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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 11 mai 2021, n° 18/24357

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

NMB (SAS)

Défendeur :

MMA Iard Assurances Mutuelles, MMA Iard (SA), Allianz Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Etevenard, Me Chiffaut-Moliard, Me Porcher

TGI Paris, du 10 oct. 2018

10 octobre 2018

La société La Bovida a développé à travers la société Epicuria un réseau de franchise destiné à étendre au marché des particuliers son activité de fabrication et commercialisation de produits et matériels de cuisine haut de gamme.

Le 9 juin 2011, la Sas NMB a régularisé un contrat de franchise avec Epicuria pour l'ouverture d'un magasin franchisé de 90 m2 à Cannes.

Rapidement insatisfaite des résultats obtenus dans le cadre de l'exécution de ce contrat et considérant qu'elle s'était engagée sur la base d'informations pré-contractuelles selon elle insincères et entachées d'erreurs grossières, révélant la légèreté autant que l'incompétence du franchiseur et l'ayant déterminé à contracter, la société NMB a chargé Me E... O... de la défense de ses intérêts.

Par acte d'huissier de justice délivré le 5 février 2013, la société NMB a fait assigner la société Epicuria devant le tribunal de commerce de Bourges aux fins

- d'annulation du contrat de franchise aux torts de la société Epicuria,

- de condamnation d'Epicuria au paiement de diverses indemnités au titre de l'éventuelle moins-value de cession de son bail, des investissements non amortis et des pertes d'exploitation constatées au jour de l'annulation du contrat, du passif résiduel éventuel un an après vente des actifs et indemnisation du solde non amorti de ses investissements, et de la perte de chance d'avoir pu investir dans une autre entreprise rentable et pérenne.

Par jugement du 15 avril 2015, le tribunal de commerce de Bourges a débouté la société NMB de toutes ses demandes, et prononcé la résiliation du contrat à ses torts exclusifs, la condamnant, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à payer à la société Epicuria les sommes suivantes :

- 9 522 TTC correspondant au différentiel entre les chiffres d'affaires déclarés et ceux réellement enregistrés,

- 3 000 au titre du défaut de déclaration de chiffre d'affaires pour l'année 2014,

- 10 895,10 TTC au titre des factures de redevances et contribution au fond publicitaire, outre des pénalités de retard afférentes à l'ensemble des factures impayées, des intérêts au taux légal, sur les montants dus au titre des factures impayées et visées dans la mise en demeure du 26 avril 2013, à compter de la date de celle-ci, des intérêts au taux légal, sur les montants dus au titre des factures impayées et non visées dans ladite mise en demeure à compter du jugement à intervenir,

- 840 en application de l'article L.44l-6 du code de commerce.

- 3 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il était en outre ordonné à NMB, du fait de la résiliation, d'avoir à retirer l'ensemble des éléments distinctifs de l'enseigne La Bovida, sous astreinte de 100 par jour de retard, à l'issue de l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la signification du jugement.

Suivant déclaration enregistrée au greffe le 11 mai 2015, la société NMB a interjeté appel de ladite décision du tribunal de commerce de Bourges, sous la représentation de la SCP C... D... Thevenard, société civile professionnelle d'avocats inscrite au barreau de Bourges, et avec l'assistance de Me E... O..., membre de la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet et associés.

Par une ordonnance du 3 septembre 2015, la caducité de la déclaration d'appel a été prononcée par application de l'article 908 du code de procédure civile, faute de conclusions de l'appelant dans le délai de trois mois s'achevant le 11 août 2015.

La société NMB a alors fait assigner la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet et associés et ses assureurs les compagnies MMA Iard et MMA Iard Assurances mutuelles -ci après 'MMA'- , et la SCP C... D... Thevenard et son assureur Allianz Iard - ci- après 'Allianz ' - devant le tribunal judiciaire de Paris, en recherche de la responsabilité civile professionnelle de ses avocats, leur imputant la perte du recours et leur réclamant réparation du préjudice en résultant, avec la garantie de leurs compagnies d'assurances respectives.

Par jugement du 10 octobre 2018, le tribunal judiciaire de Paris a :

- rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires des parties ;

- débouté la société NMB de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société NMB aux dépens ;

- débouté la SCP Bourgeon O... Guillin Bellette et associés, les compagnies MMA lard Assurances mutuelles et MMA lard, la SCP C... D... Thevenard et la compagnie Allianz lard entreprises de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.

