CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 20 mai 2021, n° 20/06269
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gold Impex Agraria (SAS)
Défendeur :
La Flèche (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Lignières
Avocats :
Me Carly, Me Oosterlynck, Me Buret
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Gold Impex Agraria (ci-après « Gold ») a pour activité la production et la commercialisation de produits primeurs à destination de l'ensemble du territoire national.
La société La Flèche est spécialisée dans l'entreposage et la gestion des flux.
Dans le cadre de leurs activités, les sociétés Gold et La Flèche ont noué des relations commerciales à compter de l'année 2000.
Pendant plusieurs années, les parties ont conclu différents contrats de bail pour des surfaces d'entreposage variables sur le site de Cavaillon.
A compter de 2006, les parties ont conclu un premier contrat de prestations logistiques particulièrement complet pour une durée de trois ans à compter du 1er août 2006.
Dans le dernier état de leur relation, les parties étaient liées par un « Contrat de prestations logistiques » en date du 20 août 2009 par lequel la société Gold avait confié à la société La Flèche la réception, l'entreposage, la préparation et le chargement de tout ou partie de ses produits sur une plateforme logistique située à Cavaillon.
Initialement conclu pour une durée de trois ans, ce contrat s'est renouvelé par tacite reconduction pour une nouvelle période de trois ans à compter du 1er septembre 2012.
Par courrier du 20 février 2013, la société La Flèche a informé la société Gold qu'à défaut de remédier dans un délai de 30 jours aux manquements contractuels qu'elle lui reprochait, le contrat qu'elles avaient signé le 20 août 2009 serait résilié pour faute grave le 20 mars suivant.
Par acte du 8 mars 2013, la société Gold a fait assigner en référé la société La Flèche devant le Président du tribunal de commerce d'Avignon aux fins notamment d'obtenir, sous astreinte, la poursuite du contrat jusqu'au 31 août 2015.
Par ordonnance de référé du 9 avril 2013, le Président du tribunal de commerce d'Avignon a constaté la résiliation du contrat et a précisé qu'il appartenait au juge du fond de déterminer l'éventuel préjudice subi par la société Gold.
Par acte du 22 mars 2013, la société Gold a fait assigner la société La Flèche devant le tribunal de commerce d'Avignon en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l'ancien article L.442-6, I, 5° du code de commerce au titre de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies.
Par jugement du 20 décembre 2013, le tribunal de commerce d'Avignon s'est déclaré incompétent et a renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Marseille.
Par jugement du 12 janvier 2015, le tribunal de commerce de Marseille a :
- dit et jugé que la société La Flèche SAS avait rompu brutalement les relations commerciales avec la société Gold Impex lui causant de ce un préjudice direct et certain ;
- condamné la société La Flèche SAS à payer à la société Gold Impex SAS la somme de 15 389,00 euros à titre de dommages et intérêt ainsi que la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Gold Impex SAS à payer à la société La Flèche SAS la somme de 8 073 euros au titre de factures impayées ;
- ordonné la compensation entre les deux condamnations ci-dessus prononcées, à due concurrence des sommes dues ;
- condamné la société La Flèche SAS aux dépens toute taxes comprises de la présente instance ;
- conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile, ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;
- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.
Par déclaration du 27 avril 2016, la société Gold Impex Agraria a interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 30 mars 2017, la cour d'appel de Paris a :
- rectifié le jugement en ce qu'a été omis dans le dispositif la condamnation de la société La Flèche à payer à la société Gold Impex la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- confirmé le jugement en ce qu'il a jugé que la société la société La Flèche a rompu brutalement les relations commerciales avec la société Gold Impex lui causant de ce fait un préjudice direct et certain, en ce qu'il a condamné la société La Flèche à payer à la société Gold Impex la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il a condamné la société La Flèche aux dépens ;
- l'a infirmé pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
-condamné la SAS La Flèche à payer à la SAS Gold Impex, à titre de dommages et intérêts les sommes de :
- dommages et intérêts : 25 409 euros ;
- frais d'installation d'urgence : 23 033 euros ;
Y ajoutant,
- condamné la société La Flèche à payer à la société Gold Impex la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté toutes autres demandes ;
- condamné la société La Flèche aux dépens dont distraction au profit de Me B....
La société Gold Impex Agraria a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt du 29 janvier 2020, la Cour de cassation, au visa de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a condamné la société La Flèche à payer à la société Gold Impex Agraria la somme de 25.409 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 30 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
- remis, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
- condamné la société La Flèche aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure, rejeté sa demande et l'a condamné à payer à la société Gold Impex Agraria la somme de 3 000 euros.
Aux motifs que :
« Pour condamner la société La Flèche à payer à la société Gold la somme de 25 409 euros à titre de dommages- intérêts, après avoir estimé à trois mois la durée du préavis dont cette dernière aurait dû bénéficier, l'arrêt relève que la société Gold verse aux débats divers tableaux et une attestation de son expert-comptable mentionnant une perte de marge commerciale de 101 638,75 euros sur les mois de mars, avril et mai 2013 au regard des mêmes références en 2012 et en déduit que le préjudice subi par la société Gold doit être chiffré à la somme de 25 409 euros, soit « 101 638,75 euros ramené à trois mois de préavis »;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la somme de 101.638,75 euros correspondait à la perte de marge commerciale sur une durée de trois mois, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ».
