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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 6 mai 2021, n° 19/07036

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Speed Rabbit Pizza (SA)

Défendeur :

Food RMC Company (SARL), Riquelme (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Muller, M. Nut

Avocats :

Me Dumeau, Me Hatte, Me Debray, Me Gisnestra

T. com. Nanterre, du 19 sept. 2019

19 septembre 2019

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat de franchise du 21 mai 2013, la société Speed Rabbit Pizza (ci-après société Speed Rabbit), a concédé à la société Food RMC Company (ci-après Food RMC) le droit d'exploiter sa méthode et son savoir-faire sous l'enseigne et la marque « Speed Rabbit Pizza » dans un magasin situé <adresse> à Reims (51), pour une durée de 10 ans.

Le même jour, par un « acte de caution solidaire », M. X s'est porté caution solidaire des engagements de paiement de la société Food RMC à l'égard de la société Speed Rabbit, dans la limite de 150 000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard.

La société Speed Rabbit soutient que la société Food RMC n'a jamais procédé au paiement des redevances prévues au contrat de franchise.

Par ordonnance d'injonction de payer du 21 octobre 2013, le président du tribunal de commerce de Reims a enjoint la société Food RMC de payer à la société Speed Rabbit, en deniers ou quittances valables, avec intérêts légaux, la somme en principal de 3 628,82 euros.

. la procédure collective ouverte au profit de la société Food RMC

Par jugement du 17 décembre 2013, le tribunal de commerce de Reims a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la société Food RMC, désignant Me Y en qualité de mandataire judiciaire

Par lettre recommandée du 10 janvier 2014, la société Speed Rabbit a déclaré sa créance à hauteur de 8 834,16 euros au titre des factures impayées.

Par lettre recommandée du 16 juin 2014, Me Y a indiqué à la société Speed Rabbit que les dirigeants de la société Food RMC entendaient contester la validité du contrat de franchise, l'informant dès lors qu'elle proposait au juge-commissaire le rejet intégral de la créance.

Par lettre recommandée du 25 juin 2014, la société Speed Rabbit a contesté les motifs invoqués à l'appui du rejet de sa créance et a déclaré maintenir sa déclaration.

Par jugement du 16 juin 2015, le tribunal de commerce de Reims a prononcé l'adoption du plan de redressement de la société Food RMC, désignant Me Y en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

. la procédure introduite par la société Speed Rabbit en résiliation du contrat de franchise

Par acte du 18 février 2016, la société Speed Rabbit a assigné la société Food RMC devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat de franchise au 17 décembre 2013 à ses torts exclusifs, et de la voir condamner à payer une indemnité contractuelle de résiliation en réparation du préjudice causé, correspondant au montant des royalties qui auraient dû être réglées si le contrat avait été exécuté jusqu'à son terme.

Par jugement du 23 janvier 2017, le tribunal de commerce de Reims a prononcé la résolution du plan de redressement et la liquidation de la société Food RMC, désignant Me Z en qualité de liquidateur.

Par lettre recommandée du 31 janvier 2017, la société Speed Rabbit a déclaré sa créance à hauteur de 101 954 euros au titre de l'indemnité de résiliation et de frais de procédure.

Par jugement du 19 septembre 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Dit la société Speed Rabbit Pizza irrecevable en ses demandes,

- Condamné la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Z ès qualités de mandataire liquidateur de la société Food RMC Company la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné la société Speed Rabbit Pizza à supporter les dépens.

Par déclaration du 7 octobre 2019, la société Speed Rabbit Pizza a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 30 novembre 2020, la société Speed Rabbit Pizza demande à la cour de :

- Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- Dit la société Speed Rabbit Pizza irrecevable en ses demandes au motif que le contrat de franchise n'a pas été signé par le représentant légal de la société Food RMC,

- Condamné la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Z ès qualités la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Speed Rabbit Pizza à supporter les dépens.

Statuant à nouveau

- Débouter l'intimée de toutes ses demandes.

- Fixer au passif de la procédure collective de la société Food RMC Company la créance de la société P... Q... Pizza au titre des redevances impayées au jour du jugement d'ouverture, à la somme de 8 834,16.

- prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Food RMC Company à la date du 17 décembre 2013.

En conséquence :

- Fixer au passif de la société Food RMC Company la créance de la société Speed Rabbit Pizza au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation à la somme de 63 590 correspondants au montant des royalties qui auraient dû lui être réglées si le contrat avait été exécuté jusqu'au 21 mai 2023.

- Condamner la société Z es-qualités à payer à la société Speed Rabbit Pizza la somme de 4 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 8 avril 2020, la société Food RMC Company, représentée par Me Z, demande à la cour de :

- Déclarer la société Speed Rabbit Pizza autant irrecevable que mal fondée en ses fins demandes et conclusions, les rejeter, l'en débouter

- Confirmer le jugement entrepris,

- Condamner la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société Z, prise en la personne de

Maître Z, es qualités une indemnité de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société Speed Rabbit Pizza aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 janvier 2021.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 - Sur l'opposabilité du contrat de franchise à la société Food RMC

La société Food RMC, représentée par son liquidateur, sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que le contrat de franchise lui était inopposable dès lors qu'il avait été signé par une personne dépourvue de tout pouvoir à ce titre, à savoir l'époux de la gérante.

