CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 mai 2021, n° 19/11004
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Réunion Jet Diffusion (SARL)
Défendeur :
TUI France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Gilles
Avocats :
Me Servant, Me Boccon Gibod, Selarl Altana
La société TUI France est un tour opérateur qui organise des voyages notamment vers l'Ile de la Réunion.
La société Réunion Jet Diffusion, ayant une activité de prestataire de tourisme sur l'Ile de la Réunion sous enseigne commerciale « Papangue Tours », a débuté une collaboration en 1992 avec la société TUI France.
Les parties ont formalisé leur collaboration dans un contrat de partenariat le 7 novembre 2013 ayant pour objet « l'accueil, l'assistance, les transferts, les locations de voitures, les réservations de séjours hôtels, de circuits et les excursions par la société Papangue Tours pour la clientèle de TUI France », sur l'Ile de la Réunion.
Le contrat prévoyait les conditions de résiliation suivantes :
« 10.2 Résiliation à l'initiative d'une partie
En dehors de toute inexécution reprochable au SOUSSIGNE, chaque SOUSSIGNE peut résilier le contrat à tout moment sous réserve d'en informer son CO-SOUSSIGNE par lettre recommandée avec accusé de réception. La résiliation sera effective à l'expiration d'un délai de 3 mois suivants la réception de la lettre recommandée avec accusé de réception, ce délai étant majoré d'un mois par année écoulée depuis l'établissement des relations commerciales entre les parties, à savoir depuis l'année 1992, sans toutefois pouvoir excéder trois années. Cette résiliation n'a pas à être motivée par la partie à l'initiative de la rupture. Elle ne joue que pour l'avenir, elle n'a pas d'effet rétroactif. »
Le 10 avril 2015, la société TUI France a notifié à la société Reunion Jet Diffusion son intention de résilier le contrat du 7 novembre 2013.
De nombreux échanges ont suivi entre les parties pour la fixation du préavis, la société Reunion Jet Diffusion refusant les propositions de la société TUI France d'un éventuel aménagement du préavis fixé par le contrat.
Par lettre du 3 juillet 2015, la société TUI France a confirmé son intention de résiliation du contrat du 10 avril 2015, a relevé que le préavis contractuel était de 26 mois et que la relation prendrait donc fin le 10 juin 2017. Elle a néanmoins proposé de poursuivre la relation jusqu'au 30 septembre 2017, soit après la saison touristique.
La relation commerciale entre les parties s'est effectivement terminée en octobre 2017.
Entre temps, le 7 novembre 2016, la société Réunion Jet Diffusion a assigné la société TUI France devant le tribunal de commerce de Nanterre, qui s'est déclaré incompétent pour connaître du litige par jugement du 21 juin 2017.
Par acte du 4 juillet 2017, la société Reunion Jet Diffusion a assigné la société TUI France devant le tribunal de commerce de Paris, sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales.
Par jugement du 9 avril 2019, le tribunal de commerce de Paris a :
Débouté la SARL unipersonnelle Reunion Jet Diffusion ayant pour enseigne commerciale Papangue Tours de sa demande au titre de l'article L442-6- I 5 du code de commerce,
Débouté la SARL unipersonnelle Reunion Jet Diffusion ayant pour enseigne commerciale Papangue Tours de sa demande au titre du préjudice moral,
Condamné la SARL unipersonnelle Reunion Jet Diffusion ayant pour enseigne commerciale Papangue Tours à payer à la SA TUI France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamné la SARL unipersonnelle Reunion Jet Diffusion ayant pour enseigne commerciale Papangue Tours aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe.
Par acte du 24 mai 2019, la société Reunion Jet Diffusion a interjeté appel du jugement devant la Cour d'appel de Paris.
Aux termes des dernières conclusions de la société Reunion Jet Diffusion, déposées et notifiées le 21 juillet 2020, il est demandé à la Cour de :
Recevoir la société Reunion Jet Diffusion en son appel et l'y déclarer bien fondée,
Réformer le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
Condamner la société Tui France à payer à la société Reunion Jet Diffusion la somme de 394 313 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice financier au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,
Condamner la société Tui France à payer à la société Reunion Jet Diffusion la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner la société TUI France aux entiers dépens d'instance.
