ADLC, 20 décembre 2010, n° 10-DCC-191
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés du groupe Théramex par le groupe Teva
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Vice-présidente, Mme Aubert
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 17 novembre 2010, relatif à l’acquisition des titres des sociétés Théramex SAM, Théramex Spa et Monachem SAM par la société Teva, formalisée par un protocole d’achat d’actions en date du 28 octobre 2010 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Teva est un groupe pharmaceutique actif dans le développement, la production et la commercialisation de produits pharmaceutiques génériques, de spécialités « princeps » et de principes actifs. Les principaux clients de Teva sont les grossistes répartiteurs, les pharmacies et les hôpitaux.
2. Théramex est un groupe pharmaceutique spécialisé dans le développement, la production et la commercialisation de produits pharmaceutiques gynécologiques, notamment en matière de contraception et de traitements des infections gynécologiques, des troubles menstruels, de l’ostéoporose ou des déficiences hormonales. Le groupe Théramex, actuellement détenu par le groupe Merck, est composé de trois filiales, Théramex Spa, Théramex SAM et Monachem SAM. Les clients du groupe Théramex sont essentiellement les grossistes répartiteurs et dans une moindre mesure, les pharmacies et les hôpitaux.
3. L’opération notifiée, formalisée par un protocole de cession en date du 28 octobre 2010, consiste en l’acquisition, par la société Teva des titres des sociétés Théramex SAM, Théramex Spa et Monachem SAM détenus respectivement par les sociétés Merck France et Merck Santé, Merck Allemagne et Merck Italie. A l’issue de l’opération notifiée, Teva détiendra, par l’intermédiaire de deux filiales, les sociétés Asaph et Teva Italia, l’intégralité des actions de Théramex SAM, Théramex Spa et Monachem SAM.
4. En ce qu’elle se traduit par l’acquisition du contrôle exclusif du groupe Théramex par Teva, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (groupe Teva1 : 11,6 milliards d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2009 ; groupe Théramex : […] millions d’euros pour le même exercice). Chacune réalise en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (groupe Teva : […] millions d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2009 ; groupe Théramex : […] millions d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
1. LES MARCHÉS DE PRODUIT
5. Selon la pratique des autorités nationale et communautaire de la concurrence, les marchés des médicaments peuvent être segmentés selon leur classe thérapeutique en référence à la classification « Anatomical Therapeutic Chemical » (ci-après « ATC ») élaborée par l’European Pharmaceutical Marketing Research Association (ci-après « EphMRA ») et utilisée par l’International Medical Statistics (ci-après « IMS »). Cette classification des médicaments est hiérarchique et contient 16 catégories déclinées en quatre niveaux, en fonction de la composition et des indications thérapeutiques : le niveau ATC1 est le plus général, le niveau ATC4 est le plus détaillé. Le troisième niveau de la classification (« ATC 3 ») regroupe les médicaments en fonction de leurs indications thérapeutiques, c’est-à-dire de l’utilisation envisagée. Ce niveau est généralement utilisé comme point de départ de l’analyse des effets d’une opération de concentration par les autorités de concurrence, même si elles ont pu être amenées à examiner les effets d’une opération de concentration au niveau de classification ATC4 ou à estimer les parts de marché à partir de données différentes de façon à prendre en compte les produits substituables du point de vue de la demande.
6. Les autorités de concurrence ont également opéré une distinction entre les médicaments sur prescription et sans ordonnance ainsi qu’entre les médicaments finis et les produits en cours de développement. Enfin, la Commission européenne a considéré que les médicaments génériques appartenaient au même marché que les médicaments de référence dits « princeps » car ils deviennent substituables après l’expiration des brevets, surtout lorsque le système de régulation des soins favorise leur utilisation2.
a) Les marchés de produits finis
7. Les parties à l’opération sont simultanément actives sur les marchés de médicaments des classes ATC3 A12A, D1A, G1B, G3A, G3D et M1A.
8. La classification A12A concerne les produits contenant du calcium utilisés pour le traitement de l’ostéoporose et des déficiences en calcium. Selon la pratique décisionnelle, le niveau ATC3 est approprié pour définir le marché pertinent des produits concernés. Ceux-ci incluent des produits substituables, tous génériques, commercialisés sur un marché caractérisé par de faibles barrières à l’entrée3.
