CA Versailles, 14e ch., 6 mai 2021, n° 20/03898
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Prodex (SAS), SA Partnair & Sea
Défendeur :
Logaero Services (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillaume
Conseillers :
Mme Le Bras, Mme Igelman
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société Partnair & Sea, immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) le 19 septembre 2012, avec un commencement d'activité depuis le 29 juillet 1991, est spécialisée dans le secteur d'activité de l'affrètement et de l'organisation des transports et plus précisément selon l'extrait Kbis, pour « toutes opérations de transit et transports internationaux aériens, commissionnaire de transport, transport public routier de marchandises ».
Elle emploie 43 salariés.
La société Prodex, immatriculée au RCS le 12 septembre 2012, exerce dans le secteur d'activité des services auxiliaires des transports aériens et plus précisément, selon son extrait Kbis, dans les domaines des « interventions sur pistes, envoi de pièces d'aéronefs, Aog, transport public routier de marchandises, commissaire de transport », étant mentionné que son activité a commencé le 1er janvier 2009 en tant que filiale créée par la société Partnair & Sea.
Son effectif est de 56 salariés.
Les sociétés Prodex et Partnair & Sea appartiennent au groupe AB Holding dédié à la logistique.
La société Logaero Services, qui appartient au groupe Herport, immatriculée au RCS le 8 mars 2007 avec une date de commencement d'activité le 1er juillet 1999, est spécialisée dans le secteur des services auxiliaires des transports aériens et selon son extrait Kbis, dans le « négoce, achat et vente de tous produits destinés à l'industrie, activité de commissionnaire de transports, le commerce de matériel de guerre ».
Elle offre notamment à ses clients une gamme de services logistiques et de transport dédiés à l'industrie aéronautique, des solutions dites AOG (service d'urgence logistique et de transport 24h/24 et 7jrs/7).
L'extrait du site Internet societe.com mentionnait qu'au 9 mai 2020, elle employait 1 à 2 salariés.
En juillet 2006, la société Partnair & Sea a embauché M. Adrien P. en qualité d'agent de transit, puis à compter de novembre 2006 en qualité d'assistant d'exploitation.
En juin 2018, M. P. a été nommé directeur général délégué de la société Prodex.
En 2019, des divergences sont apparues entre la société Prodex et M. P. qui a démissionné, son contrat de travail ayant pris fin le 29 décembre 2019.
En janvier 2020, M. P. a été embauché par la société Logaero en qualité de directeur général.
En arguant du fait que depuis le départ de M. P. des sociétés Prodex et Partnair & Sea celles-ci ont enregistré des démissions de salariés qui ont rejoint la société Logaero et reprochant à la société Logareo et à M. P. d'effectuer des actes de concurrence déloyale et de débauchage massif constitutifs d'un trouble manifestement illicite, les sociétés Prodex et Partnair & Sea ont, par acte d'huissier de justice délivré le 12 février 2020, fait assigner la société Logaero Services aux fins d'obtenir principalement sa condamnation, sous astreinte, à cesser tout débauchage, tout démarchage et toute relation avec leurs clients, sa condamnation à leur payer la somme provisionnelle de 200 000 euros en réparation du préjudice économique et moral subi et de leur voir donner acte de leurs réserves quant à l'évaluation du préjudice commercial subi.
Par conclusions déposées à l'audience du 17 juin 2020, elles ont en outre demandé que soit ordonnée, aux frais de la société Logaero, la désignation d'un huissier de justice avec mission de se rendre au siège social de celle-ci et de se faire remettre tout document sur les conditions d'embauche de M. Adrien P., Mme Marine B., M. Thibaut P., M. David M., M. Hammou K., M. Florian G., M. Sylvain G., M. Eric T., Mme Lucie G., Mme Agathe R. et M. Vincent B., de rechercher tous les échanges d'emails entre la société Logaero et ces personnes, se faire remettre la liste des clients de la société Logaero.
Par ordonnance contradictoire rendue le 25 juin 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Pontoise a :
Vu les articles 872 et 873 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes principales des sociétés Prodex et Partnair, les a renvoyées à se mieux pourvoir,
- débouté la société Logaero de ses demandes reconventionnelles,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit, en application de l'article 489 du code de procédure civile,
- condamné les sociétés Prodex et Partnair aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 60,67euros, outre les frais d'acte, des procédures d'exécution, s'il y a lieu.
Par déclaration reçue au greffe le 10 août 2020, les sociétés Prodex et Partnair & Sea ont interjeté appel de cette ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur leurs demandes principales, les a renvoyées à se mieux pourvoir, « a omis de statuer sur les demandes inhérentes aux mesures conservatoires qui lui avaient été présentées par voie de conclusions, avec toutes conséquences inhérentes aux dépens de l'instance ».
