CA Grenoble, ch. com., 12 septembre 2002, n° 01/00728
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Clanet (ès qual.), Fromagerie de Sainte Colombe (SA), Saint-Pierre (ès qual.)
Défendeur :
Etoile du Vercors (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Uran
Conseillers :
M. Bernaud, Mme Crutcher
Avocats :
Me Christiaën, SCP Calas, Me Greffe
FAITS ET PROCEDURE
La SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE, en invoquant, notamment, le dépôt a l’INPI sous le N° 967045 du 9 décembre 1996 de deux modèles de coupelle servant à emballer et présenter ses fromages, un procès-verbal de constat du 29 septembre 1999 et une saisie du 6 décembre suivant, reproche à la SA ETOILE DU VERCORS de reproduire ou imiter les coupelles en question pour I ‘emballage de ses produits "SAINT FELICIEN TRADITION", "RECORD ETOILE", SAINT MARCELLIN SELECTION".
La SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE a ainsi attrait la SA ETOILE DU VERCORS devant la juridiction commerciale pour obtenir, notamment, la condamnation de cette dernière a dommages et intérêts, sur le fondement, a titre principal, de la contrefaçon, et, subsidiairement, pour concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement en date du 20 novembre 2000, le Tribunal de Commerce de GRENOBLE a :
- rejeté comme mal fondées, les actions en contrefaçon ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire intentées par la SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE,
- prononce la nullité du dépôt des modèles de coupelles a IINPI,
- condamne la SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE à verser à la SA ETOILE DU VERCORS la somme de 10 000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE, Me CLANET, es qualités de Représentant des créanciers, et Me REMI ST PIERRE, qui ont interjeté appel dudit jugement, par dernières conclusions en date du 18 décembre 2001, sollicitent, par réformation, la constatation de la validité des modèles N°s 967045 en raison de leur nouveauté et de leur originalité, la constatation de ce que la SA ETOILE DU VERCORS commercialise ses produits en imitant ou reproduisant quasi-servilement les modèles N°s 967045, et la condamnation en conséquence de la SA ETOILE DU VERCORS à leur verser la somme de 1 822 937,78 Euros (11 957 688 F) en réparation du préjudice de la société, outre celle de 38 112,25 Euros (250 000 F) par application de I ‘article 700 du NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE.
Subsidiairement, ils sollicitent qu'il soit fait interdiction à la SA ETOILE DU VERCORS de commercialiser ses fromages dans une coupelle en terre duite ou de couleurs identiques à celles commercialisées par la SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE.
La SA ETOILE DU VERCORS, par dernières écritures récapitulatives en date du 7 janvier 2002, demande la confirmation du jugement déféré, parce que les modèles déposés N°s 967045 sont à la fois antériorisés et banals, parce que le fait d'utiliser un conditionnement du domaine public ne constitue pas une création au sens du Code de la Propriété Intellectuelle, non plus que de donner à un objet une nouvelle destination, et parce qu'aucun fait de concurrence déloyale ou parasitaire ne peut lui être imputé.
Reconventionnellement, et par reformation, elle demande la condamnation de I ‘appelante à lui verser les sommes de 150 000 Euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et de 9 000 Euros par application sur le fondement de I ‘article 700 du NCPC, outre la publication de l’arrêt à intervenir.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°) Sur la protection des modèles invoquée par les appelants
Attendu que les appelants invoquent la protection des deux modèles déposés a l'INPI le 9 décembre 1996 (N° 967045), sous ('appellation "emballage pour fromage" et décrits ainsi qu'il suit : "coupelle ronde en terre culte, légèrement bombée avec rebords assez large, dégradé de couleurs allant du noir au marron" ;
Attendu que le bien-fondé de l’action en contrefaçon sur les dispositions des livres Ier et V du C.P.I. suppose la preuve de ce que, comme le prétendent les appelants, l’association d'une coupelle et d'un fromage constitue, dans son ensemble, une création nouvelle et originale ;
Attendu, en ce qui concerne les coupelles seules :
- d'une part, qu'il n'est pas contesté qu'elles sont fabriquées en ESPAGNE par l’entreprise ARCILLAS DE BREDA, et le dépliant publicitaire de cette entreprise montre et précise que depuis 1982 celle-ci fabrique des coupelles en céramique de toutes grandeurs, de toutes formes et de toutes couleurs, destinées à l’emballage de produits alimentaires,
- d'autre part, que l’intimée justifie a son dossier que le modèle référence 073 par le fabriquant, utilisé par la SA ETOILE DU VERCORS est vendu depuis 1993 (cf. le tarif pièce N° 22) et cette dernière produit plusieurs copies de factures concernant ce même modèle 073 remontant à octobre 1994, mars 1995 et novembre 1995, (cf. les pièces N°16), donc toutes antérieures au dépôt revendique par les appelantes, la Cour relevant, d'ailleurs, que le modèle référencé 027 utilisé par la SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE est, lui, vendu depuis au moins le 13/12/1996 ;
Attendu qu'ainsi, comme l’ont relevé les premiers luges, la création de ces coupelles est bien antérieure au dépôt du 9 décembre 1996, d'autant que, dans une publicité, I ‘appelante elle-même relate qu'elles étaient déjà utilisées au siècle dernier pour les fromages (puisque la publicité en question, qui évoque "les jattes" présente quatre coupelles avec un fromage à l’intérieur), car elles permettent "un affinage de grande qualité" ;
