Cass. com., 12 mai 2021, n° 19-17.580
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Siac (SA)
Défendeur :
Renault (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
Me Haas, SCP Spinosi
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 février 2019), la Société industrielle automobiles du Comminges (la SIAC) exploitait, depuis 1964, une concession automobile de marque Renault. A la suite de l'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1400/2002 de la Commission du 31 juillet 2002, o concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile (le règlement CE n° 1400/2002), la SIAC et la société Renault ont conclu, le 11 juillet 2003, un o contrat de concession à durée indéterminée, qui recouvrait, à la fois, un contrat de distribution sélective qualitative portant sur les activités de réparation et vente de pièces détachées et un accord de distribution sélective quantitative pour la vente de véhicules neufs de marque Renault. Le 30 mai 2005, des contrats analogues ont été conclus entre ces sociétés concernant les véhicules de marque Dacia.
2. Le 4 décembre 2007, invoquant de faibles performances commerciales, la société Renault a résilié, avec un délai de préavis de deux ans, le contrat qui la liait à la SIAC pour la distribution et la réparation des véhicules de marque Renault.
3. La SIAC a alors mis la société Renault en demeure de lui faire signer un nouveau contrat pour la distribution des véhicules de cette marque et a ultérieurement réitéré sa candidature, rejetée par lettre du 8 juin 2009.
4. Invoquant différents manquements de la société Renault et soutenant avoir été évincée du réseau de façon injustifiée et avec un préavis insuffisant, la SIAC l'a assignée en paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. La SIAC fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que la législation de l'Union européenne sur la concurrence ne fait pas obstacle3 400 l'application d'une législation nationale poursuivant un objectif différent de la répression des pratiques anticoncurrentielles ; qu'en considérant, pour refuser d'examiner les demandes de la SIAC relatives au refus d'agrément au regard du droit interne, que la méthode de sélection de la société Renault était exonérée en application de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, cependant que les demandes de la SIAC, tendant à la mise en oeuvre de la responsabilité de la société Renault à la suite de son refus de l'agréer, n'étaient pas fondées sur le droit de la concurrence, mais sur la responsabilité délictuelle de droit commun du constructeur, dans ses seuls rapports avec la SIAC, la cour d'appel a violé l'article 3 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise o en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, et l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir énoncé que les accords de distribution sélective quantitative sont exonérés au titre de l'article 3, alinéa 2, du règlement (CE) n° 1400/2002 si la part de marché du fournisseur est inférieure à 40 % sur o le marché concerné, l'arrêt retient qu'il n'est pas contesté qu'en ce qui concerne la vente de véhicules neufs, la société Renault avait, au moment des faits, une part de marché très inférieure à 40 %, même en prenant en compte les autres marques qu'elle distribuait ou avec lesquelles elle entretenait des liens, cette part étant même inférieure à 30 %. Il en déduit que la validité du critère quantitatif critiqué par la SIAC et les circonstances dans lesquelles la société Renault s'est abstenue d'examiner sa candidature durant seize mois, sans lui opposer un refus explicite, sont indifférentes, en l'espèce, au vu des parts de marché de la société Renault, de sorte que son refus d'agrément, auquel s'applique le droit des ententes, doit être considéré comme exempté de plein droit et licite au regard des règles de concurrence. Il ajoute qu'à supposer que le système de distribution en cause ait été sélectif qualitatif et que les critères qualitatifs aient été appliqués de façon discriminatoire, sa part de marché étant inférieure à 30 %, le refus aurait été également exempté. Il énonce encore que le droit de l'Union s'appliquant, celui-ci prime sur le droit national en vertu de l'article 3-2 du règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002.
8. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, et dès lors que la SIAC invoquait, au soutien de sa demande, le caractère discriminatoire du refus qui avait été opposé à sa candidature au renouvellement de son agrément comme distributeur exclusif dans un réseau entrant dans le champ d'application du règlement (CE) n° 1400/2002, en contestant la pertinence des critères de sélection et les conditions de leur mise en oeuvre, c'est à bon droit et sans méconnaître l'article 3 du règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002, que la cour d'appel, en l'absence o d'invocation d'autres agissements relevant du droit de la responsabilité civile, a examiné le refus litigieux au seul regard du règlement (CE) n° 1400/2002, dont il relevait exclusivement.
Et sur le troisième moyen
Exposé du moyen
9. La SIAC fait le même grief à l'arrêt, alors : « 1°) que le délai de préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique du partenaire évincé, au moment de la notification de la rupture ; qu'en relevant, pour retenir que la SIAC n'était pas en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Renault et en déduire que le préavis de deux ans avait été suffisant, que la SIAC aurait pu se porter candidate pour conserver l'activité de réparateur agréé Renault et qu'elle aurait pu être réparateur ou revendeur d'autres marques, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des éléments postérieurs à la rupture, a violé l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce, dans sa version applicable au litige ; 2°) que le délai de préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique du partenaire évincé, au moment de la notification de la rupture ; qu'en relevant, que la SIAC n'était pas en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Renault de sorte que le préavis de deux ans avait été suffisant, après avoir constaté que la part de l'après-vente Renault dans son chiffre d'affaires était majoritaire et représentait 79 % de son résultat demi-net et qu'il est constant que la résiliation du contrat portait aussi bien sur la vente de véhicules neufs que sur le service après-vente Renault, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce, dans sa version applicable au litige ; 3°) que le juge, tenu de motiver sa décision, doit répondre aux conclusions des parties ; qu'en relevant, pour dire que la SIAC n'était pas en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Renault et en déduire que le préavis de deux ans avait été suffisant, que la SIAC aurait pu être réparateur ou revendeur d'autres marques, sans répondre aux conclusions d'appel de la SIAC selon lesquelles sur sa zone de chalandise étaient déjà présents des distributeurs d'autres marques de véhicules, telles que Peugeot et Citroën, ce qui compromettait ses chances de signer des contrats de distribution avec d'autres constructeurs, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. L'arrêt constate que la part de l'activité d'après-vente dans l'activité de la SIAC réalisée avec la société Renault représentait 79 % de son résultat demi-net, de sorte que la perte de vente de véhicules neufs Renault devait5 400 être relativisée, et retient que la SIAC aurait pu conserver l'activité de réparateur agréé des véhicules de cette marque, comme le lui avait indiqué la société Renault. Il relève également que la SIAC est restée distributeur de la marque Dacia et qu'elle pouvait commercialiser d'autres marques de véhicules, neufs ou d'occasion.
11. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la cour d'appel a apprécié l'état de dépendance économique de la SIAC en fonction de ses possibilités de reconversion dans une activité similaire à la sienne à la date de la rupture du contrat, peu important que la résiliation ait mis fin à toutes les activités exercées sous la marque Renault, cependant que la cour d'appel avait relevé qu'une partie de cette activité largement majoritaire dans ses relations avec la société Renault aurait pu être poursuivie, et dès lors que la SIAC n'exposait pas en quoi elle n'aurait pas eu, en outre, la possibilité de poursuivre son activité au profit d'autres marques que celles, françaises, déjà représentées dans son secteur géographique, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées invoquées par la troisième branche, a pu estimer que la durée de préavis accordée était suffisante.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS,
La Cour :
REJETTE le pourvoi.