CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 mai 2021, n° 17/06135
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SGTB Cote D'azur (SARL)
Défendeur :
La Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Provence Cote D'azur
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Me Ribaut, Me Lemiale
FAITS ET PROCÉDURE :
La société SGTB Côte d'Azur est spécialisée dans l'agencement de sécurité pour des banques et sites à risques.
La société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur (ci-après la société CRCAM Provence Côte d'Azur) a pour activité toutes opérations de banque. Elle a été créée le 1er juillet 1998 et résulte de la fusion des Caisses régionales de Crédit Agricole Mutuel des Alpes-Maritimes, du Var et des Alpes de Haute-Provence. Elle dispose de plus de 200 agences sur les départements des Alpes-Maritimes, du Var et des Alpes de Haute-Provence.
La société SGTB Côte d'Azur a réalisé pour le compte de la société CRCAM Provence Côte d'Azur des travaux d'aménagement de menuiserie et de protection lors de la création de nouvelles agences et des travaux de réaménagement et renouvellement intégral d'agences existantes, dans les départements des Alpes-Maritimes, du Var et des Alpes de Haute-Provence.
La société SGTB Côte d'Azur s'est plainte d'une diminution du chiffre d'affaires réalisé avec la société CRCAM Provence Côte d'Azur à compter de 2010.
Le 11 octobre 2012, la société SGTB Côte d'Azur a alors assigné en référé la société CRCAM Provence Côte d'Azur devant le tribunal de commerce d'Antibes afin de voir désigner un expert judiciaire pour déterminer les circonstances et les conséquences de l'évolution des relations d'affaires entre les parties. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 4 mars 2013. Par arrêt du 26 juin 2014, la cour d'appel d'Aix-en Provence a confirmé cette décision.
Prétendant avoir été victime d'un abus de dépendance économique et d'une rupture brutale des relations commerciales de la part de la société CRCAM Provence Côte d'Azur, la société SGTB Côte d'Azur l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Marseille en responsabilité et en réparation des préjudices subis, par acte du 1er décembre 2014.
La société Crédit Mutuel a soulevé l'incompétence du tribunal saisi au profit du tribunal de commerce de Marseille.
Par ordonnance d'incident du 2 novembre 2015, le juge de la mise en état a déclaré le tribunal de grande instance de Marseille incompétent au profit du tribunal de commerce de Marseille.
Par jugement du 9 mars 2017, le tribunal de commerce de Marseille a :
- débouté la société SGTB Côte d'Azur SARL de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- condamné la société SGTB Côte d'Azur SARL à payer à la Caisse Regionale De Credit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société SGTB Côte d'Azur SARL aux dépens ;
- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions des parties contraires aux dispositions du jugement.
Par déclaration du 22 mars 2017, la société SGTB Côte d'Azur a interjeté appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions du 1er avril 2019, la société SGTB Côte d'Azur demande à la cour de :
Vu l'article 1134 du code civil,
Vu les dispositions de l'article L. 420-2. II du code de commerce,
Vu les dispositions de l'article L. 442-6. I. 5° du code de commerce,
- déclarer la société SGTB recevable et bien fondée en son appel,
- réformer le jugement en l'ensemble de ses dispositions.
Et statuant à nouveau,
- débouter le Crédit Agricole de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- déclarer la société SGTB recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes,
- dire et juger que la société SGTB se trouvait en situation de dépendance économique à l'égard du Crédit Agricole dont le chiffre d'affaires réalisé confié par ce dernier représentait en 2008 et 2009 67% puis 79% de son chiffre d'affaires total,
- dire et juger que le Crédit Agricole a abusé de l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait la société SGTB par réduction du chiffre d'affaire confié en 2010 et 2011 de 40 %,
- dire et juger que l'exploitation abusive de l'état de dépendance économique a causé un préjudice à la société SGTB correspondant à la perte de marge brute sur l'insuffisance de chiffre d'affaires de 300.000 euros sur l'exercice 2011,
- dire et juger que le Crédit Agricole a rompu brutalement les relations commerciales qu'il entretenait avec la société SGTB en ne lui confiant pratiquement plus aucun marché de travaux à compter de septembre 2011,
- dire et juger que le préjudice indemnisable est constitué par la perte de marge subie sur le montant du chiffre d'affaires qu'elle aurait dû réaliser avec le Crédit Agricole sur les exercices 2010 à 2013 inclus et que le chiffre d'affaires annuel de référence à prendre en compte est celui des exercices antérieurs à 2011,
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte D'Azur Alpes de Haute Provence à payer à la société SGTB Côte D'Azur :
La somme de 163 395 euros, au visa des dispositions de l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce, au titre de l'indemnisation des préjudices constitués par les pertes de marge sur les exercices 2010 et 2011,
La somme de 172 743 euros, au visa des dispositions de l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce et, subsidiairement, au visa des dispositions de l'article L. 442-6-I 5ème du code de commerce, au titre de l'indemnisation du préjudice constitué par la perte de marge sur l'exercice 2012,
La somme de 213 632 euros, au visa des dispositions de l'article L. 442-6-I 5ème du code de commerce au titre de l'indemnisation du préjudice constitué par la perte de marge sur l'exercice 2013,
Subsidiairement,
- désigner tel expert qu'il lui plaira avec mission habituelle en la matière aux fins de quantification précise du préjudice subi par SGTB du fait de l'abus de l'état de dépendance économique et de la rupture brutale des relations commerciales.
- condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte D'Azur Alpes de Haute Provence à payer à la société SGTB Côte D'azur au paiement d'une provision de 250 000 euros à valoir sur l'indemnisation du préjudice tel qu'il sera ultérieurement déterminé après dépôt du rapport de l'expert judiciaire.
- condamner le Crédit Agricole au paiement d'une indemnité de 7 500 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de la SCP GRV Associés.
Par ses dernières conclusions du 10 juillet 2019, la société CRCAM Provence Côte d'Azur demande à la cour de :
Vu les articles L.420-2 et L.442-6-I- 5° du code de commerce,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 9 mars 2017 en toutes ses dispositions,
- débouter la société SGTB Côte D'Azur de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société SGTB Côte D'Azur à payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance distraits au profit de Me Lemiale, avocat au Barreau de Paris.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 février 2020.
MOTIFS
Sur l'abus de dépendance économique
Selon l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, est prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme. »
L'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise.
Néanmoins, la seule circonstance de réaliser une part importante, voire exclusive, de son activité auprès d'un seul partenaire ne suffit pas à caractériser l'état de dépendance économique.
En outre, il appartient à celui qui se prévaut d'un abus de dépendance économique de le prouver.
En l'espèce, la société SGTB Côte d'Azur prétend qu'elle réalisait 70 à 80% de son chiffre d'affaires avec la société CRCAM Provence Côte d'Azur en 2008 et 2009 et qu'en 2010, ce chiffre a été réduit de 40%. Elle explique qu'abusant de cette situation de dépendance économique, la société CRCAM Provence Côte d'Azur lui a imposé le recours à une procédure d'appels d'offres, alors que jusqu'alors les relations relevaient d'une négociation bilatérale, dans le but de l'exclure de toute relation contractuelle.
La société CRCAM Provence Côte d'Azur conteste toute dépendance économique de la société SGTB Côte d'Azur à son égard. Elle soutient en effet que tout au plus sa part dans le chiffre d'affaires réalisé par la société SGTB Côte d'Azur s'est élevé à 49% en 2008 et 50% en 2009. Elle ajoute que la société SGTB Côte d'Azur a elle-même admis qu'elle travaillait avec d'autres banques de sorte qu'elle ne se trouvait pas dans l'impossibilité de trouver d'autres partenaires.
Il ressort des pièces comptables versées aux débats que la société SGTB Côte d'Azur :
- a réalisé un chiffre d'affaires de 1 338 000 euros HT en 2008 et des prestations auprès de la société CRCAM Provence Côte d'Azur pour la même année d'un montant de 801 700,54 euros TTC, soit 670 318 euros HT, ce qui représente 50,09% de son chiffre d'affaires total,
- a réalisé un chiffre d'affaires de 1 318 056 euros HT en 2009 et des prestations auprès de la société CRCAM Provence Côte d'Azur pour la même année d'un montant de 817 373,96 euros TTC, soit 683 423 euros HT, ce qui représente 51,85% de son chiffre d'affaires total,
- a réalisé un chiffre d'affaires de 1 520 095 euros HT en 2010 et des prestations auprès de la société CRCAM Provence Côte d'Azur pour la même année d'un montant de 549 734,47 euros TTC, soit 459 644 euros HT, ce qui représente 30,23% de son chiffre d'affaires total,
- a réalisé un chiffre d'affaires de 1 367 716 euros HT en 2011 et des prestations auprès de la société CRCAM Provence Côte d'Azur pour la même année d'un montant de 405 273,26 euros TTC, soit 338 857 euros HT, ce qui représente 24,77% du chiffre d'affaires total,
- a réalisé un chiffre d'affaires de 1 404 500 euros HT en 2012 et un chiffre d'affaires de 1 316 900 euros HT en 2014.
Il ressort de ces éléments que malgré la réduction du chiffre d'affaires réalisé avec la société CRCAM Provence Côte d'Azur, la société SGTB Côte d'Azur a pu maintenir son chiffre d'affaires à un niveau constant en trouvant d'autres partenaires.
