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Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch. civ., 10 mai 2021, n° 20/00727

BASSE-TERRE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Caribbean Petroleum Industry (SAS)

Défendeur :

Somatrans (SAS)

T. com. Pointe-à-Pitre, du 28 sept. 2020

28 septembre 2020

FAITS ET PROCEDURE

Par jugement réputé contradictoire rendu le 28 septembre 2020 sur l'assignation délivrée le 07 septembre 2020 par la société Somatrans, le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre, après avoir constaté l'état de cessation des paiements et l'impossibilité manifeste d'un redressement, a principalement :

- ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SAS Caribbean Petroleum Industry,

- fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 28 septembre 2020,

- désigné M. X en qualité de juge-commissaire,

- désigné Maître Y en qualité de liquidateur judiciaire,

- désigné Maître Z en qualité de commissaire-priseur,

- fixé à douze mois à compter du jugement le délai dans lequel le liquidateur devrait établir la liste des créances,

- fixé au 28 septembre 2022 le délai au terme duquel serait examinée la clôture de la procédure,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- dit que les dépens seraient employés en frais privilégiés de procédure.

La SAS Caribbean Petroleum Industry a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 10 octobre 2020. La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 08 mars 2021. Les 28 et 29 octobre 2020, l'appelante a fait signifier la déclaration d'appel respectivement à Maître W ès qualités de liquidateur judiciaire et à la société Somatrans en réponse à l'avis du 26 octobre 2020 donné par le greffe. La société Somatrans a remis au greffe sa constitution d'intimée par voie électronique le 12 novembre 2020 et Maître W ès qualités de mandataire liquidateur de la société Caribbean Petroleum Industry le 1er février 2021. Le dossier et la date d'audience ont été communiqués au Ministère Public qui, par réquisitions du 05 février 2021, adressées aux parties, a requis la confirmation du jugement déféré. A l'audience du 8 mars 2021, l'affaire a été plaidée et la décision a été mise en délibéré au 10 mai 2021.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1/ La SAS Caribbean Petroleum Industry, appelante :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 5 mars 2021 par lesquelles l'appelante demande à la cour:

- de la recevoir en son appel et, y faisant droit :

- de constater que les premiers juges ont rendu leur décision en contravention des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile,

- en conséquence, d'infirmer et d'annuler en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 septembre 2020 par le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre et de remettre en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement,

- subsidiairement :

- de constater que les premiers juges ont constaté l'existence d'un passif social sans rechercher quel était l'actif disponible de la société et qu'ils n'ont donc pas caractérisé l'état de cessation des paiements, privant leur décision de base légale au regard des articles L.631-1 et L.640-1 du code de commerce,

- en conséquence, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- infiniment subsidiairement :

- de constater que la situation de la société n'est pas irrémédiablement compromise,

- en conséquence, d'infirmer le jugement déféré,

- statuant à nouveau :

- de la placer en redressement judiciaire,

- de désigner Maître A, de la SELARL BCM, en qualité d'administrateur, afin d'assister la partie débitrice pour tous les actes concernant la gestion et les actes de disposition,

- de renvoyer l'affaire devant le tribunal mixte de commerce pour désignation des organes de la procédure et le suivi de celle-ci,

- de dire que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

2/ La société Somatrans, intimée :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 02 février 2021 par lesquelles l'intimée demande à la cour:

- en la forme, de statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel,

- sur le fond :

- de débouter la société Caribbean Petroleum Industry de toutes ses demandes,

- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- y ajoutant, de condamner la société Caribbean Petroleum Industry à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

3/ Maître Y, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Caribbean Petroleum Industry, intimée :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 09 février 2021 par lesquelles l'intimée demande à la cour:

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a été régulièrement saisi et a valablement constaté l'état de cessation des paiements de la société Caribbean Petroleum Industry,

- de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, en vertu des dispositions de l'article R.640-2 du code de commerce :

- d'ouvrir le redressement judiciaire de la société Caribbean Petroleum Industry,

