TUE, 10e ch. élargie, 19 mai 2021, n° T-628/20
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ryanair DAC
Défendeur :
Commission européenne, Royaume d’Espagne, République française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kornezov (rapporteur)
Juges :
M. Buttigieg, Mme Kowalik Bańczyk, M. Hesse, Mme Stancu
Avocats :
Me Laprévote, Me Vahida, Me Blanc, Me Metaxas-Maranghidis, Me Rating
LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),
Antécédents du litige
1 Le 20 juillet 2020, le Royaume d’Espagne a notifié à la Commission européenne, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, un régime d’aides visant la création du Fonds de soutien à la solvabilité des entreprises stratégiques (ci-après le « Fonds »), pour soutenir la solvabilité des entreprises viables, considérées comme systémiques ou stratégiques pour l’économie espagnole, qui connaissent des difficultés temporaires en raison de la pandémie de COVID-19.
2 Le Fonds fournit un financement par l’achat d’instruments financiers et de titres émis par des entreprises non financières établies en Espagne, sans limitation de taille ou de secteur économique. Il est géré par un conseil d’administration qui prend les décisions concernant les demandes d’aide et fixe les conditions du financement public accordé aux bénéficiaires. La Sociedad Española de Participaciones Industriales (société espagnole de participations industrielles, ci-après la « SEPI »), un holding public qui gère les participations de l’État espagnol, est chargée notamment de l’évaluation préalable des demandes, de l’utilisation des fonds et de l’enregistrement des titres acquis par l’État. Le conseil d’administration soumet, pour approbation, au conseil des ministres espagnol les décisions relatives à l’octroi du financement public. Le conseil d’administration du Fonds est un comité interministériel présidé par le président de la SEPI et composé, en outre, de représentants des ministères de l’Économie, des Finances, de l’Industrie et de l’Énergie.
3 Le budget du régime d’aides est fixé à 10 milliards d’euros, financés par le budget de l’État. Les interventions du Fonds dépasseront, en principe, 25 millions d’euros par bénéficiaire. Toutefois, les soutiens au-delà de 250 millions d’euros par bénéficiaire seront notifiés individuellement à la Commission. Les opérations temporaires de soutien financées par le Fonds seront accordées jusqu’au 30 juin 2021.
4 Pour bénéficier du régime d’aides en cause, les entreprises doivent remplir plusieurs critères cumulatifs d’éligibilité dont en substance :
– être des entreprises non financières établies et ayant leurs principaux centres d’activité en Espagne ;
– avoir une importance systémique ou stratégique du fait de leur appartenance à un secteur d’activité particulier, en raison de leurs liens avec la santé publique et la sécurité publique ou encore de leur influence sur l’ensemble de l’économie, de leurs activités d’innovation, du caractère essentiel des services fournis ou de leur rôle dans la réalisation des objectifs à moyen terme concernant la transition écologique, la numérisation, l’accroissement de la productivité et le capital humain ;
– être face à un risque de cessation de leurs activités ou éprouver de graves difficultés à rester en activité sans soutien public temporaire ;
– la cessation forcée de leurs activités aurait un impact négatif et élevé sur l’activité ou l’emploi au niveau national ou régional ;
– démontrer leur viabilité à moyen et à long terme en présentant un plan de viabilité indiquant la manière dont l’entreprise pourrait surmonter la crise et décrivant l’utilisation proposée de l’aide publique ;
– présenter un calendrier prévisionnel de remboursement du soutien de l’État par le Fonds ;
– ne pas être considérées comme étant déjà en difficulté au 31 décembre 2019.
5 En outre, les entreprises souhaitant bénéficier du régime d’aides en cause doivent démontrer, sur la base de preuves adéquates, qu’un financement privé par l’intermédiaire des banques ou des marchés financiers n’est pas disponible pour elles ou l’est à un coût qui entraverait leur viabilité.
6 Le 31 juillet 2020, la Commission a adopté la décision C(2020) 5414 final relative à l’aide d’État SA.57659 (2020/N) – Espagne COVID-19 – Fonds de recapitalisation (ci-après la « décision attaquée »), par laquelle elle a conclu que la mesure en cause était constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et qu’elle était compatible avec le marché intérieur, conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et à la communication de la Commission, du 19 mars 2020, intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 » (JO 2020, C 91 I, p. 1), modifiée le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1), le 13 mai 2020 (JO 2020, C 164, p. 3) et le 29 juin 2020 (JO 2020, C 218, p. 3) (ci-après l’« encadrement temporaire »), et n’a, dès lors, pas soulevé d’objections à son égard.
Procédure et conclusions des parties
7 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 octobre 2020, la requérante, Ryanair DAC, a introduit le présent recours.
8 Par acte déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a demandé qu’il fût statué sur le présent recours selon une procédure accélérée, conformément aux articles 151 et 152 du règlement de procédure du Tribunal. Par décision du 10 novembre 2020, le Tribunal (dixième chambre) a fait droit à la demande de procédure accélérée.
9 La Commission a déposé le mémoire en défense au greffe du Tribunal le 30 novembre 2020.
10 En application de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure, la requérante a présenté, le 14 décembre 2020, une demande motivée d’audience de plaidoiries.
11 Sur proposition de la dixième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.
12 Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 18 décembre 2020 et le 22 décembre 2020, le Royaume d’Espagne et la République française ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.
13 Par décisions du 12 janvier 2021, le président de la dixième chambre du Tribunal a admis les interventions du Royaume d’Espagne et de la République française.
14 Par mesures d’organisation de la procédure signifiées le 14 janvier 2021, le Royaume d’Espagne et la République française ont été autorisés en application de l’article 154, paragraphe 3, du règlement de procédure à déposer un mémoire en intervention. Le 28 et le 29 janvier 2021, la République française et le Royaume d’Espagne ont respectivement fait parvenir au greffe du Tribunal leurs mémoires en intervention.
15 Dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure au titre de l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité, le 5 février 2021, la Commission et le Royaume d’Espagne à répondre lors de l’audience à deux questions. La Commission et le Royaume d’Espagne ont déféré à cette demande.
16 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
17 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
18 Le Royaume d’Espagne et la République française concluent à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme étant non fondé dans son intégralité.
En droit
19 Il convient de rappeler que le juge de l’Union européenne est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52, et du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑57/15, non publié, EU:T:2016:470, point 84). Dès lors, il convient, au regard, en particulier, des considérations ayant conduit à l’octroi d’un traitement accéléré de la présente procédure et de l’importance s’attachant, tant pour la requérante que pour la Commission, le Royaume d’Espagne et la République française, à une réponse rapide au fond, d’examiner d’emblée le bien-fondé du recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité.
20 À l’appui de son recours, la requérante avance cinq moyens, tirés, le premier, d’une violation des principes de non-discrimination, de libre prestation des services et de liberté d’établissement, le deuxième, d’une violation de l’obligation de mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée, le troisième, de la qualification erronée de la mesure en cause de régime d’aides, le quatrième, d’une violation de ses droits procéduraux et, le cinquième, d’une violation de l’obligation de motivation.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation des principes de non-discrimination, de libre prestation des services et de liberté d’établissement
21 Le premier moyen comporte, en substance, quatre branches, tirées, la première, de ce que le régime d’aides viole le principe de non-discrimination, la deuxième, de ce qu’il n’est ni nécessaire ni proportionné pour atteindre l’objectif qui lui est assigné, la troisième, de ce qu’il restreint la libre prestation des services et la liberté d’établissement et, la quatrième, de ce que la restriction ainsi apportée n’est pas justifiée.
Sur les deux premières branches du premier moyen, tirées d’une violation du principe de non-discrimination
22 La requérante soutient que la décision attaquée violerait le principe de non-discrimination, puisque la mesure en cause serait discriminatoire à l’égard des entreprises non établies et n’ayant pas leurs principaux centres d’activité en Espagne, lesquelles seraient exclues du bénéfice de l’aide, alors même qu’elles pourraient également revêtir une importance systémique et stratégique pour l’économie espagnole, comme cela serait le cas de la requérante. Or, une telle différence de traitement ne serait ni nécessaire ni proportionnée à l’objectif poursuivi, dans la mesure où les entreprises non établies et n’ayant pas leurs principaux centres d’activité en Espagne, mais qui opèrent dans cet État membre, auraient rencontré les mêmes difficultés causées par la pandémie de COVID-19, où leur sortie du marché espagnol entraînerait des difficultés sociales et perturberait sérieusement l’économie espagnole et où une mesure alternative et non discriminatoire consisterait dans l’octroi de l’aide en fonction des parts de marché des entreprises concernées.