Par déclaration du 29 janvier 2020, la société Gold Impex Agraria a saisi la cour d'appel de
Paris du renvoi.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 10 août 2020, la société Gold Impex Agraria demande à la cour de :
Vu l'article L. 446-6-I-5° du code de commerce,
Vu les articles 1147 ancien et suivants du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
- débouter la SAS La Flèche de toutes se demandes, fins et conclusions ;
- réformer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 12 janvier 2015 en ce qu'il a :
Condamné la SAS La Flèche à payer à la SAS Gold Impex Agraria la somme de 15 389,90 euros à titre de dommages et intérêts ;
Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
- condamner la SAS La Flèche à payer à la SAS Gold Impex Agraria la somme de 101 638,75 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de marge sur les mois de mars, avril et mai 2013 qu'elle pouvait escompter tirer pendant la durée du préavis qui aurait dû et respectée ;
Y ajoutant,
- condamner la SAS La Flèche à payer à la SAS Gold Impex Agraria une somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 30 juillet 2020, la société La Flèche demande à la cour de :
Vu les articles 1134, 1147 et 1184 du code civil,
Vu l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 29 janvier 2020,
- dire et juger que la société Gold Impex ne démontre pas le montant du gain manqué constituant le préjudice économique qu'elle allègue ;
- dire et juger qu'il n'existe pas de lien direct et certain entre la faute reprochée à la société La Flèche et le préjudice économique avancé par la société Gold Impex ;
En conséquence,
- recevoir la société La Flèche en son appel incident et le dire bien fondé ;
- débouter la société Gold Impex de sa demande en indemnisation d'un préjudice économique ;
A titre subsidiaire sur ce point,
- limiter à la somme de 15 389,90 euros retenue en première instance l'indemnisation allouée à la société Gold Impex ;
- condamner la société Gold Impex à payer à la société La Flèche une indemnité de 4 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Gold Impex au paiement des entiers dépens distraits au profit de Maître A... sur ses offres de droit.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 janvier 2021.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
A titre liminaire, il convient de relever que la présente cour de renvoi après cassation n'est saisie que sur le montant des dommages et intérêts en indemnisation de la rupture brutale qui a été fixé en appel à la somme de 25 409 euros en prenant en compte un préavis de 3 mois correspondant aux mois de mars, avril et mai 2013.
Ce délai de préavis de 3 mois retenu par les juges du fond ne peut plus être discuté, contrairement au calcul du gain manqué subi par la société Gold du fait de la brutalité de la rupture initiée par la société La Flèche.
Sur le calcul du gain manqué par la société Gold Impex Agraria
La société La Flèche critique les tableaux de bord comptables produits par la société Gold en ce qu'ils seraient non contradictoires, peu lisibles et difficilement exploitables. Elle soutient en outre que la période de référence pour le calcul de la marge moyenne devrait être celle du 21 mars au 1er juin 2013 soit celle correspondant aux deux mois et 10 jours avant la rupture. Elle ajoute que la perte commerciale retenue au ....
La société Gold réplique que la baisse de marge au cours des mois de mars, avril, mai 2013 est spectaculaire par rapport à la même période de l'année précédente et que son activité à cette période a été très perturbée du fait qu'elle a dû changer de site de stockage à la suite de la rupture décidée par la société La Flèche intervenue dès le 1er mars 2013, l'entrepôt qui était mis à sa disposition ayant été entièrement vidé comme le prouve le constat d'huissier de justice établi à cette date.
Sur ce,
Il convient de rappeler que l'on ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même.
Le préjudice, en l'espèce, sera équivalent au gain manqué sur l'activité de la société Gold avec la société La Flèche pour la période du préavis de 3 mois qui aurait dû lui être accordé à compter de la rupture effective intervenue au 1er mars 2013 comme l'établit le procès-verbal de constat d'huissier de justice (pièce 12 de la société Gold) en indiquant que ce jour-là l'entrepôt réfrigéré de la société La Flèche qui était dédié aux marchandises de la société Gold était vide et que les marchandises de la société Gold avaient été déplacées hors de cet entrepôt sans que cette dernière en ait été informée.
S'agissant d'une activité portant sur des produits primeurs, il est logique de comparer les résultats comptables sur une même saison avec l'année précédant la rupture, soit en l'espèce ceux des mois de mars, avril et mai de l'année 2012 et ceux de l'année 2013.
La fixation de la perte de marge commerciale mensuelle par comparaison entre l'année 2012 et celle de 2013 telle qu'attestée par l'expert-comptable de la société Gold (pièce 20 de la société Gold) s'appuie sur les tableaux de bord comptables versés aux débats en pièce 19.
Au vu de ces pièces comptables pertinentes, le préjudice dû au gain manqué sera fixé comme suit :
- perte de 52.657,13 euros en comparant les bénéfices de mars 2012 à ceux de mars 2013,
- perte de 25.128,03 euros en comparant les bénéfices d’avril 2012 à ceux d’avril 2013,
- perte de 23.853,59 euros en comparant les bénéfices de mai 2012 à ceux de mai 2013,
Soit un total, sur les 3 mois de préavis dont aurait dû bénéficier la société Gold, de 101 638,75 euros, somme à laquelle la société La Flèche sera condamnée au titre du gain manqué subi par la société Gold du fait de la brutalité de la rupture de leur relation commerciale.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur les frais de la présente instance
La société La Flèche qui succombe dans la présente instance en supportera les dépens et participera aux frais irrépétibles engagés par la société Gold dans la présente instance à hauteur de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Dans la limite de la cassation,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société La Flèche à payer à la société Gold Impex Agraria la somme de 15 389,90 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales,
Statuant à nouveau de ce chef,
CONDAMNE la société La Flèche à payer à la société Gold Impex Agraria la somme de 101 638,75 euros de dommages et intérêts au titre du gain manqué subi du fait de la brutalité de la rupture,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société La Flèche à payer à la société Gold Impex Agraria la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de la présente instance,
CONDAMNE la société La Flèche aux dépens.