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Décisions

TUE, 10e ch. élargie, 19 mai 2021, n° T-465/20

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ryanair DAC

Défendeur :

Commission européenne, République française, République de Pologne, République portugaise

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. van der Woude

Juges :

M. Kornezov, M. Buttigieg, Mme Kowalik Bańczyk, M. Hesse (rapporteur)

Avocats :

Me Vahida, Me Laprévote, Me Rating, Me Metaxas-Maranghidis, Me Blanc

TUE n° T-465/20

19 mai 2021

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

Antécédents du litige

1 Le 9 juin 2020, la République portugaise a notifié, à la Commission européenne, une mesure d’aide sous la forme soit d’un prêt d’État, soit d’une combinaison d’un tel prêt et d’une garantie d’État, d’un montant maximal de 1,2 milliard d’euros (ci-après la « mesure en cause »), destiné à Transportes Aéreos Portugueses SGPS SA (ci-après le « bénéficiaire »), conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

2 La mesure en cause vise à maintenir le bénéficiaire, société mère et actionnaire à 100 % de Transportes Aéreos Portugueses SA (ci-après « TAP Air Portugal »), en activité pendant six mois, entre juillet 2020 et décembre 2020. À la date d’adoption de la décision attaquée, la moitié des actions du bénéficiaire étaient détenues par Participações Públicas SGPS SA (ci-après « Parpública ») qui gérait les participations de l’État portugais. Atlantic Gateway SGPS Lda (ci-après « AGW ») détenait 45 % des actions du bénéficiaire et 5 % des actions étaient détenues par d’autres actionnaires. La mesure en cause concerne un contrat de prêt conclu entre, notamment, la République portugaise en tant que prêteur, TAP Air Portugal en tant qu’emprunteur et le bénéficiaire en tant que garant. AGW et Parpública peuvent également participer au contrat de prêt, en leur capacité d’actionnaires du bénéficiaire.

3 Le 10 juin 2020, la Commission a adopté la décision C(2020) 3989 final, relative à l’aide d’État SA.57369 (2020/N) – COVID-19 – Portugal – Aide apportée à TAP (ci-après la « décision attaquée »), par laquelle elle a, après avoir conclu que la mesure en cause était constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, évalué la compatibilité de celle-ci avec le marché intérieur, plus particulièrement à la lumière de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et de ses lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers (JO 2014, C 249, p. 1 ; ci-après les « lignes directrices »). La Commission a déclaré la mesure en cause compatible avec le marché intérieur.

 Procédure et conclusions des parties

4 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 juillet 2020, la requérante, Ryanair DAC, a introduit le présent recours.

5 Par acte déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a demandé qu’il soit statué sur le présent recours selon une procédure accélérée, conformément aux articles 151 et 152 du règlement de procédure du Tribunal. Par décision du 11 août 2020, le Tribunal (dixième chambre) a fait droit à la demande de procédure accélérée.

6 La Commission a déposé le mémoire en défense au greffe du Tribunal le 26 août 2020.

7 En application de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure, la requérante a présenté, le 31 août 2020, une demande motivée d’audience de plaidoiries.

8 Sur proposition de la dixième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

9 Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement le 17 septembre 2020, le 21 octobre 2020 et le 22 octobre 2020, la République portugaise, la République française et la République de Pologne ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par décisions du 1er octobre 2020 et du 3 novembre 2020, le président de la dixième chambre du Tribunal a admis ces interventions.

10 Par mesures d’organisation de la procédure du 13 octobre 2020 et du 4 novembre 2020, la République portugaise, la République française et la République de Pologne ont été autorisées, en application de l’article 154, paragraphe 3, du règlement de procédure, à déposer un mémoire en intervention.

11 Le 28 octobre 2020, la République portugaise et, le 19 novembre 2020, la République française et la République de Pologne ont respectivement déposé au greffe du Tribunal leurs mémoires en intervention.

12 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

13 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

14 La République française conclut à l’irrecevabilité du recours en ce qu’il tend à contester le bien-fondé de la décision attaquée et à son rejet au fond pour le surplus. À titre subsidiaire, elle conclut au rejet au fond du recours dans son intégralité.

