Cass. 3e civ., 29 novembre 1995, n° 94-11.735
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
M. Toitot
Avocat général :
M. Weber
Avocats :
M. Copper-Royer, SCP Peignot et Garreau
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 4 janvier 1994), que les époux Fernand de X... de Saint Pierre ont, par acte notarié du 30 décembre 1981, fait donation entre vifs, en avancement d'hoirie à leurs quatre enfants, de la nue-propriété de diverses exploitations agricoles et parcelles de terre ; qu'en raison de l'opposition de leur fils Eric, ils ont demandé l'autorisation de justice de donner à bail rural deux de ces exploitations ; qu'ils ont également sollicité en référé l'expulsion de celui-ci de terres qu'il avait indûment occupées ; que M. Eric de X... de Saint Pierre a demandé reconventionnellement la nullité d'autorisations accordées par son père à d'anciens fermiers pour continuer à habiter les bâtiments de ferme et à exploiter un hectare de terres environ ;
Attendu que M. Eric de X... de Saint Pierre fait grief à l'arrêt d'autoriser ses parents à conclure sans son consentement des baux ruraux sur des exploitations dont il est nu-propriétaire, alors, selon le moyen, que l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural et qu'à défaut d'accord du nu-propriétaire, il peut être autorisé par justice à passer seul cet acte ; que le juge ne peut donc donner son autorisation que pour le bail précis auquel le nu-propriétaire a refusé son concours et non pas une autorisation générale et indéterminée quant à l'identité du preneur et aux conditions du bail ; qu'en déclarant en l'espèce que le Tribunal qui avait autorisé les époux de X... de Saint Pierre à consentir deux baux ruraux au profit du postulant le plus disant, avait donné une autorisation dont il avait précisé le contenu, la cour d'appel, par ce motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 595, alinéa 4, du Code civil ;
Mais attendu que l'article 595 du Code civil ne subordonnant l'autorisation de justice à aucune condition, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que M. Eric de X... de Saint Pierre ne pouvait reprocher à l'indivision d'avoir obtenu l'autorisation de conclure des baux ruraux avec les fermiers de son choix ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. Eric de X... de Saint Pierre fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la nullité des conventions consenties, sans son autorisation, par son père à deux anciens fermiers qui continuent à habiter les bâtiments de ferme et à exploiter plus d'un hectare, alors, selon le moyen, que l'interdiction faite à l'usufruitier de donner à bail un fonds rural sans le concours du nu-propriétaire s'applique à tous les baux de biens ruraux, qu'ils paraissent ou non soumis au statut du fermage à l'époque de la conclusion du contrat ; qu'en décidant que M. Eric de X... de Saint Pierre ne pouvait invoquer la nullité des conventions d'occupation précaire consenties par les époux de X... de Saint Pierre aux fermiers retraités, conventions qui constituaient bien des baux de biens ruraux puisqu'elles mettaient ceux-ci à la disposition desdits fermiers moyennant un loyer, la cour d'appel a violé l'article 595, alinéa 4, du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que M. Fernand de X... de Saint Pierre avait seulement autorisé deux fermiers retraités à continuer à habiter leur ancienne maison et à exploiter un hectare environ, la cour d'appel a exactement retenu que ces conventions d'occupation précaires prévues par l'article L. 411-2 du Code rural ne relevaient pas des dispositions de l'article 595 du Code civil ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Sur le troisième moyen :
Attendu que M. Eric de X... de Saint Pierre fait grief à l'arrêt de l'expulser des terres appartenant à l'indivision qu'il avait occupées, alors, selon le moyen, que la cour d'appel a cependant relevé que M. Eric de X... de Saint Pierre ayant saisi le Tribunal d'une demande en sortie de l'indivision, il aurait pu alors être fait application des dispositions de l'article L. 411-2 du Code rural pour qu'il soit autorisé à exploiter à titre temporaire l'ensemble des biens jusqu'à ce que soient déterminées les terres composant son lot ; qu'elle a cependant aussitôt écarté ce droit éventuel de M. Eric de X... de Saint Pierre en estimant que l'accord de l'indivision était nécessaire et ne serait pas donné ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a d'ores et déjà tranché la contestation sérieuse qui était élevée sur les droits de M. Eric de X... de Saint Pierre ce qui ne rentre pas dans les pouvoirs des juges des référés ; qu'elle a donc violé les articles 808 et 956 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, statuant en référé, s'étant fondée, par motifs propres et adoptés, sur les dispositions de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile, le moyen est sans portée ; Mais sur le quatrième moyen : Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que, pour condamner M. Eric de X... de Saint Pierre à payer 30 000 francs de dommages-intérêts aux consorts de X... de Saint Pierre, l'arrêt retient le caractère abusif de ses appels ; Qu'en statuant ainsi, sans caractériser en quoi le droit d'agir en justice avait dégénéré en abus, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. Eric de X... de Saint Pierre à payer 30 000 francs de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 4 janvier 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.