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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 mai 2021, n° 19/16563

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Africa Food Distribution (Sté)

Défendeur :

Pierson Export (SA), Hoogwegt International BV (Sté), BGFI Bank Europe (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Paris, du 8 juill. 2019

8 juillet 2019

La société de droit néérlandais Hoogwegt International BV (ci-après dénommée « Hoogwegt »), est spécialisée dans le négoce dans des produits laitiers. Elle achète notamment du lait en poudre de marque LP a une coopérative irlandaise TMC, qui le produit.

La SA Pierson Export (ci-après dénommée « Pierson ») est négociant opérant en Afrique, également distributeur de la société Hoogwegt.

La société Africa Food Distribution (ci-après dénommée « AFD ») a pour objet la distribution de produits alimentaires au Cameroun.

La société BGFI Bank Europe était en relation avec Pierson Export en qualité de banque d'escompte des traites avalisées remises par Pierson Export.

Le 26 avril 2013, la société AFD a signé un accord tripartite avec les sociétés Hoogwegt et Pierson. La société Hoogwegt a consenti une exclusivité de fourniture du lait LP à la société AFD pour le Cameroun et celle-ci s'est engagée sur un quota d'achat mensuel de 75 mt. Le contrat a été tacitement renouvelé pour l'année 2014. Le 2 janvier 2015, un nouveau contrat a été signé par les parties avec une augmentation des quotas d'achat mensuels qui sont passés sur cet écrit à 78 mt par mois.

Cependant, à compter de l'été 2014, les ventes de lait LP par AFD déclinent et la société AFD s'est plainte que des concurrents proposaient également le lait en poudre LP au Cameroun.

Le 9 décembre 2015, la société Hoogwegt a informé la société AFD que le contrat tripartite annuel signé pour l'année 2015 ne serait pas renouvelé pour l'année 2016.

Par acte extrajudiciaire du 15 juin 2017 la société AFD a assigné la société Pierson devant le tribunal de commerce de Paris.

Par acte du 9 août 2017 la société Pierson a assigné en intervention forcée la société Hoogwet International BV.

C'est dans ces conditions que par un jugement du 8 juillet 2019, le tribunal de commerce de Paris a :

Joint les deux affaires,

Condamné la SA Pierson Export à payer une indemnité de 50 000 euros à la société de droit camerounais Africa Food Distribution au titre d'un manquement à l'obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat signé le 26 avril 2013,

Condamné la société Africa Food Distribution à payer à la SA Pierson Export la somme de 704 490,60 euros en règlement du solde des factures dues n° 10694, 10802, 10831, 10821 et 10815.

Condamné la SA Pierson Export à régler à la société de droit néerlandais Hoogwegt International BV la somme de 255 190 euros au titré des 3 factures impayées dues, avec intérêt au taux légal à compter du 26 juillet 2017 et anatocisme,

Condamné la société Africa Food Distribution à payer la SA Pierson Export la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la société Africa Food Distribution à payer la Société de droit néerlandais Hoogwegt International BV la somme de 10 000 euros au titre de I'article 700 du code de procédure civile,

Débouté les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires,

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

Condamné la société Africa Food Distribution aux dépens.

Par déclaration au greffe du 14 août 2019, la société AFD a interjeté appel de ce jugement.

La société AFD a assigné la société BGFI en intervention forcée devant la Cour par acte du 25 février 2020. Ces deux procédures d'appel ont été jointes sous le présent numéro RG.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 29 janvier 2021 par la société Africa Food Distribution, demandant à la Cour de :

Vu l'article 56 du code de procédure civile ;

Vu les articles L. 330-3 et L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

Vu l'article L. 110-3 du code de commerce ;

Vu l'article L. 123-23 du code de commerce ;

Vu l'article 1192 du code civil ;

Vu les articles 1134 ancien du code civil, ensemble les articles 1147, 1217, 1231-1, 1240 et 1241 du code civil ;

Vu l'article 1112-1 nouveau du code civil ;