Aux termes des dernières conclusions de la société TUI France, déposées et notifiées le 20 janvier 2021, il est demandé à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6 I 5° (ancien) du Code de commerce,
Vu les articles 32-1 et 563 et suivants du Code de procédure civile
Il est demandé à la cour de :
Constater que Réunion Jet Diffusion a bénéficié d'un préavis suffisant,
Constater que TUI France a notifié à Réunion Jet Diffusion la fin de leurs relations commerciales dans des conditions normales,
Constater que Réunion Jet Diffusion a renoncé à toutes demandes au titre d'une prétendue rupture brutale totale des relations commerciales établies qui serait survenue en 2015,
Constater que Réunion Jet Diffusion a renoncé à toutes demandes relatives au caractère prétendument vexatoire des conditions de la rupture des relations commerciales entre TUI France et Réunion Jet Diffusion,
Constater que la demande de Réunion Jet Diffusion fondée sur une prétendue rupture brutale partielle des relations commerciales établies qui serait intervenue après le 10 avril 2015 est nouvelle en cause d'appel,
Constater que Réunion Jet Diffusion a renoncé en première instance à contester les conditions d'exécution du préavis,
En conséquence,
Confirmer le Jugement du Tribunal en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté la demande de TUI France fondée sur le caractère abusif de l'action de Réunion Jet Diffusion,
Statuant à nouveau sur ce chef,
Condamner Réunion Jet Diffusion à régler à TUI France la somme de 50 000 euros au titre de l'abus du droit d'agir en justice,
Y ajoutant,
Déclarer irrecevable la demande de Réunion Jet Diffusion fondée sur une prétendue rupture brutale partielle des relations commerciales établies qui serait intervenue après le 10 avril 2015, subsidiairement rejeter ladite demande,
Débouter Réunion Jet Diffusion de toutes demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires,
Condamner Réunion Jet Diffusion à régler à TUI France la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la rupture de la relation commerciale entre les parties
La société Reunion Jet Diffusion fait valoir, au titre de la rupture brutale de la relation commerciale, qu'il résulte des échanges entre les parties entre avril 2015 et janvier 2016 que la société TUI France l'a entretenue dans une apparence de vouloir rompre le contrat tout en faisant croire à la poursuite des relations commerciales, et qu'elle est incapable de démontrer qu'elle l'a bien informée de la fin leurs relations à une date précise qu'elle aurait signifiée. Il est ainsi demandé l'infirmation du jugement entrepris en jugeant que la rupture attaquée était brutale même si elle était prévisible.
Au titre du préjudice lié à la rupture, la société Réunion Jet Diffusion demande pour son évaluation de prendre en compte la rupture partielle des relations établies avant le 7 novembre 2017, caractérisée par une baisse soudaine et significative du nombre de dossiers au cours du préavis lui générant un préjudice, dès lors qu'elle devait conserver ses effectifs et ressources pour les consacrer exclusivement à son activité avec TUI France. Elle évalue sa perte de marge à la somme de 394 313 euros, soit l'indemnisation d'un préjudice d'un montant moindre que celui réclamé en première instance.
Elle précise que sa demande n'est pas nouvelle en ce qu'elle procède du même cadre juridique et factuel que sa demande initiale.
La société TUI France sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que la société Reunion Jet Diffusion a bénéficié d'un préavis suffisant régulièrement notifié et écarté toute rupture brutale de la relation commerciale établie.
Elle soulève, en application de l'article 564 du code de procédure civile, l'irrecevabilité de la demande de la société Reunion Jet Diffusion formulée pour la première fois en appel et fondée sur la rupture partielle de la relation commerciale durant le préavis. Elle soutient que devant les premiers juges, la société Reunion Jet Diffusion se plaignait d'une rupture brutale totale des relations commerciales établies qui serait intervenue le 10 avril 2015 en l'absence de préavis, alors qu'en appel elle entend se prévaloir d'une prétendue baisse des commandes qui serait intervenue entre le 10 avril 2015 et le 31 octobre 2017, soit pendant l'exécution du préavis de 30 mois. Elle relève que non seulement la période visée n'est plus la même mais, en outre, les faits reprochés à TUI France n'ont plus rien à voir. Il lui est dorénavant reproché d'avoir volontairement diminué le flux d'affaires avec la société Reunion Jet Diffusion tout en maintenant la relation commerciale. Elle fait également observer que le montant des demandes n'a lui aussi plus rien à voir (ce montant a été divisé par presque 4). Elle en déduit qu'il s'agit donc bien de faits totalement nouveaux et qui ne peuvent donc pas faire l'objet d'une demande présentée pour la première fois en appel, peu importe que cette demande soit fondée sur le même article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. Elle ajoute, que la société Reunion Jet Diffusion ne peut se prévaloir d'un moyen dont elle a renoncé à se prévaloir en première instance dès lors que le tribunal a relevé que celle-ci ne formulait aucune remarque sur les conditions d'exécution du préavis.
Sur le fond, elle soutient qu'elle a régulièrement notifié à la société Reunion Jet Diffusion la rupture du contrat avec un préavis de plus de 30 mois, ce qui est suffisant. Elle prétend ensuite que la société Reunion Jet Diffusion ne justifie pas, par les pièces versées aux débats, de la réalité d'une baisse de commande pendant le préavis et de sa volonté de rupture pendant ce préavis qu'elle estime avoir respecté.
