Cass. 3e civ., 6 mai 2021, n° 19-24.846
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Robert
Défendeur :
Riory, Romanet, Bronner, Société des docteurs Lamblin & Romanet & Bronner & Manfredi (Sté), La Perrière (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
M. Parneix
Avocats :
SCP Richard, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Waquet, Farge et Hazan
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Z 19-24.846 et R 19-25.298 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 10 septembre 2019), le 17 janvier 2000, la société civile immobilière La Perrière a donné à bail des locaux à la société civile professionnelle Cabinet médical des docteurs Romanet-De Neef-Robert-Lamblin.
3. Le bail comportait une clause stipulant qu’en cas de résiliation, à l’initiative du preneur, le bailleur ne pourrait relouer les lieux à un cabinet de médecins, de même spécialité, pendant une durée de deux ans.
4. En cours de bail, Mme Bronner a remplacé le docteur De Neef en qualité d’associé et a fait intervenir Mme Manfredi en qualité de remplaçante.
5. En vue d’une transformation en société civile de moyens, à laquelle s’opposait M. Robert, une assemblée générale extraordinaire a décidé, le 17 décembre 2010, de dissoudre la société civile professionnelle au 31 mars 2011, M. Lamblin étant désigné en qualité de liquidateur.
6. Le 25 janvier 2011, M. Robert, en qualité de co-gérant de la société civile professionnelle, a, sans l’accord de ses associés, donné congé à la SCI La Perrière, puis, le 1er avril 2011, s’est installé dans un nouveau cabinet médical situé dans la même commune.
7. Le 12 décembre 2011, la société civile de moyens (la SCM) des docteurs Lamblin-Romanet-Bronner-Manfredi, créée le 16 avril 2011, a signé avec la SCI La Perrière un protocole réglant les conséquences financières de la résiliation du bail et l’autorisant à poursuivre son activité dans les mêmes locaux à compter du 1er avril 2011.
8. Soutenant que le maintien de ses anciens associés dans les lieux était contraire à la clause de non-rétablissement stipulée dans le bail initial et constitutive d’une concurrence déloyale, M. Robert a assigné la SCI La Perrière, la SCM, ainsi que M. Lamblin, M. Romanet, Mme Bronner et Mme Manfredi en réparation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, et le second moyen, réunis
Enoncé du moyen
10. Par son premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, M. Robert fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :
« 3°) que le tiers à un contrat est recevable à invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; qu’en décidant néanmoins que le docteur Robert était irrecevable, pour défaut de qualité, à agir à l’encontre de la société La Perrière sur le fondement d’une violation par cette dernière de la clause de non-réinstallation stipulée dans le contrat de bail du 17 janvier 2000, conclu entre la société La Perrière et la société Cabinet médical des docteurs Romanet-Robert-Lamblin-Bronner, motif pris que cette clause était seulement destinée à protéger cette dernière et non chacun des associés pris individuellement, bien que le docteur Robert ait été recevable, en sa qualité de tiers au contrat de bail du 17 janvier 2000, à agir à l’encontre de la société La Perrière, bailleur, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la cour d’appel a violé les articles 31 et 32 du code de procédure civile, ensemble les articles 1165 et 1382 du code civil, dans leurs rédactions antérieures à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
4°) que, subsidiairement, le tiers à un contrat est fondé à obtenir réparation, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, du préjudice que lui cause la méconnaissance de ses obligations par l’une des parties à ce contrat ; qu’en décidant néanmoins que le docteur Robert ne pouvait rechercher la responsabilité de la société La Perrière, pour avoir méconnu la clause de non-réinstallation stipulée au contrat de bail du 17 janvier 2000 conclu entre la société La Perrière et la société Cabinet médical des docteurs Romanet-Robert-Lamblin-Bronner, motif pris que cette disposition était seulement destinée à protéger cette dernière et non chacun des associés pris individuellement, bien que le docteur Robert ait été fondé, en sa qualité de tiers au contrat de bail du 17 janvier 2000, à obtenir réparation du préjudice que la société La Perrière lui avait causé en méconnaissance de ses obligations contractuelles, la cour d’appel a violé les articles 1165 et 1382 du code civil, dans leurs rédactions antérieures à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