Vu l'article L. 511-33 du Code monétaire et financier ;

Vu l'article 10 du code de procédure civile ;

Vu les articles 554 et 555 du code de procédure civile ;

Vu l'article 563 du code de procédure civile ;

1. S'agissant de l'action de la société AFD contre les sociétés Pierson et Hoogwegt

Recevoir la société AFD en son action et la dire bien fondée ;

À titre principal

Constater l'existence d'un contrat de distribution exclusive au profit de la société AFD sur l'étendue du territoire camerounais, concédé par les sociétés Hoogwegt et Pierson ;

Constater la violation par la société Pierson de la concession exclusive qu'elle a accordée à son cocontractant, la société AFD, sur le territoire camerounais ;

Constater la rupture brutale des relations commerciales établies au préjudice de la société AFD et à l'initiative des sociétés Pierson et Hoogwegt ;

Condamner solidairement les sociétés Pierson et Hoogwegt à verser à la société AFD la somme de 1 938 400 euros en réparation de son préjudice lié à la violation de la clause d'exclusivité consentie à la société AFD ;

Condamner solidairement les sociétés Pierson et Hoogwegt à verser à la société AFD la somme de 273 189 euros en réparation de son préjudice lié à la rupture brutale des relations établies subie ;

À titre subsidiaire

Constater l'exécution de mauvaise foi des contrats de distribution conclu entre les parties par la société Pierson et la condamner à ce titre à verser à la société AFD la somme de 1 938 400 euros ;

Condamner solidairement les sociétés Pierson et Hoogwegt à verser à la société AFD la somme de 273 189 euros au titre de la rupture abusive du contrat de distribution liant les parties ;

2. S'agissant de l'assignation en intervention forcée de la société BGFI

Recevoir la société AFD en son assignation et la dire bien fondé ;

Ordonner la levée du secret bancaire pour ce qui concerne les informations détenues par BGFI au sujet des factures querellées ;

Ordonner à la société BGFI de se prononcer sur le fonctionnement du mécanisme de transmission et de règlement des factures querellées mis en place entre les parties ;

Ordonner à la société BGFI de se prononcer sur le règlement effectif et régulier des factures querellées par la BICEC pour le compte d'AFD ;

Ordonner à la société BGFI de se prononcer sur l'authenticité des factures produites par Pierson, et à cet égard lui indiquer si elle a eu en sa possession de telles factures accompagnées des lettres de change correspondantes ; et si ces documents ont été régulièrement transmis à la BICEC, suivant le mécanisme sus indiqué.

3. En tout état de cause

Débouter la société Pierson de sa demande reconventionnelle ;

Débouter les sociétés Pierson et Hoogwegt de toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société AFD ;

Condamner la société Pierson à payer à la société AFD la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Hoogwegt à payer à la société AFD la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Pierson aux entiers dépens de l'instance sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Condamner la société BGFI à payer à la société AFD la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 3 février 2021 par la société Pierson Export, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a joint les affaires RG 2017038867 et RG 2017047112 sous le seul et même numéro de RG J 2019000343 ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SA Pierson Export à payer une indemnité de 50 000 euros à la société de droit camerounais Africa Food Distribution au titre d'un manquement à l'obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat signé le 26 avril 2013 ;

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société de droit camerounais Africa Food Distribution à payer à la SA Pierson Export la somme de 704 490,60 euros en règlement du solde des factures dues n° 10694, n° 10802, n° 10821, n° 10831 et 10815 - Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA Pierson Export à régler à la société de droit néerlandais Hoogwegt International BV la somme de 255 190 euros au titre de trois factures impayées dues avec intérêts au taux légal à compter du 26 juillet 2017 et anatocisme;

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société de droit camerounais Africa Food Distribution à payer à la SA Pierson Export la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Pierson Export de ses demandes autres, plus amples ou contraires,

- En tant que de besoin, débouter la société de droit camerounais Africa Food Distribution de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusion ;