Dans leurs dernières conclusions déposées le 14 décembre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés Prodex et Partnair & Sea demandent à la cour de :
- les déclarer bien fondées en leur appel ;
- infirmer l'ordonnance rendue le 25 juin 2020 par le tribunal de commerce de Pontoise en ce qu'elle a :
- dit n'y avoir lieu à référé sur leurs demandes principales, les renvoyant à se mieux pourvoir ;
- omis de statuer sur la demande de mesures d'instructions qu'elles ont formulées ;
- confirmer l'ordonnance rendue le 25 juin 2020 par le tribunal de commerce de Pontoise en ce qu'elle a débouté la société Logareo de ses demandes reconventionnelles ;
Statuant à nouveau,
- constater l'existence d'actes de concurrence déloyale et de débauchage constitutifs d'un trouble manifestement illicite ;
En conséquence,
- condamner la société Logareo Services à cesser tout débauchage, tout démarchage et toute relation avec leurs clients, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de l'ordonnance à intervenir ;
- condamner la société Logareo Services à leur payer la somme provisionnelle suivante sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil : 200 000 euros en réparation du préjudice économique et moral subi ;
- leur donner acte de leurs réserves quant à l'évaluation du préjudice commercial subi de par les agissements de la société Logareo Services ;
- ordonner que soit commis aux frais de Logareo Services :
Un huissier de la cour d'appel de Versailles qu'il lui plaira de désigner, avec mission de :
- se rendre au siège de la société Logareo Services, société par actions simplifiée, immatriculée au RCS de Meaux sous le numéro 423 421 825, dont le siège social est situé [...], ou en tout autre lieu ou serait assuré sa gestion administrative et/ou son exploitation ;
- se faire remettre ou rechercher sur tous documents, physiques comme informatique sous quelque forme que ce soit et en particulier tous fichiers/dossiers du personnel, tous fichiers/dossiers de recrutement sur les dates d'entrée, conditions d'emploi et d'embauche des personnes suivantes :
- P. Adrien
- B. Marine
- P. Thibaut
- M. David
- K. Hammou
- G. Florian
- G. Sylvain
- T. Eric
- G. Lucie
- R. Agathe
- B. Vincent
En ce compris les échanges et correspondances, promesses d'embauche, projets de contrat, contrats et avenants, contrat de travail, mandats sociaux, et tout autre contrat ;
- se faire remettre par les sociétés appelantes la liste de leurs clients ;
- se faire remettre ou rechercher sur tous documents, physiques comme informatiques sous quelque forme que ce soit, la liste des clients de la société Logareo Services et ce pour rechercher les clients présents sur la « liste des clients » des appelantes ;
- consigner dans son procès-verbal les clients communs ;
- se faire remettre ou rechercher sur tous documents, physiques comme informatiques sous quelque forme que ce soit, tous courriers, devis, correspondances, courriels, documents contractuels échangés ou conclus entre la société Logareo Services et chacun des clients communs ;
- rechercher et copier chez la société Logareo Services et sur tous ses serveurs et ordinateurs, tous documents physiques comme informatiques et en particulier tous échanges de mails entre la société Logareo Services et :
- P. Adrien
- B. Marine
- P. Thibaut
- M. David
- K. Hammou
- G. Florian
- G. Sylvain
- T. Eric
- G. Lucie
- R. Agathe
- B. Vincent
Ayant trait au transfert de la clientèle des sociétés Prodex et Partnair & Sea à la société Logareo Services et aux embauches réalisées par la société Logareo Services ;
- rechercher et copier chez la société Logareo Services et sur tous ses serveurs et ordinateurs, tous documents physiques comme informatique et en particulier, tous courriers, correspondances, courriels, documents contractuels, échanges entre la société Logareo Services et :
- P. Adrien
- B. Marine
- P. Thibaut
- M. David
- K. Hammou
- G. Florian
- G. Sylvain
- T. Eric
- G. Lucie
- R. Agathe
- B. Vincent
En lien avec la « liste des clients » des sociétés appelantes ;
- rechercher et copier sur les postes informatiques de :
- P. Adrien
- B. Marine
- P. Thibaut
- M. David
- K. Hammou
- G. Florian
- G. Sylvain
- T. Eric
- G. Lucie
- R. Agathe
- B. Vincent
Tous courriers, devis, correspondances, courriels, documents contractuels en lien avec le traitement et le transfert de la clientèle des sociétés appelantes à la société Logareo Services ;
- rechercher et copier sur les adresses mails personnelles de :
- P. Adrien
- B. Marine
- P. Thibaut
- M. David
- K. Hammou
- G. Florian
- G. Sylvain
- T. Eric
- G. Lucie
- R. Agathe
- B. Vincent
Tous échanges ayant trait au transfert de la clientèle des appelantes et à leur embauche par la société Logareo Services ;
Pour cela, il est demandé à la cour de préciser que dans le cadre de sa mission, l'huissier pourra :
- prendre copie des documents sur papier objet de la mission ;
- mener des recherches sur les supports informatiques en utilisant la « liste des clients » remise par les appelantes et en usant en tant que de besoin des mots clés suivants :
« PRODEX »
« PARTNAIR »
« flux traités »
Et de :
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires désignés à se faire assister de tout huissier territorialement compétent ;
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires désignés à se faire assister, pour l'aider dans sa mission par tout technicien de son choix, notamment en matière informatique et à se faire assister par un serrurier (en cas de nécessité d'accéder à une pièce fermée, à un coffre ou une armoire fermée) et de la force publique en cas de nécessité ;
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires, avec l'aide du ou des experts informatiques à avoir accès à l'ensemble des serveurs et postes informatiques de la société, à ceux des personnes directement concernées par le litige, également à ceux de leurs collaborateurs et secrétaires directs, y compris aux serveurs, et à tous autres supports (externes et internes ' par exemple clés USB, disque dur externe, carte mémoire) de données informatiques, aux fins d'y rechercher les éléments nécessaires au bon accomplissement de la mission ;
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires, avec l'aide du ou des experts informatiques, à installer tout logiciel ou brancher tous périphériques pour les besoins des opérations ;
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires à se faire communiquer par les représentants de la société Logareo Services dont le/les ordinateurs et messageries sera/seront soumis à expertise les adresses mails, codes d'accès, notamment informatiques nécessaires à l'exécution de sa mission et à accéder à l'ensemble des documents présents, identifiés ou non comme personnels ;
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires à se faire communiquer par :
- P. Adrien
- B. Marine
- P. Thibaut
- M. David
- K. Hammou
- G. Florian
- G. Sylvain
- T. Eric
- G. Lucie
- R. Agathe
- B. Vincent
Leurs adresses mails personnelles et codes d'accès, nécessaires à l'exécution de sa mission et à accéder à l'ensemble des documents présents, identifiés ou non comme personnels ;
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires, avec l'aide du ou des experts informatiques, à prendre des photos et/ou copies sur support papier et ou informatique des éléments trouvés, ainsi que sur tout matériel jugé nécessaire par lui ;
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires, avec l'aide du ou des experts informatiques, si nécessaire, à procéder à l'extraction des disques durs des unités centrales des ordinateurs concernés, à leur examen à l'aide des outils d'investigation de son choix, puis à la remise en place de ces disques durs dans leur unité centrale respective après en avoir fait copie ;
