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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 mai 2021, n° 19/20868

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eurocali (SARL)

Défendeur :

Fibran (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Lyon, du 4 nov. 2019

4 novembre 2019

FAITS ET PROCÉDURE

La société de droit espagnol Fibran est spécialisée dans la fabrication de boyaux artificiels en collagène pour l'industrie de la charcuterie et des salaisons.

La société Eurocali est négociant dans le domaine de la boyauderie et distribue notamment des boyaux artificiels en collagène.

En 2010, la société Eurocali a accepté de distribuer les produits de la société Fibran.

En 2016 la société Eurocali s'est plaint de rencontrer des problèmes de qualité avec les produits livrés par la société Fibran puis des difficultés pour faire enlever les produits non-conformes.

La société Eurocali a décidé de cesser ses paiements auprès de son fournisseur.

La société Fibran a réagi en suspendant toutes les livraisons destinées à la société Eurocali.

Par acte extrajudiciaire du 13 juillet 2018 la société Eurocali a assigné la société Fibran devant le tribunal de commerce de Lyon en dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies et responsabilité contractuelle.

C'est dans ces conditions que par un jugement du 4 novembre 2019, le tribunal de commerce de Lyon a :

Dit que la société Fibran n'est pas responsable d'une rupture brutale des relations commerciales avec la société Eurocali,

Dit que la société Fibran n'a pas manqué à ses obligations contractuelles envers la société Eurocali,

Dit que ce n'est pas à tort que la société Fibran a déclaré la société Eurocali comme débiteur défaillant auprès de son assureur crédit,

Débouté la société Eurocali de l'ensemble de ses demandes,

Condamné la société Eurocali à payer la somme de 5 000 euros à la société Fibran au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejeté la demande d'exécution provisoire du jugement,

Rejeté toutes autres demandes,

Condamné la société Eurocali aux entiers dépens.

Par déclaration au greffe du 12 novembre 2019, la société Eurocali a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 24 décembre 2019 par la société Eurocali, par lesquelles elle demande à la Cour de :

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, Vu l'article L. 442-6 I du code de commerce,

- Déclarer recevable, justifié et bien fondé l'appel interjeté par Eurocali contre le jugement entrepris,

- Réformer le jugement entrepris,

- Dire que la société Fibran a rompu de manière brutale les relations commerciales établies avec la société concluante,

Vu la rupture brutale par la société Fibran des relations commerciales établies avec la société concuante,

Vu les manquements de la société Fibran à ses obligations contractuelles,

Vu le signalement inapproprié de la société concluante à l'assureur crédit de la société Fibran,

- Condamner la société Fibran à payer à la société Eurocali :

- la somme de 113 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- la somme de 19 426 euros en raison du préjudice subi du fait de la perte de marge sur les produits non-conformes,

- les sommes de 5 658 euros au titre des frais de stockage des marchandises reprises seulement en janvier 2018 par la société Fibran, et 1 640 euros au titre des frais de transport de marchandises non conformes,

- la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice d'image de la société concluante lié à de multiples incidents liés à la non-conformité des produits et au stockages de marchandises non conformes dans ses locaux pendant 6 mois,

- la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral lié à la déclaration abusive de débiteur défaillant auprès d'un assureur crédit,

- la somme de 32 960,90 euros, au titre des marchandises Fibran que la société concluante a payées et a en stock, qui ne sont pas vendables, faute de certificat de comestibilité,

Dire que l'ensemble de ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 juillet 2017 avec capitalisation à compter du 17 juillet 2018 conformément à l'article 1343-2 du code civil,

Dire que la société Fibran doit émettre un avoir de 11 124 euros au titre de marchandises non conformes et retournées le 18 janvier 2018,

Condamner la société Fibran à reprendre, à ses frais, sa marchandise stockée chez la société concluante, dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

Condamner la société Fibran à payer à la concluante la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de 1re instance et d'appel, en ce compris les frais de traduction.

Vu les dernières conclusions signifiées le 28 février 2020 par la société Fibran, demandant à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce (rédaction ancienne),

Vu les articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil (rédaction ancienne),

Vu l'ensemble des pièces versées aux débats,

La recevoir en ses écritures et l'en déclarer bien fondée,

En conséquence,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

En tant que de besoin :

Débouter purement et simplement la société Eurocali de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

En toutes hypothèses, en cause d'appel :

Condamner la société Eurocali à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Eurocali aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Les moyens soutenus par la société Eurocali au soutien de son appel ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs exacts que la Cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.

