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Décisions

Cass. crim., 30 novembre 1987, n° 87-80.737

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ledoux

Rapporteur :

M. Tacchella

Avocat général :

Mme Pradain

Avocats :

SCP de Chaisemartin, SCP Labbé et Delaporte

Lyon, du 14 janv. 1987

14 janvier 1987

REJET ET CASSATION PARTIELLE par voie de retranchement sans renvoi sur les pourvois formés par

- X... André,

- Y... Huguette, épouse X...,

- Y...Jacques,

- Z... Pascal, contre un arrêt de la cour d'appel de Lyon, 4e chambre, en date du 14 janvier 1987.

a) qui a condamné André X..., pour banqueroute par tenue de comptabilités sociales fictives et détournement d'actif, pour escroquerie, abus de confiance et détournement de précomptes, à 30 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 5 ans ainsi qu'à 30 000 francs d'amende (pour les délits) et à 3 amendes de 2 000 francs chacune pour les 3 contraventions de détournements de précomptes, ainsi qu'à la faillite personnelle pendant 10 ans, et qui s'est prononcé sur les intérêts civils réclamés par la SA Régiex publicité, et la SA Le Nappage moderne, parties civiles constituées.

b) qui a condamné Jacques Y... et Pascal Z... à payer tous deux solidairement avec André X... des dommages-intérêts à la société Le Nappage moderne, partie civile.

c) qui a mis hors de cause Huguette Y..., épouse X..., à l'occasion des dommages-intérêts à elle réclamés par la société Le Nappage moderne, partie civile

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Sur le pourvoi de Huguette Y..., épouse X... : 

Attendu qu'aucun moyen n'est proposé pour cette demanderesse ; qu'il y aura lieu en conséquence de rejeter son pourvoi ;

Sur les pourvois des trois autres demandeurs :

Vu le mémoire commun produit pour eux, et le mémoire en défense ;

Sur le premier moyen de cassation propre à André X... et pris de la violation des articles 197 de la loi du 25 janvier 1985, 131-5° et 133 de la loi du 13 juillet 1967, 402, 405, 406 et 408 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré X... coupable des délits de tenue d'une comptabilité fictive, de détournement d'actif, d'escroquerie et d'abus de confiance qui lui étaient reprochés ;

" aux motifs que le prévenu ne conteste pas le délit de banqueroute par tenue d'une comptabilité fictive de la SARL CGR et de la SA du même nom, qu'il a également détourné une partie de l'actif de la SA CGF et de la SARL Cartoprint et commis un abus de confiance au détriment de la société Régiex en faisant utiliser par ses diverses sociétés d'imprimerie un stock de papier appartenant à la société Régiex et qui ne devait être utilisé que conformément à ses propres instructions, que s'il est possible que le prévenu se soit illusionné sur les chances de réussite de ses entreprises, qui, sous des formes juridiques différentes, tentaient de faire survivre l'entreprise d'origine déclarée en liquidation de biens, il n'en reste pas moins que par la création et la succession rapide de nombreuses sociétés ou entreprises, il a réussi à poursuivre son activité d'imprimeur en persuadant fournisseurs et clients de l'existence de fausses entreprises et d'un crédit imaginaire par un ensemble de procédés frauduleux constitutifs du délit d'escroquerie ;

" alors que les infractions de tenue irrégulière de comptabilité et de détournement d'actif prévues par les articles 131-5° et 133 de la loi du 13 juillet 1967, seule applicable aux faits de la cause comme les délits d'escroquerie et d'abus de confiance, supposant pour être constituées, l'existence d'une intention coupable de l'auteur, les juges du fond, qui, en l'espèce, ont reconnu que le prévenu avait pu commettre de bonne foi les faits qui lui étaient reprochés parce qu'il pensait qu'il pouvait parvenir à redresser la situation des diverses entreprises qu'il avait créées et dirigées en droit ou en fait et qui n'ont pas caractérisé la mauvaise foi du demandeur, ont ainsi privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés " ;