9. La classification D1A regroupe les antifongiques dermatologiques. Sans trancher définitivement la question de la délimitation du marché pertinent, la Commission européenne a relevé que, s’il existait un certain degré de substituabilité entre les produits inclus au niveau de classification ATC3, celle-ci était imparfaite, notamment eu égard aux différences de prix significatives entre les produit concernés4. Les conclusions de l’analyse n’étant pas affectées, il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce et l’impact de l’opération sera examinée aux niveaux ATC3 et ATC4 (« D1A1 »).
10. La classification G1B contient les antifongiques gynécologiques. Ces produits ne font pas l’objet d’autres subdivisions et la pratique décisionnelle retient le niveau ATC3 pour définir le marché pertinent5.
11. La classification G3A regroupe les contraceptifs hormonaux systémiques. La pratique décisionnelle a déjà eu l’occasion de distinguer les produits de cette classe d’un marché plus général regroupant l’ensemble des contraceptifs. De même, la pratique décisionnelle n’a pas considéré qu’il était pertinent de procéder à des délinéations plus fines parmi les contraceptifs hormonaux systémiques6.
12. La classification G3D contient les produits de remplacement progestatifs utilisés dans le traitement des dysménorrhées, des ménorragies, de l’endométriose, l’infertilité, la ménopause, la dépression puerpérale et le cancer du sein. La pratique décisionnelle a relevé que ces produits étaient généralement vendus à des dosages trop élevés pour une utilisation contraceptive, et a donc retenu le niveau de classification ATC37.
13. Enfin, la classification M1A regroupe les antirhumatismaux non stéroïdiens. Les produits de cette classe ont été considérés comme formant un marché pertinent à plusieurs reprises dans la pratique décisionnelle8.
b) Les marchés de produits en développement
14. Il ressort de la pratique décisionnelle que l’analyse de la structure de la concurrence dans le secteur pharmaceutique requiert la prise en compte de produits qui ne sont pas encore sur le marché mais qui se trouvent actuellement à un stade avancé de leur développement, c’est-à- dire au stade de leurs derniers essais cliniques (dite « Phase III »). Le potentiel concurrentiel de ces produits avec d’autres produits en développement ou des produits d’ores et déjà sur le marché peut être examiné sur la base de leurs caractéristiques et l’indication thérapeutique attendue. Ainsi, si ces produits sont destinés à remplacer des produits existants, les marchés pertinents peuvent être définis par référence à des classes ATC existantes9.
15. En l’espèce, [Confidentiel].
2. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE
16. Les autorités nationales et communautaires de concurrence considèrent de manière constante que, malgré l’existence d’une tendance à l’harmonisation des marchés au niveau européen, les marchés des médicaments restent de dimension nationale.
17. En ce qui concerne les principes actifs pharmaceutiques, la pratique décisionnelle relève de manière constante que la dimension géographique des marchés sur lesquels ceux-ci sont commercialisés est certainement plus large que celle des produits pharmaceutiques, et possiblement de taille mondiale10.
18. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations pour l’analyse des effets de la présente opération.
III. Analyse concurrentielle
19. Teva et Théramex sont simultanément actives dans le secteur des médicaments, où elles commercialisent des produits finis dont les indications thérapeutiques relèvent des classes A12A, D1A, G1B, G3A, G3D et M1A. Elles interviennent également dans le secteur pharmaceutique en tant que fabricants et vendeurs de principes actifs pharmaceutiques. Enfin, les parties développent de nouveaux produits dans le cadre de leurs activités de recherche et développement. Les effets de l’opération seront donc examinés sur les marchés des principes actifs pharmaceutiques, des produits finis et sur les marchés des produits en dernière phase de développement.
1. LES MARCHÉS DES PRINCIPES ACTIFS PHARMACEUTIQUES
20. Théramex produit trois principes actifs qui sont vendus à des tiers, à savoir l’acétate de nomegestrol, le promestriène et le prednisolone. Teva produit également des principes actifs, destinés tant à sa propre production qu’à être commercialisés à des tiers, mais sur des marchés sur lesquels Théramex n’a pas d’activité. L’opération n’entrainera donc aucun chevauchement d’activité à ce titre.
21. Par ailleurs, la partie notifiante relève l’existence de relations verticales entre les parties dans la mesure où Teva distribue en France deux produits finis fabriqués à partir de l’acétate de nomégestrol (catégorie G3D) et de prednisolone (catégorie H2A), deux principes actifs commercialisés par Théramex auprès de tiers. Toutefois, la nouvelle entité aura une part de marché estimée à [20-30] % sur le marché des produits G3D et la part de marché de Teva est de [0-5] % sur le marché des produits H2A.
22. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés des principes actifs pharmaceutiques.
2. LES MARCHÉS DE PRODUITS FINIS
23. La Commission européenne a eu l’occasion, dans plusieurs décisions relatives au secteur des médicaments, d’écarter l’existence de risques pour la concurrence lorsque le chevauchement des activités des parties confère à la nouvelle entité une part de marché inférieure à 35 %, ou lorsque l’incrément de parts de marché qui découle de l’opération est inférieur à 1 %11.
24. En l’espèce, sur chacun des marchés concernés par la présente opération, la nouvelle entité détiendra une part de marché estimée inférieure à 35 % :
Classification | Teva | Théramex | Total |
A12A | [0-5] % | [20-30] % | [20-30] % |
D1A | [0-5] % | [0-5] % | [5-10] % |
D1A1 | [0-5] % | [0-5] % | [5-10] % |
G1B | [5-10] % | [20-30] % | [30-40] % |
G3A | [0-5] % | [0-5] % | [0-5] % |
G3D | [5-10] % | [10-20] % | [20-30] % |
M1A | [0-5] % | [0-5] % | [0-5] % |
25. Sur chacun de ces marchés, la nouvelle entité restera confrontée à des concurrents importants. En particulier, s’agissant du marché des produits relevant de la classe G1B, dans lequel la nouvelle entité disposera d’une part de marché de [30-40] %, celle-ci restera confrontée à la concurrence d’opérateurs majeurs avec une présence significative, tels que Innothera ([10-20] %), Italfarmac ([10-20] %), Johnson & Johnson ([10-20] %) et Mylan ([10-20] %).
26. Il en va de même s’agissant du marché des produits relevant de la classe A12A, dans lequel la nouvelle entité, avec une part de marché de [20-30] %, restera confrontée à la concurrence d’opérateurs tels que Procter & Gamble ([20-30] %), Expanscience ([5-10] %), Innothera ([5- 10] %), Opocalcium ([5-10] %) et Pfizer ([5-10] %).
27. Enfin, s’agissant du marché des produits relevant de la classe G3D, dans lequel la nouvelle entité disposera d’une part de marché de [20-30] %, celle-ci restera confrontée à la concurrence d’opérateurs tels que Sanofi-Aventis ([10-20] %), Mylan ([10-20] %), Abbott ([10-20] %), Besins International ([10-20] %) et Servier ([10-20] %).
28. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés des produits pharmaceutiques finis.
3. LES MARCHÉS DE PRODUITS EN DERNIÈRE PHASE DE DÉVELOPPEMENT
29. Les parties à l’opération ont actuellement plusieurs produits en Phase III de développement. [Confidentiel]. Néanmoins, compte tenu de la présence marginale de la nouvelle entité sur ce marché ([0-5] % de part de marché), la mise sur le marché de ces nouveaux produits n’est pas susceptible de modifier l’analyse faite ci-dessus.
30. Teva développe aussi un produit [Confidentiel]. La présence de concurrents significatifs sur ce marché permet cependant d’écarter tout risque de fausser la concurrence.
31. Par conséquent, même en tenant compte des produits à un stade avancé de développement, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence.
DÉCIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 10-0199 est autorisée.
1 Y compris la société Ratiopharm, intégrée au groupe Teva en 2010 (voir la décision de la Commission européenne COMP/M.5865 du 3 août 2010).
2 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.5476, Pfizer/Wyeth du 17 juillet 2009.
3 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.5295, Teva/Barr du 19 décembre 2008, §123. 4 Décision de la Commission européenne COMP/M.5253, Sanofi-Aventis/Zentiva du 4 février 2009, §113. 5 Décision de la Commission européenne COMP/M.4198, Bayer/Schering du 24 mai 2006, §11.
6 Décision de la Commission européenne IV/M.781, Schering/Gehe-Jenapharm du 13 septembre 1996, §17. 7 Décision de la Commission européenne COMP/M.1835, Monsanto/Pharmacia & Upjohn du 30 mars 2000. 8 Décisions de la Commission européenne COMP/M.1835 et COMP/M.5253 précitées.
9 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.2517, Bristol Myers Squibb/Du Pont du 9 août 2001.
10 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.5555, Novartis/Ebewe du 22 septembre 2009.
11 Voir la décision Teva/Barr, précitée, §23, et les décisions COMP/M.5502, Merck/Schering-Plough du 22 octobre 2009, §20 et COMP/M.5476, Pfizer/Wyeth, §14.