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Décisions

Cass. 1re civ., 5 mai 2021, n° 19-25.102

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

Caisse Primaire d'Assurance Maladie, Aviva Assurances (SA), Macif (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Chevalier

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Ohl et Vexliard, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Versailles, 3e ch., du 11 avr. 2019

11 avril 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 avril 2019), le 14 novembre 2005, [Q] [O], âgée de 15 mois, a présenté un syndrome hémolytique et urémique (SHU) avec une atteinte neurologique précoce et sévère. Les analyses de ses selles, pratiquées au cours de son hospitalisation, ont permis de détecter la présence d'une souche d'Escherichia coli (E. coli) O26, productrice de shiga-toxines (STEC).

2. A la suite d'un signalement à l'Institut de veille sanitaire (InVS) d'autres cas de SHU pédiatriques entre octobre et décembre 2005, de l'ouverture d'une enquête alimentaire, ayant révélé la consommation par plusieurs enfants de camemberts au lait cru dans les sept jours précédant l'apparition des symptômes, et d'analyses effectuées sur des fromages de la société Laiterie fromagerie du Val d'Ay, Ets Réaux, ayant mis en évidence des souches d'E. coli O26, non productrices de shiga-toxines, M. et Mme [O], imputant l'infection développée par leur fille à la consommation d'un camembert produit par cette société et agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de [Q] et [W] et [S] [O], ont, par actes du 6 avril 2007, assigné cette société, devenue en cours d'instance la société [Personne physico-morale 1] (la société) ainsi que son assureur, la société Aviva assurances, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du code civil. Ils ont mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie des [Localité 1]. A l'issue de mesures d'expertise ordonnées par les premiers juges, la société Aviva assurances a assigné en garantie la grand-mère de [Q] [O], Mme [A], à laquelle était confiée l'enfant le 14 novembre 2005, ainsi que son assureur, la société MACIF. Mme [A], contestant toute responsabilité, a demandé réparation du préjudice personnellement éprouvé découlant de l'état de santé de l'enfant.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. M. et Mme [O] et Mme [A] font grief à l'arrêt de dire que, compte tenu des connaissances techniques et scientifiques au moment de la mise en circulation du produit, la société ne pouvait pas déceler l'existence du défaut affectant le camembert mis en circulation et ingéré par [Q] [O], et doit donc être exonérée de sa responsabilité du fait de ce produit défectueux et de rejeter en conséquence l'ensemble de leurs demandes, alors :

« 1°) que les juges du fond ont l'obligation de se prononcer sur l'ensemble des pièces versées aux débats ; qu'en l'espèce, les consorts [O] produisaient une étude dirigée par le docteur [I], publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 6 décembre 1993, qui faisait état de quatre cas de syndromes hémolytique et urémique dus à des E. coli non O157 survenus dans une commune rurale du Cher, pour lesquels la consommation de fromage au lait cru était la seule exposition à un risque de contamination commun ; qu'en se bornant à affirmer, pour en déduire que l'état des connaissances scientifiques en techniques en 2005 ne permettait de savoir qu'un camembert au lait cru était susceptible d'être contaminé par des E. coli non O156 producteurs de shiga-toxines, qu'aux termes du rapport de 2007 de l'Institut national de veille sanitaire « la contamination de fromages au lait cru était bien documentée pour l'E. coli O157 mais que s'agissant des études concernant les STEC non O157, ils n'étaient pas décrits comme pathogènes », la cour d'appel, qui ne s'est pas expliqué sur l'étude du docteur [I] faisant état de contaminations par des E. coli non O157 producteurs de shiga-toxines suite à l'ingestion de fromages au lait cru, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) que, pour s'exonérer de sa responsabilité sans faute, le producteur d'un produit défectueux doit établir que l'état des connaissances scientifiques et techniques au jour de la mise en circulation du produit ne permettait pas de détecter le défaut ; que l'état des connaissances scientifiques et techniques doit être compris en son niveau le plus avancé ; qu'en conséquence, le producteur ne peut être exonéré de sa responsabilité lorsque des études font état ne serait-ce que de la possibilité que son produit présente un risque pour la sécurité, même si cela n'est pas encore certain ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que, dans son rapport établi en avril 2003, l'AFSSA indiquait que, si le danger des E. coli producteurs de shiga-toxines et la possibilité de leur présence dans les laits de consommation et produits à base de lait étaient connus, les données épidémiologiques disponibles concernaient presque exclusivement E. coli O157, pour lequel existait une méthode de détection agréée à laquelle pouvait se référer les laboratoires d'analyse, les données concernant les autres souches d'E.coli susceptibles de produire des shiga-toxines étant quasi-inexistantes, faute de toute méthode de référence définie pour leur détection ; que, toujours selon les constatations de la cour d'appel, l'AFSSA recommandait en conséquence de mettre en place de telles méthodes pour la recherche des souches d'E. coli non O157, et plus particulièrement E. coli O26, E. coli O103 et E. coli O111 ; qu'il s'en déduisait que, si la possibilité d'une contamination des fromages au lait cru par une forme pathogène d'E. coli O26, ou de toute autre souche non O157, n'était pas établie avec certitude, elle était néanmoins regardée comme un risque probable dès 2003 ; qu'en retenant néanmoins que, faute de données suffisantes concernant les E. coli non O157 et l'absence de toute détection d'E. coli O26 producteurs de shiga-toxines dans des fromages au lait cru, l'état des connaissances scientifiques et techniques en 2005 ne permettait pas de connaître la possible contamination du camembert au lait cru consommé par [Q] K. par E. coli O26, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1386-11, devenu l'article 1245, du code civil ;