Par déclaration du 19 novembre 2018, la SAS NMB a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 29 janvier 2021, la SAS NMB demande à la cour

-de réformer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société NMB de ses demandes de réparation des préjudices subis ;

- de dire et juger qu'en n'ayant ni déposé, ni signifié aucune conclusion d'appelant dans le délai de trois mois impartis par l'article 908 du code de procédure civile dans l'intérêt de la SAS NMB, la SCP C... D... Thevenard, d'une part, et la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet & Associés, d'autre part, ont commis une faute professionnelle au préjudice de la SAS NMB, la privant d'une chance certaine de voir la cour d'appel de Bourges réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel et faire droit en conséquence à la totalité de ses demandes aux fins d'annulation du contrat de franchise et demandes indemnitaires en conséquence de ladite annulation ;

- de condamner en conséquence in solidum la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet & Associés, la société MMA lard Assurances mutuelles, la société MMA lard, la SCP C... D... Thevenard et la compagnie Allianz Iard Entreprises au paiement à titre d'indemnisation de la perte de chance de la société NMB des sommes ci-après :

- le montant de ses investissements dans la franchise La Bovida qui ont été perdus, soit la somme de 172 678,

- le montant des pertes réalisées à hauteur de 180 200,

- le montant des dettes restant à la charge de la société NMB, à savoir : 200 000 euros au titre des engagements mis en œuvre pour les besoins de la franchise La Bovida ; 531 899 au titre des comptes courants d'associés ; 32 595,74 au titre des dettes fournisseurs ;

- le remboursement des sommes allouées à Epicuria par jugement du Tribunal de Commerce de BOURGES du 14 avril 2015, soit 27 257,10 ;

- la somme de 367 390 euros au titre de la perte de chance de pouvoir faire fructifier l'investissement ;

-de les condamner in solidum au paiement de son préjudice moral à hauteur de 10 000 euros ;

-de condamner la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet & Associés au remboursement des honoraires qu'elle lui a versés, soit 14 550  HT ;

- de débouter la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet & Associés, la société MMA lard Assurances mutuelles, la société MMA lard, la SCP C... D... Thevenard et la compagnie Allianz Iard Entreprises de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

- de condamner les mêmes in solidum au paiement d'une somme de 10 000 au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 1er février 2021, la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet & Associés et les sociétés MMA lard et MMA Iard Assurances mutuelles demandent à la cour

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel et, y ajoutant,

- de condamner la société NMB aux entiers dépens d'appel ;

- de la condamner en outre à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :

- à la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet & Associés la somme de 5 000 euros,

- à la Société MMA lard Assurances mutuelles la somme de 5 000 euros,

- à la Société MMA lard la somme de 5 000 euros ;

- à titre infiniment subsidiaire, de rejeter la demande de garantie formulée par la SCP C... D... Thevenard et sa compagnie d'assurance.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 29 avril 2019, la SCP C... D... Thevenard et la société Allianz demandent à la cour

- à titre principal, de confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris en date du 10 octobre 2018 en toutes ses dispositions ;

- à titre subsidiaire,

- de débouter la société NMB de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la SCP C... D... Thevenard et son assureur la compagnie Allianz'et en conséquence,

- de mettre hors de cause la SCP C... D... Thevenard et son assureur la compagnie Allianz

Et, à titre encore plus subsidiaire,

- de ramener le préjudice allégué par la SAS NMB à de plus justes proportions ;

- de condamner la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet & Associés et son assureur la compagnie MMA Iard à relever et garantir la SCP C... D... Thevenard et son assureur la compagnie Allianz de toute condamnation prononcée à leur encontre ;

- de condamner la SAS NMB à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

SUR CE

Sur la faute

Le tribunal a retenu un défaut de diligence tant la charge de la SCP C... D... Thevenard, chargée de représenter la société NMB devant la cour d'appel, que de la part de la SCP Bourgeon O... Guillin Bellet et associés, qui était le maître du litige, pour n'avoir pas déposé les conclusions d'appelante de la société NMB avant la date du 11 août 2015, date limite pour y procéder en application des dispositions de l'article 908 du code de procédure civile.