Attendu que pour caractériser l'élément intentionnel des divers délits dont X... a été dit coupable, seul élément constitutif remis en cause par le moyen, le jugement et l'arrêt qui l'a confirmé sur le principe de la culpabilité énoncent, en ce qui concerne la prévention d'escroquerie, que la survie artificielle et frauduleuse des différentes sociétés animées par le prévenu, lesquelles avaient tour à tour exploité l'imprimerie familiale, caractérisait la fausse entreprise dont les fournisseurs de ces personnes morales avaient été les victimes et constituait la manoeuvre frauduleuse dont X... avait sciemment fait usage ; que les juges du fond, à propos du délit d'abus de confiance rapportent que le même prévenu avait effectivement détourné à son profit un stock de papier, propriété de la société Régiex qui le lui avait confié en dépôt ; que l'arrêt, pour ce qui est du détournement d'actif des sociétés CGR et Cartoprint, spécifie qu'une partie des stocks et des machines de ces entreprises avait été découverte aux domiciles du prévenu et de son gendre Z..., ce qui prouvait la volonté de tous deux de soustraire ces actifs aux créanciers des sociétés en liquidation des biens ; qu'enfin la décision attaquée, pour ce qui est des comptabilités de chacune des sociétés en état de cessation des paiements, rapporte que les écritures qu'elles comportaient étaient fictives ou inexistantes, et que X... ne l'ignorait point puisqu'il était intervenu directement dans la tenue des livres sociaux en donnant des ordres en vue de perpétuer la confusion des patrimoines qu'il avait entretenue ;

Attendu qu'en cet état, l'arrêt, loin d'encourir les griefs du moyen, a bien justifié l'élément intentionnel de chacun des divers délits dont X... a été reconnu coupable ;

Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation propre à André X... et pris de la violation des articles 55-1 du Code pénal, 6 b) et 28-3° de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie, 703, 734-1 et 738 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, a refusé à X...le bénéfice du sursis simple ;

" au motif qu'il y a lieu en l'occurrence d'aggraver sensiblement la peine d'emprisonnement prononcée par les premiers juges et " de l'assortir du sursis probatoire en raison d'une condamnation antérieure interdisant le sursis simple " ;

" alors que la seule condamnation à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, antérieurement prononcée à l'encontre de X... et susceptible de faire obstacle à l'octroi du sursis simple, l'avait été par arrêt de la cour de Lyon en date du 2 mars 1977 ; qu'ayant présenté à la même 4e chambre de la cour d'appel de Lyon une requête sur le fondement des articles 55-1 du Code pénal et 703 du Code de procédure pénale, X... a été relevé par arrêt du 2 mars 1978 des déchéances, interdictions ou incapacités résultant de la condamnation prononcée le 2 mars 1977 ; que, dès lors, et par application des articles 6 b) et 28-3° de la loi d'amnistie du 4 août 1981, cette condamnation antérieure avait été abolie et ne pouvait être prise en compte pour lui refuser le bénéfice du sursis simple " ;

Attendu que l'arrêt constate que le ministère public avait fait appel du jugement correctionnel et que cette voie de recours était dirigée contre X... et la décision le concernant ; qu'ainsi la juridiction du second degré pouvait, dans les limites du maximum légal, aggraver les peines et sanctions accessoires infligées par les premiers juges à ce prévenu, sans avoir à motiver les raisons qui l'incitaient à le faire, ce droit relevant de son pouvoir souverain ; que, par suite, la référence qui a été faite à une condamnation antérieure, sans autre précision d'ailleurs, serait-elle erronée, constituait donc un motif surabondant, par là même insusceptible d'entraîner la cassation de la décision ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation commun à André X..., à Jacques Y... et à Pascal Z... et pris de la violation des articles 55 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, a condamné, solidairement avec André X..., Jacques Y... et Pascal Z... à payer à la société anonyme Le Nappage moderne, partie civile, la somme de 1 234 825, 65 francs à titre de dommages-intérêts ;

" au seul motif que " la société Le Nappage moderne est bien fondée à demander la réparation de son préjudice non seulement à André X..., mais aussi à Jacques Y... et à Pascal Z..., déclarés par les premiers juges coupables le premier de recel d'éléments de l'actif de CGR détournés par X..., le second de banqueroute par tenue d'une comptabilité fictive et détournement d'actif de Cartoprint ; qu'en effet, ces délits sont connexes à ceux qui ont été commis par X..., lequel est l'auteur de diverses infractions connexes entre elles puisque concernant toutes la poursuite frauduleuse, sous diverses formes juridiques successives, d'une activité déficitaire présentant à l'égard des fournisseurs et des clients abusés les caractères d'une escroquerie ; que ces trois prévenus devront donc être condamnés solidairement à indemniser la partie civile " ;

