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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 mai 2021, n° 19/11133

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Les Vidaux (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Marseille, du 7 mai 2019

7 mai 2019

Vu le jugement rendu le 7 mai 2019 par le tribunal de commerce de Marseille qui a :

- débouté la société Les Vidaux de sa demande d'expertise judiciaire,

- constaté qu'il existait une relation commerciale établie entre les parties de mi-2015 à mi-2017,

- dit que la rupture des relations entre les parties n'a pas été brutale mais résulte d'une exception d'inexécution,

- débouté la société X de toutes ses demandes,

- débouté la société Les Vidaux de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

- condamné la société X aux dépens et à payer la somme de 2 000 € à la société Les Vidaux au titre de ses frais irrépétibles ;

Vu l'appel relevé par la société X et ses dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2020 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L 442-6-1 5° et D 442-3 du code de commerce ainsi que de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, de la recevoir en son appel, de réformer le jugement et, statuant à nouveau, de :

- constater la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie par la société Les Vidaux,

- condamner la société Les Vidaux à lui payer la somme totale de 161 872,17 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation, d'une part du préjudice lié à la perte de marge brute pour un montant de 111 872,17 €, d'autre part du préjudice commercial et d'atteinte à sa renommée pour un montant de 50 000 €,

- condamner la société Les Vidaux à prendre livraison des marchandises entreposées dans ses locaux <adresse>, à savoir les stocks de matières sèches, contre paiement de la somme de 77 345,52 € et les stocks tampons de produits finis contre paiement de la somme de 77 633,50 €,

- à défaut de paiement et d'enlèvement dans les 15 jours de la signification de l'arrêt à intervenir, condamner la société Les Vidaux à lui payer la somme de 154 979,02 € au titre des marchandises « Les Vidaux » selon constat de Me R., huisssier, du 22/11/2017, outre les frais de stockage et de destruction à concurrence de 30 000 €,

- débouter la société Les Vidaux de sa demande de dommages-intérêts et de l'ensemble de ses demandes au titre de son appel incident,

- condamner la société Les Vidaux aux dépens et à lui payer la somme de 15 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 10 février 2021 par la société Les Vidaux qui demande à la cour, au visa des articles 10,143, 232, 249, 256, 263, 269 et 771 du code de procédure civile, de l'article 1217 du code civil et de l'article L 442-6-1 du code de commerce, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la rupture des relations entre les parties n'avait pas été brutale mais résultait d'une exception d'inexécution, le réformer sur les autres points et, statuant à nouveau :

- condamner la société X à lui payer la somme de 30 000 € au titre des fautes commises,

- la condamner aux dépens et à lui payer la somme de 10 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

2) à titre subsidiaire, si par extraordinaire sa responsabilité était retenue :

- dire que le calcul du préjudice lié à la rupture de la relation commerciale effectué par la société X est erroné en raison du délai de préavis de 6 mois pris en compte, de la marge brute qui inclut les frais fixes et de la faute commise par celle-ci,

- dire que ce préjudice sera réduit à de plus justes proportions,

- débouter la société X de se demande pour préjudice d'atteinte à son image ;

SUR CE, LA COUR

A la demande de la société Les Vidaux, qui a pour objet le commerce de vins, la société X a réalisé des produits finis sous forme de bouteilles et de 'bag in box' contenant du vin en vrac ; les relations commerciales entre les parties ont débuté le 21 juillet 2015, date de la première commande de la société Les Vidaux, et se sont poursuivies jusqu'en 2017.

Le 6 avril 2018, la société X a fait assigner la société les Vidaux afin d'obtenir des dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie ; contestant cette prétention, la société Les Vidaux a formé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour manquements fautifs de la société X à ses obligations ; le tribunal de commerce de Marseille, par le jugement déféré, a débouté chacune des parties de leurs demandes.

1) Sur les demandes de la société X :

a) Sur la rupture de la relation commerciale :

La société Les Vidaux conteste en premier lieu l'existence de relations établies en faisant valoir que les relations entretenues ne présentaient pas les caractères de durée, d'intensité et de stabilité exigés par la jurisprudence ; elle ajoute qu'aucun contrat n'avait été conclu entre les parties.

Mais il résulte des commandes passées qui ont été exécutées, facturées et payées, que la société Les Vidaux a entretenu des relations commerciales établies avec la société X pendant deux ans de juillet 2015 à mi 2017.

La société Les Vidaux prétend ensuite que l'arrêt des relations est dû à la mauvaise qualité des produits ; elle invoque l'exception d'inexécution, les manquements de la société X étant selon elle suffisament graves pour permettre une résiliation sans préavis ; elle précise, page 11 de ses conclusions, que ces manquements concernent 'les stocks emballage, les stocks produits finis, le respect de la qualité système et des exigences du cahier des charges'.