La SCP Bourgeon O... et MMA, intimées, ne contestent pas que le défaut de diligence soit au moins pour partie imputable à Me O..., même si la signification tardive des conclusions est le résultat d'une erreur de transmission électronique' et non d'une négligence.

La SCP C... D... Thevenard et Allianz continuent de soutenir que Me C... D... n'a pas pas commis de faute, n'ayant pu accomplir son mandat de diffuser des conclusions faute de les avoir reçues de son dominus litis dans les délais impartis.

La Société NMB demande la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la faute de ses conseils, à l'origine de la caducité de son appel, et invoque également à l'encontre de la Scp Bourgeon O..., d'une part le fait qu'elle n'a sollicité du tribunal de commerce de Bourges que l'annulation du contrat, alors qu'elle était fondée à en demander aussi la résiliation aux torts de son franchisseur, d'autre part le fait que dans le cadre de sa mission de conseil, elle ne lui a en aucun moment fait valoir que le résultat de l'appel pouvait n'être pas certain.

L'omission de déposer les conclusions d'appelante de NMB dans le délai légal n'est pas contestée par la Scp O... et MMA, le seul point litigieux étant celui de savoir si cette faute est également imputable au dominus litis et au conseil en charge de la représentation de NMB devant la Cour ou si, comme soutenu par la Scp C... D... Thevenard et son assureur dans le cadre de leur appel incident, elle ne peut être que celle du dominus litis qui a mal adressé son projet à diffuser.

C'est à juste titre que le tribunal a écarté les motifs d'excuse mis en avant par la SCP Moret C... Thévenard : même s'il est reconnu que les conclusions de Me O... ont été adressées par erreur, le

5 août, sur le mail personnel de Me C...-D..., il incombait à celle-ci, en charge de représenter la Société NMB devant la cour et donc de transmettre les conclusions dans le délai qu'elle avait elle-même signalé, de s'en inquiéter en amont de la date butoir. Ni la période estivale, ni le fait que Me C...-D... ait été en congés ne sont exonératoires, alors qu'en raison justement du risque accru d'oublier un délai pendant cette période, son obligation de diligence devait la conduire soit à relancer Me O... avant son départ, soit à déléguer à une personne présente dans le cabinet la tâche de surveiller le respect de ce délai impératif à échoir en son absence.

Me O... peut également se voir reprocher de n'avoir pas demandé la résiliation du contrat aux torts d'Epicuria , ce qui aurait pu priver sa cliente d'une chance d'obtenir une réparation de la part d'Epicuria par cette voie subsidiaire en cas de rejet de la demande d'annulation du contrat de franchise

En revanche, rien n'établit qu'en conseillant d'interjeter appel de la décision du tribunal de commerce, puis en prenant au soutien de cet appel des conclusions évidemment favorables à la thèse de NMB, Me O... ait donné à sa cliente quelque assurance que ce soit d'un résultat certain, en sorte qu'aucun manquement à son devoir de conseil, comme allégué, ne peut lui être imputé.

Les deux conseils sont en tout cas fautifs du défaut de diligences qui a conduit à la perte du recours, ce qui suffit, en confirmation du constat fait à cet égard par les premiers juges, à engager in solidum, vis à vis de NMB, leur responsabilité professionnelle,

Sur la perte de chance et le lien de causalité

Le tribunal, rappelant qu'il incombait à NMB d'établir qu'elle a perdu, avec l'accès au juge d'appel, une chance réelle et sérieuse d'avoir gain de cause devant la cour, s'est attaché comme il devait le faire à évaluer cette chance au vu des motivations de la décision du tribunal de commerce de Bourges, des dispositions légales applicables et des pièces en débat.

Soulignant que le seul écart prétendu entre les données prévisionnelles établies et la réalisation constatée ne pouvait à lui seul engager la responsabilité du franchiseur, il a rappelé les dispositions des articles L 330 - 3 et R 330-1 du code de commerce définissant les obligations de celui-ci en termes d'informations pré-contractuelles, dont la méconnaissance peut entraîner l'annulation du contrat.

Il a ensuite constaté que dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation, le tribunal de commerce, écartant les arguments de NMB tirés des griefs relatifs à l'exécution du contrat, avait jugé remplies toutes les obligations découlant de ces textes par des constatations qu'il a estimé pertinentes et fondées, tout en relevant que les prétendues manoeuvres frauduleuses imputées à Epicuria par NMB ne reposaient que sur des allégations non prouvées.

