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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 mai 2021, n° 20/17547

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Axente (SAS)

Défendeur :

DAS Audio Group (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

M. Gilles

Avocats :

Me Hardouin, Me Mekhaneg, Me Rochet

T. com. Paris, du 23 nov. 2020

23 novembre 2020

La SAS Axente a pour objet l'importation, l'exportation et la distribution de matériel professionnel d'éclairage, de sonorisation, de vidéo et de structures.

La société de droit espagnol DAS Audio Group SL (ci-après dénommée « DAS Audio ») est un développeur de produits professionnels de sonorisation, fabriquant du matériel acoustique électrique.

Le 31 décembre 2007, un contrat de distribution exclusive en France des produits de la société DAS Audio pour une durée d'un an au profit de la société Axente est conclu entre les parties.

Les relations se sont poursuivies à l'issue de cette période jusqu'à l'année 2018, date à laquelle elles ont cessé.

Par acte du 4 avril 2019, la société Axente a saisi le tribunal de Commerce de Paris en rupture brutale de relations commerciales établies.

La société DAS Audio a soulevé une exception d'incompétence territoriale au profit du Tribunal Juzgados de la Ciudad de Paterna (Valence - Espagne), dans le ressort duquel elle est établie.

Par un jugement du 23 novembre 2020, le tribunal de Commerce de Paris a :

- Dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société de droit étranger Das Audio Group SL ;

- Se déclare incompétente pour connaitre du présent litige ;

- Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;

- Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- Condamne la SAS Axente à payer à la société de droit étranger Das Audio la somme de 3 000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Dit que le greffe procédera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé réception adressée exclusivement aux parties ;

- Dit qu'en application de I'article 84 du code de procédure civile, la voie de I’appel est ouverte contre le présent jugement dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification ;

- Condamne la SAS AXENTE aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 95,176 euros dont 15,65 euros de TVA.

Par déclaration du 7 décembre 2020, la société Axente a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 8 décembre 2020, elle a été autorisée à assigner à jour fixe la société Das Audio devant la cour.

Par une assignation à jour fixe délivrée le 14 janvier 2021 à la société Das Audio, dénoncée et déposée le 11 janvier 2021, la société Axente prie la cour de :

In limine litis

Dire et juger que la Cour d'appel de Paris est compétente pour connaitre du présent litige

En conséquence,

Infirmer le jugement rendu le 23 novembre 2020 sur la seule question de sa compétence

Et, statuant à nouveau,

Dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris était compétent pour connaitre du présent litige en première instance,

En conséquence,

Dire et juger que la Cour d'appel de Paris a compétence pour évoquer le fond du litige,

En conséquence, au fond,

Dire et juger que la société DAS Audio Group SL a brutalement rompu ses relations commerciales établies avec la société Axente,

Dire et juger que la rupture brutale de la société DAS Audio Group SL s'est déroulée dans des conditions particulièrement vexatoires pour la société Axente,

En conséquence,

Condamner la société DAS Audio Group SL à payer à la société Axente les dommages et intérêts suivants :

- 59 544 euros HT au titre de la reprise des stocks détenus par Axente de la marque DAS Audio Group SL

- 70 000 euros HT au titre de l'absence de préavis, et

- 30 000 euros HT au titre du préjudice moral subi du fait du comportement vexatoire de DAS Audio Group SL à l'égard d'Axente,

Débouter la société DAS Audio Group SL de l'intégralité de ses prétentions

Condamner la société DAS Audio Group SL à payer à la société Axente la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la société DAS Audio Group SL aux entiers dépens de l'instance.

Par des conclusions déposées et notifiées le 15 février 2021, la société DAS Audio Group SL demande à la cour de :

Vu l'article 7 du Règlement de l'Union européenne numéro 1215/2012 du 12 décembre 2012,

Vu le Jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 23 novembre 2020

- Confirmer le Jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 23 novembre 2020 qui a déclaré son incompétence pour connaitre du présent litige et renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

- Condamner la société Axente à payer la somme de 10 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la société Axente aux entiers dépens de l'instance.