11. Par son second moyen, M. Robert fait le même grief à l’arrêt, alors :
1°) que toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur elle, commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction ; qu’en se bornant à affirmer, pour débouter le docteur Robert de ses demandes de dommages et intérêts, que la difficulté existante, faisant suite à la dissolution de la société Cabinet médical des docteurs Romanet-Robert-Lamblin-Bronner, relative à la mise en place d’un message sur le répondeur de la société indiquant les coordonnées du docteur Robert, avait été rapidement résolue, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la seule circonstance que les médecins aient continué d’exercer au sein d’une nouvelle société, dans les mêmes locaux, en méconnaissance de la clause de non-réinstallation prévue au bail du 17 janvier 2000, était constitutive d’une faute, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1165 et 1382 du code civil, dans leurs rédactions antérieures à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°) que toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur elle, commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction ; que la méconnaissance d’une clause de non-réinstallation crée nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral ; qu’en décidant néanmoins que le docteur Robert ne démontrait pas l’existence d’un préjudice résultant de la réinstallation par les docteurs Lamblin-Romanet-Bronner-Manfredi, dans les mêmes locaux que ceux pris à bail par la société Cabinet médical des docteurs Romanet-Robert-Lamblin-Bronner, en méconnaissance de la clause de non-réinstallation stipulée au bail du 17 janvier 2000, bien que la violation de la clause de non-réinstallation ai nécessairement causé un préjudice au docteur Robert, fût-il seulement moral, la cour d’appel a violé les articles 1165 et 1382 du code civil, dans leurs rédactions antérieures à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°) que, subsidiairement, toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur elle, commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction ; qu’en se bornant à affirmer, pour décider que le docteur Robert ne démontrait pas l’existence d’un préjudice résultant de la réinstallation par les docteurs Lamblin-Romanet-Bronner-Manfredi dans les mêmes locaux que ceux pris à bail par la société Cabinet médical des docteurs Romanet-Robert-Lamblin-Bronner, en méconnaissance de la clause de non-réinstallation stipulée au bail du 17 janvier 2000, que les documents comptables produits par le docteur Robert ne permettaient pas de retenir l’existence d’une perte de patientèle, ni d’un préjudice moral, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ce préjudice résultait du seul fait que la société civile de moyens des docteurs Lamblin-Romanet-Bronner-Manfredi, ainsi que ses associés, exerçaient une activité concurrente à proximité du cabinet du docteur Robert, le privant ainsi d’une partie de la clientèle potentielle présente dans le secteur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1165 et 1382 du code civil, dans leurs rédactions antérieures à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
12. La cour d’appel a retenu, par motifs propres, que les difficultés liées à la mise en place d’un message téléphonique à la suite du départ de M. Robert n’avaient pas empêché ses patients de le joindre et que les seuls documents comptables produits pour les années 2010 à 2012 ne permettaient pas de caractériser une perte de patientèle.
13. Elle a encore retenu, par motifs adoptés, que M. Robert, qui avait refusé d’intégrer la nouvelle société, ne pouvait invoquer une éviction unilatérale et forcée, qu’il avait pu se réinstaller à quelques centaines de mètres de son ancien cabinet et que la relation de confiance développée avec le patient prévalait sur l’emplacement du cabinet lorsque le praticien restait dans le même périmètre géographique, de sorte que la preuve d’un détournement de clientèle et d’une distorsion de concurrence n’était pas rapportée.
14. Elle en a souverainement déduit que l’existence du préjudice financier et moral invoqué par M. Robert, en raison du maintien de ses anciens associés dans les mêmes locaux, n’était pas démontrée.
15. Elle a ainsi, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.