Il en a déduit que les chances de succès de la voie procédurale manquée ne permettaient de caractériser aucune perte de chance réelle et sérieuse, et a débouté NMB de toutes ses demandes.

Au soutien de sa demande d'infirmation du jugement, la société NMB fait valoir

- que le document précontractuel d'information - DIP- remis par le franchiseur n'énonçait que des statistiques nationales, sans aucun état général et local de marché, ni indications sur les perspectives de développement des produits la Bovida. Ces éléments, associés à la production de chiffres prévisionnels exagérement optimistes - promettant un CA de 500 000 euros par an nulle part atteint alors qu'en réalité le marché était en berne et la concurrence importante - , à une sous-estimation du montant des dépenses et investissements spécifiques, à un historique de réseau d'exploitant erroné ne différenciant pas franchisés et succursales, établissent le caractère lacunaire du document, qui aurait dû être pris en considération par le tribunal ;

- que même si un investissement dans les affaires comporte une part de risque, le coût d'une entrée dans une franchise est censé avoir pour contrepartie le bénéfice d'un savoir-faire expérimenté, ce qui en l'occurrence n'était pas le cas d'Epicuria,

- que la situation ne peut être imputée à une mauvaise gestion de sa part, argument particulièrement déplacé sachant que tous les franchisés d'Epicuria ont été contraints de cesser d'exploiter, NMB n'ayant résisté jusqu'au printemps 2014 qu'en raison des apports en compte courant consentis par son gérant

Et qu'Epicuria a tout simplement abandonné le développement par voie de franchise.

- que l'ensemble de ces fausses indications, l'ayant déterminée à contracter, sont constitutives d'un dol justifiant l'annulation du contrat, qu'elle aurait tout aussi bien pu voir résilier aux torts exclusifs d'Epicuria du fait de ses nombreux manquements contractuels.

La SCP Bourgeon O..., rappelant elle aussi que l'indemnisation, dans le contexte du présent litige, devait porter sur la perte de chance qu'avait la société NMB d'obtenir de la cour d'appel l'infirmation du jugement du tribunal de commerce et l'annulation du contrat de contrat de franchise, répond

- que la preuve de l'existence de la chance prétendument perdue est l'une des conditions légales de la mise en œuvre de l'action en responsabilité, pour démonstration de laquelle NMB se contente d'alléguer devant la cour que le tribunal de commerce aurait nécessairement dû lui donner gain de cause en considération du contenu des conclusions rédigées dans son intérêt par l'avocat mis en cause,

- que cependant les constatations faites par le Tribunal de Bourges et retenues par le jugement dont appel suffisent à démontrer que les demandes indemnitaires formulées par NMB à l'encontre de Epicuria étaient à la fois hypothétiques et sans lien direct de causalité avec l'imputation de la rupture du contrat au franchiseur ;

- que n'ayant pu ignorer, au vu des informations précontractuelles produites respectant les dispositions de l'article L 330-3 du code de commerce, qu'elle entrait dans une franchise en formation, NMB ne peut prétendre avoir subi un dol, ni par conséquent avoir pu obtenir l'annulation du contrat, dont elle n'avait pas davantage de chance d'obtenir la résiliation judiciaire, au titre de laquelle elle ne formule aucun moyen spécifique, fondant implicitement sa prétention sur les mêmes griefs que ceux qui fondent la nullité du contrat.

- que le défaut de 'sécurisation de son investissement' n'est imputable qu'à elle-même, sans qu'elle puisse en faire grief à Me O... davantage qu'à son franchiseur.

-que la perte de chance étant inexistante, et le préjudice par conséquent hypothétique, il n'y pas lieu à quelconque indemnisation de la Sarl Nmb, qui se contente de reformuler les moyens déjà présentés devant le Tribunal de commerce de Bourges puis devant le tribunal judiciaire de Paris sans apport quelconque justifiant que ces décisions doivent être reconsidérées.

