CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 mai 2021, n° 17/22069
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Lokama (SARL), Madinina Logistique (SARL), Karukéra Logistique (SARL)
Défendeur :
Nestlé France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
La société Lokama est la société holding d'un groupe logistique dont les filiales la société Madinina Logistique (ci-après « la société Madinina ») et la société Karukéra Logistique (ci-après « la société Karukéra ») exploitent chacune respectivement un entrepôt en Martinique et en Guadeloupe.
Les sociétés Madinina et Karukéra ont signé divers contrats à durée déterminée depuis l'année 2000 pour assurer la logistique des produits de la société Nestlé France (ci-après « la société Nestlé »).
Le 20 juin 2014, a été signé un « contrat de prestations logistiques » entre d'une part la société Nestlé France et d'autre part la société Lokama « en collaboration avec ses filiales dont elle assure la responsabilité et le management », les sociétés Madinina et Karukéra.
Ce contrat a été conclu pour une durée déterminée de 6 années, du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2019, avec tacite reconduction et la possibilité pour chacune des parties de le résilier « à la fin de la première période triennale sous réserve d'un préavis de 12 mois ».
Invoquant son souhait de réorganiser sa logistique sous forme de HUB, la société Nestlé a adressé un appel à projet en août 2015 aux sociétés Madinina et Karukéra qui n'ont pas été retenues par la suite.
La société Nestlé a notifié le 17 décembre 2015 à la société Lokama son intention de résilier le contrat à l'échéance du 31 décembre 2016 en ces termes : « Nous avons décidé de repenser notre organisation logistique sous forme de HUB, et vous êtes d'ailleurs associé à cette réflexion. C'est donc pour cette raison que nous avons pris la décision de mettre un terme à la convention qui nous lie, conformément à la possibilité qui nous est offerte par l'article 5.1. Le contrat prendra donc fin au 31 décembre 2016 ».
Un climat de tension s'est installé fin 2016 entres les sociétés prestataires sortantes et la société Nestlé notamment sur la question de la reprise du personnel, conduisant à un blocage des entrepôts courant octobre et novembre 2016 de la société Madinina.
Par acte du 26 juillet 2016, les sociétés Lokama, Karukéra Logistique et Madinina Logistique ont assigné la société Nestlé France devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner à leur payer différentes sommes sur le fondement, tant de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, que de l'article 1134 du Code civil.
Par jugement du 16 octobre 2017, le tribunal de commerce de Paris a :
Dit que la SAS Nestlé France ne s'est pas rendue coupable d'une rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
Dit que la SAS Nestlé France ne s'est pas rendue coupable d'une rupture abusive de ses relations commerciales ;
Débouté la SARL Lokama, la SARL Madinina Logistique et la SARL Karukera Logistique de l'ensemble de leurs demandes ;
Condamné la SARL Madinina Logistique à verser à la SAS Nestlé France la somme de 20 000 euros à titre de dommages- intérêts ;
Condamné in solidum la SARL Lokama, la SARL Madinina Logistique et la SARL Karukéra Logistique à verser à la SAS Nestlé France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Débouté des demandes plus amples et contraires ;
Ordonné l'exécution provisoire ;
Condamné in solidum la SARL Lokama, la SARL Madinina Logistique et la SARL Karukéra Logistique aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquides à la somme de 122,83 € dont 20,26 € de TVA.
Par déclaration du 1er décembre 2017, les sociétés Lokama, Karukéra et Madinina ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 6 septembre 2019, les sociétés Lokama, Madinina et Karukéra demandent à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,
Vu l'article 1134 ancien du code civil,
Recevoir les sociétés Lokama, Madinina Logistique et Karukera Logistique en leur appel dirigé à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2017, ainsi qu'en leurs écritures présentées devant la cour d'appel de Paris au soutien de cet appel ;
Recevoir les Sociétés Lokama, Madinina Logistique et Karukera Logistique en toutes leurs demandes, fins et conclusions et les y déclarer bien fondées ;
A titre principal,
1°) Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2017 en ce qu'il a refusé de faire droit aux demandes des sociétés Karukera Logistique, Madinina Logistique et Lokama dirigées à l'encontre de la société Nestlé France, et fondées sur l'article L. 442-6, I, 5°) du Code de commerce,
Réformer en conséquence sur ce point le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2017 ;
Condamner en conséquence la société Nestlé France au paiement à la société Karukera Logistique de la somme de 2 534 787 Euros au titre de la rupture brutale du contrat ou, si la Cour estime préférable de s'en tenir à la marge sur coûts variables, à la somme de 2 438 904 Euros,
Condamner en conséquence la société Nestlé France au paiement à la société Madinina Logistique de la somme de 2 523 279 Euros au titre de la rupture brutale du contrat ou, si la Cour estime préférable de s'en tenir à la marge sur coûts variables, à la somme de 2 517 114 euros,
Condamner en conséquence la société Nestlé France au paiement à la société Lokama de la somme de 200 000 euros au titre de la rupture brutale du contrat,
En tout état de cause,
Dire et juger que s'il y a lieu de déduire de la marge indemnisée les frais fixes que la victime de la rupture brutale, la condamnation de la société Nestlé se monterait alors :
Au profit de la société Karukéra, à la somme de 1 677 867 euros, à laquelle devrait alors être ajoutée la somme de 430 000 euros, représentative de la perte du fonds de commerce ;
Au profit de la société Madinina, à la somme de 1 676 136 euros, à laquelle devrait alors être ajoutée la somme de 203 000 euros, représentative de la perte du fonds de commerce ;
2°) Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2017 en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes des sociétés Karukéra Logistique, Madinina Logistique et Lokama dirigées à l'encontre de la société Nestlé France, et fondées sur la caractère abusif de la rupture des relations contractuelles.