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires à consigner toutes déclarations faites au cours des opérations en relation avec la mission, mais en s'abstenant de toute interpellation autre que celles nécessaires à l'accomplissement de celle-ci ;
- dire que les représentants de la société Logareo Services devront s'abstenir d'entraver de quelque manière que ce soit les opérations, notamment en verrouillant l'accès physique ou logique aux ordinateurs, dossiers et messageries ;
- dans l'hypothèse où la bonne fin de la mission pourrait être compromise du fait d'une obstruction, d'un obstacle technique tenant à la volumétrie des informations, ou de l'impossibilité d'utiliser sur place les outils nécessaires :
- autoriser le ou les huissier(s) instrumentaires, avec l'aide du ou des experts informatiques, le requis présent ou appelé, à procéder à une copie complète en deux exemplaires des fichiers, des disques durs et autres supports de données qui lui paraitront en rapport avec la mission confiée ;
- une copie sera placée sous séquestre et servira de référentiel et ne sera pas transmise aux appelantes ;
- l'autre copie servira à l'huissier(s) instrumentaires, avec l'aide du ou des experts informatiques, à procéder de manière différée à l'ensemble des recherches et analyses relevant de la présente mission ;
- dire que l'expert en informatique assistant l'huissier devra au préalable établir une note technique établissant la traçabilité de ces opérations ;
- dire que l'huissier annexera à son constat le compte rendu détaillé des opérations techniques réalisées par l'expert en informatique ;
Étant entendu que la partie requise aura été appelée à assister tant aux opérations préalables, qu'à celles de contrôle et de synthèse ;
- dire qu'il sera dressé un procès-verbal des opérations effectuées lors de cette expertise ;
- autoriser ou les huissier(s) instrumentaires à prendre une copie en deux exemplaires, l'une étant destinée aux appelantes, afin d'utilisation dans le cadre d'une éventuelle expertise judiciaire ou procédure au fond, et l'autre qui restera annexée au procès-verbal, des fichiers et courriers électroniques identifiés en rapport avec la mission, sous forme numérique ou sur tout autre support (clefs « USB », CD, DVD et autres disques durs externes, ou support papier) ;
- dire que l'huissier(s) instrumentaires et le(s) experts informatiques, devra s'interdire de collecter des informations manifestement personnelles et sans rapport avec la présente mission ;
- fixer la provision de l'huissier ;
- dire que l'huissier procèdera à sa mission dans un délai de deux mois à compter du versement de la provision ;
- dire que les résultats de cette expertise leur seront remis ;
- dire qu'il en sera référé à la cour en cas de difficulté ;
- débouter la société Logareo Services de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Logareo Services à leur payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Logareo Services aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 5 février 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Logareo Services demande à la cour, au visa des articles 1241 et suivants du code civil et 873 du code de procédure civile, de :
S’agissant des demandes des sociétés Prodex et Partnair :
- constater le caractère irrecevable des demandes formulées par les appelantes au visa de l'article 145 du code de procédure civile en pleine procédure sur les griefs de concurrence déloyale faute d'avoir été formulées « avant tout procès » comme le texte l'exige ;
- constater que les appelantes ne démontrent pas le moindre débauchage fautif faute de faire quelque démonstration d'une manœuvre déloyale et d'une désorganisation interne concrète en résultant ;
- constater que les appelantes ne démontrent pas de détournement de clientèle reposant sur un procédé déloyal ;
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré le juge des référés incompétent et renvoyé les appelantes à mieux se pourvoir au fond ;
- débouter les appelantes de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
S’agissant de ses demandes en appel incident :
- constater la légèreté blâmable avec laquelle la procédure de céans a été engagée tant sur le fond qu'à titre probatoire ;
- constater le caractère abusif de la saisine de la juridiction de céans qui n'est en réalité motivée que par une initiative comminatoire des appelantes, incapable de répondre opérationnellement et d'un point de vue « managériale » au dynamisme du projet qu'elle a porté ;
- constater le dénigrement et les tentatives de déstabilisation dont elle est victime du fait des sociétés Prodex et Partnair ;
En conséquence,
- réformer l'ordonnance attaquée ;
- condamner les sociétés Prodex et Parnair solidairement à lui payer la somme de 50 000 euros pour procédure abusive ;
- condamner les sociétés Prodex et Parnair solidairement à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de provision sur son préjudice issu du dénigrement et tentative de déstabilisation dont elle a été victime ;
- condamner les sociétés Prodex et Parnair solidairement à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement les sociétés Prodex et Parnair aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 février 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Observations liminaires :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constater » ou de « donner acte » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
Il est par ailleurs exact que si dans son ordonnance, le premier juge a dit « n'y avoir lieu à référé sur les demandes principales des sociétés Prodex et Partnair » et les a renvoyées à mieux se pourvoir, il n'apparaît pas avoir répondu à la demande de désignation d'un huissier de justice aux fins de constat, demande pourtant évoquée par cette décision dans le rappel des prétentions des parties.
Toutefois, par l'effet dévolutif de l'appel, la cour est régulièrement saisie de cette demande.
Sur le trouble manifestement illicite au titre de la concurrence déloyale :
Les appelantes sollicitent l'infirmation de l'ordonnance querellée en ce qu'elle a rejeté leur demande de condamnation de la société Logaero à cesser tout débauchage, tout démarchage et toute relation avec leurs clients ainsi que leur demande de provision en réparation des agissements de concurrence déloyale imputés à la société Logaero.
Elles arguent en premier lieu de faits de débauchage massif de leurs salariés commis par la société Logaero.
Ainsi, elles relatent que consécutivement au départ de M. Adrien P. (directeur général de la société Prodex), elles ont enregistré pas moins de 8 départs de salariés occupant des fonctions stratégiques dans l'entreprise à savoir Mme Marine B. (commerciale, salariée de la société Prodex du 2 janvier 2017 au 12 septembre 2019), M. Thibaut P. (responsable service AOG de la société Prodex du 8 août 2011 au 2 janvier 2020), M. David M. (agent de transit de la société Prodex du 15 septembre 2014 au 11 décembre 2019), M. Hammou K. (responsable service pisteurs de la société Prodex du 1er septembre 2010 au 21 février 2020), M. Florian G. (superviseur de la société Prodex du 3 avril 2017 au 14 janvier 2020), M. Sylvain G. (responsable d'agence du 3 septembre 2018 au 30 mars 2020), M. Eric T. (responsable région Sud de la société Prodex du 21 février 2011 au 13 avril 2020) et Mme Lucie G. (responsable développement Chine de la société Prodex du 3 juillet 2017 au 31 juillet 2019).
Elles précisent que c'est ainsi 46 % des cadres de la société Prodex qui ont rejoint la société Logaero, ce qui a impacté leurs services.