La société Speed Rabbit soutient au contraire que le contrat de franchise est parfaitement opposable à la société Food RMC, au motif que M. X, époux de la gérante et associé à 50 % de cette société, disposait d'un mandat apparent pour signer le contrat. Elle invoque également une ratification du contrat par la société Food RMC.

. sur l'existence d'un mandat apparent

Le mandant peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs.

La société Speed Rabbit affirme qu'elle a légitimement pu penser que M. X disposait d'un mandat apparent donné par son épouse, dès lors que les deux époux ont formulé ensemble une offre de reprise du fonds de commerce antérieurement exploité par la société GP Food, qu'ils ont indiqué que la société Food RMC se substituerait à eux pour la reprise et qu'ils ont affirmé, dans cette offre vouloir intégrer le réseau Speed Rabbit

Il est mentionné, en page 2 du contrat de franchise, que ce dernier est conclu entre la société Speed Rabbit d'une part et la société Food RMC d'autre part, cette dernière étant « représentée par M. G... X », sans aucune indication de ses fonctions dans la société, ni précision quant à un éventuel pouvoir pour représenter la société.

Si l'on peut admettre que l'offre commune de reprise du fonds de commerce, et la déclaration qui y est faite quant à la volonté d'intégrer le réseau Speed Rabbit pouvait laisser penser à celle-ci que les deux époux portaient ensemble le projet de reprise du fonds de commerce et d'intégration de la franchise, ces éléments ne permettent pas toutefois de démontrer que la société Speed Rabbit pouvait croire, au surplus légitimement, que M. X disposait d'un mandat de son épouse pour signer le contrat de franchise.

De même, le fait que M. X soit associé à 50 % de la société Food RMC est insuffisant à caractériser une croyance légitime de la société Speed Rabbit dans l'existence d'un mandat apparent pour la signature du contrat de franchise, étant observé que la société Speed Rabbit est un professionnel habitué de la signature de tels contrats, les simples circonstances alléguées par cette dernière ne l'autorisant pas à s'abstenir de vérifier les pouvoirs du signataire du contrat.

C'est ainsi à bon droit que le premier juge a dit que la preuve d'un mandat apparent confié à M. X n'était pas rapportée.

. sur la ratification du contrat de franchise

Il résulte de l'article 1998 du code civil que le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement.

En l'espèce, la société Speed Rabbit soutient que la société Food RMC a ratifié l'engagement contracté par M. X, d'une part en faisant figurer sur son extrait k bis la mention « nom commercial : Speed Rabbit », d'autre part en indiquant dans la présentation de son plan de redressement qu'elle envisageait de poursuivre son exploitation, éventuellement en dehors de la franchise Speed Rabbit, ce qui signifie a contrario qu'elle se considérait bien comme étant franchisé de la société Speed Rabbit

La société Food RMC soulève en premier lieu l'irrecevabilité de ce qu'elle qualifie de « demande nouvelle » de ratification en ce qu'elle est formée pour la première fois en cause d'appel. Elle soutient ensuite que la personne morale Food RMC est représentée par la personne physique Mme X, cette dernière n'ayant jamais ratifié aucun acte.

L'argumentation relative à la ratification du contrat ne constitue pas une demande nouvelle, mais un moyen nouveau tendant à démontrer que le contrat de franchise est bien opposable à la société Food RMC. S'agissant d'un moyen nouveau, et non pas d'une demande nouvelle, il doit être déclaré recevable par application de l'article 563 du code de procédure civile qui énonce que les parties peuvent invoquer, en appel, des moyens nouveaux.

L'extrait kbis de la société Food RMC - qui a nécessairement été établi à la suite d'une demande du représentant légal de la société, à savoir Mme X - mentionne le nom de Speed Rabbit comme nom commercial.

De même, le plan de redressement de la société Food RMC, tel qu'établi par cette société le 3 mars 2015 et signé de Mme L... X précise que la société exploite « l'enseigne Speed Rabbit », ajoutant : « s'il le fallait, la société Food RMC envisage de poursuivre son exploitation en dehors de la franchise Speed Rabbit (...) ». (souligné par la cour)

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société Food RMC s'est toujours prévalue, dès son immatriculation au registre du commerce, de l'exploitation de son commerce sous l'enseigne Speed Rabbit, par le biais d'un contrat de franchise, ce qui suffit à caractériser une ratification au moins tacite de ce contrat.

Il convient donc de dire que le contrat de franchise est opposable à la société Food RMC. Le jugement sera infirmé de ce chef, et en ce qu'il a déclaré en conséquence la société Speed Rabbit « irrecevable » en ses demandes.