15 La République de Pologne et la République portugaise, à l’instar de la Commission, concluent au rejet du recours comme non fondé.

 En droit

 Sur la recevabilité

16 La requérante fait valoir, aux points 33 et 34 de la requête abrégée, qu’elle a qualité pour agir en tant qu’« intéressée » et conserve un intérêt à agir qui découle de la protection des droits procéduraux dont elle dispose en cette même qualité au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

17 En effet, la requérante serait « intéressée » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et une « partie intéressée » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), car, en tant que concurrente de TAP Air Portugal, ses intérêts seraient affectés par l’octroi à la société mère de TAP Air Portugal d’un prêt d’État. L’aide accordée au bénéficiaire permettrait à TAP Air Portugal de rester sur le marché en qualité de concurrent subventionné de la requérante. Contrairement à TAP Air Portugal, la requérante, son principal concurrent au Portugal, ne bénéficierait pas d’un prêt d’État. Elle serait donc pénalisée en termes d’octroi de prêts et de conditions régissant les prêts, surtout en ce qui concerne leur taux d’intérêt.

18 À ce titre, elle serait en droit, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de former un recours en annulation contre une décision déclarant l’aide en cause compatible avec le marché intérieur, prise sans ouverture de la procédure formelle d’examen, telle que la décision attaquée.

19 La Commission ne conteste pas la recevabilité du recours.

20 Il y a lieu de considérer que la recevabilité du présent recours ne fait pas de doute pour autant que, par celui-ci, la requérante tend à démontrer que la Commission aurait dû ouvrir une procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

21 En effet, dans le cadre de la procédure de contrôle visée à l’article 108 TFUE, deux phases doivent être distinguées. D’une part, la phase préliminaire d’examen instituée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui permet à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité de l’aide en cause. D’autre part, la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, qui permet à la Commission d’avoir une information complète sur les données de l’affaire. Ce n’est que dans le cadre de cette procédure que le traité FUE prévoit l’obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (arrêts du 19 mai 1993, Cook/Commission, C‑198/91, EU:C:1993:197, point 22 ; du 15 juin 1993, Matra/Commission, C‑225/91, EU:C:1993:239, point 16, et du 15 octobre 2018, Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters e.a./Commission, T‑79/16, non publié, EU:T:2018:680, point 46).

22 Lorsque la procédure formelle d’examen n’est pas ouverte, les parties intéressées, qui auraient pu déposer des observations durant cette seconde phase, sont dépourvues de cette possibilité. Pour y remédier, il leur est reconnu le droit de contester, devant le juge de l’Union européenne, la décision prise par la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen. Ainsi, un recours visant à l’annulation d’une décision fondée sur l’article 108, paragraphe 3, TFUE introduit par une partie intéressée au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE est recevable lorsque l’auteur de ce recours tend à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition (voir arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C‑322/09 P, EU:C:2010:701, point 56 et jurisprudence citée).

23 Dans le cas présent, la procédure formelle d’examen n’a pas été ouverte par la Commission et la requérante invoque, dans le cadre du quatrième moyen, une violation de ses droits procéduraux. Au regard de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, une entreprise concurrente du bénéficiaire d’une mesure d’aide figure incontestablement parmi les « parties intéressées », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (arrêts du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C‑322/09 P, EU:C:2010:701, point 59, et du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C‑817/18 P, EU:C:2020:637, point 50).

24 En l’espèce, il est incontestable qu’il existe un rapport de concurrence entre la requérante et TAP Air Portugal. Ainsi, la requérante a fait valoir, sans être contredite, qu’elle contribuait à la desserte aérienne du Portugal depuis 2003 et qu’elle a, en 2019, transporté 10,9 millions de passagers sur les lignes portugaises. Il n’a pas non plus été contesté entre les parties que la requérante était la concurrente la plus importante de TAP Air Portugal et que les deux compagnies ont été en concurrence directe sur 32 lignes en 2019. La requérante a également mis en exergue que son programme de vols pour l’été 2020, établi avant la crise sanitaire, aurait compris 126 lignes au départ de 5 aéroports portugais. La requérante est donc une partie intéressée ayant un intérêt à assurer la sauvegarde des droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

25 Il y a donc lieu d’admettre la recevabilité du recours en tant que la requérante invoque la violation de ses droits procéduraux.