Réformer en conséquence sur ce point le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2017, en accueillant et jugeant bien fondées les demandes en indemnisation formées par les sociétés Karukera Logistique, Madinina Logistique et Lokama dirigées à l'encontre de la société Nestlé France, et fondées sur les règles du droit commun des contrats,
Condamner en conséquence la société Nestlé France au paiement à la société Madinina Logistique de la somme de 2 281 308 euros au titre de la rupture abusive du contrat,
Condamner en conséquence la société Nestlé France au paiement à la société Karukera Logistique de la somme de 2 270 951 euros au titre de la rupture brutale du contrat,
Condamner en conséquence la société Nestlé France au paiement à la société Lokama de la somme de 200 000 euros au titre de la rupture abusive du contrat,
3°) Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2017 en ce qu'il a fait partiellement droit aux demandes en indemnisation de la société Nestlé, et a condamné la société Madinina à verser à la société Nestlé une somme de 20 000 euros, tous préjudices confondus, à titre de dommages-intérêts,
Réformer en conséquence sur ce point le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2017, et, après avoir exclu toute responsabilité de la société Madinina, ordonner à la société Nestlé de rembourser à la société Madinina la somme de 20 000 euros, outre intérêts ;
Débouter en conséquence la société Nestlé de sa demande en paiement des sommes de 196 000 euros, 54 000 euros, 50 000 euros et 72 947,96 euros ;
Débouter plus généralement de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner la société Nestlé France au paiement à chacune des sociétés Lokama, Madinina Logistique et Karukera Logistique de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Nestlé France aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 13 septembre 2019, la société Nestlé France demande à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,
Vu l'article 1134 ancien du code civile,
A titre principal,
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2017 en ce qu'il a :
Dit que la SAS Nestlé France ne s'est pas rendue coupable d'une rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
Dit que la SAS Nestlé France ne s'est pas rendue coupable d'une rupture abusive de ses relations commerciales ;
Débouté la SARL Lokama, la SARL Madinina Logistique et la SARL Karukera Logistique de l'ensemble de leurs demandes ;
Dit que Madinina a commis une faute dans l'exécution de son contrat et que sa responsabilité est engagée ;
Condamné in solidum la SARL Lokama, la SARL Madinina Logistique et la SARL Karukera Logistique à verser à la SAS Nestlé France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 16 octobre 2017 pour le surplus
Statuant à nouveau :
Vu les articles 1103, 1104, 1193, 1231 et suivants, 1384 alinéa 5 anciens du Code civil,
Dire et juger que la société Madinina Logistique est responsable des dommages commis par ses salariés au préjudice de Nestlé France,
Dire et juger que la société Madinina Logistique a commis des fautes dolosives dans l'exécution du contrat la liant à Nestlé France,
En conséquence,
Condamner la société Madinina Logistique à payer à Nestlé France les sommes suivantes en réparation du préjudice ainsi causé :
- la somme de 196 000 euros au titre de la perte de marge durant les 16 jours de blocage,
- la somme de 54 000 euros au titre de la perte de linéaire
- la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice d'image
- la somme de 72 947,96 euros au titre des frais engendrés par le blocage
A titre subsidiaire,
Dire et juger que les charges d'exploitation et, en particulier, les frais salariaux, des sociétés Karukera Logistique et Madinina Logistique sont variables, et qu'elles ont totalement cessé lorsque la relation commerciale a pris fin.
Dire et juger qu'il s'agit en conséquence de coûts directs, évités du fait de la rupture, qui doivent être retranchés pour le calcul de l'indemnité, conformément au principe de réparation intégrale.
