des dessins et modèles une forme qui, dépourvue de toute recherche ornementale, esthétique, décorative ou de fantaisie, correspond à sa seule fonction utilitaire ;
Attendu en l'espèce que c'est par des motifs pertinents que la Cour adopte, que le tribunal a estimé que les modèles de collier et de harnais déposés à l'I.N.P.I. par la S.A.R.L. ANI DIFFUSION présentaient une forme " imposé(e) par leur fonction " (page 6, les deux derniers paragraphes, et page 7, paragraphes 1 et 2 du jugement) ; qu'il convient d'ajouter que ces formes, strictement banales et utilitaires, ne présentent aucune recherche esthétique, décorative, ornementale ou de fantaisie, caractérisant un effort créatif de leur auteur ; que s'il est exact que letribunal a relevé des différences d'aspect entre les modèles déposés par la S.A.R.L. ANI DIFFUSION et les articles fabriqués et commercialisés par la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE, ces différences ne traduisent pas pour autant une recherche d'originalité mais concernent de part et d'autre des éléments banaux et déjà connus, tant pour le collier (forme et largeur de la poignée, coloris, ornementation des fixations par des clous), que pour le harnais (double piqûre sur les bords et gouges carrées pour les modèles de la S.A.R.L. ANI DIFFUSION, coupes franches, simple piqûre, gouges rondes et oeillets sur les trous pour les articles de la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE), étant de surcroît souligné que certains de ces éléments ne se distinguent pas du but utilitaire recherché (poignée de la même largeur que le modèle de collier, permettant un meilleur contrôle de l'animal, renforcement du modèle de harnais par une double piqûre des bords) ; que ces différences ne permettent donc pas de considérer que les modèles déposés par la S.A.R.L. ANI DIFFUSION traduisent la personnalité de leur auteur ; que leur reconnaître le bénéfice de la protection des dessins et modèles reviendrait à permettre la protection d'un genre, et non d'objets individualisés ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la S.A.R.L. ANI DIFFUSION ne peut prétendre à la protection de ses colliers et harnais au titre des dessins et modèles ; qu'il y a donc lieu de réformer le jugement en ce qu'il a débouté la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE de sa demande reconventionnelle et d'annuler les deux modèles revendiqués par l'appelante ; qu'en raison de cette annulation, l'action en contrefaçon se trouve dépourvue de fondement ; que par ces motifs, substitué à ceux des premiers juges, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la S.A.R.L. ANI DIFFUSION de toutes ses prétentions ;
Attendu que la S.A.R.L. ANI DIFFUSION a été immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS le 14 janvier 1998 ; que son extrait K Bis mentionne qu'il s'agissait d'une constitution de société et de la création d'un fonds de commerce d'achat et de vente de produits animaliers ; qu'en 1999 et en 2000, elle a déposé à l'I.N.P.I. les deux modèles de collier et de harnais dont il a été dit qu'ils ne pouvaient bénéficier de la protection au titre des dessins et modèles ; qu'elle a aussitôt engagé des poursuites en contrefaçon contre divers concurrents, dont la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE ; que toutefois, il ressort des pièces versées aux débats que cette société, créée en 1995 mais ayant racheté le fonds d'une société qui aurait exercé la même activité qu'elle pendant 25 ans, fabriquait et commercialisait depuis plusieurs années avant les dépôts des modèles de la S.A.R.L. ANI DIFFUSION des colliers et harnais pour chiens semblables aux modèles déposés ; qu'il apparaît ainsi qu'en assignant en contrefaçon, sur le fondement de modèles qui ne remplissaient pas les conditions pour bénéficier de la protection légale, une société qui commercialisait déjà des articles semblables avant sa création et le début de son activité, la S.A.R.L. ANI DIFFUSION a usé de manière abusive de son droit d'agir en justice ; qu'il en est résulté pour la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE un préjudice distinct de la simple nécessité de devoir exposer des frais irrépétibles pour assurer sa défense, préjudice que la Cour est en mesure de fixer à la somme de 15.000,00 Euros ; qu'il y a donc lieu de fixer à ce montant, incluant la somme de 2.000,00 Euros pour procédure abusive accordée par le tribunal, la créance indemnitaire de l'intimée au passif de la liquidation judiciaire de l'appelante, étant précisé que la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE a déclaré sa créance à titre privilégié par lettre du 03 juin 2005 de Me M, agissant en qualité de commissaire à l'exécution de son plan de cession ;
Attendu que la S.A.R.L. ANI DIFFUSION succombant en son appel, elle sera condamnée aux dépens de ce recours ; que par ailleurs, il serait inéquitable que la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE conserve à sa charge la totalité des frais irrépétibles exposés par elle à l'occasion de cette affaire ; qu'il convient de fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'appelante à la somme de 1.500,00 Euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance, tels qu'ils ont été fixés par le tribunal, étant précisé que cette somme a été incluse dans la déclaration de créance de Me M, ès- qualités, du 03 juin 2005 ; que pour les fraisirrépétibles d'appel, la S.C.P. BROUARD- DAUDE, ès-qualités, sera condamnée au paiement d'une somme de 2.000,00 Euros en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Donne acte à la S.C.P. BROUARD-DAUDE, de son intervention en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la S.A.R.L. ANI DIFFUSION ;
Reçoit la S.A.R.L. ANI DIFFUSION en son appel et la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE en son appel incident ;
Confirme le jugement rendu le 14 janvier 2003 par le Tribunal de Commerce de LA ROCHE SUR YON, sauf en ce qu'il a débouté la S.A.R.L. NOUVELLE SELLERIE VENDEENNE de ses demandes reconventionnelles.