26 À l’appui du recours, la requérante invoque cinq moyens tirés, le premier, d’une application erronée des points 8 et 22 des lignes directrices, le deuxième, de la violation de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, le troisième, de la violation des principes de non‑discrimination, de libre prestation de services et de liberté d’établissement, le quatrième, d’une application erronée de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et, le cinquième, de la violation de l’obligation de motivation au sens de l’article 296 TFUE.

27 Dans ce contexte, force est de constater que le quatrième moyen, qui vise explicitement à obtenir le respect des droits procéduraux de la requérante, est recevable, compte tenu de la qualité de partie intéressée de celle-ci. En effet, la requérante peut invoquer, aux fins de la préservation des droits procéduraux dont elle bénéficie dans le cadre de la procédure formelle d’examen, des moyens de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait ou pouvait disposer, lors de la phase d’examen préliminaire de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 81 ; du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, EU:C:2009:435, point 35, et du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non publié, EU:T:2019:287, point 73).

28 À cet égard, il convient de rappeler que la requérante est en droit, pour démontrer la violation de ses droits procéduraux en raison des doutes que la mesure en cause aurait dû susciter quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, d’invoquer des arguments tendant à démontrer que le constat de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur auquel la Commission était parvenue était erroné, ce qui, a fortiori, est de nature à établir que la Commission aurait dû éprouver des doutes lors de son appréciation de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. Partant, le Tribunal est habilité à examiner les arguments de fond présentés par la requérante, afin de vérifier s’ils sont de nature à conforter le moyen expressément formé par elle concernant l’existence de doutes justifiant l’ouverture de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 13 juin 2013, Ryanair/Commission, C‑287/12 P, non publié, EU:C:2013:395, points 57 à 60, et du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non publié, EU:T:2019:287, point 77).

29 S’agissant du cinquième moyen, tiré du défaut de motivation entachant la décision attaquée, il convient de souligner que la méconnaissance de l’obligation de motivation relève de la violation des formes substantielles et constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par le juge de l’Union et ne se rapporte pas à la légalité au fond de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, points 67 à 72).

 Sur le fond

30 Il convient d’examiner d’abord le cinquième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré du défaut de motivation entachant la décision attaquée

31 Par son cinquième moyen, la requérante soutient, en substance, que la décision attaquée est entachée de plusieurs défauts de motivation.

32 Par la première branche du cinquième moyen, la requérante soutient que la Commission n’a pas examiné si les difficultés du bénéficiaire étaient trop graves pour être résolues par le groupe lui-même au sens du point 22 des lignes directrices. En outre, la Commission n’aurait pas établi que les difficultés du bénéficiaire lui étaient spécifiques et ne résultaient pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe, au sens de cette disposition. La décision attaquée ferait uniquement référence au fait que, d’une part, le bénéficiaire avait des fonds propres négatifs et, d’autre part, la notation de crédit de TAP Air Portugal avait considérablement baissé en raison de la crise sanitaire. Toutefois, la décision attaquée n’indiquerait pas si une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe avait contribué à ce résultat. La requérante relève à cet égard que les deux actionnaires réunis dans le consortium AGW sont également actifs dans le domaine du transport par le biais de leurs propres entreprises et qu’il ne saurait, dès lors, être exclu que celles-ci aient été favorisées au détriment de la position financière de TAP Air Portugal.

33 La requérante fait valoir, en ce qui concerne le considérant 43 de la décision attaquée, que la Commission s’est bornée à affirmer, sans le démontrer, au sujet de l’éligibilité du bénéficiaire d’une aide de sauvetage, que « [b]ien que le bénéficiaire soit contrôlé par d’autres actionnaires [considérant 3], les difficultés auxquelles il fait face lui sont spécifiques, sont trop graves pour être résolues par ses actionnaires majoritaires ou d’autres actionnaires et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au profit de ses actionnaires ou d’autres filiales, ainsi que l’illustrent les considérants 7 à 9 ».