Dire et juger que, dès lors, l'éventuelle indemnisation des sociétés Karukera Logistique et Madinina Logistique ne pourrait se fonder que sur le résultat d'exploitation soit :
- 12 806 euros mensuels pour Karukéra Logistique
- 5 303 euros mensuels Madinina Logistique
En tout état de cause,
Condamner solidairement les sociétés Lokama, Karukera Logistique et Madinina Logistique à payer à Nestlé France la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamner solidairement les sociétés Lokama, Karukera Logistique et Madinina Logistique aux entiers dépens
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur les demandes fondées sur la rupture brutale de la relation commerciale
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
. Sur le caractère établi de la relation
Le tribunal de commerce a considéré en substance que les parties ne se trouvaient plus en relation commerciales établies au sens des dispositions précitées dès lors qu'à la suite d'une longue négociation au cours de l'année 2013, elles ont conclu le contrat de juin 2014 prévoyant une clause de résiliation par anticipation de nature à précariser leur relation et excluant de ce fait toute croyance légitime dans la continuité d'un flux d'affaires au-delà du 31 décembre 2016.
Les sociétés Lokama, Madinina et Karukéra font valoir qu'elles ont noué des relations commerciales établies avec la société Nestlé depuis 1996 pour la société Karukéra et depuis 1982 pour la société Madinina et que les relations se sont formalisées pour les mêmes prestations logistiques par des contrats successifs à durée déterminée avec faculté pour la société Nestlé de résiliation anticipée, en 2000, 2003, 2005, puis en 2014. Elles soutiennent qu'il ressort de la succession de ces contrats passés entre la société Nestlé d'une part et les sociétés Karukéra et Madinina d'autre part, que la faculté de résiliation offerte à l'issue de la période triennale à chacune des parties n'est que la continuité des conditions antérieures, et ne marque aucune précarisation de la relation ni exclut la croyance légitime en la pérennité des relations en constante croissance. Elles précisent qu'aucune mise en concurrence n'a été réalisée en 2012, si ce n'est une nouvelle négociation tarifaire par comparaison avec des prix d'une autre société concurrente.
La société Nestlé fait d'abord valoir que les relations commerciales entre les parties ne peuvent remonter aux années 1982 et 1996. Elle explique que les premiers contrats signés entre Nestlé France et Karukéra Logistique d'une part, et Madinina Logistique d'autre part, datent respectivement des 12 mai et 12 avril 2005 et qu'avant 2005, soit la société Karukéra assurait des prestations totalement distinctes, soit ces sociétés étaient des sous-traitants de la société SDV.
Elle précise que la société Lokama, n'est qu'une société holding sans activité logistique et crée en 2008.
La société Nestlé conclut ensuite à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu une précarisation des relations commerciales avec les sociétés appelantes. Elle relève que dès l'année 2012, elle a procédé à une mise en concurrence de sociétés et que les sociétés du groupe Lokama ont remporté la signature du contrat précité en 2014. Elle ajoute que si plusieurs contrats ont successivement lié les parties, le dernier contrat signé entre elles, du 20 juin 2014, est un contrat à durée déterminée de 6 années, qui prévoit expressément la possibilité pour les parties d'y mettre fin à l'issue de la première période triennale, à condition de respecter un préavis de 12 mois, marquant ainsi la volonté des parties de se placer dans une certaine précarité.
Sur ce,
La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Les sociétés appelantes entendent se prévaloir de relations commerciales établies avec Nestlé depuis 1982 pour la société Karukéra et 1996 pour la société Medinina, mais ne produisent aux débats aucun élément tangible sur la nature et les conditions de celles-ci jusqu'en 2000.