La SCP C... D... Thevenard et la compagnie Allianz, intimées, développent les mêmes moyens sur la nature du préjudice indemnisable - la seule perte de chance d'obtenir la réformation du jugement du tribunal de commerce de Bourges - et sur l'absence de chance réelle et sérieuse d'obtenir cette réformation, NMB n'ayant été victime d'aucun manquement du franchiseur à ses obligations légales ni d'aucune tromperie, mais de sa seule erreur d'interprétation de chiffres dont au demeurant la fourniture ne s'imposait en rien au franchisé, d'une surévaluation de la surface réellement exploitable, et de ce qu'elle n'a manifestement pas respecté les méthodes de marketing préconisées par Epicuria, tous éléments relevés par le tribunal de commerce et qui justifient sa décision.

Il résulte de l'exposé des prétentions de la société NMB fait par le tribunal de commerce de Bourges dans son jugement que celui-ci se trouvait saisi d'une demande d'annulation du contrat de franchise

Aux torts et griefs exclusifs d' Epicuria en raison

- de la carence des informations pré-contractuelles prévues par les articles L 330 - 3 et R 330- 1 du code de commerce

- de l'indication pour l'élaboration des comptes prévisionnels d'informations chiffrées fausses

- de la dissimulation des difficultés qui affectaient déjà les autres franchisés au moment de la conclusion du contrat,

- de l'absence de test du concept pendant les deux ans précédant son lancement,

- de l'absence de tout effort de développement du réseau, disparu de fait moins de deux ans après la signature de son propre contrat.

Le tribunal, écartant « la litanie des griefs élevés du chef de l'exécution du contrat de franchise », a posé en prémisse de sa motivation que « l'action de la société NMB à l'encontre de la société Epicuria trouve son pendant dans le seul défaut d'information précontractuelle ».

Il a ainsi examiné le document d'information précontractuelle, mais également la question du défaut de véracité des éléments qu'il contient et des comptes prévisionnels d'exploitation, ainsi que l'allégation d'insuffisance d'expérimentation du concept.

Quant à l'information précontractuelle, l'article L.330-3 du code de commerce dispose que

« Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.

Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités »...

L'article R 330-1 du même code, issu du décret 91-337 du 4 avril 1991, prévoit que ce document d'information précontractuelle contient les informations suivantes :

1° L'adresse du siège de l'entreprise et la nature de ses activités avec l'indication de sa forme juridique et de l'identité du chef d'entreprise s'il s'agit d'une personne physique ou des dirigeants s'il s'agit d'une personne morale ; le cas échéant, le montant du capital ;

2° Les mentions visées aux 1° et 2° de l'article R. 123-237 ou le numéro d'inscription au répertoire des métiers ainsi que la date et le numéro d'enregistrement ou du dépôt de la marque et, dans le cas où la marque qui doit faire l'objet du contrat a été acquise à la suite d'une cession ou d'une licence, la date et le numéro de l'inscription correspondante au registre national des marques avec, pour les contrats de licence, l'indication de la durée pour laquelle la licence a été consentie

3° La ou les domiciliations bancaires de l'entreprise. Cette information peut être limitée aux cinq principales domiciliations bancaires ;

4° La date de la création de l'entreprise avec un rappel des principales étapes de son évolution, y compris celle du réseau d'exploitants, s'il y a lieu, ainsi que toutes indications permettant d'apprécier l'expérience professionnelle acquise par l'exploitant ou par les dirigeants.

Les informations mentionnées à l'alinéa précédent peuvent ne porter que sur les cinq dernières années qui précèdent celle de la remise du document. Elles doivent être complétées par une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché.

Doivent être annexés à cette partie du document les comptes annuels des deux derniers exercices ...

5° Une présentation du réseau d'exploitants qui comporte :

a) La liste des entreprises qui en font partie avec l'indication pour chacune d'elles du mode d'exploitation convenu ;

b) L'adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée ; la date de conclusion ou de renouvellement de ces contrats est précisée ;

c) Le nombre d'entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du document. Le document précise si le contrat est venu à expiration ou s'il a été résilié ou annulé ;

d) S'il y a lieu, la présence, dans la zone d'activité de l'implantation prévue par le contrat proposé, de tout établissement dans lequel sont offerts, avec l'accord exprès de la personne qui propose le contrat, les produits ou services faisant l'objet de celui-ci ;

6° L'indication de la durée du contrat proposé, des conditions de renouvellement, de résiliation et de cession, ainsi que le champ des exclusivités.

Le document précise, en outre, la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l'enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l'exploitation.