34 Selon la requérante, la Commission a totalement omis de motiver, même de manière succincte, l’absence supposée de capacité des actionnaires à faire face aux difficultés du bénéficiaire. De même, la Commission n’aurait aucunement évalué la répartition des coûts au sein du groupe ni la question de savoir si les difficultés étaient spécifiques au bénéficiaire.

35 La Commission, soutenue par la République française, la République de Pologne et la République portugaise, conteste cette argumentation.

36 Il y a lieu de rappeler, d’emblée, que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences dudit article 296 doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C‑279/08 P, EU:C:2011:551, point 125 et jurisprudence citée).

37 Dans ce contexte, la décision de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur et même une motivation succincte de cette décision doit être considérée comme suffisante au regard de l’exigence de motivation que prévoit l’article 296 TFUE si elle fait apparaître de façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles la Commission a estimé ne pas être en présence de telles difficultés, la question du bien-fondé de cette motivation étant étrangère à cette exigence (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, points 65, 70 et 71 ; du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a., C‑47/10 P, EU:C:2011:698, point 111, et du 12 mai 2016, Hamr – Sport/Commission, T‑693/14, non publié, EU:T:2016:292, point 54).

38 S’agissant du reproche de la requérante suivant lequel la Commission a omis d’exposer les raisons pour lesquelles, d’une part, les difficultés étaient spécifiques au bénéficiaire et ne résultaient pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe et, d’autre part, les difficultés du bénéficiaire étaient trop graves pour être résolues par le groupe dont elle faisait partie, au sens du point 22 des lignes directrices, il convient de rappeler que, aux termes de ce point, « [u]ne société qui fait partie d’un groupe ou est reprise par un groupe ne peut en principe pas bénéficier d’aides au titre des présentes lignes directrices, sauf s’il peut être démontré que ses difficultés lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe, et que ces difficultés sont trop graves pour être résolues par le groupe lui-même ».

39 L’objectif de cette interdiction est donc d’empêcher un groupe d’entreprises de faire supporter à l’État le coût d’une opération de sauvetage d’une des entreprises qui le composent, lorsque cette entreprise est en difficulté et que le groupe est lui-même à l’origine de ces difficultés ou qu’il a les moyens de faire face seul à celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑511/09, EU:T:2015:284, point 159).

40 Il s’ensuit que le point 22 des lignes directrices énonce trois conditions cumulatives permettant de considérer comme compatible avec le marché intérieur une aide accordée à une société faisant partie d’un groupe. Ainsi, il incombe à la Commission d’examiner, premièrement, si le bénéficiaire de l’aide fait partie d’un groupe et, le cas échéant, la composition de celui-ci, deuxièmement, si les difficultés auxquelles le bénéficiaire fait face lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe et, troisièmement, si ces difficultés sont trop graves pour être résolues par ledit groupe lui-même.

41 Or, au considérant 43 de la décision attaquée, la Commission indique ce qui suit :

« Bien que le bénéficiaire soit contrôlé par d’autres actionnaires [considérant 3], les difficultés auxquelles il fait face lui sont spécifiques, sont trop graves pour être résolues par ses actionnaires majoritaires ou d’autres actionnaires et ne résultent pas d’une répartition arbitraire des coûts au profit de ses actionnaires ou d’autres filiales, ainsi que l’illustrent les considérants 7 à 9. S’agissant [du bénéficiaire], il apparaît que les difficultés concernées ont été aggravées par les mesures publiques sans précédent que le Portugal et d’autres pays avaient prises concernant le transport aérien. »