- Si par extraordinaire la Cour de céans reconnaissait des fautes à l'encontre de la société Hoogwegt International BV dans le cadre de la rupture des relations commerciales avec Africa Food Distribution et eu égard à la jonction des procédures ci-dessus visées qui sera confirmée par la juridiction de céans ;

- Débouter la société Hoogwegt International BV de ses demandes fins et conclusions vis-à-vis de la société Pierson Export ;

- Condamner la société Hoogwegt International BV à payer à la société Pierson Export une somme de 679 490,60 euros en réparation du préjudice financier subi du fait de l'absence de paiement de toute facture par Africa Food Distribution, suite au litige avec Africa Food Distribution

- Ordonner la compensation de cette somme de 679 490,60 euros avec le paiement de trois factures réclamées par Hoogwegt International BV à Pierson Export à hauteur de 255 190 euros conformément aux articles 1347, 1347-1, 1347-2 et 1347-4 du code civil

- En tout état de cause, condamner Hoogwegt International BV à payer à la société Pierson Export la somme de 358 514 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive de toutes les relations commerciales ;

- Au besoin ordonner la compensation de cette somme avec la demande de paiement d'Hoogwegt International BV correspondant aux trois factures à hauteur de 255 190 euros conformément aux articles 1347, 1347-1, 1347-2 et 1347-4 du code civil ;

- A titre subsidiaire, et au cas où la Cour de céans ne ferait pas droit aux demandes formulées par la société Pierson Export à l'encontre de la société Africa Food Distribution :

- Débouter la société Hoogwegt International BV de ses demandes fins et conclusions vis-à-vis de la société Pierson Export ;

- En tout état de cause, condamner la société Hoogwegt International BV à garantir la société Pierson Export de toute somme qui pourrait être mise à sa charge dans le cadre d'une éventuelle condamnation ;

- En tout état de cause, infirmer le jugement déféré et condamner la société Africa Food Distribution à payer à la société Pierson Export la somme de 50 000 euros pour procédure abusive ;

- En tout état de cause, condamner la société Africa Food Distribution à payer à la société Pierson Export la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance ;

- Condamner la société Hoogwegt International BV à payer à la société Pierson Export la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance ;

- Condamner la société Africa Food Distribution en tous les frais et dépens de la présente instance ;

- Y ajoutant,

- Condamner la société Africa Food Distribution à payer à la société Pierson Export la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

- Condamner la société Hoogwegt International BV à payer à la société Pierson Export la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

- Condamner la société Africa Food Distribution en tous les frais et dépens y compris en cause d'appel.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 1er avril 2021 par la société Hoogwegt international, par lesquelles il est demandé à la Cour, au visa des articles 1103, 1104 et 1231-1 du code civil, L. 442-6, I, 5° du code de commerce et 9 du code de procédure civile de :

- Confirmer le jugement entrepris ;

- Condamner les sociétés AFD et Pierson à lui payer chacune 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel, dépens en sus, ces débiteurs étant tenu in solidum desdits dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 05 février 2021 par la société BGFIBANK Europe, demandant à la Cour de :

Vu l'article 555 du code de procédure civile ;

Vu l'article L. 511-33 du code monétaire et financier ;

- A titre principal :

- Dire irrecevable l'action en intervention forcée délivrée par la société Africa Food Distribution à son encontre ;

- La mettre hors de cause ;

- A titre subsidiaire :

- Dire que les demandes formées par la société Africa Food Distribution se heurtent au secret bancaire ;

- Débouter la société Africa Food Distribution de l'ensemble de ses demandes ;

- En tout état de cause :

- Condamner la société Africa Food Distribution à verser à l'établissement BGFIBANK Europe la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

SUR CE, LA COUR

- Sur les demandes de la société Africa Food Distribution

Selon la société AFD, les sociétés Pierson et Hoogwegt se sont engagées à lui garantir une exclusivité de commercialisation du lait de la marque LP sur le territoire du Cameroun (articles 1, 2 et 6 des contrats de distribution conclus entre les trois parties). La société AFD fait valoir le caractère licite de cette clause de par sa limitation spatio-temporelle. Cependant, elle explique que des documents obtenus auprès de l'administration douanière révèlent que société Pierson a laissé entrer sur le territoire camerounais, en parfaite connaissance de cause, un peu moins de 200 tonnes supplémentaires de lait de la marque LP au profit de ses concurrents, ce en violation de ses obligations contractuelles.