A ces justes motifs, il sera ajouté ce qui suit.

Sur l'existence de manquements contractuels graves de la société Eurocali

Le tribunal ayant considéré que l'annonce d'une suspension des paiements justifiait la rupture brutale des relations établies, la société Eurocali souligne toutefois qu'elle n'a pas mis cette menace à exécution et qu'elle était à jour de ses paiements. La société Fibran ne peut donc pas, selon elle, justifier le défaut de livraison et une rupture des relations par un prétendu défaut de paiement de factures exigibles.

La société Eurocali fait valoir à l'appui de sa demande que la rupture est intervenue :

- sans préavis,

- après des relations commerciales de 6 ans et demi,

- et alors que ces relations étaient en croissance exponentielle.

La société Fibran, pour sa part, fait valoir que la société Eurocali a pris la décision soudaine et illégitime de cesser de remplir ses obligations. Elle considère que la société Eurocali a ainsi manifestement violé la loi et a mis fin au contrat.

Quant au caractère brutal de la rupture, la société Fibran expose que la société Eurocali n'a jamais semblé satisfaite des prestations de son partenaire et n'a pas hésité à le faire ressentir régulièrement tout au long de la relation. Selon la société intimée, l'état des relations dégradées entre les parties ne permet pas d'appliquer L442-6,I, 5° du code de commerce.

Pour ce qui concerne les factures payées par Eurocali pour des livraisons postérieures à la rupture, la société Fibran fait valoir qu'à aucun moment Eurocali n'a indiqué à son cocontractant qu'elle levait sa suspension et qu'elle entendait reprendre le cours des relations.

La société Fibran indique qu'elle aurait procédé à la reprise des livraisons suspendues, dès lors qu'elle aurait eu l'assurance d'en être payée.

Sur ce :

La Cour relève, à la lecture des courriels échangés entre la société Fibran et M. X, directeur général de la société Eurocali, que celui-ci, le 6 juillet 2017, parce qu'il n'acceptait pas d'attendre une réunion programmée pour la fin de ce même mois pour traiter des retours auprès du fournisseur de marchandises non conformes qui avaient été livrées à sa société, a annoncé à son partenaire, après l'avoir menacé de renvoyer ces marchandises par le premier camion venu, qu'il donnait des ordres pour arrêter tout paiement en faveur du fournisseur, jusqu'à la résolution de cette question. M. X a ainsi indiqué que la société Fibran devait à la société Eurocali de l'argent et des explications, faisant valoir que celle-ci devait être débarassée de plus de deux camions de marchandises non conformes qui l'encombraient.

Par retour de courriel, M. Y, directeur général de la société Fibran, a répondu que la réunion du 24 juillet était annulée, qu'en l'état elle acceptait d'une seule des commandes litigieuses (Sodebo), et qu'en raison de la décision de cesser les paiements, toute nouvelle commande de la société Eurocali et toute livraison à celle-ci était suspendue.

Le courriel de M. X est non seulement empreint de mauvaise humeur ainsi que l'admet la société Eurocali, mais il met en oeuvre l'exception d'inexécution contractuelle, ce qui place cette société en situation de devoir démontrer qu'elle était bien fondée à le faire.

Or, la société Eurocali ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que la société Fibran a manqué à ses obligations contractuelles en refusant de déférer à son injonction du 6 juillet 2017, visant un retour sans plus d'attente des marchandises litigieuses, étant observé qu'il n'y a pas de litige en l'espèce sur le périmètre des non-conformités des marchandises livrées.

La société Fibran ayant formellement annoncé la rupture des relations commerciales établies le 6 juillet 2017, la société Eurocali, malgré la réalité des livraisons de marchandises non conformes, échoue néanmoins à rapporter la preuve qu'elle était fondée à exiger ainsi qu'elle l'a fait le retour immédiat des marchandises, peu important que la société Eurocali ait effectué deux paiements de factures contrairement à son annonce et peu important également les manquements de la société Fibran à l'origine des non-conformités des marchandises. La rupture est intervenue non à cause d'un désaccord sur la réalité de ces non-conformités mais à cause d'une exigence de la société Eurocali sans fondement contractuel ou légal établi s'agissant des conséquences de ces non-conformités.

