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Décisions

ADLC, 16 septembre 2010, n° 10-DCC-108

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle par Distribution Casino France de deux fonds de commerce

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Vice-présidente, Mme Aubert

ADLC n° 10-DCC-108

16 septembre 2010

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 12 août 2010, relatif à la prise de contrôle par la société Distribution Casino France de deux fonds de commerce, formalisée par le protocole d’accord cadre concernant la cession de deux fonds de commerce de supermarché et de station service du 30 juillet 2010 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1.    La société Distribution Casino France (ci-après « DCF ») est une filiale du groupe Casino Guichard Perrachon (ci-après « groupe Casino ») exerçant une activité de distribution à dominante alimentaire. Le groupe Casino gère un parc de plus de 10 000 magasins (hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité, magasins discompteurs) sous les enseignes Casino, Franprix, Spar, Vival, et Leader Price. Le groupe Casino exerce également avec le groupe Galeries Lafayette un contrôle conjoint sur le groupe Monoprix. Il est en outre présent dans le secteur de la distribution sur internet de produits non alimentaires avec l’enseigne Cdiscount. Le groupe Casino est contrôlé directement et indirectement par la société Euris, elle-même contrôlée par M. Jean-Charles Naouri. Son chiffre d’affaires total mondial hors taxes en 2009 s’est élevé à 26,7 milliards d’euros, dont 17,6 milliards d’euros en France.

2.    Les deux cibles de l’opération sont deux points de vente exploités sous l’enseigne Simply Market, elle-même enseigne du groupe ATAC (ci-après « ATAC »). ATAC est une société d’exploitation de supermarchés à vocation principalement alimentaire. Le premier point de vente  est  un  hypermarché  de  2 718 m²  situé  à  Salaise-sur-Sanne  dans  le  département de l’Isère. Le second point de vente est un supermarché de 1 119 m² situé à Feurs dans le département de la Loire. Le chiffre d’affaires des deux points de vente pris ensemble s’est élevé en 2009 à près de 25 millions d’euros réalisés quasi exclusivement en France. L’opération, formalisée par un protocole d’accord cadre en date du 30 juillet 2010, vise également l’acquisition des deux ensembles immobiliers y afférant, composés d’une galerie commerciale pour le site de Salaise-sur-Sanne et de terrains cadastrés en dépendant pour les deux sites.

3.    En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle des fonds de commerce cibles, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce. Compte tenu des chiffres d’affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle applicables au commerce de détail mentionnés au point II de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

4.    Selon la pratique constante des autorités nationale et communautaire de la concurrence, deux catégories de marchés peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire. Il s’agit d’une part des marchés « aval », de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d’autre part, des marchés « amont » de l’approvisionnement des entreprises de commerce de détail en biens de consommation courante, de dimension nationale.

 

A. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION ALIMENTAIRE

1.  LES MARCHÉS DE SERVICE

8.    En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, les autorités de concurrence, tant communautaire que nationales1, ont distingué six catégories de commerce  en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente,  leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i)   les hypermarchés, (ii) les supermarchés, (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail, (v) les maxi discompteurs, (vi) la vente par correspondance.

9.    Les hypermarchés sont usuellement définis comme des magasins à dominante alimentaire d’une surface de vente égale ou supérieure à 2 500 m². Les supermarchés sont usuellement définis comme ayant une surface de vente inférieure à 2 500 m² et supérieure à 400 m²2. Il convient cependant de rappeler que ces seuils doivent être utilisés avec précaution, et peuvent être adaptés au cas d’espèce, compte-tenu du fait que des magasins dont la surface est située à proximité d’un seuil, soit en-dessous, soit au-dessus, peuvent se trouver en  concurrence directe dans les faits.

10.   En l’espèce, le magasin situé à Salaise-sur-Sanne occupe une surface de vente de 2 686 m² et entre dans la catégorie des hypermarchés. Le magasin de Feurs, avec 1 117 m², est un supermarché.

 

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

11.   Dans ses décisions récentes relatives à des opérations concernant des hypermarchés ou des supermarchés, l’Autorité de la concurrence a rappelé que deux types de marchés sont usuellement distingués, sur la base des zones de chalandise3 :

-   un premier marché où se rencontrent la demande des consommateurs d’une zone et l’offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux ;

-   un second marché où se rencontrent la demande de consommateurs et l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes, situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs.

12.   D’autres critères peuvent néanmoins être pris en compte pour évaluer l’impact d’une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner, au cas d’espèce, les délimitations usuelles présentées ci-dessus. Le ministre de l’économie4 a ainsi relevé que peut exister une certaine concurrence entre des supermarchés, voire des supérettes, et des hypermarchés. Ces derniers sont en effet considérés comme des concurrents directs des supermarchés dans le cas où ils sont implantés dans la zone de chalandise du supermarché concerné.

 

B.  MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

13.   En ce qui concerne les marchés « amont » de l’approvisionnement, la Commission, dans sa décision M. 2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000, a constaté que ces marchés comprennent « la vente de biens de consommation courante par les producteurs à des clients tels que les grossistes, les détaillants ou d’autres entreprises (par exemple les cafés, hôtels, restaurants). La Commission a admis que c’est une répartition du marché par groupe de produits qui est généralement considérée comme la meilleure »5. La pratique décisionnelle française retient cette définition6.

