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Décisions

Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-16.536

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

M. Delmotte

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

Me de Nervo, SCP Célice, Blancpain et Soltner, Me Jacoupy

Paris, du 8 nov. 2002

8 novembre 2002

Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 8 novembre 2002, 27 juin 2003 , 30 avril 2004 et 2 juillet 2004 rectifiant l'arrêt du 30 avril 2004), qu'en 1991, la société Dédicace Informatique (la société Dédicace) a vendu, avec clause de réserve de propriété, du matériel informatique à la société Cognitis technologie ; que cette dernière société a revendu cette marchandise à des clients sans en avoir préalablement payé le prix à la société Dédicace ; que la société Cognitis technologie ayant été mise en liquidation judiciaire, la société Dédicace a déclaré sa créance et a assigné MM. X... et Y... ainsi que la société Cognitis SA, nouvellement dénommée Cognitis Group, en leur qualité de dirigeants de la société Cognitis technologie, pour obtenir paiement du prix de la marchandise vendue ainsi que des dommages-intérêts en leur reprochant le non respect de la clause de réserve de propriété et leur déclaration tardive de la cessation des paiements ;

Sur les premier et troisième moyens réunis :

Attendu que la société Dédicace fait grief aux arrêts des 8 novembre 2002 et 30 avril 2004 d'avoir rejeté ses demandes à l'encontre de MM. X... et Y... et de la société Cognitis Group alors, selon le moyen :

1°) que le fait pour un vendeur bénéficiaire d'une clause de réserve de propriété d'être empêché d'exercer utilement son action personnelle en revendication, par le comportement fautif des dirigeants de la société acquéreur, lui cause un préjudice propre et distinct du préjudice des autres créanciers ; qu'en se bornant à relever que le préjudice invoqué était chiffré au montant de la créance et qu'il était prétendu qu'il résultait du dépôt de bilan tardif, sans rechercher si la perte pour le vendeur de son droit de revendication d'une marchandise sous réserve de propriété ne lui causait pas un préjudice propre et distinct de celui des autres créanciers de la liquidation judiciaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;

2°) que le dirigeant qui a intentionnellement commis une faute d'une gravité particulière incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions en trompant volontairement le cocontractant de la société qu'il dirige, engage sa responsabilité personnelle à son égard ; que constitue une telle faute détachable des fonctions d'un dirigeant, le fait de se dessaisir en toute connaissance de cause des marchandises impayées faisant l'objet d'une clause de réserve de propriété et de céder ses créances à sa banque au détriment du vendeur initial tout en sachant que celui-ci ne serait jamais payé ; qu'en omettant de rechercher, comme cela lui était demandé, si un tel comportement n'engageait pas la responsabilité des dirigeants, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;

3°) que le dirigeant qui a intentionnellement commis une faute d'une gravité particulière incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions en trompant volontairement le cocontractant de la société qu'il dirige, engage sa responsabilité personnelle à son égard ; que constitue une telle faute détachable des fonctions d'un dirigeant, le fait de revendre en toute connaissance de cause des marchandises impayées faisant l'objet d'une clause de réserve de propriété et de céder ses créances à sa banque au détriment du vendeur initial, le privant sciemment du bénéfice de sa réserve de propriété et de son droit de revendication tout en sachant que celui-ci ne serait jamais payé ; qu'en se bornant à énoncer que les dirigeants de la société Cognitis technologie n'avaient pas commis de faute de gestion, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si, en revendant des marchandises impayées et assorties d'une réserve de propriété, et en cédant immédiatement les créances au détriment de la société Dédicace, les dirigeants de la société en liquidation judiciaire n'avaient pas commis une faute intentionnelle d'une gravité particulière engageant leur responsabilité, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1382 du code civil et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°) que la rétention d'information de la part de dirigeants après le jugement d'ouverture, interdisant au vendeur d'exercer son action en revendication constitue une faute d'une gravité particulière engageant leur responsabilité à l'égard de ce vendeur ; qu'en décidant que la société Dédicace ne pouvait invoquer la responsabilité des dirigeants de la société Cognitis technologie en liquidation judiciaire pour leur réticence à communiquer, après le jugement d'ouverture, le nom des sous-acquéreurs des marchandises litigieuses, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

5°) que la société Dédicace a dirigé son action à l'encontre de la société Cognitis SA en sa qualité de dirigeant de la société Cognitis technologie en liquidation judiciaire ; qu'en énonçant que la société Dédicace avait dirigé son action fondée sur les mêmes faits, à la fois à l'encontre de la société en liquidation judiciaire et ses dirigeants, ce qui démontrait que les reproches adressés à MM. X... et Y... ne pouvaient se dissocier de leur gestion, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu que la recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions ;

Attendu qu'après avoir relevé que la société Dédicace sollicitait le paiement du montant non recouvré de sa créance en réparation de la privation de la possibilité d'exercer son action en revendication des marchandises vendues sous réserve de propriété, la cour d'appel en a déduit, procédant à la recherche prétendument omise évoquée à la première branche, que cette société ne justifiait pas d'un préjudice personnel distinct de celui subi par les autres créanciers de la procédure collective de la société Cognitis technologie et qu'en conséquence son action en responsabilité contre les dirigeants de cette société n'était pas recevable ; qu'ainsi, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les quatrième et cinquième branches, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche évoquée aux deuxième et troisième branches que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Dédicace fait grief à l'arrêt du 30 avril 2004 d'avoir dit que l'appel incident de la société Cognitis Group était recevable et d'avoir, en conséquence, rejeté ses demandes à l'encontre de cette dernière société alors, selon le moyen, qu'un arrêt qui se prononce sur la recevabilité de l'appel au regard d'une seule fin de non recevoir et qui sursoit à statuer n'interdit pas l'examen de nouvelles fins de non-recevoir lors de l'instance au fond ; qu'en décidant que l'irrecevabilité de l'appel incident de la société Cognitis SA tirée de l'irrecevabilité de l'appel principal et de la fraude à la loi, ne pouvait être invoquée sous prétexte que la cour d'appel s'était prononcée sur la recevabilité de cet appel incident au regard de l'acquiescement des appelants, la cour d'appel a violé les articles 481 et 123 du nouveau code de procédure civile et l'article 1351 du code civil ;

Mais attendu que par arrêt du 31 mars 1995, devenu définitif, la cour d'appel a déclaré recevable l'appel incident de la société Cognitis SA, nouvellement dénommée Cognitis Group ; qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la société Dédicace était irrecevable à contester de nouveau la recevabilité de cet appel incident ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le quatrième moyen :

Attendu que la société Dédicace fait valoir que la cassation des arrêts du 8 novembre 2002 et du 30 avril 2004 entraînera la cassation, par voie de conséquence, des arrêts du 27 juin 2003 et du 2 juillet 2004, en application de l'article 625 du nouveau code de procédure civile ;

Mais attendu que le pourvoi formé contre les arrêts des 8 novembre 2002 et 30 avril 2004 ayant été rejeté, le moyen se trouve dépourvu de fondement ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.