A partir de l'année 2000, s'agissant des relations commerciales nouées avec les sociétés Karukéra et Madinina, il est produit d'abord un contrat dit de « sous-traitance » signé le 2 juin 2000 entre les sociétés Nestlé et Karukéra pour des prestations logistiques, d'une durée de trois années avec tacite reconduction, et la faculté pour la société Nestlé de résilier par anticipation de plein droit et sans formalité sous le respect d'un préavis de 6 mois. Puis, il est produit un deuxième contrat de sous-traitance de 2003 signé entre la société Karukéra et la société SDV Caraibes, elle-même sous-traitante des prestations logistiques des produits de la société Nestlé. Ce contrat a été conclu pour une durée de trois années à compter du 1er juin 2003 avec tacite reconduction sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties avec un préavis de 6 mois. Ensuite, deux contrats des 12 mai et 12 avril 2005 sont produits, signés entre la société Nestlé et la société Karukéra d'une part et la société Madinina d'autre part, de prestations logistiques (déchargement, la réception, la manutention, le contrôle, le stockage et la réexpédition des produits finis d'épicerie, des fournitures de P.L.V et opérations administratives liées à ces activités) pour une durée de 3 années à compter du 1er mars 2005 avec tacite reconduction et la faculté pour chacune des parties d'y mettre un terme à tout moment moyennant un préavis de 6 mois sans indemnité (article 15)
Enfin est produit, le contrat du 12 juin 2014, « contrat de prestations logistiques » signé entre d'une part la société Nestlé France et d'autre part la société Lokama « en collaboration avec ses filiales dont elle assure la responsabilité et le management », les sociétés Madinina et Karukéra. Ce contrat a pour objet notamment des prestations de dépotage de containers, contrôle et stockage des produits, gestion conservation et garde du stock, gestion des flux de marchandises par informatique. Il est par ailleurs précisé dans le préambule de ce contrat : « le donneur d'ordres et le prestataire sont liés par un contrat de prestation logistique depuis mars 2000 pour la Guadeloupe et depuis juin 2003 pour la Martinique. Ils se sont rapprochés afin de conclure un nouveau contrat de prestations de services ayant pour objectif une amélioration des performances réciproques. »
A l'article 5 : Durée du contrat et résiliation, il est stipulé :
« Le contrat est conclu pour une durée déterminée de six(6) années à compter du 1er janvier 2014 jusqu'au 31 décembre 2019. Chaque partie aura la possibilité de dénoncer le contrat à la fin de la première période triennale sous réserve d'un préavis de douze mois. A la fin du contrat, et à défaut pour l'une des parties d'avoir dénoncé le Contrat par lettre recommandée avec demande d'avis de réception douze(12) mois avant l'arrivée du terme, le contrat sera tacitement renouvelée dans les mêmes conditions que le contrat initial ».
Il ressort de cette succession de contrats à durée déterminée depuis 2000 pour la société Karukéra et 2003 pour la société Madinina, comportant tous une clause de faculté de résiliation unilatérale anticipée et dont il n'est pas établi qu'ils portaient sur des prestations logistiques sensiblement différentes au cours du temps, une continuité et stabilité dans l'objet et les conditions de la relation commerciale, sachant qu'il n'est pas contesté que ces prestations logistiques représentaient la quasi-exclusivité de l'activité des sociétés Karukéra et Madinina.
La société Nestlé allègue d'une mise en concurrence des sociétés appelantes dès 2012, mais ne produit aux débats aucun document faisant clairement état d'une telle procédure. Les sociétés Karukéra et Madinina font état tout au plus d'une offre de service faite à Nestlé par la société Logidom, nouvelle société concurrente, conduisant Nestlé à renégocier les tarifs en 2013 (pièces n° 25 et 26).
Dans ces circonstances, au moment de la signature des contrats de prestations de services en juin 2014, les sociétés Karukéra et Madinina pouvaient raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial, au moins jusqu'à la fin des relations contractuelles. Ce n'est que le 5 août 2015, soit quelques mois seulement avant la notification de la résiliation anticipée du contrat par la société Nestlé, que la société Lokama est destinataire d'un courrier d'appel à projet avec des propositions à remettre pour le 5 octobre 2015.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments, que les sociétés Karukéra et Madinina ont noué des relations commerciales établies, respectivement depuis 2000 et 2003 et jusqu'en 2015 avec la société Nestlé.
En revanche, s'agissant de la société Lokama créée en 2008, si celle-ci a été signataire du contrat de 2014 en sa qualité de société holding, il n'est pas contesté qu'elle n'a aucune activité opérationnelle et ne fait valoir aucun chiffre d'affaires avec la société Nestlé, en sorte qu'aucune relation commerciale établie au sens des dispositions précitées n'est caractérisée à l'égard de la société Nestlé.
. Sur la brutalité de la rupture
Les sociétés appelantes soutiennent que la notification de la rupture et le point de départ du préavis est constitué par le courrier du 16 décembre 2015, et ne peut être fixé au 9 août 2015 lors de l'appel à projet. Celui-ci n'était pas un appel d'offres, ni formellement, ni dans l'esprit des parties, puisqu'un appel d'offres a été annoncé ultérieurement par la société Nestlé sur des conditions différentes. Ensuite, elles font valoir que le préavis annoncé de 12 mois conformément à l'article 5.1 du contrat n'a en réalité pas été effectif en raison de l'incertitude dans laquelle la société Nestlé a durant toute l'année 2016 entretenu les appelantes quant au devenir des salariés, les empêchant ainsi d'organiser leur reconversion. Elles soutiennent en outre qu'elles devaient bénéficier d'un préavis raisonnable de trois années compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales, de leur dépendance économique (plus de 90 % de leur chiffre d'affaires) et de la mainmise de la société Nestlé leur imposant une exclusivité de fait les empêchant de diversifier leurs clients.
