Livv
Décisions

ADLC, 6 juillet 2010, n° 10-DCC-75

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle conjoint de la société Ceritex par les groupes Faceo et Sofinord

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président, M. Lasserre

ADLC n° 10-DCC-75

6 juillet 2010

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 2 juin 2010, relatif à la prise de contrôle conjoint de la société Ceritex par les groupes Faceo et Sofinord, formalisée par un pacte d’associés signé le 22 février 2010; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ; Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

A. LES ENTREPRISES

1.    La société Sofinord est la holding de tête du groupe Sofinord. Ce dernier est principalement actif dans le domaine des prestations de service d’accueil en entreprise et de l’évènementiel. Le groupe Sofinord exerce également des activités dans le secteur de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers (ou « facility management ») et fournit notamment des prestations de service à la personne (dit « soft services »). Le capital de la  société Sofinord est intégralement détenu par la société Minh Cam, elle-même contrôlée exclusivement par monsieur X et sa famille, qui ne détiennent aucune autre entreprise.

2.    Le chiffre d’affaires total mondial hors taxes réalisé par le groupe Sofinord au 31 décembre 2008, dernier exercice clos, s’élève à [….] millions d’euros, dont [>50] millions d’euros en France.

3.    Faceo SAS est la société de tête du groupe Faceo, principalement actif dans le secteur de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers. La société Faceo est contrôlée exclusivement par Apax Partners & Cie (ci-après « Apax »), par le biais du fonds commun  deplacement à risques Apax France VII et de la société de capital risque Altamir Amboise  SCA1.

4.    Le chiffre d’affaires total mondial hors taxes réalisé par le groupe Apax en 2008, dernier exercice clos, s’élève à 5 milliards d’euros, dont 2,7 milliards d’euros en France.

5.    La société Ceritex intervient pour sa part dans le secteur de l’accueil physique et téléphonique en entreprises. Antérieurement à la présente opération, la capital de Ceritex  était intégralement détenu par monsieur X et sa famille2.

 

B. L’OPÉRATION

6.    La transaction concerne la souscription par voie d'une augmentation de capital en numéraire de 50 % du capital social et des droits de vote de Ceritex par Faceo. À l’issue de l’opération projetée, Ceritex sera détenue à hauteur de 50 % par Faceo et à hauteur de 50 % par monsieur X et sa famille. Compte tenu des droits spécifiques prévus par un pacte signé entre les parties le 22 février 2010, Ceritex sera alors contrôlée conjointement par les parties notifiantes.

*          *          *

7.    En ce qu’elle se traduit par le passage d’un contrôle exclusif de la société Ceritex par monsieur X et sa famille, à un contrôle conjoint de cette société par le groupe Faceo, d’une part, et monsieur X et sa famille, d’autre part, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce. Compte tenu des chiffres d’affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés par l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

8.    Sofinord et Ceritex sont présents avant l’opération sur le marché des prestations de services d’accueil en entreprises, situé en amont de celui de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers sur lequel opère Faceo. Ces deux marchés sont donc concernés par l’opération.

 

A. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE PRODUITS

1.  LE MARCHÉ DE LA GESTION TECHNIQUE ET ADMINISTRATIVE D’ENSEMBLES IMMOBILIERS

9.    L’autorité de la concurrence a relevé, dans ses précédentes décisions3, que la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers  (dit  « facility management »)  implique « le pilotage et la réalisation de divers services aux occupants (dits « soft services » en anglais) et aux bâtiments (dits « hard services » en anglais) d’un site d’entreprise ». Cette activité a ainsi pour vocation d'organiser et de mettre en œuvre les moyens permettant de fournir à l'entreprise une prestation cohérente, globale et adéquate pour traiter l'ensemble des problèmes de fonctionnement qui ne concernent pas son cœur de métier. Cette activité comporte trois domaines principaux : (i) la gestion de l’espace  et  des  infrastructures  (service  aux  bâtiments),  (ii)  la  gestion  des   personnes   et   de   leur   organisation   (service aux personnes) et (iii) le pilotage. Plus précisément, les services aux bâtiments recouvrent des prestations telles que la maintenance technique et la sécurité des sites, tandis que les services aux personnes recouvrent la gestion des commodités (salles de réunions, clés et badges, accueil, standard, gestion documentaire, etc.). Le pilotage consiste en la prise en charge de la coordination des sous-traitants intervenant sur le site et de la gestion budgétaire des charges d’exploitation correspondantes.

10.   La pratique décisionnelle communautaire4 et nationale5 des autorités de concurrence a considéré que cette activité pouvait constituer un marché pertinent. En effet, du côté de la demande, les clients souhaitent confier la gestion de plusieurs services à un interlocuteur unique. Du côté de l’offre, il existe des opérateurs spécialisés dans la fourniture d’une offre globale, tel que Faceo mais également Cofely et Dalkia. Ainsi, les contrats conclus entre un prestataire de gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers et un client sont, le plus souvent, des contrats multiservices incluant différents types de prestations et font généralement l’objet d’un appel d’offres stipulant les différentes prestations attendues.