23 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne et la République française, conteste les arguments de la requérante.
24 Aux termes de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées notamment à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre.
25 Selon la jurisprudence, il résulte de l’économie générale du traité que la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. Dès lors, une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole d’autres dispositions du traité ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission. De même, une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole les principes généraux du droit de l’Union, tel que le principe d’égalité de traitement, ne saurait être déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission (arrêts du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, points 50 et 51, et du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 44).
26 Dans la présente affaire, force est de constater que l’un des critères d’éligibilité au bénéfice du régime d’aides en cause, à savoir celui relatif à l’établissement des bénéficiaires en Espagne et à ce que leurs principaux centres d’activité se situent sur le territoire de cet État membre, a pour conséquence un traitement différent des entreprises établies et ayant leurs principaux centres d’activité en Espagne, à même de bénéficier dudit régime d’aides si elles remplissent par ailleurs les autres critères d’éligibilité, de celles étant établies ou ayant leurs principaux centres d’activité dans un autre État membre, qui ne peuvent pas y prétendre.
27 À supposer que, comme l’affirme la requérante, cette différence de traitement puisse être assimilée à une discrimination, il convient de vérifier si elle est justifiée par un objectif légitime et si elle est nécessaire, appropriée et proportionnée pour l’atteindre. De même, pour autant que la requérante fait référence à l’article 18, premier alinéa, TFUE, il convient de souligner que, selon cette disposition, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité dans le domaine d’application des traités « sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient ». Partant, il importe de vérifier si cette différence de traitement est permise au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, qui constitue la base juridique de la décision attaquée. Cet examen implique, d’une part, que l’objectif du régime d’aides en cause satisfasse aux exigences de cette dernière disposition et, d’autre part, que les modalités d’octroi de l’aide n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
28 En premier lieu, s’agissant de l’objectif du régime d’aides en cause, il y a lieu de rappeler que le Royaume d’Espagne a fondé cette mesure sur l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (paragraphe 5 de la décision attaquée). Ledit régime vise ainsi à remédier à la perturbation grave de l’économie espagnole occasionnée par la pandémie de COVID-19, ainsi que cela ressort des paragraphes 57 et 58 de la décision attaquée, ce qui correspond à l’un des cas de figure visés par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Le régime d’aides en cause fait en sorte que les entreprises considérées comme systémiques ou stratégiques pour l’économie espagnole disposent d’un financement externe suffisant pour leur permettre de rétablir leur structure de capital pendant que le fonctionnement des marchés de crédit et de capitaux est sérieusement perturbé par la pandémie de COVID-19.
29 Il y a lieu de considérer que, dès lors que l’existence tant d’une perturbation grave de l’économie espagnole du fait de la pandémie de COVID-19 que des effets négatifs majeurs de cette dernière sur l’économie espagnole sont établis à suffisance de droit dans la décision attaquée, l’objectif du régime d’aides en cause satisfait aux conditions posées par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.
30 Au surplus, le critère de l’importance stratégique et systémique des bénéficiaires de l’aide reflète bien l’objectif de l’aide en cause, à savoir remédier à une perturbation grave de l'économie espagnole au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.
31 En second lieu, s’agissant de l’examen de ce que les modalités d’octroi de l’aide n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif du régime d’aides en cause et satisfont aux conditions posées par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, il convient de faire état des considérations suivantes.
32 Premièrement, s’agissant du caractère approprié et nécessaire du régime d’aides en cause, il échet de relever que, en l’espèce, celui-ci a été adopté en application notamment du point 3.11 de l’encadrement temporaire intitulé « Mesures de recapitalisation », dont les paragraphes 44 et 45 prévoient ce qui suit :
« 44 Le présent encadrement temporaire énonce les critères prévus par les règles de l’Union en matière d’aides d’État sur la base desquels les États membres peuvent apporter un soutien public sous la forme de fonds propres et/ou d’instruments hybrides aux entreprises confrontées à des difficultés financières en raison de la flambée de COVID-19. Il vise à faire en sorte que la perturbation de l’économie ne provoque pas une sortie du marché évitable pour les entreprises qui étaient viables avant la flambée de COVID-19. Les recapitalisations ne doivent dès lors pas dépasser le minimum nécessaire pour assurer la viabilité du bénéficiaire et devraient se limiter à rétablir la structure de capital qui était celle du bénéficiaire avant la flambée de COVID-19. Les grandes entreprises doivent indiquer comment les aides reçues soutiennent leurs activités dans le respect des objectifs de l’Union et des obligations nationales liés à la transition écologique et numérique, y compris l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050, visé par l’Union.
45 Parallèlement, la Commission souligne que la fourniture d’un soutien public national sous la forme de fonds propres et/ou d’instruments hybrides, dans le cadre de régimes ou dans des cas individuels spécifiques, ne devrait être envisagée que si aucune autre solution appropriée ne peut être trouvée. Par ailleurs, l’émission de tels instruments devrait être strictement encadrée, car ces instruments créent d’importantes distorsions de concurrence entre les entreprises. Ces interventions doivent donc être soumises à des conditions claires en ce qui concerne l’entrée de l’État dans le capital des entreprises concernées, la rémunération de l’État et la sortie de l’État du capital de ces entreprises, mais aussi les clauses de gouvernance et les mesures appropriées à prendre pour limiter les distorsions de concurrence. Dans ce contexte, la Commission observe que la conception de mesures de soutien nationales qui répondent aux objectifs des politiques de l’Union liés à la transition écologique et numérique de l’économie permettra une croissance à long terme plus durable et aura pour effet de stimuler la transition vers l’objectif que l’Union s’est fixé de parvenir à la neutralité climatique à l’horizon 2050. »
33 Par conséquent, le Royaume d’Espagne, en adoptant le régime d’aides en cause, a entendu prendre des mesures de recapitalisation, en application du point 3.11 de l’encadrement temporaire, sous la forme de prêts participatifs, de dettes hybrides ou d’autres instruments convertibles en capitaux propres (« instruments de capital hybride »), de souscriptions d’actions (« instruments de capitaux propres »), de prêts subordonnés ou d’un autre instrument de capital (paragraphe 15 de la décision attaquée) à certaines entreprises, qui connaissent des difficultés temporaires en raison des effets négatifs de la pandémie de COVID 19.
34 La requérante soutient, en substance, qu’il n’est ni approprié ni nécessaire d’allouer l’aide aux seules entreprises établies en Espagne et ayant leurs principaux centres d’activité dans cet État membre.
35 À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que le régime d’aides en cause consiste en l’octroi, par l’État espagnol, de fonds propres ou d’instruments hybrides, par le biais desquels, en substance, cet État membre entre temporairement dans le capital des entreprises concernées, ainsi qu’il ressort du paragraphe 45 de l’encadrement temporaire. Compte tenu de la nature des mesures de recapitalisation en cause, il est légitime que l’État membre concerné cherche à s’assurer d’une présence stable des entreprises susceptibles de bénéficier dudit régime sur son territoire et d’un lien de rattachement durable entre celles-ci et son économie. En effet, les autorités de cet État membre doivent pouvoir contrôler, de manière continue et efficace, la façon dont l’aide est utilisée ainsi que le respect des clauses de gouvernance et de toutes les autres mesures imposées pour limiter les distorsions de concurrence. Elles doivent, en outre, pouvoir organiser et surveiller la sortie ordonnée ultérieure de l’État espagnol du capital de ces entreprises. À cette fin, l’État membre concerné doit avoir la compétence d’intervenir, en cas de besoin, afin d’imposer le respect des conditions et des engagements entourant l’octroi du financement public en cause.
36 Le critère d’éligibilité relatif à ce que les bénéficiaires de l’aide soient établis en Espagne et qu’ils aient leurs principaux centres d’activité sur le territoire de cet État membre traduit ainsi la nécessité, pour l’État membre concerné, de s’assurer d’une certaine stabilité de la présence de ceux-ci et de leur ancrage durable dans l’économie espagnole. En effet, ledit critère exige non seulement que le bénéficiaire ait son siège social sur le territoire espagnol, mais également que ses principaux centres d’activité se trouvent sur ce territoire, ce qui démontre précisément que le régime d’aides en cause vise à soutenir les entreprises qui sont véritablement et durablement ancrées dans l’économie espagnole, ce qui est cohérent avec l’objectif du régime qui vise à remédier à la perturbation grave de cette économie.