14.   En ce qui concerne la dimension géographique de ces marchés de l’approvisionnement, la Commission européenne a retenu l’existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales7.

15.   Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l’occasion de la présente décision.

 

III. Analyse concurrentielle

16.   L’analyse concurrentielle est conduite à partir des localisations et surfaces de vente de magasins fournies par les parties.

17.   S’agissant de l’hypermarché situé à Salaise-sur-Sanne, le premier marché aval, comprenant les hypermarchés situés dans une zone de chalandise de 30 minutes autour de Salaise-Sur- Sanne, représente une surface de vente commerciale de plus de 20 000 m². Avec 2 718 m², la part de marché de l’hypermarché Simply Market de Salaise-Sur-Sanne s’élève à un peu plus de 13 %. Un hypermarché à l’enseigne Géant Casino est présent dans cette zone, représentant une surface de vente de 5 200 m², soit 25,5 % du total sur cette zone. La part de marché cumulée du groupe Casino s’élèvera ainsi après l’opération, avec une surface de vente commerciale 7 918 m², à près de 39 %.

18.   Cette part de marché doit cependant être relativisée compte tenu de la présence d’hypermarchés concurrents situés à proximité du magasin concerné par l’opération. Ainsi, deux hypermarchés, un à l’enseigne Carrefour de 4 800 m² (soit 23 % du marché concerné) et un autre à l’enseigne Intermarché de 2 600 m² (soit 13 % du marché concerné), se situent directement aux abords de la route nationale n° 7 dans la zone de chalandise retenue. Un autre hypermarché à l’enseigne Intermarché de 2 600 m² (soit une part de marché de 13 %) se  trouve à proximité immédiate de la route nationale et de la ville de Salaise-Sur-Sanne elle- même. Enfin, un quatrième hypermarché de 2 500 m² à l’enseigne Leclerc (représentant une part de marché de plus de 12 %) est situé dans la ville de Saint Clair de Rhône, incluse dans la zone de chalandise.

19.   Sur le second marché aval comprenant l’ensemble des hypermarchés, supermarchés et magasins discounters situés dans un rayon de 15 minutes de trajet autour de Salaise-Sur- Sanne, la surface de vente des magasins du groupe Casino présents dans cette zone représente un peu plus de 19 % du total. Sont également présents dans cette zone plusieurs hypermarchés, supermarchés et maxi-discompteurs aux enseignes des groupes Carrefour, Intermarché, Lidl et Aldi.

20.   S’agissant du supermarché situé à Feurs, le groupe Casino n’est présent, antérieurement à l’opération, sur la zone de chalandise constituée d’un rayon de 15 minutes de trajet autour de cette ville, que par l’intermédiaire de deux supérettes représentant respectivement 2 % et 1 % du marché. Après l’acquisition du supermarché Simply Market, la part de marché cumulée du groupe Casino sera de 13 %. Sont également présents sur cette zone un hypermarché Carrefour de 6 120 m², soit plus de 50 % du marché considéré, un supermarché Intermarché de 1 800 m², soit 15 % du marché, un supermarché Carrefour de 1 200 m², soit 10 % du marché et deux maxi-discompterus, Lidl et Aldi, représentant respectivement 8 % et 3 % du marché.

21.   Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés aval de la distribution à dominante alimentaire concernés.

22.   En ce qui concerne les marchés amont de l’approvisionnement, l’opération, limitée à deux magasins, n’est pas susceptible de renforcer significativement la puissance d’achat du groupe Casino au niveau national, tous produits confondus comme par grands groupes de produits.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 10-0134 est autorisée.

 

 

 

1 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-58 du 15 juin 2010 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Isoma SAS par la société ITM Entreprises ; la décision n° 09-DCC-04 du 29 avril 2009 relative à la prise de contrôle de la société Noukat par la société d’Exploitation Amidis & Cie SAS, filiale du Groupe Carrefour.

2 Voir par exemple la décision de la Commission européenne du 4 avril 2006 COMP/M. 4096 – Carrefour/Hyparlo.

3 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-24 du 23 juillet 2009 Floritine/C.S.F ; 09-DCC-10 du 28 mai 2009 Frandis/Financière Perdis ; 09-DCC-06 du 20 mai 2009 Evolis/ITM ; 09-DCC-04 du 29 avril 2009 précitée.

4 Voir la lettre du ministre de l’économie des finances et de l’industrie C2005-92 du 9 septembre 2005, aux conseils du groupe Casino et de la Famille Baud, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire.

5 Voir notamment les décisions de la Commission européenne M. 1221 Rewe/Meinl du 3 février 1999 et M. 1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000.

6 Voir notamment les décisions du ministre C2005-98, Carrefour/Penny Market du 10 novembre 2005, C2006-15 Carrefour/Groupe Hamon du 14 avril 2006, C2007-172 relatif à la création de l’entreprise commune Plamidis du 13 février 2008, C2008-32 Carrefour/SAGC du 9 juillet 2008 et les décisions de l’Autorité n° 09-DCC-06 du 20 mai 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Evolis S.A.S. par la société ITM Entreprises et n° 09-DCC-10 du 28 mai 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Frandis par la société Financière Perdis.

7 Voir notamment les décisions précitées du ministre C2005-98, C2006-15, C2007-172, C2008-32 et les décisions de l’Autorité n° 09-DCC- 06 et n° 09-DCC-10