De l'examen du DIP, le tribunal, tout en admettant qu'il était lacunaire, a retenu que « l'intégralité des mentions requises par les textes y figure, peu important que certaines d'entre elles soient succinctes, étant ajouté que la franchise la Bovida en était à ses prémisses » , en complétant ce motif du constat que NMB avait été en outre conviée à rencontrer les franchisés existant à l'époque ainsi que les directeur financier et Président du groupe, et que les époux A... - créateurs de la société NMB - avaient disposé d'un large délai pour s'engager.

Si cette appréciation peut être suivie quant au contenu formel du document, le caractère incontestablement naissant de la franchise, dont le tribunal s'est satisfait pour justifier qu'il ne comporte que des indications effectivement très succinctes ne suffit pas à expliquer ses lacunes sur la présentation du réseau d'exploitants et sur la situation de la concurrence sur le marché national et local, que NMB était en droit d'attendre du franchiseur pour pouvoir s'engager en toute connaissance de cause.

Quant au défaut de véracité des comptes d'exploitation prévisionnels, le tribunal a indiqué que « [ces] comptes ...querellés ne procèdent pas de la société Epicuria, étant rappelé que celle-ci n'avait pas obligation de les réaliser ni de les avaliser, les erreurs alléguées résultant d'une mauvaise interprétation des chiffres communiqués, d'une surévaluation de la surface réellement exploitable et du non-respect manifeste par la plaignante des méthodes de marketing préconisées ».

A cet égard, la cour observe que le grief fait par NMB à Epicuria n'était pas d'avoir établi des comptes prévisionnels erronés mais de lui avoir fourni, à cet égard, des éléments de base trompeurs, en particulier l'indication d'un chiffre d'affaires prévisionnel de 5 000 à 5 200 euros par an et par m2 qu'aucun de ses magasins franchisés n'a jamais atteint, les cinq magasins en franchise ouverts avant celui de NMB ayant tous disparu pour manque de rentabilité sans avoir jamais pu réaliser, au mieux, qu'un chiffre de l'ordre de la moitié que celui annoncé, ces affirmations étant étayées d'éléments concrets sur la situation de ces autres franchisés.

Ainsi, d'une part, la généralité de ces échecs commerciaux jette un doute sérieux sur le bienfondé de l'affirmation du tribunal selon laquelle les difficultés de NMB ne résulteraient que de ses propres erreurs ; d'autre part, si la fourniture d'éléments comptables n'est pas exigée du franchiseur à destination d'un nouveau franchisé potentiel, il doit, quand il en fournit, veiller à ce qu'ils soient sincères et véritables, sauf à fonder l'existence sinon d'un dol, du moins les éléments d'une erreur sur la substance susceptible de vicier le consentement de son concontractant, et il semble qu'en l'occurrence, les indications sur le chiffre d'affaires potentiel aient été grossièrement erronées.

Quant enfin à l'allégation d'insuffisance d'expérimentation du concept, le tribunal l'a balayée en affirmant « qu'elle n'est pas davantage sérieuse, eu égard à l'ouverture d'un magasin pilote plus de deux ans avant la signature des contrats de franchise en cause, dont les résultats se sont avérés probants ». Or il n'est pas aujourd'hui contesté que le magasin de Bourges, effectivement présenté dans le document précontractuel et dans le contrat de franchise lui-même comme le « magasin pilote » préconisé par le code déontologique européen de la franchise dont Epicuria se réclamait, ne fonctionnait pas sous le régime de la franchise mais était une succursale, élément apparemment passé sous silence par Epicuria dans le cadre pré-contractuel. Or ce magasin, en tant que succursale, n'était pas astreint au paiement de redevances, et bénéficiait de conditions d'achat des produits plus avantageuses lui permettant de dégager des marges supérieures, les échanges entre NMB et le franchiseur, produits au débat, ayant très vite fait ressortir cette différence, jamais démentie par Epicuria, comme un point de contestation, et ses écritures en faisant également état comme d'une tromperie organisée par Epicuria pour laisser croire à une expérience qu'elle n'avait pas. Il est à tout le moins manifeste que ce magasin ne pouvait constituer une référence utile de la rentabilité d'un magasin en franchise, mais qu'il a cependant été présenté comme tel, ce qui est aussi de nature à susciter une interrogation sur la sincérité des indications précontractuelles fournies.