La société Nestlé réplique que l'appel d'offres lancé le 5 août 2015 constitue la notification du point de départ du délai de préavis. En toute hypothèse, elle soutient que le préavis de douze mois, notifié dans son courrier du 16 décembre 2015 est suffisant. Elle conteste la dépendance juridique et économique alléguée par les sociétés appelantes. Elle relève que les contrats successifs ne comportaient aucune clause d'exclusivité et qu'elle n'a jamais interdit à celles-ci de diversifier leur activité et clientèle.
Sur ce,
L'article L. 442-6, I, 5° précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis. Il est constant que la brutalité de la rupture résulte soit de l'absence de tout préavis écrit, soit d'un délai de préavis trop court, même notifié par écrit, mais ne permettant pas à la partie qui soutient en avoir été la victime de pouvoir trouver des solutions de rechange et de retrouver un partenaire commercial équivalent.
S'il est constant que la notification de l'intention de recourir à un appel d'offres vaut notification de l'intention de rompre, force est de constater que le courrier du 5 août 2015 adressé à la société Lokama faisait seulement état d'un « appel à projet » avec des propositions à remettre pour le 5 octobre 2015, qui ensuite a été suivi d'un courrier du 16 décembre 2015 faisant état d'un « appel d'offre » suivant des conditions différentes que l'appel à projet initial avec un délai de dépôt d'offre au 31 janvier 2016. Autrement dit, le courrier du 5 août 2015 ne peut valablement constituer une notification de l'intention de rompre le contrat.
La société Nestlé n'a clairement notifié son intention de rompre le contrat que par lettre du 17 décembre 2015 et ce en application de l'article 5.1 du contrat moyennant un préavis de douze mois
S'il n'est pas contesté que la société Nestlé a notifié cette rupture dans les conditions du contrat liant les parties, il y a lieu de vérifier si le préavis contractuel de douze mois tient compte de la durée, nature et spécificité des relations commerciales entre les parties. En effet, le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
A la date de la notification de la rupture fin 2015, la société Nestlé entretenait des relations commerciales établies depuis 15 ans avec la société Karukéra et 12 années avec la société Madinina.
Il n'est pas contesté que les contrats de prestations logistiques avec la société Nestlé représentaient plus de 90 % du chiffre d'affaires des sociétés Karukéra et Madinina (pièce n° 75).
Ces dernières invoquent une exclusivité de fait de leur activité pour la société Nestlé, cette dernière leur imposant des conditions matérielles de stockage et d'informatique rendant impossible la recherche de clients tiers (pièces n° 21, 96,97, 17,18,31). Elles justifient n'avoir pu bénéficier de conditions permettant de diversifier leur clientèle qu' à partir de 2014/2015 : en janvier 2014 une autorisation est donnée à la société Madinina par la société Nestlé pour le stockage de produits tiers ; le 25 mars 2015, un contrat informatique est signé par la société Lokama ainsi qu'un avenant au contrat logistique permettant aux sociétés Karukéra et Madinina de commercialiser des clients tiers dans une gestion intégrée du dépôt et des produits (pièce n° 32, 34 et 37).
Ces éléments ne sont pas utilement contredits par la société Nestlé qui n'a d'ailleurs incité ses prestataires à la diversification de leur activité qu'à travers le courrier de réception de l'appel à projet du 8 décembre 2015 (pièce 42) demandant à la société Lokama à ce que Nestlé ne représente que 30 % du chiffre d'affaires.
Si la problématique de la reprise du personnel peut être un élément d'appréciation de la durée du préavis pour le redéploiement de l'activité ou reconversion au moment de la notification de la rupture, elle ne peut cependant rendre non effectif le préavis de douze mois, accordé par la société Nestlé comme le soutiennent les sociétés appelantes.
Enfin, la spécificité de la structure du marché de la logistique aux Antilles, notamment son étroitesse n'est pas sérieusement contestée (cf. notamment pièce appelante n° 73).
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'un préavis nécessaire mais suffisant de 18 mois, devait être octroyé aux sociétés Karukéra et Madinina. L'insuffisance de préavis est dès lors de 6 mois.