37 En revanche, l’existence d’un tel lien de rattachement stable et durable à l’économie espagnole est, en principe, moins probable en ce qui concerne tant les simples prestataires de services, dont la prestation peut, par définition, cesser à très bref délai, pour ne pas dire immédiatement, que les entreprises établies en Espagne, mais ayant leurs principaux centres d’activité en dehors du territoire de cet État, de sorte qu’un éventuel financement public visant à soutenir leurs activités est moins à même de contribuer à remédier à la perturbation grave de l’économie de cet État membre.
38 Ensuite, il convient de relever que la nécessité de s’assurer de l’existence d’un rattachement stable et durable à l’économie espagnole des bénéficiaires de l’aide en question sous-tend l’ensemble du régime en cause, ainsi qu’il ressort tant des autres critères d’éligibilité que des modalités de son octroi.
39 En effet, force est de constater que le bénéfice de l’aide en cause est réservé aux entreprises considérées comme revêtant une importance systémique ou stratégique pour l’économie espagnole. En ciblant ainsi le régime d’aides en cause, le Royaume d’Espagne a choisi de ne soutenir que les entreprises qui jouent un rôle essentiel pour son économie, étant donné que leurs difficultés affecteraient sérieusement, en raison de leur importance systémique et stratégique, l’état général de l’économie espagnole. De ce fait, les entreprises qui ne sont pas considérées comme systémiques ou stratégiques pour l’économie espagnole ne peuvent pas prétendre au bénéfice de l’aide en cause, alors même qu’elles sont établies en Espagne et qu’elles ont leurs principaux centres d’activité sur le territoire de cet État membre.
40 Plusieurs autres critères d’éligibilité traduisent également la nécessité, pour l’État espagnol, de s’assurer de l’existence d’un lien durable, c’est-à-dire à moyen et à long terme, entre les bénéficiaires de l’aide et son économie. Ainsi, le critère tenant à l’importance systémique et stratégique des bénéficiaires se réfère notamment à « leur rôle dans la réalisation des objectifs à moyen terme concernant la transition écologique, la numérisation, l’accroissement de la productivité et le capital humain ». Un autre critère d’éligibilité requiert des bénéficiaires d’établir leur viabilité à moyen et à long terme en présentant un plan de viabilité indiquant la manière dont l’entreprise pourrait surmonter la crise et décrivant l’utilisation proposée de l’aide publique (paragraphe 10, sous d), de la décision attaquée). De plus, les entreprises concernées doivent présenter un calendrier prévisionnel de remboursement du soutien de l’État par le Fonds et des mesures qui seront prises pour respecter ce calendrier [paragraphe 10, sous e), de la décision attaquée]. Ces critères traduisent ainsi de façon concrète la nécessité, d’une part, que le bénéficiaire en cause soit durablement intégré dans l’économie espagnole et continue à l’être à moyen et à long terme, afin qu’il puisse honorer les objectifs de développement susmentionnés, et, d’autre part, que les autorités espagnoles soient à même de contrôler le respect et la mise en œuvre de leurs engagements.
41 Le régime d’aides en cause comporte aussi une série de restrictions ex post visant à limiter les distorsions de concurrence et à garantir la gouvernance saine des bénéficiaires ainsi que la manière dont l’aide est utilisée (paragraphes 36 à 39 de la décision attaquée), et impose des obligations de transparence et de reddition de comptes aux autorités nationales sur l’utilisation de l’aide en cause (paragraphe 40 de la décision attaquée). Ainsi, à titre d’exemple, aussi longtemps qu’ils n’ont pas remboursé l’aide obtenue, il est interdit aux bénéficiaires de prendre des risques excessifs ou de poursuivre une expansion commerciale agressive financée par l’aide. De même, ils ne peuvent pas faire la publicité de l’investissement effectué par le Fonds à des fins commerciales. Il est également interdit aux bénéficiaires, aussi longtemps qu’ils n’ont pas remboursé au moins 75 % de l’aide, d’effectuer certaines concentrations ou acquisitions (paragraphes 78 à 81 de la décision attaquée). En outre, tant que l’aide n’a pas été entièrement remboursée, les bénéficiaires ne peuvent pas verser de dividendes (paragraphe 82 de la décision attaquée) et un plafond est imposé aux rémunérations de leurs gestionnaires (paragraphe 83 de la décision attaquée). Par ailleurs, si au bout d’une période de six ans à compter de l’injection du capital par le Fonds, la part des actions détenues par ce dernier n’est pas réduite au-dessous de 15 %, le bénéficiaire doit présenter un plan de restructuration aux autorités espagnoles, lesquelles le notifieront à la Commission pour approbation (paragraphe 89 de la décision attaquée). Un mécanisme sera également mis en place afin d’éviter le risque que le bénéficiaire rachète les actions de l’État, par l’intermédiaire de parties tierces, à des prix inférieurs à ceux de l’investissement nominal de l’État (paragraphes 35 et 74 de la décision attaquée). Ces restrictions ex post démontrent, elles aussi, la nécessité et l’obligation des autorités espagnoles de contrôler, de façon continue, divers aspects des activités des bénéficiaires. À cette fin, elles doivent avoir la compétence d’intervenir, le cas échéant, afin d’en imposer le respect.
42 Il appert donc que, en conjuguant les critères d’éligibilité et les restrictions ex post rappelés aux points 34 à 40 ci-dessus, le Royaume d’Espagne a cherché, en substance, à s’assurer de l’existence d’un lien pérenne et réciproque entre les bénéficiaires de l’aide et son économie, s’inscrivant dans une perspective de développement économique à moyen et à long terme.
43 Ainsi, en limitant le bénéfice de l’aide aux seules entreprises revêtant une importance systémique ou stratégique pour l’économie espagnole, établies en Espagne et ayant leurs principaux centres d’activité sur son territoire, en raison des liens stables et réciproques qui les rattachent à son économie, le régime d’aides en cause est à la fois approprié et nécessaire pour atteindre l’objectif de remédier à la perturbation grave de l’économie de cet État membre.
44 Deuxièmement, s’agissant du caractère proportionné du régime d’aides en cause, la requérante estime, en substance, qu’une entreprise peut également revêtir une importance systémique et stratégique pour l’économie espagnole, même si elle n’est pas établie en Espagne, de sorte que l’objectif poursuivi par ledit régime pourrait être atteint en retenant comme critère d’éligibilité non pas celui de l’État membre d’établissement, mais un autre critère relatif aux parts de marché des entreprises concernées.
45 À cet égard, s’il n’est pas exclu qu’une entreprise qui n’est pas établie en Espagne et qui n’a pas ses principaux centres d’activité dans cet État membre puisse néanmoins revêtir, dans certaines circonstances particulières, une importance systémique ou stratégique pour l’économie espagnole, il convient de rappeler que l’octroi de fonds publics dans le cadre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE suppose que l’aide apportée par l’État membre concerné, pourtant en grave difficulté, puisse remédier aux perturbations de son économie, ce qui suppose une prise en compte globale de la situation des entreprises susceptibles de permettre le rétablissement de ladite économie et ce qui donne toute sa pertinence au critère d’un lien stable et durable avec l’économie dudit État.
46 En effet, d’une part, la nécessité d’un ancrage stable et durable des bénéficiaires de l’aide dans l’économie espagnole, qui sous-tend le régime d’aides en cause, ferait défaut ou serait à tout le moins affaiblie si le Royaume d’Espagne avait adopté un autre critère permettant l’éligibilité d’entreprises opérant sur le territoire espagnol en tant que simples prestataires de services, à l’instar de la requérante, une prestation de services pouvant, par définition, cesser à très bref délai, pour ne pas dire immédiatement, comme il est rappelé au point 36 ci-dessus. Ainsi, rien ne garantirait au Royaume d’Espagne que l’apport à son économie des entreprises non établies et n’ayant pas leurs principaux centres d’activité sur son territoire serait maintenu après la crise, à supposer que le bénéfice des mesures de recapitalisation leur ait été octroyé.