Il ressort ainsi de l'examen du jugement du tribunal de commerce de Bourges et des pièces du dossier que contrairement à ce qu'ont apprécié les premiers juges, la Société NMB avait en mains un certain nombre d'éléments susceptibles d'alimenter utilement sa demande de réformation, et de conduire la cour à reconnaitre sinon un dol, du moins une erreur substantielle à l'origine de son consentement ou un manquement du franchiseur à ses obligations, la cour estimant de ce fait que la société NMB a bien perdu, avec la perte du recours qui a empêché un débat devant la cour, une chance d'obtenir tant l'annulation du contrat que son éventuelle résiliation, que les éléments ci-dessous permettent d'estimer à 40 %.

Le jugement est donc infirmé quant au rejet de toute perte de chance et, subséquemment de toute indemnisation de la Société NMB.

Sur l'évaluation de la réparation

La Société NMB soutient que les réparations qu'elle demande « en conséquence de la nullité du contrat de franchise » sont conformes à l'étendue de ce à quoi elle pouvait prétendre dans le cadre de l'instance d'appel à l'encontre d'Epicuria, le préjudice indemnisable en cas d'annulation d'un contrat de franchise portant sur l'ensemble des conséquences pécuniaires attachées à la déconfiture résultant des manquements du franchiseur et/ou de l'annulation du contrat, en vue de remettre la victime dans l'état antérieur à l'éxécution du contrat, ce qui justifie tant le remboursement de ses pertes diverses, que

- l'indemnisation de la perte de chance de pouvoir bénéficier d'une exploitation rentable,

- la réparation du préjudice moral découlant de la carence de ses conseils, à l'origine pour elle d'un grand désarroi,

- et le remboursement des honoraires qu'elle leur a payés en vain.

La Scp Bourgeon- O..., constatant que la société NMB poursuit sa prétention à obtenir l'intégralité de ses prétentions indemnitaires à l'égard d'Epicuria, fait valoir quant à celles-ci

- que l'article 1352-8 du code civil interdit le remboursement à NMB, sous forme de dommages et intérêts, de l'ensemble des dépenses engagées par elle au titre de l'exécution du contrat de franchise, sans tenir compte des avantages que ce contrat lui a procurés ;

- qu'en outre la perte de chance ne peut exister que par rapport aux demandes financières qui étaient formulées devant le tribunal de commerce de Bourges, dont le montant était de l'ordre de 700 000 euros, alors que le montant présenté à la cour est de plus de 1 800 000 euros ;

- qu'elle ne peut non plus, en tant que personne morale, invoquer un préjudice moral autre que celui qui résulterait d'une atteinte portée à son image ou à sa réputation, qui en l'espèce n'est ni caractérisée ni même invoquée.

La Scp D... C... Thevenard soutient de même que le quantum des demandes formées par la société NMB doit être réduit, une société franchisée ne pouvant réclamer l'indemnisation d'un préjudice financier correspondant au défaut d'obtention de résultats commerciaux.

La société NMB articule des demandes indemnitaires infondées à un double titre :

- Quant au fondement de la réparation, contrairement à ce qu'elle persiste à soutenir, elle ne peut, dans le contexte de l'action en responsabilité contre ses conseils, prétendre à des réparations « en conséquence de la nullité du contrat de franchise », mais seulement en conséquence de la perte de chance ci-dessus évaluée de voir prononcer cette nullité, ou la résiliation du contrat, du fait de leur défaut de diligence,

- Quant à l'assiette de cette réparation, elle ne peut correspondre qu'à celle qu'elle aurait pu obtenir si le contrat avait été annulé, qui correspond à sa chance perdue, Ses demandes, rigoureusement identiques à celles qu'elle avait formulées devant le tribunal de Bourges au vu de l'exposé des motifs de la décision du tribunal et reprises dans les conclusions non signifiées de Me O... devant la cour, qui sont l'addition de l'ensemble des dépenses qu'elle aurait évitées si elle n'avait pas contracté, de celles qu'elle a exposées pour maintenir son exploitation en ce compris ses pertes, et d'une perte de chance de tirer les profits qu'elle aurait pu attendre d'une exploitation rentable et pérenne, ne sont en rien conformes à cette double exigence.

