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Décisions

ADLC, 22 décembre 2009, n° 09-DCC-86

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif de la société Monext Holding par le groupe Crédit Mutuel Arkéa

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Vice-présidente, Mme Aubert

ADLC n° 09-DCC-86

22 décembre 2009

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 19 novembre 2009, relatif à l’acquisition par le groupe Crédit Mutuel Arkéa du contrôle exclusif de la société Monext Holding, formalisée par un contrat d’achat de titres (securities purchase agreement), en date du 17 novembre 2009 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ; Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1.    Le groupe Arkéa réunit les Fédérations de Crédit Mutuel de Bretagne, du Sud Ouest et du Massif Central autour de la société Crédit Mutuel Arkéa (ancienne Caisse Interfédérale de Crédit Mutuel), contrôlée par les trois fédérations précitées. Le Crédit Mutuel Arkéa  (ci-après « Arkéa ») contrôle pour sa part une vingtaine de filiales dont les activités couvrent l’ensemble des métiers du secteur bancaire, financier, de l’assurance ainsi que de  l’immobilier.

2.    Le chiffre d’affaires total mondial hors taxes réalisé par le groupe Arkéa en 2008, dernier exercice clos, s’élève à 1,08 milliard d’euros, dont 1,07 milliards en France.

3.    Monext Holding détient l’intégralité du capital de la société Monext, créée à l’occasion de la prise de contrôle exclusif par Advent International des activités de paiement électronique d’Experian France,  cette  opération  ayant  été  autorisée  par  le  ministre  de  l’économie  le  5  septembre  20081.  Monext  offre  aux  établissements  financiers  un  ensemble  de services permettant l’émission et la gestion de cartes bancaires (crédit, débit, affaire,…). Elle propose également aux commerçants des solutions techniques couvrant tous les services de traitement des flux et d’acceptation de paiement.

4.    Le chiffre d’affaires total mondial hors taxes réalisé par Monext en 2008, dernier exercice clos, s’élève à 59,8 millions d’euros, exclusivement en France.

*          *          *

5.    En vertu du contrat d’achat de titres signé par les parties le 17 novembre 2009, Advent International s’est engagé à céder l’intégralité des actions et obligations de la société Monext Holding au Crédit Mutuel Arkéa.

6.    En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de la société Monext Holding par le Crédit Mutuel Arkéa, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce. Compte tenu des chiffres d’affaires des entreprises concernées, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils mentionnés par l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

7.    Le Crédit Mutuel Arkéa et la société Monext sont actifs dans le secteur des services de paiement électronique. Au sein de ce secteur les autorités de concurrence, nationales et communautaire, distinguent, à l’aval, les marchés de l’émission de cartes de paiement (« card issuing »)  des  marchés  de  l’acquisition  de  transactions  effectuées  par  des    commerçants équipés de systèmes de paiement par carte2. Symétriquement, à l’amont, la pratique décisionnelle opère une distinction entre les marchés de services administratifs et techniques permettant l’émission de cartes (« issuing processing ») et les marchés de services inhérents à l’acquisition des transactions effectuées par les commerçants (« acquiring processing »)3.

8.    Au cas d’espèce, Arkéa est actif sur les marchés aval de l’émission de cartes de paiement et  de l’acquisition de transactions. Pour sa part Monext est actif sur les marchés amont de prestations de services nécessaires à l’émission de cartes ainsi qu’à l’acquisition de transactions. Par conséquent, la présente opération n’emportant pas de chevauchement d’activité sur les différents marchés du secteur des paiements électroniques, ces derniers seront uniquement considérés au titre de l’analyse des effets verticaux.

 

A. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE PRODUITS

1.  LES MARCHÉS AVAL

a) Les marchés de l’émission de cartes de paiement

9.    Les autorités de concurrence, tant communautaire que nationales, considèrent que l’émission de cartes de paiement constitue un marché de produit distinct4. La Commission européenne5 a, en outre, envisagé une segmentation du marché de l’émission de cartes selon qu’il s’agit de cartes sélectives/privatives (valables auprès de certains commerçants seulement) ou générales (valables auprès de tous les commerçants utilisant ce moyen de paiement ainsi qu’auprès des bornes de retrait automatiques). La Commission s’est également interrogée sur une possible distinction entre cartes de paiement internationales et nationales ainsi que sur une    éventuelle segmentation du marché en fonction des utilisateurs finals à savoir particuliers, PME et grandes entreprises. Enfin, la Commission n’a pas tranché la question s’agissant d’une possible segmentation selon qu’il s’agit de cartes de débit ou de crédit.

10.   Au cas d’espèce, le groupe Arkéa émet uniquement des cartes de paiement dites générales.

b)  Les marchés de l’acquisition de transactions effectuées par des commerçants équipés de systèmes de paiement par carte

11.   L’activité d’acquisition consiste à passer des contrats avec des commerçants pour que ceux-ci puissent ensuite accepter les différentes cartes de paiement utilisées (par exemple « Visa »).