- d'ordonner le renvoi du dossier devant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre pour qu'il soit procédé à la désignation des organes de la procédure et du mandataire chargé de dresser l'inventaire, à la fixation des délais prévus aux articles L.621-3 (auquel renvoie l'article L.631-7) et L.624-1 (auquel renvoie l'article L.631-18) et à l'accomplissement des formalités légales,

- d'ouvrir une période d'observation de trois mois,

- de rejeter la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de dire que les frais de première instance et d'appel seront à la charge de la procédure de redressement judiciaire. En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la demande d'annulation du jugement pour violation du principe du contradictoire :

Au soutien de cette demande, la société Caribbean Petroleum Industry indique que le principe du contradictoire consacré par l'article 16 du code de procédure civile a été violé dans la mesure où la décision a été prise alors qu'elle n'avait pas pu comparaître, l'assignation ayant été délivrée conformément aux dispositions de l'article 658 du code de procédure civile et son gérant étant en déplacement à la date de l'audience.

Contrairement aux moyens développés dans les conclusions des intimées, la société ne conteste pas la régularité de l'assignation délivrée selon les dispositions de l'article 658. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ce point. Pour le surplus, il ressort des pièces produites que le gérant de la société Caribbean Petroleum Industry n'a quitté la Guadeloupe pour se rendre à Paris que le 13 septembre 2020. Il disposait donc d'un délai suffisant avant son départ pour se rendre à l'étude de l'huissier afin de retirer l'assignation et pour organiser sa représentation lors de l'audience devant le tribunal mixte de commerce prévue le 24 septembre 2020. Compte tenu de ces éléments, il ne saurait être reproché au tribunal d'avoir retenu l'affaire en son absence, l'assignation ayant été régulièrement délivrée, et d'avoir statué sur le fond. Aucune violation du principe du contradictoire ne justifie en conséquence l'annulation du jugement sollicitée.

Sur l'état de cessation des paiements :

L'article L.631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible. La société Caribbean Petroleum Industry reproche aux premiers juges d'avoir considéré qu'elle était en cessation des paiements en ne prenant en considération que la créance certaine, liquide et exigible de la société Somatrans, d'un montant de 2.529,99 euros. Elle soutient qu'elle disposait, à la date de la décision, de liquidités à hauteur de 10.628,33 euros et d'un crédit fournisseur de 200.000 euros, mais également qu'elle était en pleine phase de développement puisqu'elle avait signé des marchés importants. Par ailleurs, à la date du 16 septembre 2020, la région Guadeloupe lui avait accordé une avance remboursable de 12.988 euros. Il convient de rappeler que la cour d'appel doit se placer à la date à laquelle elle statue pour apprécier l'existence d'un état de cessation des paiements, et non à la date à laquelle le jugement contesté a été rendu. En revanche, elle doit faire une distinction entre le passif exigible à la date du jugement ouvrant la liquidation judiciaire et le passif rendu exigible par l'effet du jugement de liquidation judiciaire.

En l'espèce, l'état des créances nées avant le jugement d'ouverture établi par le liquidateur permet de constater qu'en plus de sa dette à l'égard de la société Somatrans d'un montant de 2.529,99 euros, la société Caribbean Petroleum Industry était redevable de dettes sociales et fiscales envers la CGSS, la CGRR et la direction générale des douanes et des impôts indirects pour un montant déclaré de 139.482,57 euros. L'existence de dettes fiscales et sociales figurait d'ailleurs déjà dans les comptes annuels du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019, versé aux débats, à hauteur de 143.455,61 euros. Ces dettes constituaient donc bien du passif exigible.

En ce qui concerne l'actif disponible, la société Caribbean ne verse aux débats qu'un seul relevé de compte faisant état d'un solde de 10.628,33 euros au 2 octobre 2020, ainsi qu'un justificatif d'attribution d'une avance remboursable de 12.988 euros par la Région Guadeloupe le 16 septembre 2020. Le crédit-fournisseur de 200.000 euros consenti par la société de droit luxembourgeois Actioil Distribution ne constitue pas un actif disponible dans la mesure où il ne s'agit que d'un encours autorisé, non utilisé à la date du 3 mars 2021. Dans ces conditions, il est établi que la société Caribbean Petroleum Industry se trouve dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a retenu qu'elle se trouvait en état de cessation des paiements.