SUR CE, LA COUR,

Sur l'exception d'incompétence

La société Axente fait grief au premier juge d'avoir retenu que le contrat de distribution liant les parties était un contrat de vente de marchandises, en se fondant sur son obligation de commander au minimum 500 000 euros de matériel DAS Audio, alors que cette obligation n'a jamais été appliquée ni durant l'année d'application du contrat, ni par la suite. Elle soutient qu'il a été fait une application du règlement Bruxelles I bis contraire à l'ensemble de la jurisprudence européenne, laquelle à plusieurs reprises, a dit qu'un contrat type de distribution s'analyse en un contrat de fourniture de services au sens de l'article 7, point 1, sous b), second tiret du Règlement dès lors que la partie qui les fournit (i) effectue une activité déterminée en contrepartie d'une rémunération (ii) (CJUE 19 décembre 2013, Garden NV). Elle fait valoir qu'elle assurait la distribution mais aussi la diffusion des produits DAS en France, non seulement par la vente de ces produits mais aussi par la publicité via un catalogue largement diffusé ainsi que par le conseil de la clientèle et le service après-vente des produits, outre sa participation à des activités promotionnelles. Sur le second critère, elle invoque l'exclusivité dont elle bénéficiait sur le territoire français.

Elle en déduit que les juridictions compétentes pour connaître de tout litige afférant à ce contrat de distribution s'analysant en un contrat de prestation de services, sont celles de l'Etat dans lequel les services ont été rendus, à savoir la France, et qu'en vertu de l'article D. 442-3 alinéa 1er (annexe 4-2-1) et alinéa 2, le tribunal de commerce de Paris et en appel la cour d'appel de Paris, sont compétents.

La société DAS Audio Group rétorque que :

- en application de la jurisprudence GranaroloSpa C/Ambrosi Emmi France SA (CJUE 14 juillet 2016), une action fondée sur une rupture brutale des relations commerciales est de nature contractuelle s'il existe entre les parties une relation contractuelle établie de longue date, et qu'en l'espèce, les parties ont entretenu une relation stable et continue pendant une dizaine d'années, leur relation est donc de nature contractuelle ;

- conformément à l'article 7-1 du règlement européen N° 1215/2012 du 12 décembre 2012, le tribunal compétent est celui du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande et que, « sauf convention contraire », il convient de distinguer entre la vente de marchandises et la fourniture de service ;

- qu'en l'espèce, les parties ont convenu du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, en précisant que les marchandises seraient livrées dans les entrepôts de la société DAS Audio Group situés à Valence (Espagne).

- à titre subsidiaire, l'obligation caractéristique du contrat en cause en vertu de l'article 5, point 1, sous b) du Règlement N° 44/2001 est la livraison d'un bien et non une prestation de services puisque les parties sont liées par un contrat de distribution dont l'objet est la vente de matériel acoustique, de sorte qu'il s'agit d'un contrat de vente de marchandises et non un contrat de prestation de services, qu'ainsi, est compétente la juridiction du lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées.

Sur quoi,

Il résulte de la jurisprudence de la CJUE, notamment son arrêt Granarolo du 14 juillet 2016, qu'une action fondée sur une rupture brutale des relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens du Règlement 44/2001, Bruxelles 1, s'il existait entre les parties une relation contractuelle tacite.

En l'espèce, il existait entre les parties des relations commerciales établies, stables et continues, depuis plus de 10 ans, de sorte que l'action engagée par la société Axente est de nature contractuelle au sens du règlement précité.

L'article 7 du règlement (CE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en vigueur depuis le 10 janvier 2015, prévoit :

« Une personne domiciliée ...Etat membre :

I) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ;

b) aux fins de l'application de la présente disposition et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :

- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées

- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas ».

La société de droit espagnol soutient que les parties ont convenu que les marchandises seraient livrées dans les entrepôts de la société Das Audio et ainsi ont convenu du lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la demande, sans qu'il y ait lieu de déterminer si les parties sont liées par un contrat de vente de marchandises ou de prestation de services.