Pour ce qui concerne les livraisons de lait relevant de contrats conclus antérieurement au contrat litigieux mais livrées postérieurement, la société AFD fait valoir que la société Pierson avait connaissance de ce que les marchandises vendues à ses concurrents devaient arriver durant la période d'exclusivité.

Par ailleurs, la société AFD fait valoir que les sociétés intimées avaient connaissances de leur violation de la clause d'exclusivité territoriale. Pour preuve, l'appelante soumet au débat ne nombreux échanges ayant débutés en 2014 sur ce sujet (pièce AFD n° 4).

Selon la société Pierson, les livraisons litigieuses sont arrivées au Cameroun postérieurement à la date d'application du premier contrat. Cependant les débats ont montré que ces livraisons correspondent à des commandes passées par des revendeurs camerounais antérieurement à la date d'application du premier contrat et elle fait valoir qu'elle ne peut être tenue pour responsable des délais de transport et de dédouanement qui ne sont pas de son ressort.

Par ailleurs, la société Pierson soutient que seule la société Hoogwegt International aurait pu accorder l'exclusivité.

La société AFD estime que la société Pierson s'est rendue coupable d'une réticence dolosive en dissimulation des relations antérieurement conclues avec les concurrents de AFD.

La société Pierson conteste le sérieux des allégations de AFD, cette dernière n'apportant pas de pièces utiles au débat en la matière. Ainsi, les importations concurrentes litigieuses ne concerneraient pas du lait LP ou seraient le fait de concurrents de la société Pierson.

Par ailleurs, la société Pierson soutient que la société AFD bénéficiait de l'exclusivité uniquement pour sa propre quote part de lait et fait valoir que des contrats avaient été conclus avec des concurrents antérieurement à la signature du contrat avec AFD.

SUR CE, LA COUR :

S'agissant de la violation prétendue par la société Pierson de l'engagement d'exclusivité contenu dans le contrat de distribution litigieux du 16 avril 2013 stipulé applicable à compter du 1er mai 2013, la société AFD reconnaît elle-même dans ses conclusions que les approvisionnements du marché camerounais opérés par la société Pierson en fournissant directement les sociétés Noupon et Safrip, pour des livraisons sur place intervenues en juin et juillet 2013, correspondent à des ventes réalisées avant la date d'application du contrat.

Ce n'est pas parce que la société Pierson, lorsqu'elle a signé le contrat de distribution, savait que ces commandes seraient livrées au Cameroun après la date de prise d'effet de l'exclusivité qu'elle a violé son obligation d'exclusivité de ce chef ; ce sans préjudice de l'appréciation de la mauvaise foi de la société Pierson dans l'exécution de la clause d'exclusivité qui lui est également reprochée.

La société Pierson n'étant pas intervenue pour une livraison au Cameroun en juillet 2015 réalisée par un autre importateur, les établissements Luvigy, ce n'est pas davantage parce que la société AFD avait saisi en septembre 2014 la société Pierson de la question des importations parallèles que la responsabilité de ce dernier importateur est engagée au titre de la violation de l'obligation d'exclusivité qu'il a consentie.

En particulier, il n'est nullement prouvé que la société Hoogwegt se soit entendue avec la société Pierson pour réaliser frauduleusement cette dernière importation au Cameroun, alors qu'au contraire il est établi que la société TMC, détenant les droits sur le lait LP et qui n'a souscrit aucune obligation d'exclusivité en faveur de la société AFD, avait toute latitude pour vendre son lait à un autre distributeur grossiste que la société Hoogwegt.

