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Décisions

CA Paris, 4e ch., 18 janvier 1995, n° 93-004067

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hattori (SA)

Défendeur :

Le Petit-Fils de LU Chopard France (sté), Le Petit-Fils de LU Chopard & Cie Genève (sté), VIP Jewelery Ltd Part (sté)

T. com. Paris, du 16 déc. 1992

16 décembre 1992

FAITS ET PROCEDURE

La société de droit suisse LE PETIT-FILS DE L.U. CHOPARD & CIE S.A. dite "C GENEVE" qui exerce ses activités dans le domaine de la Haute Joaillerie et de l'horlogerie, exploite et fait exploiter ses modèles dans le monde entier, et notamment, en FRANCE par la société LE PETIT-FILS DE L.U. CHOPARD FRANCE dite "CHOPARD FRANCE".

Constatant, au mois de janvier 1992, que la société HATTORI, qui exploite une bijouterie sous l'enseigne "SEIKO CENTER" [...], offrait à la vente des créations "Coeur" et "Clown" contrefaisant leurs propres modèles, objet du dépôt international n DM/006 052 du 4 novembre 1985 visant expressément la FRANCE, les sociétés CHOPARD, dûment autorisées, ont fait procéder, le 27 janvier 1992, à la saisie contrefaçon de ceux-ci.

A la suite de ces opérations, les sociétés CHOPARD GENEVE et CHOPARD FRANCE ont assigné devant le Tribunal de Commerce de Paris la société HATTORI et la société thaïlandaise VIP JEWELLERY LTD PART auprès de laquelle cette dernière s'est approvisionnée, pour voir constater, sur le fondement de l'article 10 de la Loi du 14 juillet 1909, la contrefaçon alléguée et demander réparation de leur préjudice.

Déclarant les sociétés CHOPARD GENEVE et CHOPARD FRANCE bien fondées à se prévaloir à l'encontre des sus nommées des dispositions de la loi 1909 et constatant la réalité de la contrefaçon, le Tribunal de Commerce a, par jugement du 16 décembre 1992 :

- Ordonné la confiscation des bijoux saisis ;

- condamné in solidum la société HATTORI et la société VIP JEWELLERY LTD PART à payer :

. à la société CHOPARD GENEVE la somme de 200.000 francs avec intérêts au taux légal à compter du premier jour du mois qui suivra signification du jugement en réparation de l'atteinte portée à la valeur patrimoniale de ses modèles ;

. à la société CHOPARD GENEVE la somme de 50.000 francs avec intérêts au taux légal à compter du premier jour du mois qui suivra signification du jugement en réparation de la stérilisation de ses investissements publicitaires ;

- ordonné la publication de la décision dans deux journaux ou revues à concurrence de 15.000 francs par insertion aux frais des défenderesses ;

- condamné ces dernières à payer à la société CHOPARD GENEVE la somme de 25.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- débouté les sociétés CHOPARD GENEVE et CHOPARD FRANCE de leurs autres demandes, notamment celles formées à titre de dommages-intérêts par la société CHOPARD FRANCE à défaut, pour celle-ci, de rapporter la preuve de son préjudice.

La société HATTORI a interjeté appel de cette décision.

Par actes des 2 juin et 27 août 1993, elle a fait assigner et réassigner, par la voie diplomatique, la société VIP JEWELLERY LTD PART sise en Thaïlande.

Les Attestations délivrées par l'Ambassade de France ne permettant pas d'établir que la signification de ces actes soit intervenue dans des conditions régulières, et la preuve de la remise de ceux-ci à la destinataire n'étant pas rapportée, la COUR estime n'être pas valablement saisie en ce qui le concerne.

Au soutient de son appel la société HATTORI fait essentiellement valoir :

- que l'action en contrefaçon entreprise par les sociétés CHOPARD, en ce qu'elle tend à la protection d'un "concept" (celui de diamants librement enchâssés dans un bijou), non susceptible au regard du droit français d'une quelconque protection, n'est pas fondée ;

- que les modèles "coeur" et "clown", amplement antériorisés, sont dépourvus de toute originalité et ne sauraient, comme tels, faire l'objet d'une appropriation quelconque ;

- que les sociétés CHOPARD ne rapportent pas la preuve du préjudice qu'elles invoquent ni d'une atteinte quelconque à leur image de marque ;

- qu'en sa qualité de simple revendeur de bonne foi et n'ayant commis aucune faute, elle doit être mise hors de cause.