47 D’autre part, le fait donc que la requérante soit la plus grande compagnie aérienne en Espagne, détenant environ 20 % du marché dans cet État membre, ou encore que sa sortie de ce marché entraînerait des difficultés sociales, ne signifie pas que la Commission aurait commis une erreur d’appréciation en considérant que le régime d’aides en cause était compatible avec le marché intérieur. En effet, cet argumentaire est fondé sur la situation spécifique de la requérante sur le marché de transport aérien de passagers en Espagne, alors que le régime d’aides en cause vise à soutenir toute l’économie espagnole, sans distinction du secteur économique concerné, de sorte que le Royaume d’Espagne a tenu compte de l’état global de son économie et des perspectives de développement économique à moyen et à long terme, et non de la situation spécifique de telle ou telle entreprise.
48 Partant, en prévoyant des modalités d’octroi du bénéfice d’un régime d’aides de portée générale et multisectorielles, l’État membre en cause pouvait légitimement se fonder sur des critères d’éligibilité visant à identifier des entreprises présentant à la fois une importance systémique ou stratégique pour son économie et un lien pérenne et stable avec cette dernière.
49 Quant au régime d’aides alternatif préconisé par la requérante, fondé sur un critère d’éligibilité afférent aux parts de marché des entreprises concernées, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la Commission n’a pas à se prononcer abstraitement sur toutes les mesures alternatives susceptibles d’être envisagées, puisque, si l’État membre concerné doit exposer de façon circonstanciée les raisons ayant présidé à l’adoption du régime d’aides en cause, en particulier quant aux critères d’éligibilité retenus, il n’est pas tenu de démontrer, de manière positive, qu’aucune autre mesure imaginable, par définition hypothétique, ne pourrait permettre d’assurer l’objectif poursuivi de meilleure manière. Si ledit État membre n’est pas soumis à une telle obligation, la requérante ne saurait être fondée à demander au Tribunal d’imposer à la Commission de se substituer aux autorités nationales dans cette tâche de prospection normative afin d’examiner toute mesure alternative envisageable (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non publié, EU:T:2019:287, point 94 et jurisprudence citée).
50 En tout état de cause, le critère d’éligibilité préconisé par la requérante, fondé sur les parts de marché des entreprises intéressées, ne tient pas suffisamment compte des objectifs poursuivis par le régime d’aides en cause qui vise à remédier à la perturbation grave de l’économie espagnole, prise dans sa globalité, dans sa diversité et dans une perspective de développement économique durable. Il apparaît, à cet égard, que le législateur espagnol n’a pas voulu retenir des critères d’éligibilité fondés sur la taille ou les parts de marché des bénéficiaires, mais plutôt sur des considérations de développement économique à moyen et à long terme de l’économie espagnole, en retenant des critères plutôt qualitatifs et non quantitatifs.
51 La Commission, dans la décision attaquée, a donc approuvé un régime d’aides visant effectivement à remédier à la perturbation grave de l’économie d’un État membre et n’excédant pas, dans ses modalités d’octroi, ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif dudit régime. Force est, dès lors, de constater, au regard des principes rappelés au point 27 ci-dessus, que ledit régime ne méconnaît pas le principe de non-discrimination et l’article 18, premier alinéa, TFUE du seul fait qu’il favorise les entreprises établies en Espagne et ayant leurs principaux centres d’activité dans cet État membre.
52 Il résulte de ce qui précède que l’objectif du régime d’aides en cause satisfait aux exigences de la dérogation prévue par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et que les modalités d’octroi de l’aide ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
53 Par conséquent, il y a lieu d’écarter les deux premières branches du premier moyen.
Sur les deux dernières branches du premier moyen, tirées d’une violation des principes de libre prestation des services et de liberté d’établissement
54 La requérante rappelle, d’une part, qu’une restriction de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services est licite si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, non discriminatoire, nécessaire et proportionnée à l’objectif d’intérêt général poursuivi et, d’autre part, que ces conditions sont cumulatives et qu’une restriction devient injustifiée si une seule d’entre elles n’est pas remplie. Or, en l’espèce, le régime d’aides en cause serait d’abord discriminatoire, car il traiterait les entreprises différemment en fonction de l’État membre de leur établissement. Ensuite, il ne serait pas proportionné, car il irait au-delà de ce qui serait nécessaire pour atteindre son objectif, étant donné que ce dernier pourrait être atteint sans porter atteinte à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services s’il bénéficiait à toutes les entreprises opérant en Espagne, quel que soit l’État membre de leur établissement, en tenant compte par exemple de leur part de marché respective.
55 Enfin, l’objectif d’intérêt général de remédier à la perturbation grave de l’économie espagnole causée par la pandémie de COVID-19 ne rendrait pas nécessaire d’aider uniquement les entreprises établies en Espagne, étant donné que certaines des entreprises opérant en Espagne au titre de la libre prestation des services, telles que la requérante, seraient tout aussi importantes pour son économie. En revanche, le fait d’aider uniquement les entreprises nationales entraînerait la fragmentation du marché intérieur et l’élimination des concurrents des autres États membres, affaiblirait la concurrence, aggraverait les dommages causés par la pandémie de COVID-19, finirait par porter atteinte à la structure du secteur aérien et restreindrait les droits des transporteurs de l’Union de fournir librement des services de transport aérien au sein du marché intérieur, quel que soit l’État membre ayant délivré leur licence.
56 À titre liminaire, il convient de renvoyer, en ce que la requérante fonde son argumentaire sur l’existence d’une discrimination résultant du régime d’aides en cause et d’une absence de proportionnalité caractérisant ce dernier, à l’examen des deux premières branches du premier moyen.
57 Ensuite, il y a lieu de rappeler que, d’une part, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil (voir, en ce sens arrêt du 6 octobre 2015, Finanzamt Linz, C‑66/14, EU:C:2015:661, point 26 et jurisprudence citée).
58 D’autre part, la libre prestation des services s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation des services entre États membres plus difficile que la prestation des services purement interne à un État membre, indépendamment de l’existence d’une discrimination selon la nationalité ou la résidence (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2003, Stylianakis, C‑92/01, EU:C:2003:72, point 25).
59 Bien que le régime d’aides en cause ne vise pas spécifiquement le secteur de transport aérien, il y a lieu de relever que la requérante se plaint d’une prétendue restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services principalement dans le secteur du transport aérien. À cet égard, il y a lieu de constater que, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, la libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports, à savoir le titre VI du traité FUE. La libre prestation des services en matière de transports est ainsi soumise, au sein du droit primaire, à un régime juridique particulier (arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management, C‑628/11, EU:C:2014:171, point 36). Par conséquent, l’article 56 TFUE, qui consacre la libre prestation des services, ne s’applique pas tel quel au domaine de la navigation aérienne (arrêt du 25 janvier 2011, Neukirchinger, C‑382/08, EU:C:2011:27, point 22).
60 C’est ainsi uniquement sur la base de l’article 100, paragraphe 2, TFUE que des mesures de libéralisation des services de transports aériens peuvent être adoptées (arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management, C‑628/11, EU:C:2014:171, point 38). Or, ainsi que le relève, à juste titre, la requérante, le législateur de l’Union a adopté le règlement (CE) no 1008/2008, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté (JO 2008, L 293, p. 3) sur le fondement de cette disposition, qui a précisément pour objet de définir les conditions d’application, dans le secteur du transport aérien, du principe de la libre prestation des services (voir, par analogie, arrêt du 6 février 2003, Stylianakis, C‑92/01, EU:C:2003:72, points 23 et 24).
61 Or, s’il est vrai que, du fait de la définition du périmètre du régime d’aides en cause, la requérante se trouve privée de l’accès à des mesures de recapitalisation octroyées par le Royaume d’Espagne, elle n’établit pas en quoi cette exclusion est de nature à la dissuader de s’établir en Espagne ou d’effectuer des prestations de services depuis l’Espagne et à destination de l’Espagne. La requérante reste notamment en défaut d’identifier les éléments de fait ou de droit qui feraient que le régime d’aides en cause produit des effets restrictifs qui iraient au-delà de ceux qui déclenchent l’interdiction prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais qui, ainsi qu’il a été jugé dans le cadre des deux premières branches du premier moyen, sont néanmoins nécessaires et proportionnés pour remédier à la perturbation grave de l’économie espagnole causée par la pandémie de COVID-19, conformément aux exigences de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.
