Cass. 3e civ., 28 juin 2011, n° 10-19.236
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Avocats :
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Piwnica et Molinié
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 avril 2010), que la société KFC France (KFC) a, par trois baux dérogatoires successifs, donné en location des locaux à usage commercial à la société Clarest, dont le représentant, M. X..., avait adhéré à son réseau de franchise ; qu'avant le terme de la dernière période, la société KFC a manifesté son intention de reprendre les locaux, mais que les parties ont entrepris de négocier les modalités d'une poursuite de leurs relations contractuelles ; que ces négociations n'ayant pas abouti et la société Clarest soutenant que, laissée en possession, elle était titulaire d'un bail commercial, la société KFC l'a assignée aux fins de voir ordonner son expulsion ;
Attendu que la société KFC fait grief à l'arrêt de dire que la société Clarest bénéficiait d'un contrat de bail soumis au statut des baux commerciaux, alors, selon le moyen :
1°) que le preneur ne reste ni n'est laissé en possession, au sens de l'article L. 145-5 du code de commerce, lorsque, avant l'expiration du bail dérogatoire, le bailleur lui a expressément notifié sa volonté de récupérer les locaux et que, pendant une courte période après la date d'expiration du même bail dérogatoire, les parties sont sans succès entrées en négociation en vue de la conclusion imminente d'un nouveau bail dérogatoire, le seul maintien pendant cette période temporaire ne suffisant alors pas à caractériser le maintien en possession légalement exigé ; qu'en l'espèce, la société KFC faisait valoir qu'après avoir notifié à la société Clarest antérieurement au terme du dernier bail dérogatoire son intention expresse de ne pas le renouveler, elle n'avait accédé à sa demande de la laisser temporairement dans les lieux qu'à seule fin de poursuivre les négociations portant sur les nouvelles conditions d'un nouveau bail dérogatoire d'une part, qu'elle lui avait proposé le 24 juillet 2008 un projet de bail de courte durée d'autre part, lui avait finalement réclamé dès le 24 septembre 2008 (soit deux mois après le terme du contrat) son départ immédiat à défaut de signature de cet acte ; qu'en retenant que le maintien dans les lieux du preneur, suffisait à générer un nouveau bail soumis aux dispositions de l'article L. 145-5 du code de commerce, après avoir pourtant constaté que la société KFC avait manifesté une opposition de principe au maintien dans les lieux de la société Clarest antérieurement à la date d'expiration du contrat dérogatoire et après avoir affirmé qu'était indifférent le maintien dans les lieux en raison de négociations en cours, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2°) que les juges du fond ne peuvent dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, dans la lettre du 24 septembre 2008, le conseil de la société KFC indiquait à la société Clarest : « la patience de la société KFC a des limites. Celle-ci ne tolérera plus que vous occupiez sans droit ni titre les locaux sis 303-305, avenue du Général de Gaulle à Clamart, alors que vous refusez la signature d'un contrat que vous aviez pourtant convenu de signer. Dès lors en l'absence de régularisation ou de remise des clés dans le délai de 8 jours à compter de la réception de la présente, elle engagera toutes procédures utiles en vue de la récupération des locaux et d'obtenir la juste réparation de son préjudice » ; qu'en affirmant que ce courrier établissait la volonté de la société KFC de tolérer « sans équivoque » le maintien du preneur dans les lieux, lorsqu'il en résultait que la société KFC n'avait toléré le maintien temporaire du preneur qu'en vue de négocier et de conclure, à sa demande, un nouveau bail dérogatoire à de nouvelles conditions et réclamait son départ imminent à défaut d'une telle conclusion, la cour d'appel a dénaturé les énonciations claires et précises de ce document et violé le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les éléments de la cause ;
3°) que la seule succession de baux dérogatoires ne caractérise pas, en tant que telle, une volonté de porter atteinte aux droits du preneur dès lors qu'ils ont été conclus à la demande du preneur et dans l'intérêt réciproque des deux parties ; qu'en l'espèce, la société KFC faisait valoir qu'aux termes des divers actes conclus entre les parties, le bail dérogatoire devait permettre au preneur d'acquérir le bail à construction au terme contractuel ; qu'elle faisait valoir que le preneur avait lui-même sollicité la prorogation de chacun des baux dérogatoires, faute d'être financièrement en mesure d'honorer cette promesse d'acquisition ; qu'enfin, elle soulignait que la veille de l'expiration du dernier bail dérogatoire, la société Clarest affirmait être « toujours dans l'attente » de la proposition du bail de « courte durée » d'un an ; qu'en affirmant qu'aucune déloyauté ne pouvait être imputée à la société Clarest qui était revenue sur cette déclaration au lendemain de l'expiration du dernier bail dérogatoire au prétexte que la société KFC, partenaire « en position de force », n'apportait aucune justification à la succession de baux de courte durée, sans rechercher si le preneur n'avait pas exprimé à plusieurs reprises un intérêt à la conclusion de baux dérogatoires et s'il n'avait pas sollicité lui-même, jusqu'à la veille du terme du dernier bail, le renouvellement des baux dérogatoires afin d'honorer sa promesse d'acquisition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-5 du code de commerce et du principe selon lequel la fraude corrompt tout ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la société KFC, si elle avait, par deux courriers adressés au preneur avant le terme du dernier en date des baux dérogatoires, manifesté une opposition de principe au maintien dans les lieux de la société Clarest et annoncé différentes diligences aux fins d'une reprise des locaux à ce terme, souhaitait en réalité amener la société Clarest à un accord sur les modalités d'une poursuite de leur relations contractuelles et n'a d'ailleurs accompli aucune des diligences annoncées, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé le courrier du 24 septembre 2008 mais l'a interprété au regard de son contexte, et n'a pas retenu que la succession des baux dérogatoires caractérisait un manquement de la société KFC au devoir de loyauté, en a souverainement déduit que la société Clarest avait été laissée en possession et que s'était ainsi opéré un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.