11.   Toutefois, une segmentation de l’activité de gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers selon le type de services proposés a été envisagée (services aux bâtiments, services aux personnes, gestion et pilotage), dans la mesure où les opérateurs sont plus ou moins spécialisés sur certains services et où ces divers services requièrent des compétences différentes6.

12.   En outre, la pratique décisionnelle7 a envisagé une segmentation de l’activité de gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers suivant le secteur d’activité du client.

13.   S’agissant de la présente opération, l’analyse concurrentielle sera menée sur le marché global de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers ainsi que sur ses possibles segments selon le type de services et le secteur d’activité du client.

14.   Cependant, la question de la délimitation précise du marché de la gestion technique et administrative de bâtiments peut être laissée ouverte, dans la mesure où quelle que soit l’hypothèse retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeureront inchangées.

 

2. LE MARCHÉ DE L’ACCUEIL PHYSIQUE ET TÉLÉPHONIQUE EN ENTREPRISE

15.   L’entreprise commune intervient dans le secteur de l’accueil physique et téléphonique dans les entreprises. Les prestations ainsi délivrées par Ceritex peuvent être fournies à destination soit d’un client final, soit d’un opérateur du facility management sous-traitant ce type  services. Dans ce second cas, les prestations d’accueil physique et téléphonique en  entreprises, peuvent constituer un marché se situant à l’amont de l’activité de gestion technique et administrative de bâtiments.

16.   Toutefois, en l’absence de problème concurrentiel, la question relative à l’existence d’un marché de la prestation d’accueil physique et téléphonique en entreprise peut demeurer ouverte.

 

B.  DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE DES MARCHÉS

17.   Les autorités de concurrence communautaire8 et nationale9, tout en laissant la question ouverte, ont considéré que les marchés de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers pouvaient revêtir une dimension nationale.

18.   Les parties à la présente opération confirment cette délimitation en précisant que les opérateurs du secteur du facility management réalisent leurs prestations pour le compte de leurs clients à l'échelle nationale. Ainsi les contrats stipulent souvent des prestations à réaliser sur plusieurs sites, majoritairement localisés dans des départements ou régions différentes. À titre d'exemple, les parties indiquent que Faceo intervient sur l'ensemble du territoire national pour la totalité de ses clients.

19.   Sur le modèle de la délimitation retenue pour les marchés de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers, les parties proposent de retenir également une dimension nationale pour le marché de l’accueil en entreprise.

20.   En l’espèce, l’analyse concurrentielle tant sur les marchés de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers que sur le marché de l’accueil en entreprise sera menée au niveau national. Toutefois, en l’absence de problème concurrentiel, la question de la délimitation précise de ces marchés peut demeurer ouverte.

 

III. Analyse concurrentielle

21.   Les effets sur la concurrence de l’opération doivent être analysés du fait de la présence de l’entreprise commune sur un marché situé en amont de celui sur lequel opère une des maisons mères (effets verticaux), Ceritex ayant vocation à être active sur le marché de l’accueil dont l’un des débouchés est le marché du « facility management » sur lequel intervient Faceo.

22.   Par ailleurs, la présence simultanée des deux maisons mères, d’une part, sur le marché aval de celui sur lequel interviendra leur filiale commune et, d’autre part, sur des marchés situés en amont et en aval l’un de l’autre, peut faire naître un risque de coordination de leurs activités.

 

A. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX

23.   La pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe les risques d’atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux lorsque la part des entreprises concernées sur les marchés considérés ne dépasse pas 30 %10.

24.   En l’espèce, selon les estimations des parties notifiantes, le montant des ventes de prestations d’accueil physique et téléphonique en entreprise a représenté, en 2009, 304 millions d’euros11. Sur ce marché, la part de marché de Ceritex est estimée à [0-5 %].

25.   Par ailleurs, sur le marché aval de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers, estimé par les parties à 5,2 milliards d’euros en 200912, la position du groupe Faceo est de [5-10 %]. Sur le marché plus restreint des services aux occupants, estimé quant à lui à 1,7 milliards d’euros, la position de Faceo est de [5-10 %]. Il convient en outre d’ajouter que les opérateurs du secteur du faciliy management ne constituent pas les seuls débouchés à disposition des prestataires de services d’accueil en entreprise, ces derniers ayant la possibilité d’offrir directement leurs prestations aux clients finals.

26.   Par conséquent, à l’issue de l’opération projetée, les parties ne seront pas en mesure de verrouiller l’accès soit à la clientèle sur le marché final, soit aux services d’accueil en entreprise sur le marché situé à l’amont du facility management.

27.   Il découle de ce qui précède que l’opération notifiée n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés par le biais d’effets horizontaux ou verticaux.