3°) que le producteur d'un produit défectueux n'est pas exonéré de sa responsabilité sans faute lorsque l'état des connaissances scientifiques et techniques au jour de la commercialisation du produit permettait de savoir qu'il pouvait être défectueux, quand bien même il était impossible de vérifier si tel était effectivement le cas ; qu'en retenant, pour exonérer la société de sa responsabilité sans faute, qu'il n'existait en 2005 aucune méthode de référence validée pour détecter E. coli O26, notamment en raison de sa grande évolutivité génétique, quand l'impossibilité pour la société de savoir si son fromage était effectivement contaminé par cette bactérie n'était pas de nature à la libérer de sa responsabilité en présence d'études concluant à la possibilité d'une telle contamination, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des motifs impropre à exonérer le producteur de sa responsabilité sans faute, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1386-11, devenu l'article 1245-10, du code civil ;

4°) en toute hypothèse, que, pour s'exonérer de sa responsabilité sans faute, le producteur d'un produit défectueux doit établir que l'état des connaissances scientifiques et techniques au jour de la mise en circulation du produit ne permettait pas de détecter le défaut ; qu'en l'espèce, les consorts [O] faisaient valoir qu'outre l'analyse sérologique et la recherche de gènes propres à chaque souche d'E. coli, il existait une troisième méthode pour vérifier la toxicité des aliments, par recherche des gènes de virulence communs à tous les E. coli producteurs de shiga-toxines ; que si cette méthode ne permettait pas d'identifier précisément quelles souches étaient présentes dans les aliments, une telle identification n'était pas nécessaire pour détecter le défaut affectant le fromage dans la mesure où elle permettait de déterminer si une souche d'E. coli pathogène, quelle qu'elle soit, s'y trouvait ; qu'en retenant, pour en déduire que l'état des connaissance scientifiques et techniques en 2005 ne permettait pas de déceler le défaut affectant le camembert consommé par [Q] K., qu'il n'existait aucune méthode agréée pour détecter E. coli O26, notamment en raison de difficultés d'interprétation liées à sa grande diversité génétique évolutive, sans rechercher si la méthode de détection par recherche des gènes de virulence communs aurait permis de détecter la toxicité du fromage indépendamment de toute identification précise de la ou des souches bactériennes à l'origine de cette toxicité, et donc de connaître le défaut du produit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1386-11, devenu l'article 1245-10, du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Selon le 4° de l'article 1386-11, devenu 1245-10 du code civil, le producteur est responsable de plein droit du défaut de son produit à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il l'a mis en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut.

5. Après avoir énoncé que le camembert mis en circulation par la société et ingéré par l'enfant était défectueux, en ce qu'il était porteur de la souche E. coli O26, et qu'il existait un lien de causalité certain entre cette absorption et l'émergence du syndrome présenté par l'enfant, l'arrêt retient que, selon le rapport d'investigation de l'InVS, établi en 2007 à la suite de l'épidémie d'infections à E coli producteurs de shiga-toxines, si, à l'époque des faits, la contamination par fromages au lait cru était bien documentée s'agissant de l'E. coli O157, des souches STEC O26 et O80 n'avaient encore jamais été isolées dans ces fromages, les résultats de recherches de STEC O26 étaient difficiles d'interprétation du fait de la grande diversité génétique évolutive, incluant des changements de génotype stx, et il s'agissait de la première épidémie d'E coli producteurs de shiga-toxines non O157 liée à la consommation de camembert au lait cru. Il ajoute qu'en décembre 2008, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments avait exposé que, s'il existait plusieurs méthodes validées pour identifier la souche E. coli O157, aucune méthode de référence ou méthode alternative validée n'était en revanche disponible pour détecter les « souches Stec pathogènes non O157 ».

6. De ces énonciations et constatations souveraines, la cour d'appel, qui n'était tenue ni de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a déduit, à bon droit, que la société devait être exonérée de sa responsabilité au titre du dommage subi par [Q] [O].

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi.