CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 mai 2021, n° 15/01031
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Continental France (SNC)
Défendeur :
Motos Accessoires Delta Bike (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
La société Motos Accessoires Delta Bike (ci-après « la société MAD »), ayant une activité de grossiste en accessoires motos, a conclu le 4 mai 1999 un contrat intitulé « Distributor Agreement » de distribution de pneus et chambres à air de motos et scooters, avec la société Continental AG.
Aux termes de ce contrat, la société MAD s'est engagée, pour l'essentiel, à s'approvisionner en pneus et chambres à air pour motos et scooter de marque Continental ou Conti exclusivement auprès de la société Continental AG (article 3.8), celle-ci s'engageant à réserver lesdits produits à la société MAD (article 4.1) sur le territoire français, sous réserve des dispositions de l'article 4.2.
Courant septembre 2010, la société Continental AG a informé la société MAD de sa décision de confier la commercialisation de ses pneumatiques pour véhicules deux roues sur le territoire français à sa filiale Continental France.
A compter du 1er janvier 2011, la société MAD a commencé à s'approvisionner auprès de la société Continental France.
Par jugement du 23 août 2012, la société MAD a bénéficié d'une procédure de redressement judiciaire, avec la désignation de Me De C. comme mandataire judiciaire et Me A. comme administrateur judiciaire.
Par acte du 4 janvier 2013, la société MAD, Me A. et Me De C., respectivement en qualité d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société MAD, ont assigné la société Continental France devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, sollicitant au visa des articles L. 622-13 du code de commerce et 1137 du code civil, la condamnation de la société Continental France à lui payer les sommes de 1 400 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale du contrat de distribution et de 806 000 euros en réparation de la violation de la clause d'exclusivité territoriale du contrat de distribution du 4 mai 1999.
Par jugement du 17 décembre 2014, le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a :
Condamné la société Continental France à payer à la société Motos Accessoires Delta Bike la somme forfaitaire de 497 640 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale du contrat de distribution,
Débouté la société Motos Accessoires Delta Bike de toutes ces autres demandes, fins et conclusions,
Condamné la société Continental France à payer à la société Motos Accessoires Delta Bike une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens de l'instance, qui comprennent notamment le coût des frais de greffe à la somme de 116,61 euros,
Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
La société Continental France a interjeté appel du jugement devant la cour d'appel de Paris par déclaration au greffe du 14 janvier 2015.
La société Continental France a interjeté appel du jugement également devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence par déclaration au greffe du 25 février 2015, qui a été déclaré irrecevable par ordonnance du 3 avril 2018.
Par arrêt du 6 mars 2019, la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du 2 mars 2018 déclarant l'appel de la société Continental France devant la cour d'appel de Paris recevable et renvoyé l'affaire devant le conseiller de la mise en état, au motif notamment que l'appel a été interjeté le 14 janvier 2015, soit sous l'empire de la règle selon laquelle la cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Par arrêt du 21 mai 2019, le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a prononcé la liquidation judiciaire de la société Motos accessoires delta Bike et désigné Me De C. en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte du 5 juin 2019 délivré à personne, la société Continental France a assigné Me De C. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société MAD en reprise de la présente instance.
Aux termes des dernières conclusions, déposées le 6 juin 2019 et signifiées le 13 juin 2019, la société Continental France demande à la Cour de :
A titre principal :
- Dire et juger que le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a excédé ses pouvoirs en statuant sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce alors en vigueur ;
En conséquence,
- Annuler le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence le 17 décembre 2014 ;
A titre subsidiaire :
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En tout état de cause :
- Dire et juger que la suppression, de la clause d'exclusivité dont bénéficiait la SAS Motos accessoires Delta Bike, selon les termes du contrat de distribution du 4 mai 1999, n'est constitutive ni d'une faute contractuelle, ni d'une faute délictuelle,
- Dire et juger que la suppression de la clause d'exclusivité ne s'assimilant pas à une rupture partielle des relations commerciales, aucun préavis n'était dû à la SAS Motos accessoires Delta Bike,
- Annuler en conséquence, la condamnation de la SNC Continental France à payer la somme forfaitaire de 497 640 euros à titre de dommages intérêts,
- Condamner la SAS Motos accessoires Delta Bike à rembourser à la SNC Continental France la somme forfaitaire de 497 460 euros augmentée des intérêts légaux,
- Constater la créance de la SNC Continental France et la fixer au passif de la SAS Motos accessoires Delta Bike à la somme de 497 640 euros,
- Condamner la SAS Motos accessoires Delta Bike à 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la SAS Motos accessoires Delta Bike aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP AFG conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Aux termes des dernières conclusions, déposées et notifiées, le 28 juillet 2017, la société SAS Motos accessoires Delta Bike, Me A. et Me De C. en leur qualité de commissaire à l'exécution du plan et mandataire judiciaire, demandent à la Cour de :
Déclarer irrecevable l'appel formalisé par la société Continental France devant la Cour d'appel de Paris.
Subsidiairement,
Donner acte à la concluante de ce qu'elle s'en rapporte à Justice sur la validité du jugement déféré
En cas d'annulation, statuer sur le fond et faire droit aux demandes ci-dessous :
- Confirmer le jugement du 17 décembre 2014 en ce qu'il a jugé que la société Continental France avait violé la clause d'exclusivité qui liait les parties,
- Y ajoutant, dire et juger que la vente de ses produits par Continental France à des distributeurs concurrents de la société MAD constitue une exécution déloyale du contrat,
- Réformer le jugement sur les conséquences de cette violation,
- Condamner la société Continental France à réparer le préjudice subi du fait de la société MAD du fait de la violation de la clause d'exclusivité pendant le cours du contrat et lui allouer à cet effet une indemnité de 513 859 euros,
- Subsidiairement sur ce poste, confirmer le jugement en ce qu'il a fixé ladite indemnité à 497 640 euros,
- Dire et juger que la violation de la clause d'exclusivité constitue une résiliation du contrat du fait de la société Continental France,
- Condamner la société Continental à payer à la société MAD une indemnité de 188 515 euros pour non-respect du préavis contractuel,
- La condamner à une indemnité de 1 379 018 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale du contrat de distribution,
- Condamner la société Continental à une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- La condamner aux dépenses eux d'appel distraits au profit de la SCP H.-Tubiana, avocats au barreau de Paris.
L'ordonnance de clôture a été reportée au 18 juin 2019, puis révoquée par ordonnance du 4 septembre 2019, aux motifs notamment de la réception de l'assignation en intervention forcée du liquidateur postérieurement à la clôture.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 9 février 2021.
A l'audience des plaidoiries du 10 mars 2021, l'affaire a été renvoyée une constitution et des conclusions ayant déposées et notifiées après l'ouverture des débats, pour Me de C. en sa qualité de liquidateur judiciaire.
Par de nouvelles conclusions déposées et notifiées le 16 mars 2021 par RPVA, Me De C. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société MAD, la société MAD, et Me A. en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan, demandent à la Cour de :
Dire et juger que la liquidation judiciaire de la société MAD intervenue par jugement du 21 mai 2019 constitue une cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture.
Subsidiairement,
Donner acte à la société MAD agissant par son liquidateur de ce qu'elle s'en rapporte à Justice sur la validité du jugement déféré,
En cas d'annulation, statuer sur le fond et faire droit aux demandes ci-dessous :
- Confirmer le jugement du 17 décembre 2014 en ce qu'il a jugé que la société Continental France avait violé la clause d'exclusivité qui liait les parties,
- Y ajoutant, dire et juger que la vente de ses produits par Continental france à des distributeurs concurrents de la société MAD constitue une exécution déloyale du contrat,
- Réformer le jugement sur les conséquences de cette violation,
- Condamner la société Continental France à réparer le préjudice subi du fait de la société MAD du fait de la violation de la clause d'exclusivité pendant le cours du contrat et lui allouer à cet effet une indemnité de 513 859 euros,
- Subsidiairement sur ce poste, confirmer le jugement en ce qu'il a fixé ladite indemnité à 497 640 euros,
- Dire et juger que la violation de la clause d'exclusivité constitue une résiliation du contrat du fait de la société Continental France,
- Condamner la société Continental à payer à la société MAD une indemnité de 188 515 euros pour non-respect du préavis contractuel,
- La condamner à une indemnité de 1 379 018 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale du contrat de distribution,
- Condamner la société Continental à une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- La condamner aux dépenses d'appel distraits au profit de la SCP H.-Tubiana, avocats au barreau de Paris.
A l'audience du 17 mars 2021, l'affaire a été mise en délibéré.