Sur l'existence d'une situation irrémédiablement compromise:

L'article L.640-1 du code de commerce dispose qu'il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible. La société Caribbean Petroleum Industry reproche aux premiers juges d'avoir considéré que son redressement était manifestement impossible alors qu'à la date de leur décision son chiffre d'affaires avait augmenté et que des négociations étaient en cours pour signer d'importants marchés et obtenir des lignes de financement ainsi qu'une garantie de préfinancement à l'export. De son côté, Maître W indique que les premiers juges ont ouvert une procédure de liquidation judiciaire sans disposer d'une comptabilité à jour et de comptes provisionnels leur permettant d'apprécier la réalité et la consistance du fonds de commerce et qu'ils ont privé leur décision de base légale en limitant leurs motifs à l'existence de l'état de cessation des paiements. Elle soutient que les pièces produites par la société permettent au contraire de penser qu'elle dispose de chances raisonnables de se redresser. De son côté, la société Somatrans ne développe aucun moyen relatif à l'impossibilité manifeste de redressement retenue par les premiers juges. Il ressort des pièces produites :

- que les comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2019 faisaient état d'un résultat net d'exploitation de 23.063,89 euros,

- que le chiffre d'affaires net avait augmenté de 132,35% en 2019 par rapport à 2018,

- que la société avait signé un accord de distribution exclusive de ses produits avec une société située au Bénin le 17 avril 2019. Compte tenu de ces éléments, le compte de résultat prévisionnel et le plan de trésorerie prévisionnel produits en pièce 4 du dossier de l'appelante permettent raisonnablement d'envisager un redressement à brève échéance, si ses démarches de développement se concrétisent, notamment au Canada.

Dans ces conditions, il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Caribbean Petroleum Industry. L'article R.640-2 du code de commerce dispose qu'en cas d'infirmation d'un jugement ouvrant une procédure de liquidation judiciaire, la cour peut, d'office, ouvrir la procédure de redressement judiciaire. En conséquence, il convient en l'espèce d'ordonner l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Caribbean Petroleum Industry. Dans ce cadre, une période d'observation de 3 mois sera ouverte. Par ailleurs, conformément à la demande de l'appelante, Maître A, de la SELARL BCM, sera désigné en qualité d'administrateur et se verra confier une mission d'assistance. Pour le surplus, le tribunal mixte de commerce sera chargé de procéder lui-même à la désignation des autres organes de la procédure et de suivre le déroulement de celle-ci.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les dépens de la présente instance seront à la charge de la procédure de redressement judiciaire. Par ailleurs, l'équité commande de débouter la société Somatrans de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,

Déboute la SAS Caribbean Petroleum Industry de sa demande d'annulation du jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre le 28 septembre 2020,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a constaté l'état de cessation des paiements de la SAS Caribbean Petroleum Industry et en ce qu'il a statué sur les dépens,

Infirme le jugement déféré pour le surplus, Statuant à nouveau,

Ouvre une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Caribbean Petroleum Industry ayant son siège social Immeuble Privalis 19 Faubourg Alexandre Isaac 97110 Pointe-à-Pitre, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pointe-à-Pitre sous le numéro 499 011 880,

Ouvre une période d'observation de trois mois,

Désigne Maître A, de la SELARL BCM, Immeuble Marina Center - Blanchard 97190 Le Gosier, en qualité d'administrateur, avec pour mission d'assister le débiteur dans tous les actes concernant la gestion,

Ordonne le renvoi du dossier devant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre, qui sera chargé du suivi de la mesure, pour qu'il soit procédé à la désignation des autres organes de la procédure et du mandataire chargé de dresser l'inventaire, à la fixation des délais, notamment celui prévu à l'article L.631-15, et à l'accomplissement des formalités légales, Y ajoutant,

Déboute la SAS Somatrans de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens de l'instance d'appel seront à la charge de la procédure de redressement judiciaire.