Sollicitant, à titre subsidiaire, la garantie intégrale de la société VIP JEWELLERY LTD PART, son fournisseur, la société HATTORI conclut à l'infirmation de la décision entreprise et réclame paiement d'une somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Les sociétés CHOPARD GENEVE et CHOPARD FRANCE, prétendant rechercher la protection de modèles bien déterminés et non d'un "concept", contestent, comme non pertinentes, les antériorités invoquées par l'adversaire pour conclure, pour l'essentiel, à la confirmation de la décision dont appel, sollicitant toutefois, par voie d'appel incident :

- la condamnation in solidum de la société HATTORI et de la société VIP JEWELLERY LTD PART à payer :

. à la société CHOPARD GENEVE la somme de 900.000 francs en réparation de l'atteinte portée à la valeur patrimoniale des modèles dont elle est propriétaire ;

. à la société CHOPARD FRANCE la somme de 1.000.000 francs en réparation de son préjudice commercial résultant de la perte partielle de marché ;

. aux sociétés CHOPARD GENEVE et CHOPARD FRANCE la somme de 700.000 francs en réparation du préjudice résultant de la stérilisation des investissements publicitaires réalisés ;

- l'interdiction, sous astreinte, d'importer en FRANCE ou d'exporter à destination de la FRANCE, de détenir à quelque titre que ce soit, de faire usage sous quelque forme que ce soit, d'offrir en vente et/ou de vendre de tels articles ;

- la publication de l'arrêt à intervenir dans dix journaux ou revues, français ou étrangers, au choix des sociétés CHOPARD et aux frais in solidum des défenderesses à concurrence de 30.000 francs par insertion.

Elles réclament enfin paiement de la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

DECISION

Considérant qu'à défaut pour les parties de justifier d'assignations régulièrement délivrées à la société VIP JEWELLERY LTD PART, la COUR estime n'être pas valablement saisie en ce qui la concerne ;

Que toutes les demandes formées à l'encontre de cette dernière, que ce soit à titre de condamnation pour les sociétés CHOPARD, ou à titre de garantie, pour la société HATTORI, sont en conséquence irrecevables ;

I - SUR LA PRETENDUE REVENDICATION D'UN "CONCEPT" ET LA VALIDITE DES MODELES INVOQUES

Considérant que contrairement à ce que prétend la société HATTORI, les sociétés CHOPARD ne revendiquent nullement la protection du "concept" que constituerait l'enchâssement, dans un bijou, de diamants libres, que Bernard S, qui en serait le créateur, définit en ces termes : "Les pierres précieuses sont libérées de leur entrave et jouent au rythme de la vie par la complicité du verre saphir monté en pendentif, bague ou boucles d'oreille", mais qu'elles revendiquent la protection afférente aux modèles spécifiques déposés à l'O.M.P.I., le 4 novembre 1985, sous le N DM/006 052, visant la France, publiés au Bulletin des Dessins et Modèles Internationaux de novembre 1985, et plus particulièrement :

- pour les bijoux en forme de coeur, des modèles N 4, 5, 8, 12, 17, 19, 20, 27, 28, 29, 30, 31, 33, 34, 35, 36 et 37 sur les 38 que comporte le dépôt ;

- pour le bijou en forme de pantin, du modèle N 22 ;

Qu'il importe peu que ces modèles, tels qu'ils sont exploités, relèvent d'une ligne de bijoux développée plus largement sous le terme de "concept HAPPY DIAMONDS", la protection ici revendiquée ne portant nullement sur cette ligne et/ou le concept qu'elle serait susceptible de receler, mais sur les modèles spécifiquement déterminés tels que ci- dessus énumérés et qui consistent :

- les uns, en un boîtier transparent en forme de coeur, entouré de différents décors, en or ou en diamants, dans lequel sont inclus un certain nombre de diamants montés librement pour pouvoir bouger ;

- l'autre, en un pendentif en or en forme de clown dont le buste est constitué par un boîtier rond transparent dans lequel sont inclus des pierres précieuses montées librement pour pouvoir bouger, les membres étant constitués par la représentation stylisée d'un vêtement bouffant, à effet gaudronné, les pieds étant chaussés de poulaines à pompons, orientées latéralement en sens opposé, la tête étant coiffée d'un chapeau rond à deux étages, surmontée d'une pierre précieuse, les oreilles étant matérialisées par deux pierres rondes, ce clown portant au surplus une large collerette agrémentée d'un gros noeud papillon au centre duquel est insérée une pierre précieuse ;

