ADLC, 18 novembre 2010, n° 10-DCC-164
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif de IOSIS Holding par EGIS SA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président, M. Lasserre
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 12 octobre 2010, relatif à la prise de contrôle exclusif par Egis SA de Iosis Holding, formalisée par un avenant au pacte d’associé entre Iosis et Egis en date du 9 novembre 2009 signé le 12 octobre 2010 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Egis SA, société anonyme, est la société de tête du groupe Egis (ci-après « le groupe Egis ») qui est actif dans les secteurs de l’ingénierie et du conseil dans les domaines des infrastructures et des systèmes pour les transports, l’aménagement, l’eau et l’environnement, ainsi qu’en matière de montage de projets et d’exploitation routière et aéroportuaire. Egis SA est détenue à 100 % par la Caisse des Dépôts et Consignations (ci-après « CDC »).
2. La CDC est un établissement public, régi par les articles L. 518-2 et suivants du code monétaire et financier, qui remplit des missions d’intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l’Etat et les collectivités locales et qui exerce des activités ouvertes à la concurrence. Celles-ci sont regroupées autour de cinq pôles : (i) l’assurance de personnes, (ii) l’immobilier, et notamment l’assistance à maîtrise d’ouvrage, directement et par l’intermédiaire d’Icade, de la Société Nationale Immobilière (ci-après « SNI ») et de Socotec (iii) les services, (iv) le développement de PME et le capital investissement et (v) l’environnement.
3. Iosis Holding, société par actions simplifiée, est la société de tête du groupe Iosis (ci-après, « le groupe Iosis»), qui est actif dans le secteur de l’ingénierie et des études techniques, notamment en matière d’ingénierie en bâtiment et d’ingénierie nucléaire. IOSIS Holding est détenue à 100 % par Iosis, société par actions simplifiée (ci-après « Iosis »). Le groupe Iosis est constitué de 25 filiales détenues entre 99 et 100 % par Iosis Holding, ainsi que par Iosis Industries, détenue à 66 % par Iosis Holding, et ses filiales.
4. Par un protocole de cession en date du 9 octobre 2009, Egis SA a acquis 34 % du capital de Iosis Holding auprès de la société Iosis, qui en détient le solde. A cette occasion, un pacte d’associés a été signé entre Iosis Holding et Egis SA (ci-après « le pacte d’associés »). Ce pacte attribue une option de vente au bénéfice d’Iosis, qui a ainsi la possibilité d’exiger d’Egis SA qu’elle acquière, en une ou plusieurs fois, tout ou partie de ses titres de propriété dans Iosis Holding. Le 1er octobre 2010, l’assemblée générale d’Iosis a décidé de lever cette option, ce dont le conseil d’administration d’Egis SA a pris acte le même jour. Un avenant au pacte d’associés a donc été signé le 12 octobre 2010, qui prévoit les modalités de réalisation de l’opération, si elle advient avant le 15 décembre 2010. A l’issue de l’opération, Egis SA détiendra ainsi 100 % du capital et des droits de vote de Iosis Holding.
5. En ce qu’elle se traduit par une prise de contrôle exclusif du groupe Iosis par Egis, l’opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (CDC : […] milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2009 ; groupe Iosis : 161,46 millions d’euros pour la même année). Chacune réalise, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (CDC : […] milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2009 ; groupe Iosis : 135 millions d’euros pour la même année). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE SERVICES CONCERNÉES
7. Les parties sont simultanément présentes dans le secteur de l’ingénierie et des études techniques, qui englobe l’ensemble des opérations de conception et d’assistance à la réalisation d’équipements à dominante industrielle. Ce secteur recouvre de nombreux domaines d’activités tels que l’industrie, l’énergie, le transport, l’environnement, le BTP et les services publics1.
8. Les autorités de concurrence, tant française2 que communautaire3, ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur des opérations de concentration dans le domaine des services en ingénierie et études techniques, qui recouvrent l’ensemble des prestations fournies à chaque étape de la conduite de projets recouvrant l’ensemble du cycle de vie (R&D, développement, ingénierie et process, réalisation, exploitation et maintenance)4. Elles n’ont toutefois pas tranché la question de l’existence d’éventuels marchés distincts en fonction des secteurs d’activité où sont réalisées les prestations.