Le tribunal de commerce doit être approuvé d'avoir relevé que la société AFD, aux termes d'un courriel adressé à M. Evariste H. par la société Pierson le 6 mars 2013 savait, en signant le contrat de distribution litigieux, que la société Hoogwegt ne disposait pas de l'exclusivité sur l'ensemble de la production de lait LP mais seulement sur une partie de celle-ci (« le problème pour cette marque [LP] est qu'Hoogwegt, bien qu'ayant des liens privilégiés avec l'usine n'a pas l'exclusivité, comme les autres intervenants aussi ! »).

Le tribunal de commerce en a exactement tiré les conséquences en rejetant la demande au titre de la violation par la société Pierson de la violation de la clause d'exclusivité.

Si la société AFD soutient que par la dissimulation des relations antérieurement conclues avec ses concurrents, la société Pierson s'est rendue coupable d'une réticence dolosive, il doit être souligné que la société AFD ne demande pas pour autant la nullité du contrat de distribution, et que le dol incident éventuel ne peut davantage s'analyser en une violation de la clause d'exclusivité, ce sans préjudice de l'appréciation de la responsabilité contractuelle de l'importateur pour la mauvaise foi dans la conclusion du contrat, qui est également demandée.

Si la société AFD soutient que la société Pierson s'était engagée, aux côtés de la société Hoogwegt, à lui garantir l'exclusivité de la distribution du lait LP au Cameroun, il n'est nullement démontré que la société Pierson, simple exportateur, aurait accordé une telle garantie qui ne dépendait pas de lui. Le contrat mentionne seulement que la société Hoogwegt International a donné l'exclusivité pour la marque LP à Africa Food, qui achète la marque LP via Pierson Export de Hoogwegt International.

Il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il n'a pas retenu que la société Pierson avait violé l'obligation d'exclusivité figurant au contrat de distribution litigieux.

S'agissant de la prétendue violation par la société Hoogwegt de son obligation d'exclusivité, il doit être souligné à nouveau que la société AFD savait, en signant le contrat de distribution, que la société Hoogwegt ne disposait pas de l'exclusivité sur l'ensemble de la production de lait LP. En outre, rien n'a pu faire croire légitimement à la société AFD que la société Pierson disposait davantage d'une exclusivité de l'exportation au Cameroun que lui aurait consentie la société TMC, détentrice des droits sur le lait LP.

Le courriel du 6 mars 2013 déjà mentionné est clair sur le fait que la société AFD avait été informée qu'aucun des intervenants ne tenait d'exclusivité du détenteur des droits sur la marque de lait LP.

C'est pourquoi, la circonstance que la société Hoogwegt n'ait pas fait signer à la société AFD le document d'information précontractuel prévu à l'article L. 330-3 du code de commerce est sans conséquence dommageable établie en l'espèce.

La société AFD ne soutient pas valablement non plus l'existence en l'espèce d'une obligation d'exclusivité réciproque entre elle et la société Hoogwegt.

Ce n'est pas parce que des objectifs de volumes de vente assignés à la société AFD ont été définis par les contrats de distribution que cela a rendu nécessaire que cette société ait implicitement consenti une exclusivité. Une telle exclusivité ne résulte ni des clauses contractuelles ni d'aucun autre élément de preuve.

D'ailleurs, M. H., de la société Africa Food, l'a expressément reconnu dans un courriel du 3 septembre 2014 adressé à M. B. de la société Pierson et produit par la société AFD : «  L'objectif d'Interfood en venant au Cameroun était clairement d'établir une relation d'affaires avec nous AFD, ce que j'ai décliné par intégrité quant à la distribution de LP même s'il n'est pas stipulé sur le contrat une clause m'interdisant d'acheter LP ailleurs que chez vous » (souligné par la Cour).

Sur ce point, la société AFD n'établit nullement la mauvaise foi de la société Hoogwegt, qui se borne à rappeler que l'appelante n'a jamais été liée par une obligation d'approvisionnement exclusif auprès d'elle.