Qu'en sa qualité de titulaire des dits modèles, la société CHOPARD GENEVE est bien fondée à se prévaloir du bénéfice de la Loi du 14 juillet 1909 (aujourd'hui codifiée) sur la Protection des Dessins et Modèles, sauf, à la société HATTORI, à démontrer que ces modèles seraient dépourvus de nouveauté et ne constituerait pas une oeuvre de création ;

Considérant que pour ce faire, la société HATTORI oppose un certain nombre d'antériorités, faisant valoir au surplus que, très largement utilisés dans les bijoux, que ce soit en pendentif, montre, bagues, boucles d'oreilles, colliers, le "Coeur" comme le "Clown" ne sont pas susceptibles d'appropriation ;

Mais considérant que pour être valable et priver celui qui s'en prévaut de la protection de la Loi de 1909, l'antériorité opposée doit être "de toute pièce" (c'est à dire représenter toutes les caractéristiques du modèle invoqué) et avoir date certaine ;

Que le brevet du 16 janvier 1976 de Bernard S, en ce qu'il ne divulgue qu'un récipient de forme ronde, composé de deux parois transparentes entre lesquelles est disposé un produit "pulvérulent", n'antériorise d'aucune manière les modèles invoqués qui présente la forme particulière, soit d'un coeur, soit d'un clown ;

Que le brevet dit de "perfectionnement aux bijoux" n'est pas plus opérant dès lors que, déposé le 28 juillet 1989, il est postérieur aux modèles en cause, observation étant faite, au surplus, de ce qu'il n'en divulgue pas plus la forme ;

Qu'il en est de même du catalogue Bernard S qui portant mention des deux brevets en ce compris celui de 1989, est postérieur au dépôt de modèles de 1985 et ne porte que sur des pendentifs de forme ronde, dont, certains, pour contenir un coeur comportant des diamants, ne ressemblent nullement aux pendentifs en forme de coeur ou de clown de C ;

Que les bijoux de PASCAL M, qui, aux termes d'une attestation en date du 31 juillet 1992, seraient commercialisés depuis 1974, aux simples formes géométriques, rectangles ou octogonales, sont sans rapport avec les formes des modèles CHOPARD ;

Que l'Arlequin de la maison MAUBOUSSIN, dont on ignore au demeurant la date de commercialisation, ne présente ni par sa posture, ni par son costume constitué de losanges d'émail noir et blanc et par son bicorne, une quelconque ressemblance avec le clown de la maison CHOPARD ;

Que les créations de la maison CARTIER, non datées, ne comportent pas plus de formes semblables à celles de la maison CHOPARD, les deux "pantins" relevés sur l'un des colliers, s'ils ont les pieds latéralisés, ne ressemblant pas, par leur vêtement et leur allure générale à celui de C ;

Que les extraits de journaux produits ("des coeurs pour le dire" et Gérard B) ne sont pas datés

Que les N 26 et 27 de la revue REPERTOIRES de l'AMERICAN EXPRESS, ne sont pas plus opérants, observation étant faite, en ce qui les concerne, que le N 27, en ce qu'il fait référence, en page 2, sous la rubrique OPTIMA LA CARTE DE VOTRE CONFORT DE VIE, à un tau d'intérêts au 1 octobre 1992 de 16, 45% par an devant être porté à partir du 20 novembre 1992 à 17, 64%, ne peut avoir été publié qu'à des dates contemporaines de celles-ci, et par voie de conséquence, postérieurement aux modèles invoqués, le N 26, qui en ce qu'il prévoit, dans son bon de commande, une garantie de prix de 6 mois valable jusqu'au 31 10.92, ayant été publié à une époque également postérieure ;

Qu'à défaut de rapporter la preuve d'une antériorité pertinente, la société HATTORI ne peut valablement contester la nouveauté des modèles qui lui sont opposés, qui par leur physionomie propre et les caractéristiques qu'ils comportent, telles que ci-dessus décrites, constituent des "créations" au sens de l'article 1 de la Loi de 1909, aujourd'hui article L 511-1 du Code de la Propreté Intellectuelle et bénéficient, par voie de conséquence, de la protection instaurée par ces dispositions ;

Qu'elle voit à tort dans le fait pour la société CHOPARD GENEVE d'avoir déposé une multiplicité de modèles, et, notamment, pour le clown, un modèle aux caractéristiques voisines particulièrement proches, la recherche de la protection d'un genre, le déposant ayant faculté de déposer plusieurs variantes d'un même objet dès lors que la protection conférée ne s'attache qu'aux seules caractéristiques qui donnent à l'objet sa physionomie propre et permet de le distinguer des autres objets similaires ;