. Sur le préjudice indemnisable
Les sociétés Karukéra et Madinina sollicitent l'indemnisation de la marge perdue du fait de la rupture de la relation commerciale établie. A cet effet, elles soutiennent que la marge dégagée par les prestataires de services avoisine le chiffre d'affaires réalisé, qu'il s'agisse de la marge brute, puisque l'activité n'occasionne que peu de coûts, ou qu'il s'agisse de la marge sur coûts variables, car les charges variables sont négligeables. Ainsi, elles font valoir un préjudice de perte de marge calculé à titre principal suivant un taux de marge brute (98, 08 % Karukéra, 93,36 % Madinina) et à titre subsidiaire suivant un taux de marge sur coûts variables (94,37 % et 93,13 %). Elles soutiennent qu'il n'y a pas lieu de déduire de la perte de marge les frais fixes qu'elle n'aurait pas supporté, notamment de personnel, du fait de la cessation de son activité, dès lors que l'indemnisation de la victime de la rupture brutale des relations commerciales établies suppose d'identifier la marge qui aurait dû être réalisée au cours du délai de préavis que pouvait escompter la société évincée, c'est à dire la marge correspondant à une période d'activité qui aurait dû se prolonger, et donc sans qu'il y ait à prendre en compte le fait que l'activité a dû cesser du fait de la rupture. Dans l'hypothèse où les frais postérieurs à la rupture devraient néanmoins être défalqués, elles invoquent la nécessité alors d'indemniser la valeur des fonds d'exploitation perdus par la faute de la société Nestlé.
Les sociétés Karukéra et Madinina ainsi que la société Lokama réclament en outre l'indemnisation d'un préjudice moral lié d'une part au trouble dans l'entreprise concernant l'incertitude sur le sort du personnel outre la perspective de la disparition des entreprises.
La société Neslté soutient que dès lors que les activités des sociétés Karukéra et Madinina ont cessé après la rupture des relations commerciales, il doit être déduit du calcul de l'indemnité les frais de personnel et les frais d'exploitation qui n'ont plus été assumés par les sociétés appelantes du fait de la rupture. Autrement dit, il est considéré que le préjudice doit dans ces conditions être calculé sur la base du résultat d'exploitation. Elle précise qu'aucune indemnisation ne peut avoir lieu pour la société Lokama qui est une société holding sans activité opérationnelle.
Sur ce,
Seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même.
En cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée de celui-ci jugée nécessaire, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture. En effet, la durée de préavis est déterminée non pas au regard d'un gain manqué mais au regard du délai qui aurait été nécessaire à l'entreprise victime pour se réorganiser ou se reconvertir, cette réorganisation ou reconversion devant se faire notamment en considération du personnel existant au jour de la notification de la rupture, et ce d'autant plus s'il s'agit d'une activité de prestation de service, telles les prestations de logistiques. Dans ces conditions, la charge de personnel est une charge fonctionnelle qui n'a donc pas lieu d'être déduite de la marge brute d'autant que s'agissant de prestations de service, le personnel constitué est indispensable à l'activité. Il en est de même des principales charges d'exploitation.
En l'occurrence, il est démontré par les sociétés appelantes que dès lors que la poursuite d'activité n'était plus envisageable, une longue période a été nécessaire au cours du préavis pour organiser, finalement par la voie judiciaire, le transfert du personnel auprès de la société entrante qui n'a eu lieu que postérieurement à la rupture du contrat de prestations logistiques.
Il convient donc de calculer le préjudice sur la période d'insuffisance de préavis, à partir de la marge sur coûts variable calculée et attestée par l'expert-comptable des sociétés appelantes (pièce n° 98), par déduction du chiffre d'affaires des frais de consommables et de manutention et sous-traitance (personnel extérieur d'appoint), soit une moyenne annuelle (calculée sur les trois exercices précédant la rupture) de marge de 813 068 euros (taux de 94,37 % ) pour la société Karukéra et pour la société Madinina une moyenne annuelle de marge de 868 498 euros (93,13 %).
Le préjudice de perte de marge escomptée sur la période d'insuffisance de préavis de 6 mois est évaluée à la somme de 406 534 euros pour la société Karukéra et à la somme de 434 249 euros pour la société Madinina.
Dès lors, la société Nestlé sera condamnée à verser à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales la somme de 406 534 euros à la société Karukéra et la somme de 434 249 euros à la société Madinina. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Les sociétés Karukéra et Madinina seront déboutées du surplus de leur demande au titre du préjudice économique. Elles seront également déboutées de leur demande au titre d'un préjudice moral dès lors que les événements invoqués à ce titre sont liés à la rupture elle-même et non pas à sa brutalité.
La société Lokama est déboutée de toute demande d'indemnisation de préjudice dès lors qu'aucune relation commerciale établie au sens des dispositions précitées n'est caractérisée.
Sur les demandes fondées sur la rupture abusive des relations contractuelles
Le tribunal de commerce, après avoir relevé que les sociétés Lokama, Karukéra et Madinina fondaient leur demande en indemnisation pour rupture abusive au visa de l'article 1134, tandis qu'elles avaient également formulé des demandes au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, en a déduit que le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ne permet au tribunal de recevoir ces demandes qui visent à réparer le même préjudice et a débouté ces sociétés de leurs demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.