Par conséquent, en essayant d'imposer à la société Fibran des obligations en nature non définies par le contrat ou par la loi quant au traitement des non-conformités, la société Eurocali a tenté de modifier unilatéralement et substantiellemement la relation commerciale établie.

La rupture de cette relation commerciale établie lui est donc imputable.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la société Fibran n'était pas responsable d'une rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Eurocali.

C'est donc à juste raison que les premiers juges ont débouté la société Eurocali de sa demande en dommages-intérêts formée à ce titre.

S'agissant de la demande formée à hauteur de 19 426 euros pour indemnisation du préjudice lié à la perte de marge sur les produits non-conformes, la société Eurocali ne peut valablement soutenir que la société Fibran a émis ou aurait dû émettre des avoirs pour un total de 84 685 euros, que les ventes correspondantes ont été perdues du fait des non-conformités des produits Fibran et qu'après application du taux de marge de 22,94% cela conduit à une marge perdue de 19 426 euros.

En effet, ainsi que l'a exactement relevé le tribunal, les marchandises ont fait l'objet d'un avoir et d'une reprise en nature. Par conséquent la société Eurocali ne peut pas obtenir d'indemnité au titre de la perte de marge dès lors qu'il lui était loisible de se procurer d'autres biens à négocier aux lieu et place de ceux non-conformes.

Malgré les retours de marchandises et les courriels de mécontentement de la société Amand en particulier à l'égard du fournisseur Fibran, il n'est pas démontré que cela ait rejailli sur la réputation de la société Eurocali et le préjudice d'image allégué n'est donc pas démontré.

Les frais de stockage des marchandises reprises allégués à titre de préjudice indemnisable à hauteur de 5 658 euros, ne sont démontrés par aucun élément probant, dès lors qu'il ne résulte pas du calcul opéré par le demandeur, lequel se borne à comparer sa situation avec un coût de stockage au port du Havre sans fournir pour autant les explications suffisantes permettant d'établir la réalité du coût supporté.

Les frais de transport pour les marchandises non-conformes reprises auprès des clients ne résultent pas du document intitulé « Stats couverture géographique des expéditeurs » établi par une société Stef.

Nulle faute ni abus de la société Fibran n'est caractérisé pour avoir fait, auprès d'un assureur de crédit, une déclaration de sinistre concernant l'annonce du refus de paiement de la société Eurocali.

Nulle insuffisance du certificat de comestabilité (pièce n°43) concernant les produits en stock n'étant démontrée, étant observé que la société Eurocali se fonde dans ses conclusions sur une pièce n°49 qu'elle a supprimée de sa production, le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande au titre des prétendus stocks invendables.

S'agissant de l'avoir supplémentaire de 11 124 euros exigé par la société Eurocali, les pièces qu'elle invoque sans analyse et par leur seul numéro de communication :

- 9 (en réalité 9-1 à 9-3), à savoir des courriels,

- 30, à savoir une lettre recommandée de la société Eurocali à la société Fibran, 31, à savoir un constat d'huissier,

- 32, à savoir un courriel dans lequel M. X exige notamment un avoir de 11 124 euros,

- 34, à savoir des courriels,

- 41, à savoir un document intitulé point comptable FIB,

- et 47, à savoir un jeu de factures établies par la société Fibran,

Sont insuffisantes à démontrer l'avoir supplémentaire dont elle se prévaut concernant 90 000 mètres de marchandises, étant observé que par courriel du 5 février 2018, la société Fibran a indiqué qu'elle n'avait jamais accepté de reprendre ces produits le 18 janvier 2018.

La Cour ne dispose pas des éléments permettant de retenir la non-conformité de ces marchandises et la demande ne peut donc pas aboutir.

Il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris doit être entièrement confirmé et que la société Erocali doit être déboutée de toutes ses demandes.

- Sur les frais et dépens

La société Eurocali, qui succombe en ces prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel et, en équité, elle versera à la société Fibran une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Déboute la société Eurocali de toutes ses demandes,

La condamne à payer à la société Fibran une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

La condamne aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.