Elles ajoutent que l'ensemble des cadres de province ont subi une tentative de débauchage, dont MM. G. (responsable de l'agence de Nantes) et G. (responsable de l'agence de Toulouse) et que seule Mme Sandrine A., responsable de l'agence de Nice, a refusé de partir pour rejoindre la société Logaero, comme elle en atteste, et qu'elles ont dû s'aligner sur le salaire proposé par la société Logaero pour conserver Mme Navita G., affectée au service des douanes de la société Partnair & Sea
Elles arguent des témoignages de MM. M. et Alain B., relatant ces actes de débauchage ainsi que du départ de M. Vincent B., cadre de la filiale AB Logistic, exerçant les fonctions de responsable emballage et produits dangereux.
Elles contestent fermement l'argumentation adverse selon laquelle les départs de ces salariés seraient liés à un prétendu « climat social dégradé » au sein de la société Prodex, allégation non établie et contredite selon elles par les pièces qu'elles versent aux débats.
Elles font enfin valoir qu'elles démontrent que si M. Hammou K. a perçu une faible rémunération variable au titre de l'année 2019, ce qui aurait motivé son départ, c'est uniquement du fait de M. P. qui a refusé de lui accorder une prime supplémentaire, preuve des manoeuvres élaborées par l'ancien directeur général de la société Prodex qui n'a pas hésité à refuser des primes à certains collaborateurs pour mieux les débaucher ensuite.
Sur les faits de détournement de clientèle, les sociétés appelantes rappellent que la société intimée ne comptait que 2 salariés en 2017 et que son chiffre d'affaires pour 2017 était en recul de 42,96 % par rapport à l'année précédente.
Elles considèrent que les mails versés aux débats établissent la réalité de la concurrence exercée par la société Logaero par le biais de son directeur général, M. Adrien P., qui n'hésite pas à solliciter directement les clients de la société Prodex, comme en attestent notamment divers mails envoyés par l'intéressé, par erreur à l'adresse mail de la société Prodex, ou à demander les listings des flux traités par la société Prodex, ce qui confirme que la société Logaero utilise bien leurs fichiers clients.
Elles relatent que leur client Air Canada a interrogé la société Prodex en mars 2020 pour savoir si elle était liée à Logaero Services, après avoir sollicité l'agence de Nice pour une prestation sur Toulouse en février 2020, ce qui laisse penser que les courriels de l'agence de Nice ont été interceptés par M. T., ancien responsable d'agence, qui avait insisté pour conserver les codes de la boîte mail de l'agence de Nice.
Selon elles, il résulte également des attestations de MM. B. que l'intimée a détourné deux clients historiques de Prodex en Suisse et qu'elle a contacté la quasi-totalité de leurs clients.
Les sociétés appelantes font également valoir que la société Logaero reproduit à l'identique les pratiques de la société Prodex, comme l'adresse mail « controltower » ou un numéro de téléphone se terminant par AOG (264), et que MM. M. et Thibault P. ont débauché la société Volotea, en commercialisant le même service « controltower ».
Ainsi, elles estiment que la concurrence déloyale reprochée à la société Logaero est manifestement établie.
Les sociétés Prodex et Partnair & Sea avancent que leurs préjudices résultent de la perte de clientèle induisant une perte de chiffre d'affaires ainsi que des efforts qu'elles ont dû faire pour enrayer cette perte de clientèle en mettant en place des actions particulières, et pour remplacer les salariés débauchés.
Elles indiquent qu'à la fin du premier trimestre 2020, les agence de Roissy CDG et Toulouse, qui représentent 75 % de l'activité de la société Prodex, ont accusé un retard de chiffre d'affaires de 501 253 euros, soit une perte de chiffre d'affaires de 15 %, et sollicitent donc la condamnation de la société Logaero à leur payer la somme de 200 000 euros à titre de provision sur leurs préjudices.
La société Logaero, intimée, fait quant à elle valoir que les mesures conservatoires sollicitées par les appelantes viennent directement en contravention avec les principes fondamentaux de libertés de travail, de commerce et de concurrence, que le recrutement de salariés d'un concurrent ou que la prospection d'un client concurrent, même par l'intermédiaire d'un ancien salarié de ce concurrent qui était en contact avec ces clients, ne peuvent jamais constituer en soi une pratique fautive et que seule la manoeuvre déloyale ayant pour effet une désorganisation interne est fautive et doit être démontrée par les parties demanderesses.
Elle prétend que les appelantes ne produisent pas la moindre preuve de débauchage par M. P., ne font pas la moindre démonstration du prétendu caractère 'stratégique' des salariés embauchés ni n'apportent la moindre précision sur les circonstances de leur départ et leur situation personnelle ou professionnelle en leur sein.
Elle argue d'une absence de débauchage fautif en ce que la liste des salariés prétendument débauchés est erronée, Mme Marine B. et Mme Agathe R. ayant été recrutées par ses soins en provenance d'autres entités que les appelantes.
Elle fait valoir que depuis le départ de M. P., les appelantes n'ont eu à déplorer le départ que de 6 salariés (M. Thibault P., frère de M. Adrien P., M. M., M. K., M. G., M. G. et M. T.), Mme G. ayant quant à elle été recrutée en situation de chômage après avoir quitté les sociétés Prodex et Partnair & Sea, départ de salariés qui s'est étalé sur plus de 8 mois et demi.
Elle souligne ensuite l'absence de toute clause de non-concurrence ou de non-sollicitation de clientèle dans les contrats de travail de ces 6 salariés ainsi que l'absence de toute manœuvre déloyale.
Ainsi, la société Logaero soutient que les appelantes n'apportent pas la moindre preuve d'une action positive de débauchage ni de ce qu'en outre, celui-ci serait le résultat de manoeuvres déloyales sous forme d'action pour les inciter à démissionner.
Elle prétend que certains salariés attestent du souhait qu'a été le leur de rejoindre son projet porté par M. P. sous le management duquel ils ont été au sein des sociétés appelantes et réfutent avoir accordé la moindre rémunération supérieure au profit des salariés concernés, à l'exception d'un seul salarié ayant été augmenté de 200 euros par mois compte tenu de son évolution de poste, tandis que les autres ont au contraire subi une baisse par rapport à leur dernier salaire chez la société Prodex.