Attendu que la production par les appelantes des plans (M 573 et M 574) de coupelles, ainsi qu'une "étude de coupelle sur poste DAO 3D" en date du 24 octobre 1996 (pour le prix de 1 435,14 F) n'enlève rien au fait que les coupelles visées par ces documents sont identiques (en taille, forme, matière et couleur) a celles tombées depuis longtemps dans le domaine public, même si certaines d'entre elles ne présentent pas des bords mais des bourrelets, élément de détail qui n'est pas de nature à leur conférer la moindre "forme plastique nouvelle" ;
Attendu, en ce qui concerne ('ensemble coupelle-fromage ayant fait I ‘objet du dépôt du 9 décembre 1996, qu'il ne s'agit pas d'une création nouvelle non plus :
- d'une part, car depuis de nombreuses années des pièces en céramique servant d'emballage pour des produits alimentaires : la société ARCILLAS DE BREDA relate dans sa publicité qu'elle fabrique depuis 1982 des pièces en céramique destinées à l'emballage de produits alimentaires, et l’intimée produit divers dépliants publicitaires, dates de 1977, 1990 et 1995, montrant des glaces, des produits laitiers, des crèmes brulées et des mousses au chocolat, a l’intérieur de coupelles en céramique de diverses grandeurs, en sorte que ['utilisation de ces mêmes emballages pour contenir des fromages, même avec une ou des couleurs différentes, n'est que l’idée, insusceptible de protection, consistent à donner une destination nouvelle a un modèle connu,
- d'autre part, parce que la forme donnée aux récipients, a pour but essentiel de s'adapter à la forme arrondie des fromages, en sorte qu'aucune créativité ne peut être attribuée à l’ensemble ;
Attendu, en conséquence, qu'en ('absence de démonstration d'actes de contrefaçon, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté la SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE de sa demande de ce chef formée a l’encontre de la SA ETOILE DU VERCORS, de même en ce qu'il a prononcé la nullité du dépôt a 1'INPI du 9 décembre 1996 sous le N° 967045, les modèles concernés étant dépourvus de tout caractère de nouveauté ;
2°) Sur la concurrence déloyale et parasitaire invoquée par la SA FROMAGERIE DE SAINTS COLOMBE
Attendu que la SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE reproche a la SA ETOILE DU VERCORS de pratiquer des prix plus bas que les siens pour des produits similaires, dans le but de capter sa clientèle, mais ne produit aucun élément de comparaison concernant les ventes par les grands distributeurs (CARREFOUR, GEANT CASINO, INTERMARCHE), ou alors produit un élément de comparaison (cf. le P.V. de constat du 21 septembre 2001) provenant d'un distributeur à PARIS, libre de pratiquer sa marge en fonction des produits ;
Attendu que l’appelante ne justifie pas avoir procédé a des investissements uniquement destinés a protéger ses produits de la concurrence, étant par ailleurs constant que si elle produit des fromages "St Félicien" et "St Marcellin", elle n'est pas la première ni la seule à produire ce genre de fromage, et l’intimée non plus d'ailleurs, et les premiers Juges ont relevé à bon droit que, même si l’emballage et la présentation des produits sont similaires pour chacune des parties, la différence résulte de l’étiquette bien différente pour l’une et l’autre ;
Attendu, en conséquence, que l’appelante, qui ne justifie aucune acte de concurrence déloyale ou parasitaire a rencontre de (à SA ETOILE DU VERCORS -même si, comme elle en avait le droit cette dernière a introduit ses fromages sur le marché après l’appelante- sera déboutée de toutes ses demandes d'indemnisation, par confirmation du jugement déféré, de même qu'elle le sera également de celle tendant à faire interdire à la SA ETOILE DU VERCORS de fabriquer et commercialiser les produits en litige ;
Attendu que la SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE, qui est déboutée de ses demandes principales, le sera également de celle au titre de l’article 700 du NCPC, de même qu'elle devra supporter les dépens d'appel ;
Attendu que la SA ETOILE DU VERCORS, qui ne justifie pas du préjudice que lui aurait cause ni la présente procédure ni le dépôt injustifié des modèles par l’appelante, ni les saisies-contrefaçon qu'elle a fait pratiquer, sera déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts, également par confirmation de la décision déférée ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SA ETOILE DU VERCORS la totalité des frais irrépétibles de Justice, en sorte que, outre la somme déjà allouée à ce titre par la décision déféré, sera condamne à lui verser celle de 3 500 Euros sur le fondement de l’article 700 du NCPC en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR.
Statuant publiquement et contradictoirement, Apres en avoir délibéré conformément à la loi,
DECLARE les appels recevables en la forme.
Au fond,
CONFIRMS en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 novembre 2000 par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE,
Y RAJOUTANT,
DIT que la somme de 3 500 Euros sera prise en compte au passif de la procédure collective de la SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE au titre de la créance de la SA ETOILE DU VERCORS par application de l’article 700 du NCPC en cause d'appel,
MET les dépens d'appel en frais de privilégiés de la procédure collective de la SA FROMAGERIE DE SAINTE COLOMBE.
PRONONCE publiquement par Monsieur URAN, Président, qui a signé avec Madame PELISSON, Greffier.