En l'absence de preuve de la violation alléguée d'une obligation d'exclusivité par la société Hoogwegt ou par la société Pierson, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Les demandes en dommages-intérêts de la société AFD contre les sociétés Hoogwegt et Pierson au titre de la prétendue violation de l'obligation d'exclusivité ne peuvent prospérer

S'agissant des demandes en dommages-intérêts de la société AFD au titre de de la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies, il sera relevé que les deux contrats de distribution comportent un objectif annuel et une clause rappelant que la réalisation de l'objectif s'entend hors cas de force majeure. Une clause 6 précise la date de début d'exclusivité et indique que « chaque 6 mois Hoogwegt International, African Food et Pierson Export vont évaluer les réalisations/objectifs et discuter comment on va continuer » ou ... « comment et où on va continuer ».

Si chaque contrat prévoit une discussion sur la manière de le « continuer » après le terme stipulé, il autorisait la société Hoogwegt à y mettre fin à l'échéance et rend expressément responsable la société Africa Food du respect des objectifs, hors le cas de force majeure.

L'objectif pour le contrat de 2015 à l'issue duquel la société Hoogwegt a notifié la rupture a été fixé par écrit par les parties à 78 mt par mois.

Il avait été de 75 mt par mois dans le premier contrat signé en 2013.

Dans la lettre du 9 décembre 2015 par laquelle elle annonce à la société Africa Food qu'elle ne reconduit pas le contrat pour 2016, la société Hoogwegt expose que l'objectif négocié avait été en réalité de 76,5 mt par mois, 918 mt par an.

La société AFD indique avoir acheté à la société Pierson 700 tonnes de lait LP en 2014, soit 2 617 000 euros et 508 tonnes en 2015, soit 1 308 200 euros.

Elle ne justifie ces éléments chiffrés que par un tableau réalisé par elle-même et non certifié.

Si elle produit en cause d'appel une attestation d'expert-comptable, celle-ci ne mentionne pas les quantités de lait en poudre achetées par la société AFD auprès de la société Pierson en exécution du contrat.

Cependant, la société Africa Food ne conteste pas ne pas avoir atteint les objectifs pour 2015, alors que la société Hoogwegt explique sans être valablement contredite que la réalisation en 2015 n'a été que de 308 mt.

En présence d'un volume de vente réalisé tellement éloigné de l'objectif contractuel qui, hormis la force majeure non caractérisée en l'espèce, engageait la société AFD aux termes d'un second contrat à durée déterminée de 6 mois stipulé sans tacite reconduction après la reconduction tacite du premier contrat à durée déterminée, l'appelante qui, au vu de ces mauvais résultats et de l'ensemble des circonstances de la cause, ne pouvait légitimement croire que le contrat serait reconduit pour 2016, ne soutient pas valablement ni que le tribunal de commerce a dénaturé les contrats, ni qu'il a mal apprécié les faits en retenant que la relation commerciale n'était pas établie.

La circonstance prise des investissements publicitaires allégués par la société Africa Food pour développer la marque sur le territoire camerounais, à les supposer établis, ne confère pas en l'espèce de caractère brutal à la rupture dès lors que la preuve n'est pas rapportée que les sociétés Pierson et Hoogwegt aient jamais entretenu la société Africa Food dans la croyance que le contrat serait renouvelé pour 2016.

Les sociétés Pierson et Hoogwegt ne sauraient être responsables des risques pris à cet égard par la société Africa Food.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que la relation commerciale n'était pas établie et en ce qu'il a débouté la société Africa Food de sa demande au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies.

S'agissant de la demande subsidiaire en dommages-intérêts de la société AFD contre la société Pierson pour exécution de mauvaise foi du contrat, le jugement entrepris a condamné la société Pierson à payer à la société AFD une somme de 50 000 euros de dommages-intérêts au motif que 149 tonnes de poudre de lait avaient été livrées sur le marché camerounais au moment où la société AFD recevait ses premières livraisons de poudre de lait et que la loyauté imposait à la société Pierson d'informer des ventes récentes qu'elle avait faite.