42 S’agissant, premièrement, de la question de savoir si le bénéficiaire fait partie d’un groupe, force est de constater que la Commission n’a ni constaté ni précisé au préalable si le bénéficiaire faisait partie d’un tel groupe. En effet, aucun motif de la décision attaquée ne laisse apparaître que la Commission a effectué une telle analyse. Le considérant 43 de la décision attaquée peut ainsi être interprété soit comme ne renfermant aucune position de la Commission sur ce point, soit comme laissant entendre que la Commission était probablement partie de la prémisse, sans pourtant l’expliquer, que le bénéficiaire faisait partie d’un groupe au sens du point 22 des lignes directrices. En effet, si tel n’avait pas été le cas, il n’aurait pas été nécessaire pour la Commission d’aborder les deux autres conditions prévues au point 22 des lignes directrices. En outre, dans le cadre de son examen desdites conditions prévues, la Commission a relevé que le bénéficiaire était « contrôlé par d’autres actionnaires » et a renvoyé à cet égard au considérant 3 de la décision attaquée, qui énumère les sociétés actionnaires du bénéficiaire, dont AGW.

43 Au demeurant, même si la Commission a employé les mêmes termes que ceux utilisés au point 22 des lignes directrices pour décrire les deux exceptions à l’interdiction d’octroyer une mesure d’aide au titre des lignes directrices à une société faisant partie d’un groupe, le fait de reprendre simplement le libellé dudit point 22 ne saurait remplacer l’examen de l’existence d’un groupe.

44 À cet égard, il résulte des mémoires des parties principales et des débats lors de l’audience de plaidoiries que celles-ci s’opposent quant à la question de savoir si le bénéficiaire et ses actionnaires, notamment le consortium AGW, faisaient partie d’un groupe au sens du point 22 des lignes directrices. Sur ce point, force est de constater que, à la date de l’adoption de la décision attaquée, Parpública détenait 50 % des actions du bénéficiaire, AGW 45 % et que les autres 5 % des actions appartenaient à des tiers.

45 La requérante a prétendu dans la requête et à l’audience que, à la date de la décision attaquée, le bénéficiaire formait un groupe avec le consortium AGW, y compris avec les deux actionnaires de ce dernier, à savoir les sociétés HPGB SGPS SA et DGN Corporation. Il aurait été établi que AGW et ces deux dernières sociétés exerçaient un contrôle combiné et réel sur le bénéficiaire.

46 La Commission a, dans le mémoire en défense et lors de l’audience, nié l’existence d’un groupe au sens du point 22 des lignes directrices dont feraient partie AGW et le bénéficiaire. D’après elle, il ne ressort pas de la décision attaquée qu’il est question d’un groupe dont faisaient partie le bénéficiaire et AGW. AGW serait un consortium, qui détient en réalité les actions de deux personnes physiques et ne constituerait pas une entreprise en elle-même.

47 Toutefois, un tel constat ne ressort pas de la décision attaquée. Ainsi qu’il a été relevé au point 42 ci-dessus, ni le considérant 43 de la décision attaquée ni aucun autre passage de celle-ci ne contiennent un constat ou une analyse relatifs à l’existence ou à l’absence d’un groupe d’entreprises, au sens du point 22 des lignes directrices, et encore moins à la composition d’un tel groupe d’entreprises. Force est de constater, en outre, que la Commission s’est bornée à fournir, au considérant 4 de la décision attaquée, des informations sur les sociétés contrôlées par le bénéficiaire. La décision attaquée ne contient cependant pas d’information sur les rapports entre ledit bénéficiaire et les sociétés actionnaires visées au point 3 de la décision attaquée, notamment AGW.

48 Plus particulièrement, il convient de relever, à cet égard, que, pour ce qui concerne la notion de « groupe de sociétés », le point 21, sous b), des lignes directrices se réfère à l’annexe de la recommandation 2003/361/CE de la Commission, du 6 mai 2003, concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (JO 2003, L 124, p. 36). En effet, conformément à la note en bas de page no 28 des lignes directrices, « [p]our établir si une société est indépendante ou fait partie d’un groupe, il sera tenu compte des critères énoncés à l’annexe I de la recommandation 2003/361 ».

49 Or, ainsi qu’il a été constaté au point 47 ci-dessus, la décision attaquée n’indique pas si la Commission avait examiné la question de savoir si, en tenant compte, notamment, des critères énoncés à ladite annexe, le bénéficiaire et les sociétés qui détiennent des actions dans celui-ci pouvaient être qualifiés de groupe au sens du point 22 des lignes directrices. Le Tribunal n’est donc pas en mesure de contrôler si tel était le cas.