Elle indique également que le départ des 7 salariés est intervenu dans un contexte de climat social très dégradé et de grande incertitude sur les perspectives au sein du groupe AB Holding comme le démontrent les documents établis par M. B. lui-même, parlant de « crise manageriale » en 2018 ainsi que par son épouse et directrice, Mme B., ayant indiqué que le groupe dans son ensemble était fragilisé.
Elle verse aux débats les attestations de salariés qui sont selon elle éclairantes sur ce management défaillant et insiste sur l'exorbitant turn-over des salariés au sein des appelantes (53,47 % pour la société Prodex et 43,62 % pour la société Partnair & Sea en 2018).
Enfin, la société Logaero conclut que les appelantes ne procèdent à aucune démonstration d'une quelconque désorganisation interne, condition essentielle et déterminante du caractère fautif du débauchage et qu'il est improbable qu'il y ait eu une désorganisation interne concernant le débauchage (non prouvé) de 7 salariés, représentant 7 % des effectifs, dont le départ s'est étalé sur 8 mois, sans savoir-faire spécifiques aux appelantes, dépourvus de clauses restrictives, quand dans le même temps ces entreprises connaissent un taux récurrent de turn-over de près de 50 %.
S'agissant des prétendus détournements de clientèle et des « copies de pratiques de la société Prodex », elle rappelle que ne constituent pas de tels procédés le fait de démarcher la clientèle d'un concurrent, le fait pour un ancien salarié de reprendre contact et démarcher ses relations de clientèle qu'il a développées et entretenues lors de son activité au sein de la société quittée ainsi que le fait de contractualiser avec un « partenaire » d'une société concurrente.
Elle indique qu'il va de soi que lorsqu'elle envoie un mail de prospection, elle le fait en toute licéité, dans le libre jeu de la concurrence, que ce prospect soit ou non client des sociétés Prodex et Partnair & Sea.
Elle mentionne à cet égard qu'il est « invraisemblable » que les appelantes viennent solliciter auprès du juge des référés qu'il lui soit fait interdiction d'entrer en contact avec leurs clients.
Elle se livre ensuite à une analyse, client par client, soulignant que sur les 7 clients cités par les appelantes, 3 ne sont concernés que par un simple mail de prospection et 2 autres ne font l'objet tout simplement d'aucune pièce démontrant ne serait-ce qu'un démarchage à l'exception d'une attestation du directeur général de la société Prodex sans la moindre pièce à l'appui.
Ainsi par exemple, s'agissant du client Volotea, elle relate que la seule pièce versée est un échange de mail entre M. M. et un interlocuteur de ce client faisant suite à une demande de prestation de transport AOG pour laquelle la société Prodex a été défaillante dans sa réponse.
Elle ajoute que le concept « controltower » est apparu il y a plus de 10 ans et est utilisé par les plus grands acteurs du secteur de l'aéronautique, la société Prodex n'en étant pas le créateur, mais un utilisateur comme un autre, et que s'agissant de la mention marketing AOG, il s'agit également d'une utilisation banale par les acteurs logistiques de l'aéronautique, la société Prodex n'en étant aucunement précurseur.
Enfin, elle souligne l'absence de toute démonstration d'un préjudice pouvant justifier le versement d'une provision que le juge des référés n'a en outre pas le pouvoir d'allouer en la matière.
Elle fait valoir que les appelantes ne justifient pas de la perte de chiffre d'affaires alléguée, d'autant qu'au contraire, les chiffres qu'elles avancent font la démonstration qu'il n'y a en réalité aucune perte à ce titre.
Elle souligne que les appelantes feignent d'ignorer l'impact de la covid-19 sur l'activité du 1er trimestre 2020.
Sur ce,
Aux termes de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite est caractérisé par « toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit » qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer.
L'illicéité du trouble suppose la violation d'une obligation ou d'une interdiction préexistante et doit être manifeste. Il appartient à la partie qui s'en prévaut d'en faire la démonstration avec l'évidence requise devant le juge des référés.
En outre, le juge des référés ne peut prononcer que les mesures conservatoires strictement nécessaires pour préserver les droits d'une partie.
Les faits de concurrence déloyale susceptibles de caractériser un trouble manifestement illicite trouvent leur fondement dans les articles 1240 et 1241 du code civil, lesquels impliquent l'existence d'une faute commise par l'intimé et d'un préjudice souffert par les appelantes.
S'agissant en premier lieu du grief tiré du débauchage massif, il convient de rappeler que le principe de la liberté du travail et du commerce conduit à reconnaître au salarié la faculté de mettre fin à son engagement pour exercer une activité pour le compte d'un nouvel employeur, ce dernier ne pouvant se voir reprocher de tirer profit du savoir-faire acquis auprès d'un précédent employeur n'ayant pas su, pas pu ou pas voulu retenir ses collaborateurs.
Cette liberté d'embauche du personnel d'une entreprise concurrente ne peut donc engager la responsabilité du nouvel employeur que dans l'hypothèse où elle est exercée de manière fautive.
Pour aboutir, l'action en concurrence déloyale par débauchage de salariés suppose donc l'existence de manoeuvres déloyales, pouvant notamment consister à inciter le personnel débauché à la démission, à désorganiser une entreprise ou un service d'une entreprise concurrente en débauchant massivement et brutalement son personnel, ou à soutirer à ce personnel des informations confidentielles et privilégiées sur le savoir-faire ou la clientèle.
Or, en l'occurrence, les pièces produites par les sociétés Prodex et Partnair & Sea sont impropres à rapporter la preuve, avec l'évidence requise en référé, de manoeuvres déloyales de la société intimée, étant souligné que les attestations de M. Alain B., président directeur général du groupe Prodex ne sauraient valoir à titre de preuve en vertu de l'adage selon lequel 'nul ne peut se constituer de preuve à soi-même'.
S'il est reconnu par la société Logaero que 6 salariés l'ont rejointe consécutivement au départ de M. Adrien P. du groupe Prodex et qu'il apparaît en effet à la lecture de l'organigramme versé par les appelantes (leur pièce n° 22) que ces salariés occupaient des postes au sein de la direction opérationnelle (soit MM. Thibault P., M., K., T. G. et G.), ce seul caractère ciblé des embauches effectuées par une société concurrente ne saurait suffire en référé à caractériser une faute évidente.
En particulier, les appelantes ne contestent pas que ces départs de salariés ne représentent en réalité que 7 % de leurs effectifs cumulés (99 salariés) et n'ont pas répondu aux assertions de l'intimée selon lesquelles elles subissent depuis plusieurs années un turn-over conséquent de salariés, prétendant, sans verser de pièce probante à l'appui, que les départs de salariés litigieux auraient désorganisé leurs sociétés.
Par ailleurs leurs allégations selon lesquelles l'ensemble des salariés débauchés de la société Prodex (à l'exception de M. T.) se seraient vus offrir des conditions de rémunération plus avantageuses chez la société Logaero ne sont pas en l'espèce établies avec la certitude nécessaire en référé puisqu'aucune des parties ne se livre à une analyse comparative précise des bulletins de paie versés aux débats et que ceux-ci sont en l'état difficilement exploitables compte tenu des variations de rémunération selon les mois, des primes irrégulièrement versées et des retenues y figurant.
S'agissant des motivations du départ des salariés en cause, l'intimée démontre par les pièces versées aux débats (mail de M. Alain B. du 14 décembre 2018 parlant du « moral des troupes [qui] semble être au plus bas », d'une année 2018 « particulièrement difficile » et de crises « conjucturelle » et « manageriale », mail de M. Alain B. du 27 septembre 2018 intitulé « rappel de nos valeurs d'entreprise », mail de Mme Caroline M. mentionnant « l'hémorragie de Partnair & Sea » qui « ne s'arrête pas » et du fait qu'ils ont « beaucoup de mal à reconquérir nos équipes » et sont « en train de perdre l'ensemble des managers de la structure ainsi qu'une grande partie de son historique ») qu'il existait au sein de la société Partnair & Sea un mauvais fonctionnement de l'entreprise antérieurement au départ des salariés et en particulier antérieurement au départ de M. Adrien P. datant du 29 décembre 2019.
Si les appelantes communiquent quant à elles des mails émanant de salariés du groupe (leurs pièces 27, 29, 30, 41 et 36) desquels il ressort un climat social serein au sein de celui-ci, au stade de l'instance en référé, ceux-ci ne sauraient suffire à contrecarrer les dysfonctionnements ressortant des pièces produites par l'intimée.
En outre, il n'existe au dossier aucune pièce de nature à démontrer que le débauchage allégué avait pour but d'accéder à des informations privilégiées, étant au surplus précisé que les anciens salariés des sociétés appelantes étaient tous libres de tous engagements lorsqu'ils ont été embauchés par la société intimée et qu'aucun d'eux n'était tenu par une obligation de non-concurrence.
Enfin, il sera encore souligné que l'allégation des appelantes selon laquelle le refus de M. Adrien P. du temps où il travaillait par le groupe Prodex d'accorder une prime supérieure à M. K. serait la preuve de manoeuvres déloyales pour mieux le débaucher par la suite (pièce appelante n° 32) est là-encore contrecarrée par la pièce n° 43 de l'intimée qui fait apparaître que l'attribution de cette prime a fait l'objet d'arbitrages discutés au sein de l'entreprise.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de constater que les appelantes ne démontrent pas avec le caractère inconstestable requis en référé l'existence d'un débauchage fautif de salariés commis par la société Logaero.
S'agissant du détournement de clientèle, les appelantes doivent démontrer, là-encore de manière évidente, qu'au-delà du libre jeu de la concurrence, la société Logaero se livrerait à un démarchage de sa clientèle au moyen d'agissements déloyaux contraires aux usages commerciaux.
Notamment, le simple fait pour un salarié qui n'est plus lié à son ancien employeur de passer au service d'un concurrent avec des répercussions de ce changement d'employeur sur la clientèle dont la liberté reste entière n'est pas fautif à condition qu'il soit exempt de manoeuvres déloyales.
Ainsi, les courriels de M. Adrien P. communiqués par les appelantes (pièces n° 9, 10, 11, 19, 31, 38, 40), s'ils démontrent que l'intéressé a procédé à des actes de démarchage des clients des sociétés Prodex et Partnair & Sea, ne contiennent cependant pas de termes qui permettraient de manière évidente, de caractériser que ces démarchages ont été accompagnés d'actes de dénigrement des sociétés appelantes comme celles-ci le prétendent.
Il ne peut, en référé, être constaté que la mise en avant des avantages des services proposés par la société Logaero constituerait un dénigrement subséquent des sociétés appelantes concurrentes, même si le contexte des faits pourrait le laisser induire.
Quant à la sollicitation simultanée des sociétés en cause par Air Canada, il n'est pas démontré à ce stade qu'elle aurait été rendue possible par l'accès de M. T. à la boîte mail de son ancien employeur (agence de Nice).
Il découle de ce qui précède que les appelantes, échouant à rapporter la preuve flagrante d'actes de concurrence déloyale et donc un trouble manifestement illicite, doivent être déboutées de leurs demandes à ce titre.
L'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a ainsi jugé et dit n'y avoir lieu à référé sur ces demandes.
Sur la demande d'expertise judiciaire aux fins de constat :
Les sociétés appelantes sollicitent également de la cour qu'elle ordonne aux frais de l'intimée la mission d'expertise détaillée dans le dispositif de ses conclusions en soutenant que l'engagement de la présente procédure n'a eu aucun effet sur la société Logaero, qui n'a pas manqué de poursuivre ses agissements agressifs envers elles.
En réponse au moyen d'irrecevabilité de cette demande soulevé par l'intimée, les sociétés Prodex et Partnair & Sea rétorquent qu'il ressort des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile que les mesures d'instruction peuvent valablement être sollicitées devant le juge des référés et qu'une instance en référé n'est pas une instance au fond pouvant y faire obstacle.
Elles font ensuite valoir que comme elles l'ont précédemment exposé, elles ont fait l'objet d'un départ massif de collaborateurs clés en quelques mois qui occupaient des fonctions clés au sein du groupe et que le fait de débaucher du personnel d'un concurrent, qu'il soit lié ou non par une clause de non-concurrence, est un élément constitutif des faits de concurrence déloyale, notamment lorsque le débauchage est principalement motivé par le désir d'exploiter les connaissances acquises par les salariés dans l'exercice de leur précédent emploi.
