Livv
Décisions

ADLC, 14 septembre 2010, n° 10-DCC-121

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle par la société d’exploitation Amidis et Compagnie des sociétés Gemila&Cie et Rotonde

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Vice-présidente, Mme Aubert

ADLC n° 10-DCC-121

14 septembre 2010

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 10 août 2010, relatif à la prise de contrôle par la société d’exploitation Amidis et Compagnie des sociétés Gemila&Cie et Rotonde, formalisée par le compromis de cession de droits sociaux sous conditions suspensives ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1.    La société d’exploitation Amidis et Compagnie (ci-après « Amidis ») est une société par actions simplifiées, filiale du groupe Carrefour. Le groupe Carrefour est un groupe français de distribution à dominante alimentaire exploitant des magasins de commerce de détail. En France, il exploite des hypermarchés sous enseignes Carrefour et Champion et des supermarchés sous enseignes Champion et Carrefour Market. Le groupe Carrefour prévoit le remplacement progressif de l’enseigne Champion par l’enseigne Carrefour ou Carrefour Market. Il exploite également des magasins de proximité sous enseignes Shopi, 8 à huit, Marché Plus et Proxi, ainsi que des magasins discompteurs sous enseignes ED et Dia. En 2009, le groupe Carrefour a réalisé un chiffre d’affaires total mondial hors taxes d’environ    86 milliards d’euros, dont environ 34 milliards d’euros en France.

2.    Les cibles de l’opération sont les sociétés Gemila&Cie et Rotonde. Gemila&Cie (ci-après « Gemila ») est une société civile d’investissement ayant pour activité la détention et la gestion de valeurs mobilières et l’exploitation de biens et droits immobiliers. Son capital est entièrement détenu par trois membres de la famille Lamige. Gemila ne détient qu’une unique participation,  c’est-à-dire  12 %  du  capital  de  la  société  Rotonde.  La  société  par  actions simplifiées Rotonde (ci-après « Rotonde ») a pour activité l’exploitation d’un fonds de commerce de type supermarché d’une surface de vente de 2 000 m² sous l’enseigne Champion ou tout autre enseigne du groupe Carrefour, et d’une station service y attenant, situé à Aytre dans le département de la Charente-Maritime. Ce magasin a obtenu l’autorisation par la Commission départementale d’équipement commercial d’étendre la surface de vente de 494 m², afin de porter celle-ci à 2 494 m². Le capital de Rotonde est réparti entre M. Eric Lamige (avec 38 % du capital), Profidis (une filiale du groupe Carrefour, avec 45 % du capital), Amidis (5 % du capital) et Gemila (12 % du capital). Rotonde est ainsi détenue à parts égales par les consorts Lamige et par le groupe Carrefour. En 2009, les sociétés cibles ont réalisé un chiffre d’affaires mondial et français hors taxe de 22 millions d’euros environ.

4. En vertu des statuts de la société Rotonde, les consorts Lamige et le groupe  Carrefour exercent sur elle un contrôle conjoint. Au terme de l’opération, Amidis acquerra l’intégralité du capital de la société Gemila et les 38 % du capital de Rotonde détenus jusque là par M. Eric Lamige. La totalité du capital de Gemila et de Rotonde sera ainsi indirectement détenue par le groupe Carrefour.

5.  En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle de Gemila et par le passage d’un contrôle conjoint à un contrôle exclusif de la société Rotonde, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce. Compte tenu des chiffres d’affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle applicables au commerce de détail mentionnés au point II de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

1. Les parties sont simultanément actives dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire dans le département de la Charente-Maritime.

2. Selon la pratique constante des autorités nationale et communautaire de la concurrence, deux catégories de marchés peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire. Il s’agit d’une part des marchés « aval », de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d’autre part, des marchés « amont » de l’approvisionnement des entreprises de commerce de détail en biens de consommation courante, de dimension nationale.

 

A.  MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION ALIMENTAIRE

1. LES MARCHÉS DE SERVICE

8.    En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, les autorités de concurrence, tant communautaire que nationales1, ont distingué six catégories de commerce  en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente,  leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i)  les hypermarchés, (ii) les supermarchés, (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail, (v) les maxi discompteurs, (vi) la vente par correspondance.

9.    Les hypermarchés sont usuellement définis comme des magasins à dominante alimentaire d’une surface de vente égale ou supérieure à 2 500 m². Les supermarchés sont usuellement définis comme ayant une surface de vente inférieure à 2 500 m² et supérieure à 400 m²2. Il convient cependant de rappeler que ces seuils doivent être utilisés avec précaution, et peuvent être adaptés au cas d’espèce, compte-tenu du fait que des magasins dont la surface est située à proximité d’un seuil, soit en-dessous, soit au-dessus, peuvent se trouver en  concurrence directe dans les faits.

10.   En l’espèce, le magasin objet de l’opération occupe une surface de vente actuelle de 2 000 m² et entre dans la catégorie des supermarchés. Cependant, en raison de la proximité de la surface de vente avec le seuil distinguant les supermarchés des hypermarchés, notamment après la mise en œuvre de l’extension de 494 m² de la surface de vente, il sera tenu compte dans l’analyse concurrentielle du fait que le magasin Champion concerné peut être en concurrence directe avec les hypermarchés de la zone.