La société AFD réclame en appel à ce titre la somme de 1 938 400 euros.

Toutefois, la Cour relève qu'il est établi que le lait LP était distribué sur le marché Camerounais dès avant que la société AFD ne se fasse consentir le premier contrat d'exclusivité litigieux. En outre, les ventes reprochées à la société Pierson livrées en juillet 2013 sont, ainsi qu'il a déjà été dit, les conséquences de contrats conclus antérieurement à la date d'application du contrat. Par conséquent, la société AFD ne reproche pas valablement à la société Pierson de ne pas l'avoir spontanément informée sur l'existence, prévisible pour elle, de flux de marchandises en cours de livraison et se rapportant à des ventes antérieures à la période d'exclusivité.

Par conséquent, le jugement sera réformé sur ce point et la société AFD sera déboutée de toute demande au titre de ce prétendu manquement de la société Pierson à son obligation de bonne foi contractuelle dans l'exécution du contrat.

S'agissant de la demande en condamnation solidaire des sociétés Pierson et Hoogwegt à hauteur de 273 189 euros au titre de la rupture abusive du contrat de distribution, il résulte de ce qui précède que l'abus du droit n'est nullement caractérisé en l'espèce dès lors que la société Hoogwegt avait le droit de ne pas reconduire le contrat à son échéance et que nulle faute de la société Pierson ou de la société Hoogwegt n'est caractérisée qui soit en lien avec ce refus de reconduire le contrat.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

S'agissant des demandes dirigées contre la société BGFIBANK Europe, alors que celle-ci conteste la recevabilité de son intervention forcée en cause d'appel, sur le fondement des dispositions de l'article 555 du code de procédure civile, la société AFD n'oppose aucune réponse valable à ce moyen.

Si la société AFD affirme que :

- le système de remise documentaire n'a pas été explicitement détaillé au cours de la procédure de première instance, l'ensemble des débats s'étant concentrés sur l'évocation sommaire faite par le rapport de la COFACE,

- les premiers juges se sont rabattus sur les déclarations mensongères de la société Pierson selon lesquelles les factures étaient payées en deux fois pour lui reprocher de ne pas prouver avoir payé les factures litigieuses, alors que le rapport de la COFACE suffisait à démontrer que le mode de règlement décrit par la société Pierson n'existait pas ;

- la production des nouveaux éléments demandés à la banque en cause d'appel seront utiles pour sa défense, dès lors qu'elle a le droit d'invoquer des moyens nouveaux, d'autant qu'ils permettront d'éclairer la Cour,

La société AFD n'allègue ni ne prouve pour autant l'existence d'aucune circonstance de fait ou de droit née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige.

En l'espèce, la société AFD qui était recherchée en paiement par la société Pierson dès la première instance avait, dès avant la clôture des débats en première instance, tous les éléments lui permettant de prendre parti sur la nécessité d'attraire la banque.

Par conséquent, faute d'élément nouveau justifiant l'exception au principe du double degré de juridiction, la société AFD est irrecevable en son intervention forcée contre la société BGFIBANK Europe.

- Sur la demande reconventionnelle de la société Pierson contre la société AFD

C'est par de justes motifs, contre lesquels il n'est apporté aucun moyen utile et que la Cour adopte, que les premiers juges ont condamné la société AFD à payer à la société Pierson une somme de 704 490,60 euros en règlement du solde de factures dues n° 10694, 10802, 10831, 10821 et 10815.

A ces justes motifs il sera seulement ajouté que si la société AFD prétend retranscrire dans ses conclusions les motifs des premiers juges, elle en omet cependant un, essentiel, celui par lequel le tribunal a relevé que le grand livre des tiers fourni en pièce 47 par la société Pierson met en évidence que la facture 10588 à l'adresse de l'appelante et d'un montant de 281 000 euros est payée par un premier virement de 126 000 euros, puis par deux virements consécutifs du 1er juillet 2015, pour respectivement 55 000 euros et 100 000 euros, mettant en évidence que les factures sont payées en plusieurs règlements.