 

B. RISQUE DE COORDINATION DES SOCIÉTÉS MÈRES

28.   La création d’une entreprise commune est susceptible d’inciter les sociétés mères à coordonner leurs comportements concurrentiels sur les marchés où elles sont actives. Ces risques de coordination entre maisons mères sont analysés par les autorités de concurrence au regard de trois critères cumulatifs : il faut qu’il existe un lien de causalité entre la création de l’entreprise commune et l’apparition de risques de coordination des sociétés-mère ou leur renforcement ; la coordination doit revêtir un certain degré de vraisemblance, c’est-à-dire doit être possible et présenter un intérêt économique pour les maisons-mère; cette coordination doit avoir un effet sensible sur la concurrence.

29.   En l’espèce, il convient de vérifier que l’opération n’est pas susceptible d’inciter les sociétés mères  à  coordonner  leur  comportement  concurrentiel,  premièrement,  en  raison  de leur présence simultanée sur le marché de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers et, deuxièmement, du fait de la présence de Sofinord sur le marché de l’accueil physique et téléphonique en entreprise, situé en amont du marché de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers.

30.   Sur le marché de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers, Sofinord et Faceo détiennent des parts de marché respectivement inférieures à 1 % et 6 %, que ce marché recouvre l’ensemble des services ou soit segmenté selon le type de service et le secteur d’activité. Par conséquent, une éventuelle coordination horizontale des sociétés mères sur ce marché n’est pas susceptible d’avoir d’effet sensible sur la concurrence.

31.   Sur le marché de l’accueil physique et téléphonique en entreprise, Sofinord détiendra une part de marché de [20-30 %] et Ceritex, leur filiale commune, de [0-5 %]. En conséquence, même si Sofinord était incitée à contracter de façon privilégiée avec Faceo, une offre alternative est disponible avec des concurrents tels que Penelope TEA (27 % de parts de marché), City One (11 %), Charlestown (10 %), Securitas Accueil (8 %), ou d’autres acteurs avec des positions plus réduites comme CC Team Aurore, 7 Accueil, Charleen ou ASC.

32.   Enfin, étant donné les parts de marché limitées des parties sur le marché de la gestion technique et administrative d’ensembles immobiliers, l’opération n’est pas susceptible de rendre plus difficile l’accès aux débouchés pour les concurrents de Sofinord.

33.   Il ressort des éléments qui précèdent que l’opération notifiée n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés du fait d’un risque de coordination du comportement concurrentiel des sociétés mères.

 

IV. Restrictions accessoires

34.   Les associés ont signé un pacte qui inclut différentes clauses d’exclusivité et de non- concurrence entre les sociétés mères et l’entreprise commune. Celles-ci peuvent être considérées comme directement liées et nécessaires à l’opération notifiée, à l’exception de l’interdiction faite à Faceo, pendant une période de 18 mois après avoir perdu sa qualité d’associé, d’acquérir une quelconque participation dans une société qui effectuerait des prestations de même nature que l’entreprise commune. Cette restriction n’est directement liée et nécessaire à l’opération que dans la limite où elle n’empêche pas Faceo d’acheter des parts sociales uniquement à des fins d’investissement, sans que cela lui confère, directement ou indirectement, des fonctions de direction ou une influence substantielle dans l’entreprise concurrente.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 10-0051 est autorisée.

 

 

 

 

 

 

 

1 Voir la lettre du ministre de l’économie n°C2007-130 du 25 septembre 2007. Il convient cependant de préciser que le groupe Vinci a notifié le 22 juin 2010 à L’Autorité de la concurrence le projet de prise de contrôle exclusif du groupe Faceo.

2 66 % du capital de la société Ceritex était indirectement détenu par monsieur X et sa famille, via la société Sofinord.

3 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-19 du 20 juillet 2009 et n°09-DCC-33 du 30 juillet 2009 ainsi que la lettre du ministre de l’économie, de l’emploi et des finances n°C2007-130 du 25 septembre 2007.

4 Décisions de la Commission européenne COMP/M.2063 SEI Mitsubishi Electric/JV du 21 août 2000 et COMP/M.3172 Ferrovial/Amy du 27 mai 2003.

5 Décisions de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-19 du 20 juillet 2009 et n°09-DCC-33 du 30 juillet 2009. 6 Décisions de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-19 du 20 juillet 2009 et n°09-DCC-33 du 30 juillet 2009. 7 Décisions de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-19 du 20 juillet 2009 et n°09-DCC-33 du 30 juillet 2009.

8 Décisions de la Commission européenne COMP/M.2063 et COMP/M.3172 précitées.

9 Décisions de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-19 du 20 juillet 2009 et n°09-DCC-33 du 30 juillet 2009.

10 Voir les Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, paragraphe 400.

11 Source : Guide Facilities 2010.

12 Source : Etude Eurostaf : le marché français du facilities management, 2009.