La société X dénie tous les manquements fautifs qui lui sont imputés.

Il ressort des courriels versés aux débats les éléments suivants :

- le 21 juillet 2015, la société Les Vidaux a passé une première commande sous réserve notamment de la validation des assemblages vrac avant embouteillage, de la validation des emballages physiquement réceptionnés avant embouteillage et de la validation des composants de l'emballage lors des premiers embouteillages ;

- le 5 janvier 2017, la société Les Vidaux a adressé à la société X un fichier relatif à un nouvel habillage pour sa marque, en précisant que toutes les références IGP MED et VAR étaient concernées, sauf celles conditionnées en BIB qui seraient renouvelées à l'identique de 2016 et indiquant, pour la contre étiquette, que le fond et la typographie de la marque étaient modifiés comme sur la nouvelle étiquette de face; elle demandait alors que ce nouvel habillage soit présent dans ses entrepôts rapidement;

- le 9 janvier 2017, la société Les Vidaux a confirmé à la société X les volumes en 2017 sur 10 mois en joignant ses prévisions de négoce ;

- le 3 février 2017, la société X a informé la société Les Vidaux qu'elle ne pouvait pas produire avant la semaine 8 compte tenu de la complexité de l'étiquette qui allongeait les délais de fabrication et lui a rappelé les coûts de cafutage (c'est à dire de la destruction de matériaux devenus inutiles) qu'elle devrait prendre en charge.

- le 6 février 2017 :

La société Les Vidaux s'est plainte d'un retard dans la fabrication des étiquettes IGP et de la rupture de stocks concernant trois de ses références les plus sensibles en écrivant « compte tenu des avertissements passés, dans un premier temps je ne souhaite plus que VCV soit fournisseur des bouteilles de IGP MED ...cette décision prend effet immédiatement de notre côté... »

Elle a encore mentionné : « Pour ce qui concerne le lot d'étiquettes à affûter : nous en prenons note et souhaiterions que soit fait toute la traçabilité sur nos engagements, nous les reprendrons avec vous volontiers : validation des lots de vrac notamment ...Nous sommes à votre disposition pour vous recevoir et en discuter sur la base ses éléments ci-dessus. »

Sous la rubrique Réclamations BIB, la société Les Vidaux a ajouté : « alors que les pantones différenciant les couleurs de BIB ont été validés et qu'ils ont permis de bien distinguer les produits par couleur durant la majorité 2015 et 2016, vous avez fait fabriquer fin décembre 2016 des cartons pour un approvisionnement dans l'urgence (nouvelle rupture) qui n'est parvenu que fin janvier, vous ne les avez jamais contrôlé à réception (ce qui aurait permis de constater le problème), pas de contrôle non plus au conditionnement ni sur le produit fini » ;

Elle a encore reproché à la société X, notamment, de mettre en bouteille des vins qui n'avaient pas été validés par ses services et de ne jamais lui soumettre les produits finis pour validation.

- le 25 avril 2017, la société Les Vidaux a demandé à la société X d'arrêter tout conditionnement de ses produits à compter de ce jour, compte tenu de ses sur-stocks, en précisant qu'elle prendrait contact avec elle dans les prochains jours pour analyser le suivi de production.

Par la suite :

- le 7 mai 2017, la société Les Vidaux a confirmé à la société X ses prévisions pour les prochains mois en IGP VAR BIB par couleur en notant « merci de rajouter 10 % à chacun de ces volumes » et « Compte tenu de ces engagements, il faudra assurer l'agréage de ces lots avant les tirages. Aucune rupture ne sera acceptée sur la base de ces volumes. »

- le 24 mai 2017, la société Les Vidaux a encore écrit à la société X :

« Les prévisions mensuelles que je vous ai donné sont ok voir + 10% si les ventes continuent leurs progessions actuelles ».

L'analyse de ces courriels montre que si la société Les Vidaux a formulé des griefs à l'encontre de la société X le 6 février 2017 et lui a notifié sa décision de cesser la fourniture de vins en bouteille, il est constant qu'elle a ensuite poursuivi ses relations comme établi par ses deux courriels de mai 2017, ce qui montre qu'elle lui gardait sa confiance.