Mais, le contrat de distribution exclusif conclu entre les parties le 31 décembre 2007 ne comporte aucun élément en ce sens et la seule circonstance que les factures adressées à Axente mentionnent l'incoterm « EXW » ne permet pas d'établir l'existence d'une « convention contraire » par laquelle il aurait été dérogé aux dispositions du règlement applicable.

Il convient donc de rechercher si le contrat conclu entre les parties est un contrat de vente de marchandises ainsi que l'a retenu le tribunal ou s'il s'agit d'un contrat de prestation de services et pour ce faire, de déterminer l'obligation caractéristique du contrat en cause au vu de la jurisprudence de la CJUE, au sens de l'article 5, point 1, sous b) du règlement 44/2001 et de l'article 7 point 1, sous b) du règlement (CE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012.

A cet égard, le tribunal ne peut être suivi en ce qu'il a retenu qu'il s'agissait d'un contrat de vente de marchandises.

La notion de services implique selon la jurisprudence de la CJUE que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en échange d'une rémunération.

Contrairement à ce que soutient la société Das Audio, le contrat conclu entre les parties ne prévoit pas que la vente des produits. Ainsi l'article 2 dispose que :

« Axente assurera la promotion, la mise sur le marché et la vente des systèmes de sonorisation professionnels labellisés D. A. S en France au mieux de ses capacités pendant toute la durée de cet accord ».

Par ailleurs, si l'article 4 précise que « Axente accepte et est tenue d'acheter des produits D.A.S d'une valeur d'au moins cinq cent mille euros (500 000) au prix départ usine » cette obligation est prévue « pendant la première année du présent accord » et l'article 5 prévoit que DAS fournit le savoir-faire utile, les informations techniques et les pièces de rechange nécessaires pour entretenir ses produits pendant toute la durée de cet accord et qu'elle contribuera au service après-vente de ses produits. Enfin, la circonstance que l'article 8 mentionne que le non-respect de l'obligation d'achat entrainera la résiliation du contrat, n'en fait pas un élément plus déterminant que les autres éléments du contrat puisque cet article vise également « toute autre condition susmentionnée ».

De son côté, la société Axente justifie que dans le cadre de son contrat de distribution des produits Das Audio, elle effectuait une activité en fournissant des services puisqu'assurant la distribution des produits, elle participait au développement de leur diffusion en France (ses pièces 3, 4 et 5), non seulement par leur vente mais aussi par la publicité qu'elle réalisait par le biais d'un catalogue (sa pièce 24), qu'elle assurait aussi le service après-vente des produits, outre sa participation à des activités promotionnelles ainsi qu'il résulte de sa participation à un salon (pièce 21).

En contrepartie de cette activité, elle bénéficiait d'une exclusivité sur le territoire français, lui conférant un avantage concurrentiel et la participation de Das Audio au service après-vente représentait une valeur économique pour le distributeur pouvant être considérée comme constitutive d'une rémunération.

Dans ces conditions, le contrat liant les parties s'analyse en un contrat de prestation de services.

En application de l'article 7 1) b) deuxième tiret, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est « pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ».

En l'espèce, les services ont été fournis en France.

Dès lors, le tribunal de commerce de Paris est compétent conformément à l'article D. 442-3 alinéa 1er (annexe 4-2-1) et le jugement est infirmé de ce chef.

Sur l'évocation

Il ne sera pas fait droit à la demande d'évocation du fond du litige présentée par la société Axente sur le fondement de l'article 88 du code de procédure civile. En effet, l'évocation sollicitée priverait les parties du double degré de juridiction auquel elles ont droit, et il n'apparaît pas de bonne justice de donner une solution définitive au litige.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné la société Axente aux dépens et mis à sa charge une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Das Audio qui succombe, est déboutée de sa demande sur ce fondement, est condamnée aux dépens et à payer à la société Axente une somme de 6 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette l'exception d'incompétence ;

Dit le tribunal de commerce de Paris compétent ;

Déboute la société Axente de sa demande d'évocation ;

Renvoi l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris ;

Déboute la société Das Audio Group de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Das Audio Group aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Axente la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.