En l'absence d'impossibilité avérée pour la société SGTB Côte d'Azur de disposer auprès d'autres banques d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles nouées avec la société CRCAM Provence Côte d'Azur, aucune dépendance économique n'est caractérisée.
Dans ces conditions, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'action en responsabilité diligentée à l'encontre de la société CRCAM Provence Côte d'Azur du chef d'un abus de dépendance économique.
Sur la rupture brutale des relations commerciales
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
La société SGTB Côte d'Azur se prévaut d'une relation commerciale établie en affirmant avoir entretenu des relations commerciales avec la société CRCAM Provence Côte d'Azur depuis 1991, d'abord lorsqu'elle exerçait son activité en qualité d'artisan, puis, à compter de 2003, sous la forme d'une société commerciale.
La société CRCAM Provence Côte d'Azur dénie le caractère établi de la relation ainsi que l'ancienneté de 30 ans alléguée. Elle soutient que la relation n'a débuté qu'en 2004. Elle explique que cette relation, en l'absence de contrat-cadre et d'engagement de volume d'affaires ne présentait aucune stabilité. Elle affirme que les contrats conclus correspondaient à des travaux distincts les uns des autres réalisés dans différentes agences selon ses besoins et la conjoncture économique.
Si la société SGTB Côte d'Azur verse aux débats un courrier de la CRCAM des Alpes Maritimes du 18 juin 1991 lui indiquant que son offre était retenue pour le marché des cloisons mobiles pour les années 1991 et 1992 ainsi que d'autres lettres attestant de la reconduction de ce marché en 1992, 1993 et 1994, aucune preuve n'est rapportée du maintien des relations commerciales au-delà de 1994.
En revanche, la société CRCAM Provence Côte d'Azur reconnaît avoir sollicité la société SGTB Côte d'Azur pour la sécurisation de certaines de ses agences entre 2004 et 2010. Contrairement à ce qu'elle prétend, la société CRCAM Provence Côte d'Azur ne peut se prévaloir de l'absence de contrat-cadre, du caractère ponctuel des relations et de l'indépendance des marchés conclus avec la société SGTB Côte d'Azur pour chaque agence pour dénier le caractère stable de la relation alors qu'il n'est pas démenti qu'un flux d'affaires continu est intervenu entre les parties entre 2004 et 2010.
Néanmoins, la société SGTB Côte d'Azur invoque la brutalité de la rupture des relations commerciales en prétendant avoir été systématiquement écartée des marchés de travaux à compter du mois de septembre 2011 alors qu'auparavant la société CRCAM Provence Côte d'Azur lui confiait la réalisation, l'aménagement ou le réaménagement de 6 à 7 agences par an. Ainsi la société SGTB
Côte d'Azur se plaint d'une rupture des relations commerciales à compter du mois de septembre 2011.
Or il n'est pas contesté que la société CRCAM Provence Côte d'Azur avait mis en place le recours à une procédure d'appels d'offres pour sélectionner les prestataires en vue de la réalisation des travaux de sécurisation de ses agences à compter de 2010. Ainsi, à compter de la mise en place d'une procédure d'appels d'offres, la société SGTB Côte d'Azur ne pouvait légitimement espérer le maintien de la relation d'affaires avec la société CRCAM Provence Côte d'Azur puisque le recours à une procédure d'appel d'offre avait rendu précaire la relation. En effet, la mise en place d'une telle procédure exposait la société SGTB Côte d'Azur à ne pas voir retenues ses candidatures.
En conséquence, force est de constater qu'en l'absence de relation établie à compter de 2010, la société SGTB Côte d'Azur ne peut reprocher à la société CRCAM Provence Côte d'Azur une rupture brutale des relations au mois de septembre 2011 ou postérieurement.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté l'action en responsabilité de la société SGTB Côte d'Azur à l'encontre de la société CRCAM Provence Côte d'Azur de ce chef.
Sur la demande d'expertise et de provision
En l'absence de responsabilité de la société CRCAM Provence Côte d'Azur, la demande d'expertise de la société SGTB Côte d'Azur destinée à quantifier ses préjudices sera rejetée. De même, il convient de rejeter la demande de provision de la société SGTB Côte d'Azur. Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ces points.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société SGTB Côte d'Azur succombe à l'instance d'appel. Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées. La société SGTB Côte d'Azur sera condamnée aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile. La société SGTB Côte d'Azur sera en outre condamnée à payer à la société CRCAM Provence Côte d'Azur une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La demande de la société SGTB Côte d'Azur à ce titre sera écartée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société SGTB Côte d'Azur à payer à la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la société SGTB Côte d'Azur de sa demande sur ce fondement,
CONDAMNE la société SGTB Côte d'Azur aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.