Les sociétés appelantes font d'abord valoir que leurs demandes au titre de la rupture abusive des contrats sont recevables dès lors que la règle du non-cumul des responsabilités n'empêche nullement la victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie de demander par ailleurs réparation du préjudice subi suite au caractère abusif de la rupture. Elles font ensuite valoir que non seulement la société Nestlé, par son comportement contradictoire, les a laissées croire jusqu'au dernier moment à la continuation du lien contractuel, mais a exercé son droit de rupture des relations contractuelles dans une intention de leur nuire en contournant, par collusion frauduleuse avec la société entrante Logidom, les règles d'ordre public du droit du travail. Il est ainsi soutenu qu'en exigeant de son cocontractant qu'il se plie à sa volonté de promouvoir le « full provider service » avant de lui demander de répondre à sa demande de réorganisation de la logistique Nestlé, sous la forme du « hub logistique », lui confirmant ainsi sa volonté d'intensifier la relation commerciale, ceci avant de lui reprocher en octobre 2015 des manquements anciens et injustifiées, pour finalement lui imposer des exigences nouvelles dont il savait fort bien qu'il ne pourrait les satisfaire, ce qui lui offrait une raison toute trouvée pour ne pas retenir les propositions formulées en réponse à l'appel à projet, ensuite transformé en appel d'offres. Il est précisé que le projet « hub logistique » a servi de prétexte à la rupture mais il ne sera jamais mis en place avec la société Logidom. Il est ajouté qu'au vu du déroulement de ces faits, l'objectif recherché par la société Nestlé à travers cette rupture, en collusion frauduleuse avec la société Logidom au regard de sa totale passivité et sous l'apparence d'un appel d'offres, était de se débarrasser d'un coût salarial jugé trop élevé, en ayant recours à un nouveau partenaire commercial dont le concours moins onéreux était obtenu à l'aide d'un procédé illicite de non reprise des salariés à la suite du transfert de l'activité.
A ce titre, il est réclamé par les sociétés appelantes la réparation d'un préjudice constitué d'une perte de chance de continuation des relations contractuelles, à tout le moins jusqu'au terme du contrat du 20 juin 2014, et même au-delà, sur une nouvelle période de 6 années, calculé à hauteur de 90 % de perte de marge brute annuelle sur 36 mois.
La société Nestlé fait d'abord valoir que les sociétés appelantes entendent en réalité obtenir sur le cumul de deux fondements juridiques l'indemnisation d'un même préjudice. Ensuite, elle fait valoir que non seulement aucun motif n'est nécessaire pour mettre en œuvre une clause de résiliation stipulée au contrat à durée déterminée mais que les nombreux abus dénoncés procèdent d'affirmations non démontrées. Elle explique qu'en réalité, les sociétés appelantes n'acceptent pas qu'elle ait pu organiser, de manière loyale et transparente, une procédure d'appel d'offres qu'elles n'ont pas remportée et que les intentions frauduleuses qui lui sont prêtées ne sont nullement étayées si ce n'est « sa passivité » qui ne peut caractériser une intention de nuire.
Elle relève que l'ensemble des éléments produits notamment lettres et courriels par les sociétés appelantes pour étayer leurs affirmations, sont postérieures à la lettre de résiliation et ne peuvent constituer un abus du droit de résiliation contractuellement prévu.
Sur ce,
Le principe de non-cumul entre responsabilités contractuelle et délictuelle interdit seulement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n'interdit pas la présentation d'une demande distincte, fondée sur l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Autrement dit, les sociétés appelantes peuvent cumuler avec leurs demandes en indemnisation d'une insuffisance de préavis fondées sur la rupture brutale des relations commerciales établies en se prévalant de la responsabilité délictuelle, leurs demandes fondées sur le grief distinct de la rupture abusive des contrats de prestations logistiques en réparation d'un préjudice de perte de chance de poursuite de ces contrats en se prévalant de la responsabilité contractuelle.
Certes, il ressort des pièces versées aux débats par les sociétés appelantes, que la société Nestlé s'est prévalue du motif de réorganisation de sa logistique sous forme de Hub, dont il n'est pas contesté qu'il n'a finalement pas été mis en place par la nouvelle société entrante, pour soumettre les sociétés appelantes à un appel à projet par courrier du 5 août 2015 puis à un appel d'offres du 8 décembre 2015 dont les conditions ont été successivement modifiées (pièces appelantes n° 31, 42, 43) par des exigences que les sociétés appelantes ne pouvaient pas respecter, et que la reprise du personnel par la société Logidom entrante sur le marché a été très problématique courant 2016 obligeant les sociétés appelantes à introduire une action en justice à son encontre donnant lieu au jugement du 16 décembre 2016 du tribunal mixte de commerce de Pointe à Pitre condamnant la société Logidom a reprendre tout le personnel des sociétés Madinina et Karukéra avec transfert des contrats au 1er janvier 2017.