En outre, pour justifier des montants qu'elle avance à ces divers titres, la société NMB se réfère, dans ses dernières écritures, à diverses pièces numérotées notamment 43, 110, 102, 96 et 107, alors que ne sont au dossier soumis à la cour que 32 pièces numérotées de 1 à 32, communiquées en trois étapes suivant bordereaux des 4 mars 2019 - pièces 1 à 22 - , 4 janvier 2021 -pièces 23 et 24 - et 14 janvier 2021 -pièces 25 à 32.

De ces pièces, seules soumises au débat contraditoire et donc seules examinées par la cour, notamment du document d'information contractuelle et du contrat de franchise, il résulte que pour entrer dans la franchise, la société NMB a réalisé un apport de 75 000 euros, et payé un droit d'entrée de 14 000 euros : cette somme de 89 000 euros, correspondant au coût certain du contrat, est aussi le montant certain du remboursement qu'aurait entraîné son annulation, et la chance perdue d'obtenir celle- ci étant de 40 %, le montant de la réparation due à la société NMB par les conseils coresponsables de cette perte peut être fixé, à la somme de 35 600 euros.

Il n'y a pas lieu d'ajouter à cette somme la réparation d'un désarroi difficile à éprouver pour une personne morale, qui pourrait prétendre voir indemniser une atteinte à son image ou à sa réputation, mais celle-ci est inexistante en l'espèce, la société NMB créée pour les besoins de cette exploitation en franchise n'ayant aucune autre activité à laquelle l'échec de celle-ci ait pu préjudicier.

Il n'y a pas davantage lieu d'ordonner le remboursement des honoraires payés à Me O..., les dates des factures produites pour en justifier - 15 mai 2015, 5 novembre 2014 et 5 janvier 2015 - étant toutes antérieures au jugement de première instance, et n'étant donc relatives qu'à cette décision et non à la procédure entachée par le défaut de diligence caractérisé.

La SCP Bourgeon - O... et la SCP C... - D... Thevenard sont donc condamnées in solidum à payer à la Société NMB la somme de 35 600 euros.

Sur la demande subsidiaire de garantie de la Scp C... D... Thevenard

Dans la mesure où c'est à l'avocat plaidant, dominus litis, qu'il revenait en premier lieu de conclure, et donc de mieux veiller à l'effectivité de la transmission de ses écritures vers la Scp D... Thevenard chargée de les diffuser, il y a lieu, accueillant la demande de garantie formée par celle-ci à l'encontre de la Scp Bourgeon O..., de dire que dans leurs rapports entre eux, et entre leurs assureurs respectifs, la contribution à la dette incombera à 60 % à la Scp Bourgeon O..., et à 40 % à la Scp C... D... Thevenard.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'équité justifie la condamnation in solidum des intimés à payer à la Société NMB la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la garantie de la SCP Bourgeon O... jouant à l'égard de la SCP C... D... Thevenard dans la même proportion que pour la condamnation principale.

Dans les mêmes conditions, les intimés sont condamnés aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Infirme le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a débouté la SCP Bourgeon O... Guillin Belette et associés, les compagnies MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard, la SCP C... D... Thevenard et la compagnie Allianz Iard Entreprises de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum la SCP Bourgeon O... Guillin Belette et associés, les compagnies MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard, la SCP C... D... Thevenard et la compagine Allianz Iard Entreprises à payer à la SAS NMB la somme de 35 600 euros en réparation de sa perte de chance

Condamne la SCP Bourgeon O... Guillin Belette et associés et les compagnies MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard à garantir la SCP C... D... Thevenard et la compagnie Allianz Iard Entreprises à hauteur de 60 % de ce montant

Rejette toutes les demandes autres ou plus amples

Condamne in solidum la SCP Bourgeon O... Guillin Belette et associés, les compagnies MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard, la SCP C... D... Thevenard et la compagine Allianz Iard Entreprises à payer à la SAS NMB la somme de 8  000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la SCP Bourgeon O... Guillin Belette et associés et les compagnies MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard garantissant la SCP C... D... Thevenard et la compagnie Allianz Iard Entreprises à hauteur de 60 % de ce montant

Condamne in solidum la SCP Bourgeon O... Guillin Belette et associés, les compagnies MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard, la SCP C... D... Thevenard et la compagnie Allianz Iard Entreprises aux entiers dépens de première instance et d'appel, sur la même garantie dans leur rapport entre eux.