SUR CE, LA COUR
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture
Me De C. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société MAD demande à la Cour la révocation de l'ordonnance clôture. Il fait valoir que du fait de la liquidation judiciaire de la société MAD, le dossier initialement fixé à l'audience du 4 septembre 2019 a fait l'objet d'un report avec rabat d'ordonnance de clôture et qu'il est apparu à l'audience du 10 mars 2021 que la constitution au nom du liquidateur n'avait pas été régularisée et que ses conclusions n'avaient pas été signifiées par erreur malgré confirmation de son avocat postulant. Il est soutenu que si la procédure était maintenue sans révocation de l'ordonnance de clôture, les droits de la défense seraient gravement compromis, alors que la position du liquidateur est identique à de la société MAD dans ses conclusions initiales.
Il résulte de la procédure que Me De C. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société MAD a été régulièrement assigné par la société Continental France en reprise d'instance par acte du 5 juin 2019 à la suite du jugement de liquidation judiciaire du 21 mai 2019 et que jusqu'à l'ordonnance de clôture reportée du 4 septembre 2019 au 9 février 2021, il n'a pas constitué avocat ni déposé de conclusion.
La constitution d'avocat postérieurement à l'ordonnance de clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation, et il n'est justifié d'aucune cause grave depuis qu'elle a été rendue le 9 février 2021 au sens des dispositions de l'article 803 du code de procédure civile.
Dès lors les conclusions, déposées les 10 et 16 mars 2021, postérieurement à l'ordonnance de clôture au nom de Me De C. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société MAD sont irrecevables.
Sur la nullité du jugement du 17 décembre 2014 du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence
La société Continental France relève qu'en application des articles L. 442-6, III et D. 442-3 du code de commerce et de l'annexe 4-2-1 que seul le tribunal de Marseille avait compétence pour statuer sur le litige portant sur l'application de l'article L. 442-6, et que le jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en condamnant la société Continental France au paiement d'une somme sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° a outrepassé ses pouvoirs, et encourt la nullité.
Il est constant que le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, juridiction non spécialement désignée par les articles L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce dans leur version applicable au litige, sur demandes formées par la société MAD pour rupture brutale du contrat de distribution, a statué en invoquant les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et condamné la société Continental France à payer à la société MAD la somme de 497 640 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale du contrat de distribution.
Les premiers juges, ayant excédé leurs pouvoirs, le jugement encourt la nullité.
En cas d'annulation, la Cour saisie de l'entier litige doit donc statuer sur le fond en application de l'article 562 alinéa du code de procédure civile.
Sur les demandes de la société MAD
Les demandes formulées aux termes des dernières conclusions, déposées et notifiées, le 28 juillet 2017, de la société SAS Motos accessoires Delta Bike, Me A. et Me De C. en leur qualité de commissaire à l'exécution du plan et mandataire judiciaire, sont irrecevables pour défaut de qualité à agir, la société MAD ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du 21 mai 2019 avec la désignation de Me De C. en qualité de liquidateur judiciaire et dont les conclusions de reprises d'instance ont été déclarées irrecevables.
Sur les demandes de la société Continental France
La société Continental France, en conséquence de l'annulation de sa condamnation à payer la somme forfaitaire de 497 640 euros de dommages-intérêts à la société MAD, demande la condamnation de cette dernière à la rembourser de cette somme augmentée des intérêts légaux et de fixer cette créance au passif de la liquidation judiciaire.
Il n'y a pas lieu de faire droit à ces demandes, dès lors que le présent arrêt constitue un titre de restitution des fonds versés en application des dispositions du jugement annulé assorti de l'exécution provisoire, assortis des intérêts au taux légal à compter de sa signification.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le sens de l'arrêt conduit à partager les dépens par moitié entre la société Continental France et la société MAD représentée par son liquidateur judiciaire.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 9 février 2021,
Déclare irrecevable les conclusions déposées pour Me De C. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Motos Accessoires Delta Bike,
Prononce la nullité du jugement du 17 décembre 2014 du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence,
Déclare irrecevable les demandes formulées à l'encontre de la société Continental France par la société SAS Motos Accessoires Delta Bike, Me A. et Me De C. en leur qualité de commissaire à l'exécution du plan et mandataire judiciaire,
Dit que le présent arrêt constitue un titre de restitution des fonds versés en application des dispositions du jugement annulé assorti de l'exécution provisoire, assortis des intérêts au taux légal à compter de sa signification,
Partage les dépens par moitié entre la société Continental France et la société MAD représentée par son liquidateur judiciaire,
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.