62 De surcroît, dans la décision attaquée, la Commission a vérifié si la mise en œuvre du régime d’aides en cause était compatible avec les libertés fondamentales de circulation et notamment avec la libre circulation des capitaux et la liberté d’établissement. À cet égard, elle a relevé qu’aucun des critères d’éligibilité, et notamment ceux relatifs à l’importance systémique ou stratégique des bénéficiaires pour l’économie espagnole et au fait que leurs principaux centres d’activité doivent se situer en Espagne, ne saurait être interprété ou appliqué comme subordonnant le bénéfice de l’aide au déménagement vers l’Espagne de leurs activités exercées dans un autre État membre (paragraphes 46, 59 et 60 de la décision attaquée). La requérante ne conteste pas cette appréciation.
63 Il découle de tout ce qui précède qu’aucune des branches du premier moyen ne peut être accueillie et, partant, que ledit moyen doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée
64 Premièrement, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas satisfait à son obligation, lorsqu’elle examine la compatibilité d’une aide, de mettre en balance les effets positifs escomptés de celle-ci en termes de réalisation des objectifs énoncés à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE avec les effets négatifs de celle-ci en termes de distorsion de la concurrence et d’effet sur le commerce entre les États membres, ce qui constituerait une erreur manifeste d’appréciation des faits et donc un motif suffisant pour annuler la décision attaquée. Deuxièmement, l’encadrement temporaire lierait la Commission et constituerait une seconde base juridique distincte imposant à la Commission l’obligation d’effectuer cette mise en balance. Troisièmement, dans l’hypothèse où l’encadrement temporaire serait interprété comme ne prévoyant pas une telle obligation de mise en balance, la requérante soulève une exception d’illégalité à son égard au titre de l’article 277 TFUE, au motif que ledit encadrement serait alors contraire à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.
65 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne et la République française, conteste cette argumentation.
66 Aux termes de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE « [p]euvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur [...] les aides destinées […] à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre ». Il résulte du libellé de cette disposition que ses auteurs ont considéré qu’il était de l’intérêt de l’Union toute entière que l’un ou l’autre de ses États membres soit en mesure de surmonter une crise majeure, voire même existentielle, qui ne pouvait qu’avoir des conséquences graves sur l’économie de tout ou partie des autres États membres, et donc sur l’Union en tant que telle. Cette interprétation textuelle de la lettre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE est confirmée par sa comparaison avec l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, qui concerne « les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun », dans la mesure où le libellé de cette dernière disposition comporte une condition, relative à la démonstration d’une absence d’altération des conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, qui ne figure pas dans l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, points 20 et 39).
67 Ainsi, pour autant que les conditions posées par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE soient remplies, à savoir, au cas d’espèce, que l’État membre concerné doivent bel et bien faire face à une perturbation grave de son économie et que les aides adoptées pour remédier à cette perturbation soient, d’une part, nécessaires à cette fin et, d’autre part, appropriées et proportionnées, lesdites mesures sont présumées être adoptées dans l’intérêt de l’Union, de sorte qu’il n’est pas requis par cette disposition que la Commission procède à une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée, au contraire de ce qui est prescrit par l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. En d’autres termes, une telle mise en balance n’aurait pas de raison d’être dans le cadre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, son résultat étant présumé positif. Qu’un État membre parvienne à remédier à une perturbation grave de son économie ne peut en effet que bénéficier à l’Union en général et au marché intérieur en particulier.
68 Force est donc de constater qu’il n’est pas requis par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE que la Commission procède à une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée, au contraire de ce qui est prescrit par l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, mais seulement qu’elle vérifie si l’aide en cause est nécessaire, appropriée et proportionnée pour remédier à la perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné. Il convient par conséquent de rejeter l’argument de la requérante selon lequel l’obligation de mise en balance résulterait du caractère exceptionnel des aides compatibles, y compris celles déclarées compatibles en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Pour les mêmes raisons, elle n’est pas fondée à se prévaloir de l’arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission (T‑68/15, EU:T:2018:563, points 210 à 214), dans la mesure où le Tribunal n’y a pas pris en compte les conséquences de la différence de libellé entre l’article 107, paragraphe 3, sous b), et l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, soulignée par la Cour dans l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C‑594/18 P, EU:C:2020:742, points 20 et 39).
69 La requérante ne saurait non plus invoquer le caractère obligatoire d’une mise en balance sur le fondement de l’encadrement temporaire, en arguant que celui-ci lierait la Commission et fournirait une seconde base distincte à l’obligation de cette dernière à cet égard, car une telle obligation ne figure pas dans l’encadrement temporaire. En particulier, le point 1.2 dudit encadrement auquel la requérante se réfère, relatif à « [l]a nécessité d’une étroite coordination européenne des aides nationales », contient un seul paragraphe, le paragraphe 10, qui ne comporte aucune prescription à cet égard. Quant au paragraphe 16 bis dudit encadrement, également évoqué par la requérante, la mise en balance mentionnée audit point concerne l’application de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et non pas celle de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Dès lors, la requérante ne saurait s’en prévaloir.
70 Partant, l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE n’exigeant pas une telle mise en balance, l’encadrement temporaire, qui n’impose pas une telle mise en balance non plus, ne le contredit pas, de sorte que l’exception d’illégalité doit être également rejetée.
71 Le deuxième moyen doit donc être rejeté comme étant non fondé.
Sur le troisième moyen, tiré, en substance, de la qualification erronée de l’aide en tant que régime d’aides
72 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission aurait commis une erreur de droit en qualifiant la mesure en cause de régime d’aides. Selon elle, les critères d’éligibilité seraient vagues et abstraits, de sorte que les autorités espagnoles chargées de la sélection ultérieure des bénéficiaires disposeraient d’une large marge d’appréciation. En outre, la composition du conseil d’administration démontrerait que la sélection des bénéficiaires serait purement politique, en l’absence de moyens techniques permettant de définir la qualité du bénéficiaire potentiel de l’aide. Or, selon la jurisprudence du Tribunal (arrêt du 14 février 2019 Belgique et Magnetrol International/Commission, T‑131/16 et T‑263/16, sous pourvoi, EU:T:2019:91), une mesure serait qualifiée de régime d’aides si les autorités nationales chargées de sa mise en œuvre ne pouvaient disposer d’une marge d’appréciation quant à la détermination des éléments essentiels de l’aide en question et quant à l’opportunité de son octroi, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
73 La Commission et le Royaume d’Espagne contestent les arguments de la requérante.
74 Il ressort de la décision attaquée que l’aide en cause a été qualifiée de régime d’aides et non d’aide individuelle (paragraphe 1 de la décision attaquée).
75 Aux termes de l’article 1er, sous d), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), constitue un régime d’aides « toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite dans ladite disposition et toute disposition sur la base de laquelle une aide non liée à un projet spécifique peut être octroyée à une ou à plusieurs entreprises pour une période indéterminée ou pour un montant indéterminé ».
76 En l’espèce, il est constant que l’aide en cause n’est pas liée à un projet spécifique et n’est pas octroyée pour une période indéterminée ou pour un montant indéterminé au sens de la seconde hypothèse mentionnée à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, de sorte que cette seconde hypothèse est dépourvue de pertinence en l’occurrence.
77 Dans ces circonstances, il y a lieu de vérifier si l’aide en cause constitue un régime d’aides au sens de la première hypothèse mentionnée à l’article 1er, sous d), de ce règlement.
78 Il est de jurisprudence constante que, dans le cas spécifique d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de la décision, si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter à des entreprises qui participent aux échanges entre les États membres. Ainsi, la Commission, dans une décision qui porte sur un tel régime, n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 63 ; du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, point 114 ; du 29 juillet 2019, Azienda Napoletana Mobilità, C‑659/17, EU:C:2019:633, point 27, et du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 65).
79 Partant, dans le cas d’un tel régime d’aides, il y a lieu d’établir une distinction entre l’adoption de ce régime, d’une part, et l’octroi d’aides sur la base dudit régime, d’autre part (voir, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 22, et du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 66).
80 En outre, l’avocate générale Kokott a précisé que la notion de régime visée à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 doit être interprétée de manière large. Selon elle, l’effet utile du contrôle des aides plaide en faveur d’une telle interprétation large, dans la mesure où l’article 1er, sous d), de ce règlement vise un grand nombre de cas similaires. Or, l’efficacité des tâches incombant à la Commission en la matière serait compromise si les États membres ou les parties intéressées pouvaient empêcher le contrôle d’un régime abstrait d’aides en déplaçant ce contrôle de la sphère légale au niveau administratif. La Commission devrait alors examiner séparément toutes les décisions, même si elles sont similaires (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Commission/Belgique et Magnetrol International, C‑337/19 P, EU:C:2020:990, points 64 et 65).