La Cour précise, au vu de ce cet extrait de grand livre des tiers produit désormais en pièce n° 54, que les virements du 1er juillet 2015 - dont l'intitulé vise la facture 10 588 que rien ne permet de ne pas imputer à une dette de la société AFD - ont été effectués pour le compte de celle-ci par les Ets Ghana dont la société Pierson précise qu'il s'agissait d'une entité utilisée par le débiteur pour régler les soldes des factures, de même que l'entité dénommée Good Market, laquelle apparaît également sur le même compte client pour le paiement de plusieurs factures également imputées à la société AFD.

Ce fait est confirmé par un courriel du 19 mai 2015 de M. K. de la société AFD à M. G. de la société Pierson, par lequel celui-là sollicite expressément de celui-ci le report de 2 semaines des deux prochains paiements, dont la facture 10588/15 pour 155 000 euros, devant être payée après report le 5 juin 2015.

Par conséquent, il est établi que la société Africa Food soutient en réalité de mauvaise foi que les factures litigieuses étaient payées en une seule fois au moyen de la seule traite avalisée. Au contraire, il est établi que la pratique des parties était de recourir à un premier paiement par traite avalisée, ce premier paiement étant complété par des virements opérés par des entités opérant pour le compte de la société AFD.

En présence de ces paiements fractionnés et partiellement effectués par autrui, dont la société AFD dénie le principe avec mauvaise foi, celle-ci ne se prévaut pas valablement de l'existence de deux factures n° 10694 établies au nom de la société Pierson, l'une de 126 000 euros détenue par sa banque, l'autre produite par la société Pierson pour un montant de 281 000 euros, dès lors qu'il est établi que la société AFD s'acquittait habituellement auprès du fournisseur de factures complémentaires pour un même lot de marchandises.

S'agissant cependant de la demande reconventionnelle de la société Pierson en dommages-intérêts pour abus de procédure, dès lors que la société AFD s'est manifestement méprise sur les risques de ne pas bénéficier d'une exclusivité de fait pour la distribution au Cameroun du lait LP, elle a suscité le litige sans légèreté blâmable ni intention de nuire et sans commettre de faute ou d'abus dans l'exercice de son action en justice.

Par conséquent, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté la société Pierson de sa demande en dommages-intérêts pour abus de droit.

- Sur les demandes en paiement de la société Hoogwegt

Le jugement entrepris a exactement statué sur le montant des factures impayées par la société Pierson à la société Hoogwegt, laquelle ne conteste d'ailleurs pas les devoir et se borne à solliciter compensation éventuelle.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point, par motifs adoptés, en ce qu'il a condamné la société Pierson à payer à la société Hoogwegt une somme de 255 190 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 juillet 2017 et capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

- Sur les frais

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement entrepris pour le surplus, en, particulier sur les frais et dépens.

En équité, la société AFD, qui succombe en son intervention forcée, sera condamnée à payer à la société BGFIBANK Europe une somme, dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En équité, la société AFD, qui succombe en son appel, sera également condamnée à payer à la société Pierson d'une part et à la société Hoogwegt, d'autre part, une somme, dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En équité, enfin, il n'y a pas lieu à condamner la société Pierson à payer une indemnité à la société Hoogwegt au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Réforme le jugement en ce qu’il a condamné la société Pierson export à payer une indemnité de 50 000 euros à la société Africa Food Distribution au titre d'un manquement à l'obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat signé le 28 avril 2013,

Statuant de nouveau sur ce point, déboute la société Africa Food Distribution de toute demande contre la société Pierson Export,

Pour le surplus,

Déclare la société African Food Distribution irrecevable en son intervention forcée contre la société BGFIBANK Europe,

Confirme le jugement entrepris,

Condamne la société African Food Distribution à payer à la société BGFIBANK une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Condamne la société African Food Distribution à payer à la société Pierson une somme complémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Condamne la société African Food Distribution à payer à la société Hoogwegt une somme complémentaire de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société African Food Distribution aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.