Elles arguent en conséquence détenir un intérêt légitime à recueillir des éléments de preuve sur le débauchage de leurs collaborateurs par la société Logaero puisqu'elles doivent pouvoir accéder aux fichiers et dossiers du personnel pour déterminer le nombre d'embauches et les conditions dans lesquels ses salariés ont rejoint le concurrent, en ce compris les échanges préalables et négociations, ainsi qu'avoir la possibilité d'accéder aux outils informatiques et dossiers de leurs anciens salariés, en ce compris les adresses mails personnelles des anciens salariés puisqu'avant leur entrée en fonction chez la société Logaero, les anciens salariés ont pu échanger via leurs boîtes mails personnelles avec la société Logaero ou entre eux pour favoriser les départs de clients.
Elles ajoutent qu'ainsi qu'il a été exposé, le départ brutal des collaborateurs clés de la société Prodex s'est accompagné d'un détournement de clientèle de sorte qu'elles justifient d'un intérêt légitime à accéder à la liste des clients gérés par la société Logaero ainsi qu'aux documents et échanges avec chacun des clients concernés pour vérifier par quels moyens ils sont entrés en relation avec l'intimée, mesures d'instruction qui devront être réalisées à partir du listing de clients des sociétés Prodex et Partnair & Sea qu'elles remettront à l'huissier de justice sous format électronique.
En réponse, la société Logaero soulève uniquement l'irrecevabilité de la demande des appelantes qui ont initié cette demande pendant le procès et non avant.
Sur ce,
Il découle des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile que dès lors qu'un procès au fond est déjà engagé, les mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ne peuvent plus être ordonnées en référé.
Toutefois, il est constant qu'une autre instance en référé, qui se distingue précisément de la procédure au fond, ne peut faire obstacle à l'application de l'article 145, a fortiori lorsqu'il s'agit de la même instance.
Ce moyen d'irrecevabilité de la demande soulevée par la société Logaero sera rejeté.
Selon l'article 145 du code de procédure civile, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
L'application des dispositions de l'article 145 suppose l'existence d'un éventuel procès in futurum, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.
Au vu des développements précédents, il convient de considérer que les conditions d'application de cet article ainsi posées sont réunies en l'espèce.
Les éléments apportés aux débats par les appelants ci-dessus analysés, concernant à la fois le débauchage de salariés et le détournement de clientèle, s'ils ne permettent pas de retenir le caractère manifeste des actes de concurrence déloyales, rendent cependant crédibles les griefs allégués.
Ainsi, il sera fait droit à la demande de mesure de constat et de saisie, au demeurant non critiquée en son principe par l'intimée, dans les termes indiqués au dispositif du présent arrêt.
Seront notamment exclues de la mission de constat confiée à l'huissier les recherches en relation avec M. Vincent B., dont il n'est pas démontré qu'il travaillerait pour la société Logaero, ainsi qu'avec Mmes B. et R., qui ne travaillaient pas pour les appelantes dans la période précédant leur embauche par la société Logaero.
Il convient également de limiter dans le temps la mesure de constat sollicitée, qui débutera à une date proche du début des départs des salariés visés des sociétés appelantes, soit à compter du 1er novembre 2019, et pourra s'étaler sur une période d'un an, soit jusqu'au 1er novembre 2020.
Le montant de la provision à valoir sur les frais de la mesure devra être consigné par les parties demanderesses à l'expertise, soit par les sociétés Prodex et Partnair & Sea.
Sur les demandes reconventionnelles de la société Logaero :
La société Logaero soutient que la procédure initiée par les appelantes, qui révèle selon elle une blâmable méconnaissance de la notion de concurrence déloyale de leur part, est abusive et lui a causé un préjudice d'image (à l'égard de ses collaborateurs) et moral qui peut légitimement être évalué à 50 000 euros.
Elle sollicite ensuite la condamnation de la société Prodex au paiement d'une provision d'un montant de 100 000 euros à valoir sur son préjudice d'image et moral en raison du dénigrement et de la tentative de déstabilisation dont elle est victime.
Elle soutient que cela a débuté avec une pression fautive mise sur les salariés partant qui se sont vus remettre par voie d'huissier une lettre d'avocat leur rappelant leur obligation de loyauté issue de leur contrat de travail et l'interdiction qui est la leur de démarcher leurs contacts clients à l'issue de leur départ.
Elle ajoute que son directeur général, M. P., a gravement été dénigré directement auprès des clients et agents par le PDG des sociétés Prodex et Partnair & Sea dans des mails inadmissibles (sa pièce n° 4).
Les sociétés Prodex et Partnair & Sea sollicitent la confirmation de l'ordonnance déférée ayant rejeté les demandes reconventionnelles formulées par la société Logaero.
Elles indiquent qu'elles tentent seulement de préserver leurs intérêts et que les pièces versées aux débats écartent à elles seules une quelconque faute de leur part.
Sur ce,
Compte tenu du sens de la présente décision faisant partiellement droit aux demandes des appelantes, celles-ci ne sauraient être condamnées pour procédure abusive.
Par ailleurs, la société Logaero affirme sans le démontrer que les anciens salariés des sociétés Prodex et Partnair & Sea auraient reçu des courriers comminatoires.
Quant à la pièce 4 versée afin de démontrer les actes de dénigrement dont elle aurait été victime, celle-ci est uniquement communiquée en langue anglaise de sorte que faute de production d'une traduction en langue française, la cour considère qu'il convient de l'écarter comme élément non probant.
A défaut pour la société Logaero de prouver les faits invoqués, l'ordonnance critiquée sera confirmée en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles.
Sur les demandes accessoires :
Les sociétés Prodex et Partnair & Sea étant partiellement accueillies en leur recours, l'ordonnance sera infirmée en sa disposition relative aux dépens de première instance.
Aucune partie ne pouvant être considérée comme perdante à ce stade de la procédure, il convient que chacune d'elle conserve la charge des dépens qu'elle a exposés en première instance et devant la cour.
Par équité, elles seront déboutées de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et il sera dit n'y avoir lieu à les appliquer.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance du 25 juin 2020 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés Prodex et Partnair & Sea au titre du trouble manifestement illicite,
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Déclare recevable la demande d'instruction,
Ordonne une mesure de constat et de saisie,
Désigne pour y procéder :
La Selarl CDJ Meaux, huissier de justice,
(...)