9. En l’espèce, les domaines d’activités des parties se chevauchent principalement sur le segment des activités d’ingénierie d’infrastructure à travers le groupe Egis, le groupe Iosis et une filiale de la CDC (Transamo), d’une part, et sur celui de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage à travers le groupe Egis, le groupe Iosis et trois filiales directes ou indirectes de la CDC (Icade, SNI et Socotec), d’autre part.
10. Une première segmentation de ce secteur, consistant à définir un marché de l’ingénierie d’infrastructure, c'est-à-dire la mise au point des produits et techniques du bâtiment, des travaux publics et de l’aménagement de réseaux, est mise en exergue par les parties qui distinguent ces services des prestations d’ingénierie des process industriels. Cette segmentation a été envisagée par la pratique communautaire sans que celle-ci ne tranche la question5. L’existence d’un deuxième segment, consistant dans le marché de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, a également été envisagée par la pratique, la question restant également ouverte6. Ces activités consistent à intervenir à tout stade d’un projet, de l'étude de faisabilité (stade initial du projet) à la réception de l'ouvrage (stade terminal du projet), et à l’appui au maitre d’ouvrage.
11. Au cas d’espèce, la délimitation des marchés de service peut être laissée ouverte dans la mesure où la conclusion de l’analyse concurrentielle demeure inchangée quelles que soient les délimitations retenues.
B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
12. S’agissant du marché de l’ingénierie et des études techniques, le ministre de l’économie a relevé dans une décision du 29 avril 2003, que « sur le plan géographique, il convient de constater qu’en matière d’ingénierie, la dimension du marché dépend fortement du type de clientèle et de l’ampleur et de la complexité des missions à accomplir (…) »7. En l’espèce, les opérateurs du marché proposent une offre de services large, leur permettant d’intervenir par le biais de réseaux d’envergure nationale sur des marchés de tailles variées. L’analyse sera donc menée au niveau national.
13. S’agissant d’un marché de l’ingénierie d’infrastructure, la Commission européenne a envisagé qu’il soit de dimension européenne, sans toutefois trancher sa délimitation exacte8. Néanmoins, en l’espèce, les parties sont en mesure d’intervenir sur l’ensemble du territoire national et sont confrontées à la concurrence d’acteurs de dimension au moins nationale. L’analyse sera donc menée au niveau national.
14. Enfin, le marché de l'assistance à maîtrise d'ouvrage est un marché de dimension nationale, car les principaux opérateurs interviennent par le biais de réseaux d’envergure nationale leur permettant de répondre à la demande en tout point du territoire9.
III. Analyse concurrentielle
A. EFFETS HORIZONTAUX
15. En matière d’ingénierie et d’études techniques l’offre est hétérogène et atomisée : selon les statistiques de l’Insee, plus de 33 000 entreprises interviennent sur ce secteur, dont environ 27 700 ont moins de 10 salariés10. Parmi les opérateurs dont l’ingénierie constitue l’activité principale, on compte des filiales spécialisées appartenant à de grands groupes industriels ainsi que des bureaux d’études de taille variable. A cet égard, les données de l’Insee montrent que, en France, les entreprises de moins de 250 salariés représentent les deux tiers du chiffre d’affaires réalisé dans ce secteur.
16. Sur le marché national de l’ingénierie et des études techniques, tous domaines d’activité confondus, les parties ont estimé leurs parts de marché à partir des statistiques de l’Insee à [0- 5] % pour la CDC et [0-5] % pour le groupe Iosis, soit une part de [0-5] % pour la nouvelle entité. Comme indiqué, celle-ci restera par ailleurs confrontée à la concurrence de nombreuses entreprises. Eu égard à la faiblesse de parts de marché de la nouvelle entité et à la structure de la concurrence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de l’ingénierie et des études techniques.
17. En ce qui concerne le segment de l’ingénierie d’infrastructure, où le groupe Egis, le groupe Iosis et Transamo sont simultanément actifs, les parties ont estimé leurs parts de marché à respectivement [5-10] %, [0-5] % et [0-5] %, soit [5-10] % pour la nouvelle entité. Sur ce segment, la nouvelle entité restera en outre confrontée à la concurrence de nombreux opérateurs importants tels que SNC Lavallin ([10-20] %), Degremont SAS ([5-10] %), Ginger ([0-5] %), Ingerop ([0-5] %) et Technip ([0-5] %). L’opération n’est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de l’ingénierie d’infrastructure.
