Cass. 1re civ., 19 mai 2021, n° 19-25.749
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Défendeur :
Depil Tech (SAS), Funel (ès qual.), Bienfait (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
M. Mornet
Avocat général :
Mme Mallet-Bricout
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel , SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 décembre 2018), par acte sous seing privé du 4 décembre 2014, Mme [L] [L] (le franchisé), qui souhaitait ouvrir un institut d’esthétique, a conclu un contrat de franchise avec la société Depil Tech (le franchiseur), qui propose des méthodes d’épilation définitive par lumière pulsée et de photo-rajeunissement, moyennant un droit d’entrée de 28 400 euros.
2. N’ayant pas obtenu les financements escomptés, le franchisé a assigné le franchiseur en nullité du contrat de franchise pour objet illicite et indemnisation.
3. Le franchiseur a fait l’objet d’une procédure de sauvegarde à la suite de laquelle sont intervenues volontairement à l’instance la société BG et associés, prise en la personne de M. [G] en qualité d’administrateur judiciaire, et la société civile professionnelle [Personne physico-morale 2], prise en la personne de M. [V] en qualité de mandataire à la procédure.
Examen du moyen
Énoncé du moyen
4. Le franchisé fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°) qu’il résulte de l’article L. 4161-1 du code de la santé publique et de l’article 2-5 de l’arrêté du 6 janvier 1962, pris par le ministre chargé de la santé publique en application de ces dispositions, que les actes d’épilation doivent être pratiqués par des docteurs en médecine, à la seule exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire ; que, pour débouter le franchisé de son action en nullité du contrat de franchise et considérer que le caractère illicite de son objet n’est pas établi, l’arrêt attaqué retient que « concernant la dépilation par lumière pulsée, les textes contradictoires du code de la santé publique régissant ce domaine doivent être interprétés à la lumière du règlement européen UE 2017/745 du 5 avril 2017 adopté qui sera prochainement applicable dans le secteur des appareils litigieux, notamment son article XVI, paragraphe 5, qui n’assimile pas aux actes médicaux les équipements à lumière pulsée utilisée sur le corps humain » ; qu’en statuant par ces motifs, quand les épilations à la pince et à la cire constituent les seuls modes d’épilation pouvant être pratiqués par d’autres professionnels que les médecins et qu’il n’existe aucune contradiction, à cet égard, entre l’article L. 4161-1 du code de la santé publique et l’article 2-5 de l’arrêté du 6 janvier 1962 d’une part, et l’article L. 1151-2 du code de la santé publique d’autre part, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l’article 1128 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) qu’il résulte des dispositions du 1° de l’article L. 4161-1 du code de la santé publique et de l’article 2-5° de l’arrêté du 6 janvier 1962, pris par le ministre chargé de la santé publique en application de ces dispositions, que les actes d’épilation doivent être pratiqués par des docteurs en médecine, à la seule exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire ; que, pour débouter le franchisé de son action en nullité du contrat de franchise et considérer que le caractère illicite de son objet n’est pas établi, l’arrêt attaqué retient que « de nombreux centres d’épilation à lumière pulsée sont ouverts sans que les pouvoirs publics en interdisent l’activité et des appareils d’épilation à la lumière pulsée sont en vente libre auprès du public » ; qu’en statuant ainsi, quand l’abrogation d’un règlement par désuétude ou ineffectivité n’existe pas davantage que celle d’une loi, la cour d’appel, qui s’est fondée sur un motif radicalement inopérant, a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
3°) qu’il résulte des dispositions du 1° de l’article L. 4161-1 du code de la santé publique et de l’article 2-5° de l’arrêté du 6 janvier 1962, pris par le ministre chargé de la santé publique en application de ces dispositions, que les actes d’épilation doivent être pratiqués par des docteurs en médecine, à la seule exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire ; que, pour débouter le franchisé de son action en nullité du contrat de franchise et considérer que le caractère illicite de son objet n’est pas établi, l’arrêt retient qu’ « aucun décret d’application tel que visé par l’article L. 1151-3 du code de la santé publique n’est intervenu pour interdire l’usage des appareils à lumière pulsée à visée esthétique » ; qu’en statuant ainsi, quand l’existence de l’article L. 4161-1 et de l’article 2-5° de l’arrêté du 6 janvier 1962, qui interdisent l’épilation par laser pratiquée par des personnes qui ne sont pas médecin se suffit à elle-même et rend partant inutile la rédaction d’un décret visant à interdire l’usage des appareils à lumière pulsée à visée esthétique par un non-médecin, la cour d’appel, qui aurait de nouveau statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base au regard de l’article 4161-1 du code de la santé publique, de l’article 2-5° de l’arrêté du 6 janvier 1962, ensemble l’article 1128 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
5. L’article 2, 5°, de l’arrêté du 6 janvier 1962, fixant notamment la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins, a réservé à ceux-ci la pratique de tout mode d’épilation, à l’exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire.
6. L’article L. 4161-1 du code de la santé publique dispose qu’exerce illégalement la médecine toute personne qui pratique l’un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, sans être titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre exigé pour l’exercice de la profession de médecin.
7. La Cour de cassation en a déduit que les professionnels non médecins ne pouvaient réaliser d’épilations à la lumière pulsée (1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, 15-24.610, Bull. 2016, I, n° 256) et a considéré leur pratique d’épilations au laser ou à la lumière pulsée comme un exercice illégal de la médecine (Crim., 8 janvier. 2008, pourvoi n° 07-81.193, Bull. 2008, n° 2 ; Crim., 13 septembre 2016, pourvoi n° 15-85.046, Bull. 2016, n° 238).
8. Après avoir admis que la pratique de ces épilations était réservée aux médecins (CE, 28 mars 2013, M. [C], n° 348089) et que l’article L. 4161-1 et l’arrêté de 1962 rendaient inutile le recours à un décret pour réglementer les actes à visée esthétique d’épilation (CE 8 novembre 2017, M. [J] et autres n° 398746), le Conseil d’État, saisi d’un recours pour excès de pouvoir, a annulé la décision de refus implicite par la ministre des solidarités et de la santé d’abroger les dispositions du 5° de l’article 2 de l’arrêté, en tant qu’elles réservent aux docteurs en médecine l’épilation au laser et à la lumière pulsée (CE, 8 novembre 2019, M. [Z] et SELARL Docteur Dominique Debray, n° 424954).
9. La Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence, a retenu que les personnes non médecins pratiquant l’épilation à la lumière pulsée ne pouvaient être légalement condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, publié).
10. Il s’en déduit que la pratique par un professionnel non médecin d’épilation à la lumière pulsée n’est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d’intérêt général, elle ne justifie pas l’annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure aux seuls motifs qu’ils concernent une telle pratique.
11. Cette évolution de jurisprudence s’applique immédiatement aux contrats en cours, en l’absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d’un droit d’accès au juge.
12. Dès lors, en retenant que l’illicéité de l’activité du contrat de franchise conclu le 4 décembre 2014 n’était pas caractérisée, la cour d’appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision d’écarter la nullité invoquée et de rejeter les demandes du franchisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.