" alors que l'application de la solidarité édictée par l'article 55 du Code pénal à des personnes condamnées pour des délits distincts suppose la constatation de la connexité entre les différentes infractions commises par les différents condamnés ; qu'en se bornant à affirmer que les délits commis par Y... et Z... étaient connexes avec ceux commis par André X..., puis à énoncer que les délits distincts commis par X... constituaient des infractions connexes entre elles présentant à l'égard des fournisseurs les caractères d'une escroquerie, la Cour n'a pas caractérisé la connexité existant selon elle entre les délits commis par Y... et Z... et celui d'escroquerie commis par X... au préjudice de la société Le Nappage moderne ; que l'arrêt est, dès lors, entaché d'un défaut de base légale au regard des dispositions de l'article 55 du Code pénal " ;

Attendu que Jacques Y..., beau-frère d'André X..., et Pascal Z..., son gendre, ont été, par jugement du tribunal correctionnel de Saint-Etienne du 26 juin 1986, déclarés tous deux coupables, le premier de détournement d'actif, de recel de détournement d'actif, et de tenue de comptabilités sociales fictives, le second des mêmes délits, à l'exception de celui de recel ; que ce jugement, au regard de l'action publique, est devenu définitif en ce qui les concerne, faute d'appel des intéressés et du ministère public à leur encontre ; que devant la cour de Lyon les deux condamnés se trouvaient intimés sur le seul appel des parties civiles, notamment sur celui de la société Le Nappage moderne laquelle réclamait aux deux intéressées et à X... 1 799 823, 89 francs de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des escroqueries dont elle avait été la victime de la part des dirigeants ou animateurs des sociétés en liquidation des biens ;

Attendu que l'arrêt attaqué, après avoir infirmé le jugement correctionnel qui avait déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la SA Le Nappage moderne, après avoir chiffré à 1 234 825, 65 francs le préjudice réel de la société demanderesse, a condamné X..., Y... et Z... solidairement au paiement de cette somme en énonçant qu'il résultait des débats que les délits commis par Y... et Z... étaient connexes à ceux perpétrés par X..., lequel était lui-même l'auteur de diverses infractions connexes entre elles puisque concernant toutes la poursuite frauduleuse sous diverses formes juridiques de la même activité déficitaire constitutive de la fausse entreprise commune, génératrice du préjudice subi par l'ensemble des fournisseurs ;

Attendu qu'en prononçant ainsi au regard de la solidarité, seule question remise en cause par le moyen, la cour d'appel, qui a souverainement considéré que les différents faits retenus contre les trois condamnés procédaient d'une conception unique, a justifié sa décision ;

Qu'en effet, la solidarité prévue par l'article 55, alinéa 1, du Code pénal entre les individus condamnés par un même délit, s'applique également à ceux qui ont été déclarés coupables de différentes infractions rattachées entre elles par des liens d'indivisibilité ou de connexité ;

Que, dès lors, le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le moyen relevé d'office et pris de la violation de l'article 4 du Code pénal ;

Vu ledit article ;

Attendu qu'aux termes de l'article 4 du Code pénal, nulle contravention, nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'ils fussent commis ;

Attendu que de l'arrêt attaqué il résulte que l'ensemble des faits de banqueroute dont André X... a été dit coupable ont été commis entre décembre 1980 et 1984, avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1986, de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ;

Qu'en ajoutant à la peine d'emprisonnement et aux peines d'amende prononcées contre André X... la sanction complémentaire de la faillite personnelle pendant dix ans, sanction prévue par l'article 201 de la loi susvisée, mais qu'au moment des faits poursuivis les juridictions répressives n'avaient pas le pouvoir de prononcer contre les condamnés du chef de banqueroute, la cour d'appel a méconnu le principe de la non-rétroactivité des lois ; Que, dès lors, sa décision encourt de ce chef la cassation ; Par ces motifs :

REJETTE les pourvois de Jacques Y..., de Pascal Z... et de Huguette Y..., épouse X... ;

Sur le pourvoi d'André X... :

CASSE ET ANNULE, mais par voie de simple retranchement, l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 14 janvier 1987, en ce qu'il a prononcé contre l'intéressé la sanction complémentaire de la faillite personnelle pendant dix ans, toutes autres dispositions de l'arrêt attaqué, en ce qu'elles concernent ledit André X..., étant maintenues,

Et attendu qu'il ne reste rien à juger,

DIT n'y avoir lieu à renvoi.