81 Cela étant rappelé, il convient de vérifier si, conformément au libellé de l’article 1er, sous d), première hypothèse, du règlement 2015/1589, en premier lieu, les dispositions du droit espagnol identifiées par la Commission dans la décision attaquée comme constituant la base juridique du régime d’aides en cause permettent à elles seules, c’est-à-dire sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, l’octroi individuel d’aides à des entreprises en ayant fait la demande et si, en second lieu, lesdites dispositions définissent d’une manière générale et abstraite les bénéficiaires de l’aide.
82 En premier lieu, il convient de relever que, en l’espèce, selon le paragraphe 7 de la décision attaquée, la base juridique de la mesure en cause est le Real Decreto-ley 25/2020, de 3 de julio, de medidas urgentes para apoyar la reactivación económica y el empleo (décret-loi royal 25/20 du 3 juillet 2020 relatif aux mesures urgentes de soutien à la reprise économique et à l’emploi, ci-après le « RDL ») et l’Acuerdo del Consejo de Ministros sobre el funcionamiento del Fondo de Apoyo a la Solvencia de las Empresas Estratégicas (accord du conseil des ministres sur le fonctionnement du Fonds de soutien à la solvabilité des entreprises stratégiques, ci-après l’« ACM »).
83 À cet égard, le Tribunal constate que le RDL et l’ACM constituent des actes de portée générale qui régissent toutes les caractéristiques de l’aide en cause. Conformément à la jurisprudence citée au point 78 ci-dessus, cela permet à la Commission de se borner à étudier, dans les motifs de la décision attaquée, les caractéristiques de cette mesure, telles qu’elles ressortent des actes susmentionnés, et de vérifier, sur cette base, si ladite mesure assure un avantage aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter à des entreprises qui participent aux échanges entre les États membres, sans qu’elle soit tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement de ce régime.
84 En effet, le RDL et l’ACM régissent la forme de l’aide, son montant, la période de son applicabilité, les critères d’éligibilité des bénéficiaires ainsi que les organes chargés de son application et la procédure à suivre.
85 Ainsi, concernant la forme de l’aide, il ressort de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de l’annexe II de l’ACM que l’aide peut prendre la forme de prêts participatifs, de dettes hybrides ou d’autres instruments convertibles en capitaux propres (les « instruments de capital hybride »), de souscriptions d’actions (les « instruments de capitaux propres »), de prêts subordonnés ou d’un autre instrument de capitaux (paragraphe 15 de la décision attaquée). Quant au budget total de l’aide, celui-ci est fixé, en vertu de l’article 2, paragraphe 3, du RDL, à 10 milliards d’euros, tandis que, en vertu du paragraphe 3 de l’appendice de l’ACM et du paragraphe 4.1 de l’annexe II de l’ACM, les aides d’un montant supérieur à 250 millions d’euros devant être notifiées individuellement à la Commission, comme l’exige d’ailleurs le paragraphe 51 de l’encadrement temporaire (paragraphe 14 de la décision attaquée) et le montant minimal des aides individuelles octroyées sur cette base est fixé, en principe, à 25 millions d’euros par bénéficiaire. Concernant la période d’applicabilité de l’aide en cause, le financement du Fond peut être octroyé jusqu’au 30 juin 2021 au plus tard, conformément à l’appendice de l’ACM (paragraphe 10 de la décision attaquée). L’article 2 de l’annexe II de l’ACM prévoit, en outre, une liste exhaustive de treize critères cumulatifs d’éligibilité au bénéfice de l’aide. De même, les dispositions pertinentes du RDL et de l’ACM indiquent les organes chargés de l’application de l’aide et régissent la procédure à suivre pour l’octroi des aides. En particulier, le Fonds est géré par un conseil d’administration, lequel constitue un comité interministériel régi par le président de la SEPI et composé, en outre, de représentants des ministères de l’Économie, des Finances, de l’Industrie et de l’Énergie. La SEPI est chargée notamment d’évaluer les demandes d’aide, d’utiliser les fonds et d’enregistrer les titres acquis. Le conseil d’administration décide par résolution du sort à réserver aux demandes d’aide ainsi que des termes du financement octroyé qui seront prescrits dans un accord à signer avec le bénéficiaire. Le conseil d’administration présentera pour approbation lesdits accords au conseil des ministres (paragraphes 8 et 9 de la décision attaquée).
86 S’agissant, deuxièmement, de la question de savoir si les dispositions du RDL et de l’ACM permettent l’octroi individuel des aides, « sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, il convient de relever que le critère relatif au « besoin de mesures d’application supplémentaires » implique que l’octroi individuel des aides ne peut se faire que par l’intermédiaire d’autres mesures « supplémentaires », qui viennent s’ajouter aux dispositions instituant l’aide en cause, en les complétant ou en les précisant.
87 En l’espèce, le Tribunal constate que l’article 2, paragraphe 15, du RDL prévoit expressément que le fonctionnement, la mobilisation des ressources et la liquidation du Fonds, ainsi que les critères d’éligibilité et les procédures à suivre sont à déterminer dans l’ACM, « sans qu’il soit besoin d’un dispositif normatif ultérieur ». Ainsi que l’a confirmé le Royaume d’Espagne lors de l’audience, sans être contredit par la requérante sur ce point, il n’existe aucun autre acte, de quelque nature que ce soit, qui viendrait s’ajouter aux dispositions pertinentes du RDL et de l’ACM, en les complétant ou en les précisant. Ainsi, l’octroi individualisé des aides en cause s’effectue sur la seule base des dispositions du RDL et de l’ACM, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires.
88 Par ailleurs, force est de souligner que la seule circonstance qu’une certaine procédure doit être suivie aux fins de l’octroi individuel des aides, selon laquelle les entreprises souhaitant en bénéficier doivent en faire la demande et les organes chargés de l’application de l’aide doivent l’examiner et, le cas échéant, donner leur accord, n’implique pas l’existence de mesures d’application supplémentaires au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589.
89 De plus, la requérante n’identifie aucune quelconque mesure d’application supplémentaire au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, qui viendrait compléter ou préciser les dispositions pertinentes du RDL et de l’ACM.
90 Partant, il y a lieu de conclure que les dispositions du droit espagnol identifiées par la Commission dans la décision attaquée comme étant la base juridique du régime d’aides en cause permettent à elles seules, c’est-à-dire sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, l’octroi individuel des aides à des entreprises en ayant fait la demande.
91 En second lieu, s’agissant de la question de savoir si lesdites dispositions définissent d’une manière générale et abstraite les bénéficiaires de l’aide, le Tribunal constate que les bénéficiaires de l’aide en cause ne sont pas nommément désignés, mais sont définis, en vertu de l’article 2 de l’annexe II de l’ACM, sur la base d’une liste exhaustive de treize critères cumulatifs d’application générale, dont certains ont été résumés au point 4 ci-dessus.
92 Il s’ensuit que les dispositions de l’ACM définissent d’une manière générale et abstraite les bénéficiaires de l’aide, ce que, par ailleurs, la requérante ne conteste pas.
93 De surcroît, interrogée, lors de l’audience, sur la question de savoir si, selon elle, l’aide en cause aurait dû être qualifiée de mesure individuelle et non de régime d’aides, la requérante a répondu que celle-ci ne serait ni l’un, ni l’autre, mais une sorte d’aide « sui generis » ou « indéfinissable ». Toutefois, il suffit de relever à cet égard que, si le règlement 2015/1589 opère une distinction entre les régimes d’aides et les aides individuelles, il ne prévoit, en revanche, aucun autre type d’aide au-delà de ces deux catégories d’aide (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Commission/France et IFP Énergies nouvelles, C‑438/16 P, EU:C:2017:951, points 79 et 80).
94 Par conséquent, le Tribunal conclut que les conditions prévues par l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 sont remplies, de sorte que la Commission a pu qualifier, sans commettre d’erreur de droit, l’aide en cause de régime d’aides.
95 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments de la requérante.