50 Il est de jurisprudence constante que la motivation ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge, sauf circonstances exceptionnelles (voir arrêt du 20 septembre 2011, Evropaïki Dynamiki/BEI, T‑461/08, EU:T:2011:494, point 109 et jurisprudence citée). Partant, les explications présentées par la Commission dans le mémoire en défense et lors de l’audience, selon lesquelles le bénéficiaire ne faisait pas partie d’un groupe, ne sauraient compléter la motivation de la décision attaquée en cours d’instance.

51 Deuxièmement, et à supposer que le considérant 43 de la décision attaquée devait être interprété comme fondé sur la prémisse implicite que le bénéficiaire et ses actionnaires faisaient partie d’un même groupe (voir point 42 ci-dessus), contrairement donc aux affirmations de la Commission avancées dans le mémoire en défense et lors de l’audience, force est de constater que la Commission n’a pas suffisamment expliqué pourquoi elle considérait que les deuxième et troisième conditions prévues au point 22 des lignes directrices et rappelées au point 38 ci-dessus étaient remplies. En effet, à cet égard, la Commission s’est bornée à affirmer, au considérant 43 de la décision attaquée, respectivement, que les difficultés du bénéficiaire lui étaient spécifiques et « ne résult[ai]ent pas d’une répartition arbitraire des coûts au profit de ses actionnaires ou d’autres filiales » et que lesdites difficultés étaient « trop graves pour être résolues par ses actionnaires de contrôle ou par les autres actionnaires », sans toutefois étayer ces affirmations de quelque manière que ce soit.

52 En effet, si, au considérant 43 de la décision attaquée, la Commission a renvoyé aux considérants 7 à 9 et 11 à 13 de cette décision, force est de relever que la Commission s’est bornée, aux considérants 7 à 9 de la décision attaquée, à fournir des précisions sur la situation financière du bénéficiaire et sur les difficultés engendrées par la pandémie de COVID-19. De même, les considérants 11 à 13 de la décision attaquée exposent l’impact des perturbations causées par ladite pandémie sur les résultats opérationnels de TAP Air Portugal et sur sa position de liquidité. Ces considérants ne précisent donc aucunement si les difficultés étaient spécifiques au bénéficiaire et ne résultaient pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe prétendument constitué par ledit bénéficiaire et ses actionnaires. Elles n’exposent pas davantage la situation financière des sociétés actionnaires du bénéficiaire, ni leur capacité éventuelle à résoudre, ne serait-ce qu’en partie, les difficultés de celui-ci. Le Tribunal n’est donc pas en mesure de contrôler le bien-fondé des affirmations précitées.

53 Par conséquent, il est impossible pour le Tribunal de contrôler si les conditions posées au point 22 des lignes directrices sont réunies en l’espèce et si elles s’opposent à l’éligibilité du bénéficiaire à l’octroi d’une aide au sauvetage. Ainsi, la décision attaquée ne contient pas les raisons pour lesquelles la Commission a estimé ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur, au sens de la jurisprudence citée au point 37 ci-dessus.

54 Partant, le cinquième moyen est fondé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres branches dudit moyen.

55 L’insuffisance de motivation dont est entachée la décision attaquée entraîne l’annulation de celle-ci. En effet, le point 22 des lignes directrices prévoit les conditions dans lesquelles une aide au sauvetage octroyée à une société faisant partie d’un groupe peut être considérée comme compatible avec le marché intérieur. Or, en l’absence d’une motivation suffisante à cet égard dans la décision attaquée, le Tribunal n’est pas en mesure de contrôler si c’était à bon droit que la Commission a estimé ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur. Il y a donc lieu d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens invoqués par la requérante.