Il apparaît que la rupture entre les parties a été consommée en novembre 2017 comme en témoignent les lettres échangées les 3 novembre et 21 novembre 2017 ; en effet, par lettre du 3 novembre 2017, la société X rappelait à la société Les Vidaux que le 9 janvier 2017, celle-ci lui avait communiqué un planning prévisionnel de ventes de sa gamme à conditionner, qu'elle avait ensuite suspendu les productions pour sur-stock le 25 avril puis en mai revu fortement à la baisse les volumes de vente 2017, que ses changements sur la typographie des étiquettes et l'abandon du format 500 CL en 'bag in box' avaient été réalisés sans que soient pris en compte les stocks de matières sèches devenus obolètes suite à ses décisions commerciales; la société X mettait alors en demeure la société Les Vidaux de retirer les stocks tampon de produits finis et les stocks de matières sèches. Dans sa lettre en réponse du 22 novembre 2017, la société Les Vidaux exposait qu'elle avait cessé les relations d'abord partiellement, puis définitivement en raison des problèmes survenus dans la qualité des produits et des services fournis.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, les manquements dénoncés par la société Les Vidaux ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier une résiliation sans le préavis écrit exigé par l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce.

En l'absence de ce préavis, la responsabilité de la société Les Vidaux est engagée.

b) Sur le préjudice :

- La société X, appelante, prétend qu'un préavis de 6 mois aurait dû lui être accordé ; elle demande la somme de 111 872,17 € au titre d'une perte de marge brute mais calcule son préjudice, non sur cette marge, mais sur la base de son chiffre d'affaires de 2016, soit 951 294 € dont 23,52 % réalisé avec la société Les Vidaux.

La société Les Vidaux fait valoir qu'un préavis de 2 mois aurait été suffisant et que c'est la marge sur coûts variable qui devrait être retenue.

Compte tenu de la durée des relations, soit 2 ans, de la nature de l'activité de la société X, du pourcentage de son chiffre d'affaires avec la société Les Vidaux et du temps nécessaire pour qu'elle puisse se ré-organiser, un préavis de 3 mois aurait dû être respecté ; il n'est produit aucune pièce comptable ni aucun justificatif sur la marge réalisée ; au vu des seuls éléments d'appréciation qui lui sont soumis, la cour fixera le préjudice à la somme de 30 000 €.

- L'appelante ne rapportant pas la preuve de l'existence d'un préjudice commercial, sa demande en paiement de la somme de 50 000 € doit être rejetée.

- Pour s'opposer aux demandes de l'appelante relatives aux stocks de matières sèches et au stocks tampons de produits finis, la société Les Vidaux se borne à soutenir que la non poursuite de la relation étant justifiée, elle n'a pas à supporter les conséquences du stockage de matières sèches et des stocks tampons de produits finis dans les locaux de la société X.

L'appelante verse aux débats l'état des stocks de matières sèches au 31 octobre 2017 et l'état des stocks de produits finis au 31 à la même date ; par constat du 22 novembre 2017, l'huissier de justice qu'elle avait mandaté, a vérifié qu'il y avait une parfaite adéquation entre ces états et ce qui se trouvait sur son site ; la société Les Vidaux ne formule pas la moindre contestation sur les quantité et valeur reprises dans chacun des états.

S'agissant de matières sèches achetées spécialement par la société X pour satisfaire aux prévisions de vente annoncées par la société Les Vidaux pour l'année 2017 et des produits finis constitués par des stocks tampons qu'elle devait constituer, il convient d'ordonner à la société Les Vidaux de les enlever et d'en payer le prix ou, à défaut, de payer les frais de stockage et de destruction d'un montant de 30 000 € en sus de leur prix.

2) Sur la demande de dommages-intérêts de la société Les Vidaux :

La société Les Vidaux ne démontre en aucune manière avoir subi un préjudice en relation de cause à effet avec les manquements fautifs imputés à la société X ; en conséquence, sa demande en paiement de la somme de 30 000 €, à titre de dommages-intérêts, sera rejetée.

3) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

La société Les Vidaux qui succombe doit supporter les dépens.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y lieu d'allouer la somme de 7 000 € à la société X et de débouter la société Les Vidaux de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Les Vidaux de sa demande d'expertise,

- constaté qu'il existait une relation commerciale établie entre les parties de mi-2015 à mi-2017,

- débouté la société Les Vidaux de sa demande de dommages-intérêts,

L'infirme en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau :

Condamne la société Les Vidaux à payer à la société X la somme de 30 000 euros, à titre de dommages-intérêts,

Condamne la société Les Vidaux à enlever dans les entrepôts de la société X, [...] des Maures, les stocks de matières sèches contre paiement de la somme de 77 345,52 euros et les stocks tampons de produits finis contre paiement de la somme de 77 633,50 euros,

Dit qu'à défaut de paiement et d'enlèvement dans les 45 jours de la signification de l'arrêt à intervenir, la société Les Vidaux devra payer à la société X la somme de 154 979,02 euros, outre les frais de stockage et de destruction à concurrence de 30 000 euros,

Condamne la société Les Vidaux aux dépens de première instance et d'appel et à payer la somme de 7 000 euros à la société X par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.