Cependant, ces événements invoqués par les sociétés appelantes ne permettent pas de caractériser que la société Nestlé les a tout particulièrement entretenues dans la période précédant la notification de la résiliation anticipée suivant la clause de l'article 5 du contrat, dans la croyance de la poursuite du contrat sans se prévaloir d'une telle clause. Ces éléments ne sont pas non plus suffisants pour établir une intention de nuire de la société Nestlé à l'égard des sociétés appelantes ou une collusion frauduleuse avec la société Logidom pour s'affranchir de certains coûts salariaux. Il y a lieu de relever en outre à cet égard que les attestations produites par les sociétés appelantes (pièces 91, 92 et 94) sont contredites par des attestations produites par la société Nestlé (pièce n° 27 et 28).
Il est constant que la société Nestlé a mis fin au contrat de prestations logistiques dans le respect des modalités prévues à ce contrat et n'avait pas de motif à faire prévaloir pour user de la faculté de dénonciation moyennant un préavis de douze mois prévue par ce contrat.
Dès lors, l'abus de la société Nestlé dans son droit de rompre le contrat n'est pas établi, et les sociétés appelantes seront déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts à ce titre. Le jugement sera confirmé sur ce point par substitution de motifs.
Sur les demandes de la société Nestlé à l'encontre de la société Madinina
La société Nestlé soutient que la société Madinina Logistique s'est livrée à de très nombreuses voies de fait à son encontre l'obligeant à écrire à de nombreuses reprises pour dénoncer ces faits, déposer des plaintes pénales de ces chefs, de faire délivrer des sommations et agir en référé. Elle soutient que les attestations produites établissent le rôle actif prépondérant de la société Madinina dans l'incitation des salariés au blocage de l'entrepôt lui ayant occasionné un préjudice de perte de marge (196 000 euros) et de linéaire (44 000 euros), un préjudice d'image (50 000 euros) et des frais engendrés par le blocage (72 947, 96 euros).
La société Madinina soutient pour l'essentiel que le blocage de ses entrepôts fin 2016 par ses salariés avait pour origine les propres manquements fautifs et frauduleux de la société Nestlé envers la reprise des salariés et qu'il n'est pas démontré qu'elle a incité les salariés à ce blocage.
Sur ce,
Il ressort clairement des pièces versées aux débats par la société Nestlé (pièces n° 1 et n° 3) que le blocage de l'entrepôt de la société Madinina les 7 octobre et 7 novembre 2016 était le fait des salariés de la société Madinina en revendication non pas contre leur employeur, mais à l'égard de la société Nestlé en vue de la reprise des contrats de travail en application de l'article L. 1224-1 du code du travail par la société Logidom, son nouveau prestataire logistique. Par ailleurs, les pièces versées aux débats, notamment les attestations (pièces n° 24 à 26), émanant d'anciens salariés de la société Karukéra (et non Madinina) et pour certains employés par la société Logidom, ne permettent pas d'établir que le mouvement des salariés a été initié par la société Madinina ou lui soit imputable.
Au surplus, la société Nestlé ne produit aux débats aucune pièce pour justifier de la réalité des préjudices invoqués au titre des pertes de marge et linéaire, de préjudice d'image et de frais supplémentaires Logidom et Frigodom, seuls étant justifiés de frais de déplacements et d'hébergement et de justice et autres frais matériels dont pour certains le lien n'est pas établi avec le blocage des entrepôts.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société Nestlé sera déboutée de ses demandes en réparation de préjudice formulées à l'encontre de la société Madinina.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés Lokama, Madinina et Karukéra à verser à la société Nestlé la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Nestlé, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure, la société Nestlé sera déboutée de sa demande et condamnée à verser aux sociétés Karukéra et Madinina chacune la somme de 10 000 euros. La société Lokama sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit que la société Nestlé France ne s'est pas rendue coupable d'une rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et débouté les sociétés Madinina Logistique et Karukéra Logistique de leurs demandes à ce titre,
- condamné la société Madinina Logistique à verser à la société Nestlé France la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamné in solidum les sociétés Lokama, Madinina Logistique et Karukéra Logistique à verser à la société Nestlé France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Confirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Nestlé France à verser à la société Karukéra Logistique la somme de 406 534 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie,
Condamne la société Nestlé France à verser à la société Madinina Logistique la somme de 434 249 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie,
Déboute les sociétés Karukéra Logistique et Madinina Logistique du surplus de leur demande au titre du préjudice économique et du préjudice moral liés à la rupture brutale de la relation commerciale établie,
Déboute la société Nestlé France de ses demandes en réparation de préjudices formées contre la société Madinina Logistique,
Condamne la société Nestlé France aux dépens d'appel,
Condamne la société Nestlé France à payer aux sociétés Karukéra Logistique et Madinina Logistique chacune la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.