96 Premièrement, l’argument que la requérante tire de la composition du conseil d’administration du Fond pour affirmer que la sélection des bénéficiaires serait purement politique et que ledit conseil serait dépourvu de moyens techniques lui permettant de définir la qualité du bénéficiaire potentiel de l’aide manque en fait. En effet, il ressort notamment de l’article 2 de l’annexe II de l’ACM que les demandes d’aide sont, tout d’abord, examinées et évaluées par la SEPI, laquelle vérifie, avec l’assistance d’experts indépendants, que tous les critères d’éligibilité sont remplis et que les informations présentées par les demandeurs sont véridiques et suffisantes. Il s’agit donc d’une évaluation technique des demandes d’aide, effectuée par la SEPI, laquelle constitue une étape indispensable de la procédure d’octroi des aides. Or, la requérante fait abstraction de cette étape de la procédure. Partant, elle ne saurait valablement soutenir que ladite procédure ne repose sur aucun moyen technique permettant de définir la qualité du bénéficiaire potentiel de l’aide.
97 En outre, le simple fait que le conseil d’administration est composé de représentants de différents ministères chargés de prendre des décisions dans le domaine concerné ne fait aucunement obstacle à la qualification de la mesure en cause de régime d’aides. D’une part, il est tout à fait normal, compte tenu des implications budgétaires en cause pour l’État espagnol et de la perturbation grave de l’économie espagnole à laquelle l’aide en cause vise à remédier, que les membres dudit conseil occupent des postes au sein desdits ministères. D’autre part, il serait spéculatif d’inférer, de la seule composition du conseil d’administration, que l’octroi des aides serait le fruit d’une opportunité politique. En effet, aucun élément dont dispose le Tribunal ne laisse apparaître que tel serait le cas. Au contraire, comme l’a souligné le Royaume d’Espagne, les décisions du conseil d’administration, ainsi que l’approbation ultérieure du conseil des ministres, sont prises sur la base de l’évaluation technique des demandes, effectuées par la SEPI. Par ailleurs, lors de ses sessions, le conseil d’administration peut également se faire assister par les services techniques de la SEPI ayant effectué l’analyse et l’évaluation des demandes, ainsi que le prévoit l’article 8, paragraphe 3, de l’annexe III de l’ACM.
98 Quoi qu’il en soit, la requérante n’avance aucun élément de preuve concret susceptible de démontrer que la prise de décisions sur les demandes d’aide serait guidée par des raisons d’opportunité politique.
99 Deuxièmement, selon la requérante, les critères d’éligibilité seraient vagues et abstraits, de sorte que le conseil d’administration disposerait d’une large marge d’appréciation aux fins de leur application.
100 Dans la requête, la requérante ne précise pas quels critères parmi les treize critères d’éligibilité seraient visés par cet argument. La lecture globale de son troisième moyen laisse cependant entendre qu’il semble viser principalement le critère relatif à l’importance stratégique et systémique du bénéficiaire de l’aide, seul critère expressément mentionné dans cette partie de la requête, comme la requérante l’a confirmé lors de l’audience.
101 À cet égard, il convient, tout d’abord, de souligner qu’il correspond à la nature même d’un régime d’aides que les critères d’éligibilité soient formulés de façon générale et abstraite, de sorte qu’ils puissent être appliquées à un nombre indéfini de bénéficiaires. Il en va d’autant plus ainsi s’agissant d’une aide, comme celle de l’espèce, trouvant à s’appliquer à l’ensemble de l’économie d’un État membre.
102 Ensuite, ledit critère énumère plusieurs indications concrètes susceptibles de préciser et de cibler son application, telles que, notamment, l’appartenance de l’entreprise en cause aux secteurs de la santé publique ou de la sécurité publique, son rôle dans la réalisation des objectifs à moyen terme de transition écologique ou de numérisation, les entreprises innovantes, ou encore des entreprises fournissant des services de caractère essentiel.
103 Enfin, la requérante ne saurait non plus tirer argument de l’arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, sous pourvoi, EU:T:2019:91, point 87). En effet, d’une part, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt se caractérisait par le fait que la plupart des éléments essentiels de l’aide en cause ne ressortaient pas des actes du droit belge sur lesquels se fondait ladite mesure. Dans ces circonstances, le Tribunal a examiné si la Commission avait établi à suffisance de droit l’existence d’une ligne systématique de conduite de la part de l’administration belge pouvant être elle-même qualifiée de régime d’aides. Or, à la différence de cette affaire, dans le cas d’espèce, toutes les caractéristiques du régime d’aides en cause ressortent des actes sur lesquels se fonde ce régime (voir points 84 à 87 ci-dessus), lequel, de surcroît, n’est aucunement fondé sur une ligne systématique de conduite de la part de l’administration, question qui ne se pose même pas dans la présente affaire.
104 D’autre part, et en tout état de cause, la condition dégagée par le Tribunal au point 87 de l’arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, sous pourvoi, EU:T:2019:91), à laquelle se réfère la requérante et selon laquelle, pour qu’une aide soit qualifiée de régime d’aides, les autorités chargées de l’application dudit régime ne doivent pas disposer d’une marge d’appréciation quant à la détermination des éléments essentiels de l’aide en question et quant à l’opportunité de son octroi, est remplie en l’espèce.
105 À cet égard, il convient de relever que cette condition vise, en réalité, à s’assurer que les dispositions instituant l’aide en question contiennent tous les éléments pertinents aux fins de l’appréciation de la compatibilité de celle-ci avec le marché intérieur, ce qui dispenserait la Commission de la nécessité d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel, comme le prévoit la jurisprudence citée au point 78 ci-dessus. En effet, si les autorités nationales devaient disposer d’une marge d’appréciation leur permettant de déterminer, d’amender, d’ajouter ou de déroger aux éléments essentiels de l’aide en question, la Commission ne serait pas en mesure d’apprécier la compatibilité de celle-ci avec le marché intérieur sans examiner les conditions concrètes d’octroi dans chaque cas individuel.
106 Tel n’est cependant pas le cas de l’espèce. Ainsi qu’il a été relevé au point 80 ci-dessus, l’article 2 de l’annexe II de l’ACM contient la liste exhaustive des critères d’éligibilité devant être cumulativement remplis. Les autorités chargées de la mise en œuvre de ce régime ne peuvent donc ni ajouter d’autres critères d’éligibilité, ni y déroger, ni d’ailleurs en amender la teneur. Ainsi, elles sont tenues d’accorder l’aide si l’ensemble des critères est respecté et pourvu que le budget total de la mesure ne soit épuisé, ou d’en refuser le bénéfice si l’un de ces critères n’est pas rempli. À cet égard, elles ne disposent donc d’aucune marge d’appréciation, mais agissent dans le cadre d’une compétence liée.
107 Certes, lors de l’évaluation de certains des critères d’éligibilité, tel que celui afférent à l’importance stratégique ou systémique de l’entreprise en cause, les autorités chargées de la mise en œuvre du régime en cause pourraient être appelées à effectuer des appréciations, parfois complexes, d’une multitude de facteurs pertinents. Toutefois, le fait de devoir effectuer de telles appréciations ne fait pas obstacle, en tant que tel, à la qualification de la mesure en question de régime d’aides au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, compte tenu, d’une part, des critères d’éligibilité expressément énoncés dans les dispositions instituant l’aide auxquels les autorités nationales ne peuvent pas déroger, dont elles ne peuvent amender la teneur ou auxquels elles ne peuvent en ajouter d’autres et, d’autre part, du fait que lesdits critères d’éligibilité, dont certains ont été exposés au point 4 ci-dessus, donnent en eux-mêmes des indices concrets pour guider les appréciations que les autorités nationales doivent effectuer.
108 Dans sa requête, la requérante critique également le paragraphe 21 de la décision attaquée au motif que « le pouvoir du conseil d’administration de décider dans chaque cas de la portée des décisions d’entreprise soumises à autorisation préalable, qui seront incluses dans l’accord sur le soutien financier public temporaire est également dépourvu de tout critère objectif ». Cet argument procède toutefois d’une lecture partielle de la décision attaquée. En effet, au paragraphe 20 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, lorsqu’il acquiert des actions, l’État disposerait des droits de veto en ce qui concerne certaines décisions stratégiques de l’entreprise. La Commission a pourtant souligné que l’exercice desdits droits de véto serait strictement limité à l’objectif de retour à la viabilité du bénéficiaire ainsi qu’à des questions soumises à autorisation administrative, telles que le licenciement de travailleurs, le choix de méthodes de production moins polluantes ou encore les solutions digitales. Ledit pouvoir du conseil d’administration n’est, par conséquent, pas « dépourvu de tout critère objectif », comme le considère la requérante.