12.   La Commission européenne a envisagé6 une segmentation du marché de l’acquisition de transactions suivant qu’il s’agit du système « Visa » ou « EuroCard/MasterCard ».

13.   La partie notifiante considère en outre qu’il convient d’opérer une distinction selon que l’acquisition porte sur des transactions effectuées par des commerçants équipés de systèmes  de paiement par cartes interbancaires également dites générales (voir ci-avant) ou sélectives/privatives. De plus, selon les parties, le marché de l’acquisition de transactions doit être segmenté en fonction du type de transaction à savoir « physique » ou à distance sur Internet.

*          *          *

14.   En tout état de cause, la question de la délimitation exacte des marchés aval de l’émission de cartes de paiement et de l’acquisition de transactions peut demeurer ouverte, dans la mesure où quels que soient les critères de segmentation retenus, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.

 

2. LES MARCHÉS AMONT DE SERVICES ADMINISTRATIFS ET TECHNIQUES PERMETTANT L’ÉMISSION DE CARTES ET L’ACQUISITION DE TRANSACTIONS

15.   Les services administratifs et techniques permettant l’émission de cartes incluent l’ensemble des prestations orientées « utilisateurs » et notamment l’acheminement et le traitement technique de l’information relative aux ordres de transfert de paiement, l’autorisation de la transaction du côté de l’émetteur, les services de lutte anti-fraude, l’entretien des listes locales et internationales de blocage, ainsi que la vérification des limites de paiement. Les services propres à l’acquisition des transactions correspondent pour leur part aux prestations  orientées « commerçants » et qui comprennent, entre autres, la gestion de la transaction du côté de l’entité « acquéreuse ».

16.   La pratique décisionnelle communautaire considère, sans toutefois trancher la question, que les services administratifs et techniques permettant l’émission de cartes de paiement, d’une part, et ceux nécessaires à l’acquisition de transactions d’autre part, constituent deux marchés de produits distincts.

17.   Cette délimitation n’est pas remise en cause par les parties. Ces dernières considèrent cependant qu’il convient de distinguer les services liés à l’émission de cartes sélectives/privatives de ceux liés à l’émission de cartes interbancaires. De plus, s’agissant des services permettant l’acquisition de transactions, les parties estiment qu’il est pertinent d’opérer une distinction suivant la nature de la transaction à savoir physique ou à distance sur Internet.

18.   En tout état de cause, la question de la délimitation exacte des marchés amont de services administratifs et techniques permettant l’émission de cartes et l’acquisition de transactions peut demeurer ouverte, dans la mesure où quels que soient les critères de segmentation retenus, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.

 

B. DÉLIMITATION DES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

19.   Qu’il s’agisse des marchés aval de l’émission de cartes de paiement et de l’acquisition de transactions ou des marchés amont des services correspondants, les autorités de concurrence retiennent une dimension nationale7.

20.   S’agissant plus particulièrement des marchés amont, la Commission européenne a noté que la dimension de ces derniers tend à s’européaniser8. Les parties confirment cette analyse et considèrent que les marchés amont doivent être analysés au niveau européen en raison du projet de mise en place d’un espace unique de paiement en euros (projet SEPA (« Single EuroPayments Area »)) par les acteurs du secteur. Elles indiquent également que, s’agissant de ces marchés, l’autorité de concurrence allemande (le Bundeskartellamt) a retenu une dimension européenne9.

21.   En tout état de cause, la question de la délimitation géographique exacte des marchés aval de l’émission de cartes de paiement et de l’acquisition de transactions ou des marchés amont  des services correspondants peut demeurer ouverte, dans la mesure où quels que soient les critères de segmentation retenus, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.

 

III. Analyse concurrentielle

22.   Comme cela a été précisé ci-dessus, la présente opération n’emporte pas de chevauchement d’activité sur les marchés aval de l’émission de cartes de paiement et de l’acquisition de transactions, activités exercées par Arkéa, ou sur les marchés amont des services correspondants, sur lesquels est présente Monext. Ces marchés seront donc uniquement considérés au titre de l’analyse des effets verticaux.

23.   Une concentration verticale peut restreindre la concurrence sur les marchés amont lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des opérateurs actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. Une telle concentration peut également restreindre la concurrence sur les marchés aval lorsque la nouvelle entité active à l’amont, refuse de vendre ses produits aux acteurs présents à l’aval.

24.   La pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe ces risques d’effets verticaux lorsque la part de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %, par analogie avec l’analyse qui soutient le règlement CE n° 2790/99 relatif à l’application de l’article 81/3 du Traité CE, selon laquelle les clauses restrictives de concurrence passées entre un fournisseur et ses distributeurs n’ont pas d’effets sur la situation concurrentielle du marché si la part de marché du fournisseur n’excède pas 30 %.