 Sur le maintien des effets de la décision annulée

56 Il y a lieu de rappeler la jurisprudence selon laquelle, lorsque des considérations impérieuses de sécurité juridique le justifient, le juge de l’Union bénéficie, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, d’un pouvoir d’appréciation pour indiquer, dans chaque cas particulier, ceux des effets de l’acte concerné qui doivent être considérés comme définitifs (voir, par analogie, arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 121 et jurisprudence citée).

57 Il résulte donc de cette disposition que, s’il l’estime nécessaire, le juge de l’Union peut, même d’office, limiter l’effet d’annulation de son arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 1er avril 2008, Parlement et Danemark/Commission, C‑14/06 et C‑295/06, EU:C:2008:176, point 85).

58 Conformément à cette jurisprudence, la Cour a fait usage de la possibilité de limiter les effets dans le temps de la constatation de l’invalidité d’une réglementation de l’Union lorsque des considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l’ensemble des intérêts, tant publics que privés, en jeu dans les affaires concernées empêchaient de remettre en cause la perception ou le paiement de sommes d’argent effectués sur le fondement de cette réglementation pour la période antérieure à la date de l’arrêt (arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 122).

59 En l’occurrence, le Tribunal considère qu’il existe des considérations impérieuses de sécurité juridique qui justifient la limitation dans le temps des effets de l’annulation de la décision attaquée. En effet, force est de constater que la mesure en cause a été octroyée pour une période initiale de six mois déjà écoulée, après laquelle la République portugaise devait transmettre à la Commission, conformément au point 55, sous d, des lignes directrices, soit la preuve que le crédit avait été intégralement remboursé, soit un plan de restructuration, soit un plan de liquidation. Par ailleurs, conformément à ladite disposition, dans l’hypothèse de la présentation d’un plan de restructuration, l’autorisation de l’aide au sauvetage était automatiquement prolongée jusqu’à ce que la Commission prenne une décision définitive sur le plan de restructuration, sauf si elle décidait qu’une telle prolongation n’était pas justifiée ou devait être de durée ou de portée limitée.

60 Dans ce contexte où l’application de la mesure d’aide en cause fait partie d’un processus encore en cours et composé de différentes phases successives, la remise en cause de la perception des sommes d’argent prévues par la mesure d’aide en cause au stade actuel aurait des conséquences particulièrement préjudiciables sur un ensemble d’intérêts, tant publics que privés. Plus particulièrement, il convient de tenir compte des effets préjudiciables des perturbations causées par la pandémie de COVID-19 sur la desserte aérienne et l’économie du Portugal et de l’importance de TAP Air Portugal pour cette desserte et l’économie de cet État membre. Enfin, force est de relever que l’illégalité constatée est un défaut de motivation et non une erreur sur le fond. Ces circonstances sont susceptibles de justifier la limitation des effets dans le temps de l’annulation de la décision attaquée.

61 En vertu de l’article 266 TFUE, la Commission, dont émane l’acte annulé, est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution du présent arrêt.

62 Partant, il y a lieu de tenir en suspens les effets de l’annulation de la décision attaquée jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission. Eu égard à la célérité avec laquelle la Commission a agi à compter de la prénotification et de la notification de la mesure en cause, lesdits effets seront tenus en suspens pendant une période ne pouvant excéder deux mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt au cas où la Commission déciderait d’adopter cette nouvelle décision dans le cadre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et pendant une période supplémentaire raisonnable si la Commission décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 126).

 Sur les dépens

63 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

64 Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République française, la République de Pologne et la République portugaise supporteront donc leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) La décision C (2020) 3989 final de la Commission, du 10 juin 2020, relative à l’aide d’État SA.57369 (2020/N) – COVID-19 – Portugal – Aide accordée à TAP, est annulée.

2) Il y a lieu de tenir en suspens les effets de l’annulation de ladite décision jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission européenne en vertu de l’article 108 TFUE. Lesdits effets sont tenus en suspens pendant une période ne pouvant excéder deux mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt au cas où la Commission déciderait d’adopter cette nouvelle décision dans le cadre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et pendant une période supplémentaire raisonnable si la Commission décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. 

3) La Commission est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Ryanair DAC.

4) La République française, la République de Pologne et la République portugaise supporteront leurs propres dépens.