109 Lors de l’audience, la requérante a également ajouté que les autorités espagnoles disposeraient d’une large marge d’appréciation quant à la détermination du montant et de la forme de l’aide. Cet argument n’a toutefois pas été invoqué dans la requête et la requérante n’a présenté aucune justification pour sa présentation tardive. Il ne saurait non plus être considéré comme une ampliation du troisième moyen, dans le cadre duquel la requérante ne mentionne que la prétendue marge d’appréciation des autorités espagnoles quant à la sélection des bénéficiaires et au pouvoir du conseil d’administration de décider de la portée des décisions d’entreprise soumises à autorisation préalable. Il doit donc être rejeté comme irrecevable (voir, en ce sens, arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 95 ; du 16 septembre 2020, BP/FRA, C‑669/19 P, non publié, EU:C:2020:713, point 15, et du 27 septembre 2012, Ballast Nedam Infra/Commission, T‑362/06, EU:T:2012:492, point 137).
110 Troisièmement, dans la requête, la requérante fait également valoir que « la Commission s’est privée de son pouvoir d’appréciation dans le cadre du contrôle des aides d’État et a commis une erreur de droit en permettant à l’Espagne d’exercer un pouvoir discrétionnaire dans la sélection des bénéficiaires du régime d’aides ». Interrogée, lors de l’audience, sur la portée exacte de cet argument, d’une part, la requérante a admis que celui-ci se recoupait avec celui concernant la qualification de la mesure en cause de régime d’aides. D’autre part, elle a ajouté que, par ledit argument, elle reprochait à la Commission un détournement de pouvoir. Toutefois, un éventuel détournement de pouvoir constitue un moyen distinct de droit, lequel n’a pas été avancé dans la requête et ne saurait, dès lors, être soulevé, sans justification quelconque, pour la première fois lors de l’audience. Un tel nouveau moyen est donc tardif et irrecevable, conformément à la jurisprudence citée au point 109 ci-dessus.
111 Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter comme non fondé le troisième moyen.
Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des droits procéduraux de la requérante
112 Le quatrième moyen, relatif à la sauvegarde des droits procéduraux de la requérante du fait de l’absence d’ouverture d’une procédure formelle d’examen par la Commission en dépit de l’existence alléguée de doutes sérieux, présente en réalité un caractère subsidiaire pour le cas où le Tribunal n’aurait pas examiné l’appréciation de l’aide en tant que telle. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante qu’un tel moyen vise à permettre à une partie intéressée d’être jugée recevable, en cette qualité, à introduire un recours au titre de l’article 263 TFUE, ce qui lui serait autrement refusé (voir, en ce sens, arrêts du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 48, et du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a., C‑47/10 P, EU:C:2011:698, point 44). Or, le Tribunal a examiné les trois premiers moyens du recours se rapportant à l’appréciation de l’aide en tant que telle, de sorte qu’un tel moyen se trouve privé de sa finalité affichée.
113 Au surplus, force est de constater que ce moyen est dépourvu de contenu autonome. En effet, dans le cadre d’un tel moyen, la partie requérante peut invoquer, aux fins de la préservation des droits procéduraux dont elle bénéficie dans le cadre de la procédure formelle d’examen, uniquement des moyens de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait ou pouvait disposer, lors de la phase d’examen préliminaire de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 81 ; du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, EU:C:2009:435, point 35, et du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 59), comme le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire ou l’existence de plaintes provenant de parties tierces. Or, il échet de relever que le quatrième moyen reprend de façon condensée les arguments soulevés dans le cadre des premier à troisième moyens sans mettre en évidence d’éléments spécifiques relatifs à d’éventuelles difficultés sérieuses.
114 Pour ces motifs, il convient de constater que, le Tribunal ayant examiné au fond lesdits moyens, il n’est pas nécessaire d’examiner le bien-fondé de ce moyen.
Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation
115 La requérante soutient que la Commission aurait manqué à son obligation de motivation en omettant d’apprécier si l’exclusion des entreprises non établies en Espagne du bénéfice de l’aide était conforme aux principes de non-discrimination, de libre prestation des services et de liberté d’établissement.
116 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne et par la République française, conclut au rejet du cinquième moyen.
117 Il convient de rappeler à cet égard que si la motivation d’un acte de l’Union exigée par l’article 296, paragraphe 2, TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte en cause de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle, il n’est toutefois pas exigé qu’elle spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents. Le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 7 février 2018, American Express, C‑304/16, EU:C:2018:66, point 75 et jurisprudence citée).
118 En l’espèce, s’agissant de la nature de l’acte en cause, la décision attaquée a été adoptée au terme de la phase préliminaire d’examen des aides instituée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide concernée, sans que soit ouverte la procédure formelle d’examen prévue au paragraphe 2 dudit article, qui, quant à elle, est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données relatives à cette aide.
119 Or, une telle décision, qui est prise dans des délais brefs, doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur (arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 65).
120 S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit la décision attaquée, celui-ci est caractérisé par la pandémie de COVID-19 et l’urgence extrême dans laquelle la Commission a, tout d’abord, adopté l’encadrement temporaire, fournissant tant aux États membres qu’aux entreprises touchées par les conséquences de ladite pandémie un certain nombre d’indications, ensuite, examiné les mesures que lui ont notifiées lesdits États, notamment en application de cet encadrement, et, enfin, adopté les décisions se rapportant à ces dernières, dont la décision attaquée. À cet égard, il ressort des points 1 à 6 ci-dessus que onze jours seulement se sont écoulés entre la notification du régime d’aides en cause et l’adoption de la décision attaquée.
121 Or, en dépit de la nature de la décision attaquée et des circonstances exceptionnelles qui entouraient son adoption, il convient de relever qu’elle comprend néanmoins 92 paragraphes et permet de comprendre les motifs de fait et de droit pour lesquels la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections concernant le régime d’aides en cause. Ainsi, dans la décision attaquée, la Commission a exposé, fût-ce parfois succinctement, au regard de l’urgence, les raisons pour lesquelles le régime d’aides en cause satisfaisait aux conditions posées par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.
122 En ce qui concerne, en particulier, la motivation de la décision attaquée quant à l’exclusion des entreprises non établies en Espagne du bénéfice de l’aide, il convient de rappeler que la Cour a déjà eu l’occasion de juger que l’obligation de motivation se limite, en principe, aux raisons pour lesquelles une catégorie donnée d’opérateurs bénéficie d’une mesure donnée, mais n’implique pas de justifier l’exclusion de tous les autres opérateurs ne se trouvant pas dans une situation comparable. En effet, le nombre de catégories exclues du bénéfice d’une mesure étant potentiellement illimité, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle fournisse une motivation spécifique pour chacune d’entre elles (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 81). En l’espèce, s’agissant d’un régime d’aides visant à s’appliquer à l’économie tout entière d’un État membre, de sorte que le nombre d’opérateurs exclus du bénéfice de ce régime peut potentiellement être illimité, l’obligation de motivation incombant à la Commission ne va pas jusqu’à imposer à celle-ci d’examiner si tous ou certains des opérateurs ainsi exclus se trouvent dans une situation comparable à celle des bénéficiaires de l’aide et de justifier, le cas échéant, l’exclusion de tous ces opérateurs du bénéfice de l’aide.
123 En outre, et en tout d’état de cause, dès lors que la décision attaquée expose, d’une part, les caractéristiques du régime d’aides, y compris les critères d’éligibilité au bénéfice de celui-ci, et, d’autre part, fût-ce succinctement, les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que ledit régime n’enfreignait pas les libertés fondamentales de circulation (voir, notamment, paragraphes 46, 59 et 60 de la décision attaquée), elle permet tant à la requérante d’exercer son droit à un recours effectif, ainsi que cela ressort de son premier moyen, lequel démontre qu’elle a pu comprendre la portée de la décision attaquée à cet égard, qu’au Tribunal d’exercer son contrôle.
124 Il convient donc de rejeter le cinquième moyen.
125 Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
126 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.
127 Le Royaume d’Espagne et la République française supporteront leurs propres dépens, en application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.