25.   En ce qui concerne l’émission des cartes, à l’aval, sur les marchés nationaux de l’émission de cartes de paiement, quels que soient les critères de segmentation retenus, la part de marché du groupe Arkéa en 2008, qui émet principalement des cartes internationales de débit à destination des particuliers, demeure inférieure à [0-5] %10. Il peut être noté qu’Arkéa n’émet pas de cartes sélectives/privatives (valables auprès de certains commerçants seulement) mais uniquement des cartes dites générales (cf. paragraphe 9). Sur ce marché particulier, Arkéa est confronté à la concurrence des autres banques françaises telles que le Crédit Agricole (avec une part de marché de [20-30] %), le groupe Banque Populaire/Caisse d’Epargne ([20-30] %) ou encore la Société Générale ([10-20] %).

26.   A l’amont, sur les marchés nationaux des services administratifs et techniques permettant l’émission de cartes, la part de marché de la société Monext en 2008 est estimée à [30-40] % s’agissant des cartes dites générales. Sur ce marché, Monext doit faire face à la concurrence exercée notamment par Atos Worldline (avec une part de marché de [10-20] %) et Natexis paiement ([10-20] %). A titre surabondant, il peut être ajouté que la position de Monext sur le marché européen des services permettant l’émission de cartes (générales et sélectives/privatives) est, selon les estimations des parties, inférieure à [5-10] %.

27.   En ce qui concerne les marchés de l’acquisition, à l’aval, sur le marché national de l’acquisition de transactions effectuées par des commerçants équipés de systèmes de paiement par carte, la part de marché du groupe Arkéa est, selon les estimations des parties de [0-5] %. Sur ce marché, Arkéa est confronté à la concurrence de grands groupes bancaires tels que le Crédit Agricole (avec une part de marché estimée à [30-40] %) ou encore le groupe Banque Populaire/Caisse d’Epargne ([10-20] %).

28.   A l’amont, sur le marché national des services permettant l’acquisition de transactions, la part de marché de la société Monext est estimée à [20-30] %. Sur ce marché, la société Monext est soumise à la concurrence exercée notamment par Atos Wordline (avec une part de marché estimée à [40-50] %).

29.   Les parts de marché sur l’ensemble des marchés concernés, à l’aval comme à l’amont restent donc limitées et, en conséquence, il est peu probable qu’Arkéa ait la possibilité de restreindre le jeu de la concurrence sur l’un de ces marchés. De plus, l’opération ne peut priver les concurrents de Monext de débouchés dans la mesure où, antérieurement à la présente acquisition, l’ensemble des services permettant l’émission et l’acquisition de transactions était internalisé par Arkéa. En outre, il est peu probable que Monext cesse d’offrir ses services aux concurrents d’Arkéa puisqu’elle est liée à ses clients par des contrats de long terme. Enfin, les acteurs qui s’adressent à Monext sont, notamment, de grands établissements financiers qui ont toujours la possibilité, à l’image de la stratégie précédemment suivie par Arkéa, d’internaliser les services concernés.

30.   Au vu de ce qui précède, la présente opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux sur les marchés de l’émission de cartes de paiement, de l’acquisition de transactions et des services correspondants.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 09-0123 est autorisée.

 

 

 

 

 

1 Voir la lettre du ministre de l’économie n°C2008-98 du 5 septembre 2008.

2 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d’Épargne et Banque Populaire, la lettre du ministre de l’économie n°C2006-45 du 07 juillet 2006 relative à la création de NatIxis, ainsi que les décisions de la Commission européenne n°COMP/M.4316 – Atos Origin/Banksys/BCC du 29 septembre 2006 et n°COMP/M.4814 – AIB/FDC/JV du 11 janvier 2008.

3 Voir notamment les décisions de la Commission européenne n°COMP/M.4316 et n°COMP/4814 précitées.

4 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-16, la lettre du ministre de l’économie n°C2006-45ainsi que les décisions de la Commission européenne n°COMP/M.4316 et n°COMP/M.4814 précitées.

5 Voir notamment la décision de la Commission européenne n°COMP/M.3740 – BARCLAYS BANK/FÖRENINGSSPARBANKEN/JV du 02 juin 2005.

6 Voir notamment les décisions de la Commission européenne n°COMP/M.4316 et n°COMP/M.4814 précitées.

7 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-16, la lettre du ministre de l’économie n°C2006-45ainsi que les décisions de la Commission européenne n°COMP/M.4316 et n°COMP/M.4814 précitées.

8 Voir notamment la décision de la Commission européenne n°COMP/M.4316 précitée.

9 Voir la décision du Bundeskartellamt du 9 juin 2006, GZS/Telecach.

10 Les estimations de parts de marché fournies par les parties ont été calculée sur la base des chiffres de la Banque centrale européenne.