Avec pour mission de :
- se rendre au siège de la société Logaero Services, société par actions simplifiée, immatriculée au RCS de Meaux sous le numéro 423 421 825, dont le siège social est situé [...], ou en tout autre lieu ou serait assuré sa gestion administrative et/ou son exploitation ;
- se faire remettre ou rechercher sur tous documents, physiques comme informatiques sous quelque forme que ce soit et en particulier tous fichiers/dossiers du personnel, tous fichiers/dossiers de recrutement sur les dates d'entrée, conditions d'emploi et d'embauche des personnes suivantes :
- P. Adrien
- P. Thibaut
- M. David
- K. Hammou
- G. Florian
- G. Sylvain
- T. Eric
- G. Lucie
En ce compris les échanges et correspondances, promesses d'embauche, projets de contrat, contrats et avenants, contrat de travail, mandats sociaux, et tout autre contrat ;
- se faire remettre par les sociétés appelantes la liste de leurs clients ;
- se faire remettre ou rechercher sur tous documents, physiques comme informatiques sous quelque forme que ce soit, la liste des clients de la société Logareo Services et ce pour rechercher les clients présents sur la « liste des clients » des appelantes ;
- consigner dans son procès-verbal les clients communs ;
- se faire remettre ou rechercher sur tous documents, physiques comme informatiques sous quelque forme que ce soit, tous courriers, devis, correspondances, courriels, documents contractuels échangés ou conclus entre la société Logareo Services et chacun des clients communs ;
- rechercher et copier chez la société Logareo Services et sur tous ses serveurs et ordinateurs, tous documents physiques comme informatiques et en particulier tous échangent de mails entre la société Logareo Services et :
- P. Adrien
- P. Thibaut
- M. David
- K. Hammou
- G. Florian
- G. Sylvain
- T. Eric
- G. Lucie
Ayant trait au transfert de la clientèle des sociétés Prodex et Partnair & Sea à la société Logareo Services et aux embauches réalisées par la société Logareo Services ;
En lien avec la « liste des clients » des sociétés Prodex et Partnair & Sea ;
- rechercher et copier sur les postes informatiques, y compris dans leurs boîtes mails personnelles, de :
- P. Adrien
- P. Thibaut
- M. David
- K. Hammou
- G. Florian
- G. Sylvain
- T. Eric
- G. Lucie
Tous courriers, devis, correspondances, courriels, documents contractuels en lien avec le traitement et le transfert de la clientèle des sociétés appelantes à la société Logareo Services ainsi que leur embauche par la société Logaero ;
Dit que les recherches et opérations de constat devront se limiter aux documents et fichiers établis entre le 1er novembre 2019 et le 1er novembre 2020,
Dit que pour procéder à sa mission l'huissier de justice pourra, avec l'aide du ou des techniciens informatiques, si nécessaire :
- prendre copie des documents sur papier objet de la mission ;
- mener des recherches sur les supports informatiques en utilisant la « liste des clients » remise par les appelantes et en usant en tant que de besoin des mots clés suivants : « prodex », « partnair », « flux traités »,
- se faire assister de tout huissier territorialement compétent ;
- se faire assister, pour l'aider dans sa mission par tout technicien de son choix, notamment en matière informatique ;
- avoir accès à l'ensemble des serveurs et postes informatiques de la société, à ceux des personnes directement concernées par le litige, également à ceux de leurs collaborateurs et secrétaires directs, y compris aux serveurs, et à tous autres supports (externes et internes par exemple clés USB, disque dur externe, carte mémoire) de données informatiques, aux fins d'y rechercher les éléments nécessaires au bon accomplissement de la mission ;
- installer tout logiciel ou brancher tous périphériques pour les besoins des opérations ;
- se faire communiquer par les représentants de la société Logareo Services et les salariés visés dont le/les ordinateurs et messageries sera/seront soumis à expertise les adresses mails, codes d'accès, notamment informatiques nécessaires à l'exécution de sa mission et à accéder à l'ensemble des documents présents, identifiés ou non comme personnels ;
- prendre des photos et/ou copies sur support papier et ou informatique des éléments trouvés, ainsi que sur tout matériel jugé nécessaire par lui ;
- procéder à l'extraction des disques durs des unités centrales des ordinateurs concernés, à leur examen à l'aide des outils d'investigation de son choix, puis à la remise en place de ces disques durs dans leur unité centrale respective après en avoir fait copie ;
- consigner toutes déclarations faites au cours des opérations en relation avec la mission, mais en s'abstenant de toute interpellation autre que celles nécessaires à l'accomplissement de celle-ci,
Dit que le technicien informatique assistant l'huissier devra au préalable établir une note technique établissant la traçabilité de ces opérations,
Dit que l'huissier annexera à son constat le compte rendu détaillé des opérations techniques réalisées par l'expert en informatique, la société Logaero ayant été appelée à assister tant aux opérations préalables, qu'à celles de contrôle et de synthèse,
Dit qu'il sera dressé un procès-verbal des opérations effectuées lors de cette mission,
Dit que les fichiers et courriers électroniques identifiés en rapport avec la mission, à l'exclusion des données strictement personnelles, sous forme numérique ou sur tout autre support (clefs « USB », CD, DVD et autres disques durs externes, ou support papier) seront séquestrés par la selarl CDJ Meaux jusqu'à ce qu'il en soit décidé autrement par décision de justice,
Fixe la provision à valoir sur les frais de l'huissier de justice à la somme de 3 000 euros,
Dit que cette somme devra être consignée par les sociétés Prodex et Partnair & Sea auprès la Selarl CDJ Meaux au plus tard le 3 juin 2021 inclus,
Dit que faute de consignation de la présente provision initiale dans ce délai impératif, la désignation de cet officier ministériel sera aussitôt caduque et de nul effet, sans autre formalité requise,
Dit que l'huissier précédera à sa mission dans un délai de deux mois à compter du versement de la provision,
Dit que l'exécution de la mesure d'instruction sera suivie par le juge du service du contrôle des expertises du tribunal de commerce de Pontoise,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que chaque partie supportera les dépens de première instance et d'appel par elles exposés.