18. En ce qui concerne enfin le segment de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, les parties estiment la part de marché de la CDC à [10-20] % et celle du groupe Iosis à [0-5] %, soit [10-20] % au total. L’incrément qui résultera de l’opération sera donc limité. De plus, sur ce marché, les principaux concurrents des parties sont les principaux bureaux de contrôle (tel que Bureau Véritas par exemple) et les principaux ingénieristes (tel que Coteba par exemple).
19. L’opération envisagée n’est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.
B. EFFETS VERTICAUX
20. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence sur les marchés amont lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des opérateurs actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. Une telle concentration peut également restreindre la concurrence sur les marchés aval lorsque la nouvelle entité active à l’amont, refuse de vendre ses produits aux acteurs présents à l’aval.
21. En l’espèce, certaines filiales de CDC sont théoriquement susceptibles de faire appel à la nouvelle entité issue de l’opération, notamment en matière d’assistance à maîtrise d’ouvrage. Ces filiales sont actives dans les secteurs de la promotion immobilière (Icade, avec une part de marché inférieure à 10 %), de la gestion de villages de vacances (Belambra, avec une part de marché de [10-20] % environ) et de l’exploitation de stations de domaines skiables et de parcs de loisirs (Compagnie des Alpes, dont les parties estiment que les activités représentent [30-40] % du secteur de l’exploitation de domaines skiables et [10-20] % de celui des parcs de loisirs).
22. Etant donné les parts de marché de la nouvelle entité et la structure des marchés concernés, tant en aval qu’en amont, les parties n’auront cependant ni la capacité, ni les incitations à mettre en œuvre une stratégie de verrouillage.
23. La présente opération n’est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence à ce titre.
C. EFFETS CONGLOMÉRAUX
24. A l’issue de l’opération, la CDC renforcera sa position sur le marché de l’ingénierie et des études techniques, en acquérant notamment l’activité d’ingénierie dans le secteur du nucléaire du groupe Iosis. Toutefois, tout risque d’atteinte à la concurrence par la mise en œuvre d’un effet de gamme peut être écarté. En effet, la part de marché du groupe Iosis reste infime et la concurrence reste stimulée par d’autres acteurs de taille plus importante, tels que Setec, Tractebel Engineering, et animée au niveau mondial par plusieurs opérateurs nucléaires majeurs, parmi lesquels EDF, Siemens, Areva et Westinghouse.
25. La présente opération n’est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence par la mise en œuvre d’effets congloméraux.
DÉCIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 10-0139 est autorisée.
1 Décision n° 09-DCC-71 du 8 décembre 2009 relative à la fusion du groupe Coteba et du groupe Sogreah.
2 Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi du 19 octobre 2007 au conseil de la société Akka Technologies ; lettres du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 29 avril 2003 au conseil de la société Assystem relative à une concentration dans le secteur de l’ingénierie, du 10 septembre 2003 aux conseils de la société Pininfarina, relative à une concentration dans les secteur du design et de l’ingénierie automobile, et du 27 novembre 2003 aux conseils de la société Brime Technologies, relative à une concentration dans le secteur du conseil et de l’ingénierie.
3 M.2645 Saab / WM-Data AB / Saab Caran / JV du 6 décembre 2001.
4 Lettres du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 29 avril 2003 au conseil de la société Assystem relative à une concentration dans le secteur de l’ingénierie, et du 27 novembre 2003 aux conseils de la société Brime Technologies, relative à une concentration dans le secteur du conseil et de l’ingénierie.
5 Décision de la Commission européenne M.4994 Electrabel / Compagnie nationale du Rhône du 29 avril 2008.
6 Lettre du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi C2008-107 du 12 novembre 2008 aux conseils de la société CDC Capital Investissement relative à une concentration dans le secteur des contrôles techniques de construction.
7 Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 29 avril 2003 au conseil de la société Assystem relative à une concentration dans le secteur de l’ingénierie.
8 Dans sa décision précitée du 29 avril 2008, la Commission européenne notait qu’ « en l’absence de pratique décisionnelle, la partie notifiante propose de retenir comme marché de produits en cause celui de l’ingénierie d’infrastructure, marché dont elle considère qu’il est de dimension au moins européenne, dans la mesure où les grands bureaux d’étude et de conseil interviennent dans toute l’Union européenne (Sogreadh, Arcadis, Ingerop, Cowi, etc.) ».
9 Lettre du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi C2008-107 du 12 novembre 2008 aux conseils de la société CDC Capital Investissement relative à une concentration dans le secteur des contrôles techniques de construction.
10 INSEE – EAE, services 2007.