Sur ce,
Devant les premiers juges, la société Reunion Jet Diffusion a réclamé la somme de 553 475 euros au titre de l'indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale manifestée par l'insuffisance du préavis.
A hauteur d'appel, la société Reunion Jet Diffusion réclame la somme de 394 313 euros au titre de l'indemnisation de la rupture partielle de la relation commerciale pendant le préavis manifesté par une baisse significative des commandes de la part de la société TUI France.
Cette dernière demande procédant de la même relation commerciale et tendant à l'indemnisation de la rupture brutale de cette relation tend aux mêmes fins que la prétention formulée en première instance, et partant recevable en application de l'article 565 du code de procédure civile.
Il ne peut non plus être déduit des motifs du jugement, en ce qu'il est relevé que la société Reunion Jet Diffusion n'a formulé aucune remarque sur les conditions d'exécution de son préavis que celle-ci a expressément renoncé à se prévaloir de ce moyen.
Sur le fond, les parties ne contestent par le caractère établi de leur relation depuis 1992.
Il résulte des pièces versées aux débats, notamment des courriers des 10 avril 2015 et du 3 juillet 2015 de la société TUI France (pièces n°3 et 10), que celle-ci a notifié sans équivoque sa décision de résiliation du contrat au 30 Juin 2017, puis reporté au 31 octobre 2017, soit moyennant un préavis de 30 mois.
La durée suffisante de ce préavis de 30 mois n'est plus contestée par la société Reunion Jet Diffusion.
Celle-ci soutient que pendant ce préavis, elle a subi une chute de commande caractérisant une rupture partielle de la relation. Il est invoqué une baisse de 44% de dossiers confiés depuis le 10 avril 2015. Il ressort effectivement de l'analyse de l'expert-comptable de la société Reunion jet Diffusion (pièce n°20) qui a procédé à une comparaison de la moyenne des chiffres d'affaires réalisés par mois entre 2011 et 2014 et de celle des chiffres d'affaires réalisés par mois sur la période de préavis 2015 à 2017, une baisse de près de 43% pour les prestations TourInter et 30% pour les prestations Nouvelles frontières.
Sauf circonstances particulières, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures.
Si la société TUI France met en doute la sincérité du rapport de l'expert-comptable précité en se bornant à produire des factures de prestations d'octobre 2017, elle n'apporte aucun élément permettant de le critiquer utilement, notamment des éléments chiffrés sur son volume d'affaires réalisés sur l'Ile de la Réunion et celui réalisé en particulier avec la société Reunion Jet Diffusion sur la période du préavis permettant d'accréditer qu'elle a respecté un volume d'affaires pendant le préavis comparable à celui de la période précédente, ou que la baisse des prestations confiées à la société Reunion Jet Diffusion est justifiée par une baisse effective de ses propres commandes sur l'Ile de la Réunion.
En l'état des éléments soumis à l'appréciation de la Cour, il y a lieu de retenir une baisse significative des commandes de la part de la société TUI France pendant la période de préavis caractérisant une rupture partielle et brutale de la relation commerciale dont la société Reunion Jet Diffusion est en droit de demander réparation.
Pour l'évaluation du préjudice, la Cour retient la perte de marge durant la période de préavis 2015 à 2017 calculée par l'expert-comptable dans son rapport à partir 'des contrats réalisés, facturés et payés' soit la somme de 244 056 euros (194 721 prestations Tour Inter + 49 335 prestations NF). S'agissant de la perte de marge sur les contrats « pré-vendu », il n'est donné aucune explication sur le principe et le calcul de celle-ci et ne sera pas retenue.
La société TUI France sera donc condamnée à payer à la société Reunion Jet diffusion la somme de 244 056 euros à titre de dommages-intérêts. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la demande en indemnisation pour procédure abusive de la société TUI France
La société TUI France sera déboutée de sa demande de dommges-intérêts pour procédure abusive, ayant été fait droit à la demande de la société Reunion Jet Diffusion.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Reunion Jet Diffusion aux dépens de première instance et à payer à la société TUI France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société TUI France, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société TUI France sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Reunion Jet Diffusion la somme de 8 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable la demande de la société Reunion Jet Diffusion en condamnation de la société TUI France au paiement de la somme de 394 313 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice lié à la rupture partielle de la relation commerciale pendant le préavis,
Infirme le jugement en ce qu'il a :
- débouté la société Reunion Jet Diffusion de sa demande au titre de l'article L.442-6 I 5 ° du code de commerce,
- condamné la société Reunion Jet Diffusion aux dépens et à payer à la société TUI France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau de ces chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société TUI France à payer à la société Renion Jet Diffusion la somme de 244 056 euros de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale,
Condamne la société TUI France aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société la société TUI France à payer à la société Reunion Jet Diffusion la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.