2 - sur la demande en paiement des redevances

La société Speed Rabbit sollicite la fixation, au passif de la liquidation de la société Food RMC, de sa créance à hauteur de 8 834,16 euros correspondant aux redevances dues au 17 décembre 2013, c'est-à-dire au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Food RMC.

La société Food RMC conclut au rejet de cette demande, sans toutefois invoquer aucun moyen à ce titre.

La société Speed Rabbit produit aux débats un relevé de compte, accompagné des 10 factures impayées sur la période du 30 juin au 17 décembre 2013, outre la déclaration de créances du 10 janvier 2014. Ces documents qui ne sont pas discutés par la société Food RMC permettent de justifier de la créance alléguée de sorte qu'il convient de la fixer au passif de la liquidation de la société Food RMC à hauteur de 8 834,16 euros correspondant aux redevances dues au 17 décembre 2013.

3 - sur la demande de résiliation du contrat de franchise

. sur le principe de la résiliation du contrat

Il résulte de l'article 1184 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

La société Speed Rabbit sollicite le prononcé de la résiliation du contrat de franchise au 17 décembre 2013, compte tenu de l'inexécution par la société Food RMC de ses obligations, notamment de paiement.

La société Food RMC s'étonne que la société Speed Rabbit ait attendu l'introduction de l'instance en février 2016 pour solliciter la résiliation du contrat à la date du 17 décembre 2013. Elle ajoute que la demande de résiliation est devenue sans objet du fait de la liquidation judiciaire prononcée le 23 janvier 2017.

Il est constant que la société Food RMC n'a jamais satisfait à ses obligations de paiement des redevances de franchise depuis l'origine et même durant la période de redressement, de sorte que la société Speed Rabbit est fondée en sa demande de résiliation du contrat, qui ne peut toutefois être prononcée au 17 décembre 2013, compte tenu de l'ouverture de la procédure collective à cette date, entraînant suspension des poursuites. Il convient donc de prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Food RMC au 18 février 2016, date de l'assignation délivrée au cours du plan de redressement.

. sur les conséquences de la résiliation du contrat

La société Speed Rabbit sollicite, en application de l'article 12.4 du contrat de franchise, paiement d'une indemnité de résiliation de 63 590 euros, correspondant aux royalties qui auraient été réglées si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme. Elle soutient qu'il n'y a pas lieu de réduire le montant de l'indemnité dès lors qu'elle subit un important préjudice, s'agissant d'un secteur géographique perdu au profit de la concurrence.

La société Food RMC s'oppose à cette demande, soutenant qu'il s'agit d'une clause pénale susceptible de réduction, et qu'il convient en l'espèce de l'exonérer totalement dès lors que la société Speed Rabbit ne justifie d'aucun préjudice.

Il résulte de l'article 1152 du code civil, dans sa version applicable en l'espèce que, lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Il résulte de l'article 12.4 du contrat de franchise qu'en cas de résiliation du contrat aux torts et griefs du franchisé, ce dernier : « devra acquitter à titre de dommages et intérêts forfaitairement évalués une somme égale aux royalties qui auraient dû être réglées au franchiseur si le contrat avait été exécuté jusqu'à son terme, ces royalties étant calculées sur la base de la dernière année du chiffre d'affaires réalisé par le franchisé. »

En l'espèce, le contrat de franchise avait été conclu pour une durée de 10 années jusqu'en mai 2023, mais sa résiliation est intervenue, comme précédemment retenu, au 18 février 2016.

La demande en paiement d'une indemnité de résiliation à hauteur de 63 590 euros apparaît manifestement excessive au regard du préjudice effectivement subi par la société Speed Rabbit, étant notamment observé que cette dernière n'a fourni aucune prestation au franchisé à compter de décembre 2013 et pendant les 9 années suivantes.

Au regard de ces éléments, la cour évaluera le montant de l'indemnité de résiliation à la somme de 7 000 euros, à peu près équivalente à une année de redevances.

Il convient donc de fixer la créance de la société Speed Rabbit au passif de la liquidation de la société Food RMC à la somme de 7 000 euros au titre de l'indemnité de résiliation du contrat.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société Food RMC, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Au regard de la situation financière de la société Food RMC, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Speed Rabbit les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer pour faire valoir son droit.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 19 septembre 2019 en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Dit que la société Speed Rabbit Pizza est recevable en ses demandes,

Fixe la créance de la société Speed Rabbit Pizza au passif de la liquidation judiciaire de la société Food RMC Company à la somme de 8 834,16 euros correspondant aux redevances dues au 17 décembre 2013,

Prononce la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Food RMC Company au 18 février 2016,

Fixe la créance de la société Speed Rabbit Pizza au passif de la liquidation judiciaire de la société Food RMC Company à la somme de 7 000 euros au titre de l'indemnité de résiliation,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Food RMC Company, représentée par son liquidateur judiciaire, la société Z, aux dépens de première instance et d'appel.