 

2. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

11.   Dans ses décisions récentes relatives à des opérations concernant des hypermarchés ou des supermarchés, l’Autorité de la concurrence a rappelé que deux types de marchés sont usuellement distingués, sur la base des zones de chalandise3 :

-   un premier marché où se rencontrent la demande des consommateurs d’une zone et l’offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux ;

-   un second marché où se rencontrent la demande de consommateurs et l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes, situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs.

12.   D’autres critères peuvent néanmoins être pris en compte pour évaluer l’impact d’une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner, au cas d’espèce, les délimitations usuelles présentées ci-dessus.

13.   Dans le cas d’espèce, la densité géographique de l’offre dans la zone concernée et la  proximité de la surface de vente du magasin cible à celle habituellement reconnue aux hypermarchés conduit à simultanément analyser une zone de chalandise de 15 minutes autour de Aytre comprenant à la fois les hypermarchés, les supermarchés et les discompteurs ainsi qu’une zone de chalandise de 30 minutes autour de la ville de Aytre retenant la présence d’hypermarchés.

 

B. MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

14.   En ce qui concerne les marchés « amont » de l’approvisionnement, la Commission, dans sa décision M. 2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000, a constaté que ces marchés comprennent « la vente de biens de consommation courante par les producteurs à des clients tels que les grossistes, les détaillants ou d’autres entreprises (par exemple les cafés, hôtels, restaurants). La Commission a admis que c’est une répartition du marché par groupe de produits qui est généralement considérée comme la meilleure »4. La pratique décisionnelle française retient cette définition5.

15.   En ce qui concerne la dimension géographique de ces marchés de l’approvisionnement, la Commission européenne a retenu l’existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales6.

16.   Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l’occasion de la présente décision.

 

III. Analyse concurrentielle

17.   L’analyse concurrentielle est conduite à partir des localisations et surfaces de vente de magasins fournies par les parties.

18.   Le marché comprenant l’ensemble des hypermarchés, supermarchés, magasins discompteurs situés dans un rayon de 15 minutes de trajet autour de Aytre représente une surface de vente de plus de 47 500 m². Avec 2 494 m², le magasin cible sous enseigne Champion représente  5,2 % du marché. Avec les autres magasins du groupe situés sur cette zone, la part de marché du groupe s’élèvera à 45,5 %.

19.   Sur cette zone de 15 minutes sont situés deux hypermarchés du groupe Leclerc (représentant 21 % des surfaces de vente), trois supermarchés et un  discompteur du groupe  Intermarché (13 % des surfaces de vente) et deux supermarchés et deux discompteurs du groupe Casino (10 % des surfaces de vente).

20.   Le marché comprenant uniquement les hypermarchés situés dans une zone de chalandise de

30 minutes  autour  de  Aytre,  représente  une  surface  de  vente  commerciale  de  plus  de  45 000 m². Avec 2 494 m², la surface de vente du magasin cible représentera environ 5,5 % de ce total. Outre la cible, trois hypermarchés sous enseigne Carrefour sont présents dans cette zone. Ils représentent ensemble une surface de vente de 17 838 m². Avec une surface de vente d’environ 20 000 m², la part de marché cumulée des magasins sous enseignes du groupe Carrefour sera de près de 45 %.

21.   Dans la zone de chalandise considérée, le groupe Carrefour doit en outre faire face à la concurrence d’hypermarchés concurrents appartenant à des groupes importants tels que le groupe Leclerc (34 % des surfaces de vente), le groupe Super U (12 % du marché) et le  groupe Intermarché (9 % du marché).

22.   En ce qui concerne les marchés amont de l’approvisionnement, l’opération, limitée à un magasin, n’est pas susceptible de renforcer significativement la puissance d’achat du groupe Carrefour au niveau national, tous produits confondus comme par grands groupes de produits.

 

DÉCIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 10-0129 est autorisée.

 

 

 

 

 

 

1 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-58 du 15 juin 2010 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Isoma SAS par la société ITM Entreprises ; la décision n° 09-DCC-04 du 29 avril 2009 relative à la prise de contrôle de la société Noukat par la société d’Exploitation Amidis & Cie SAS, filiale du Groupe Carrefour.

2 Voir par exemple la décision de la Commission européenne du 4 avril 2006 COMP/M. 4096 – Carrefour/Hyparlo.

3 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-24 du 23 juillet 2009 Floritine/C.S.F ; 09-DCC-10 du 28 mai 2009 Frandis/Financière Perdis ; 09-DCC-06 du 20 mai 2009 Evolis/ITM ; 09-DCC-04 du 29 avril 2009 précitée.

4 Voir notamment les décisions de la Commission européenne M. 1221 Rewe/Meinl du 3 février 1999 et M. 1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000.

5 Voir notamment les décisions du ministre C2005-98, Carrefour/Penny Market du 10 novembre 2005, C2006-15 Carrefour/Groupe Hamon du 14 avril 2006, C2007-172 relatif à la création de l’entreprise commune Plamidis du 13 février 2008, C2008-32 Carrefour/SAGC du  9 juillet 2008 et les décisions de l’Autorité n° 09-DCC-06 du 20 mai 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Evolis S.A.S. par la société ITM Entreprises et n° 09-DCC-10 du 28 mai 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Frandis par la société Financière Perdis.

6 Voir notamment les décisions précitées du ministre C2005-98, C2006-15, C2007-172, C2008-32 et les décisions de l’Autorité n° 09-DCC- 06 et n° 09-DCC-10.