II - SUR LA CONTREFAÇON

Considérant qu'aux termes des opérations de saisie contrefaçon, l'huissier instrumentaire a saisi deux bijoux en forme de Coeur, l'un serti de diamants, l'autre bordé d'un jonc d'or, comportant une partie centrale transparente à l'intérieure de laquelle "circulent" librement trois/quatre diamants enchâssés dans des montures en métal jaune indépendantes ;

Qu'aux moments de ses opérations, ne pouvant trouver sur place le modèle de clown incriminé, l'huissier a relevé les propos du responsable du magasin qui a reconnu dans l'achat qui avait été fait précédemment le 17 janvier 1992, le bijou commercialisé par la société HATTORI représentant un pendentif en forme de clown, au buste constitué par un boîtier rond transparent dans lequel sont enchâssés des pierres précieuses montées librement, dont les membres sont représentés par des vêtements bouffants, les pieds, disposés latéralement sont chaussés de poulaines à pompons, la tête coiffée d'un chapeau rond à deux étages surmonté d'une pierre précieuse, le cou agrémenté d'une large collerette portant noeud papillon au centre duquel est inséré une pierre rouge, et dont les oreilles sont matérialisées par des pierres rondes ;

Considérant qu'il convient tout d'abord de rappeler que la société CHOPARD ne peut, sous peine de revendiquer la protection d'un genre, valablement prétendre au bénéfice de la loi qu'autant que les caractéristiques qui donnent au modèle invoqué sa physionomie propre et permettent de le distinguer des autres objets, auraient été reproduites ;

Que la comparaison des bijoux saisis et des modèles tels qu'ils résultent du certificat d'identité produit comportant photographie de ceux-ci, permet d'établir ce qui suit :

1 - sur le bijou en forme de coeur serti d'une rangée de diamants

Considérant que les modèles N 4 et 8 en raison de la taille oblongue des diamants qui les sertissent, ne présentent pas, par leur aspect d'ensemble, une similitude avec le pendentif saisi ;

Qu'il en est également ainsi du modèle N 29 dont l'aspect ne peut se dissocier du double rang de perles et diamants auquel le coeur se rattache pour former un tout ;

Que les modèles N 5, 17, et 28, par leur double rangée de diamants ne présentent pas plus de ressemblance avec le bijou incriminé ;

Que les caractéristiques de ces modèles qui leur confèrent une physionomie propre et permettent de les distinguer des autres modèles, n'étant pas reproduite, la contrefaçon n'est pas établie en ce qui les concerne ;

Mais considérant, en revanche, que le bijou saisi, par la présence d'une rangée de diamants de taille classique enserrant un boîtier en forme de coeur transparent comportant des diamants libres à l'intérieur, présente toutes les caractéristiques des bijoux objets des dépôts n 12, 19, 20, 31, 33, 34, et 35, les quelques différences (étant ici rappelé que la contrefaçon doit s'apprécier par les ressemblances) notamment au niveau de l'attache du pendentif, n'étant pas à lui seul de nature à conférer à l'objet contrefaisant une physionomie propre permettant de le distinguer desdits modèles ;

Que la contrefaçon doit en conséquence être retenue en ce qui les concerne ;

2 - sur le bijou en forme de coeur non serti de diamants

Considérant que le pendentif en forme de coeur, entouré d'un simple jonc de métal jaune, ne présente pas les caractéristiques d'ensemble du modèle N 27 qui, comportant un large collier en or, auquel le coeur se rattache pour s'y fondre en raison de sa dimension, forme un tout indissociable, conférant à l'ensemble un aspect distinct de l'objet saisi ;

Qu'il en est de même du modèle N 30 constitué d'une multiplicité de coeurs formant un tout esthétiquement indissociable, sans similitude avec le pendentif incriminé, la caractéristique dudit collier résidant essentiellement dans cette multiplicité des coeurs ;

Mais considérant, en revanche, que le bijou saisi, en ce qu'il reproduit le jonc d'or simple entourant le boîtier transparent en forme de coeur comportant des diamants libres, présente un aspect identique à celui des modèles 36 et 37, constitutif de contrefaçon ;

3 - sur le bijou en forme de clown :

Considérant que le bijou en forme de "clown" vendu par la société HATTORI, en ce qu'il reproduit toutes les caractéristiques du "clown" de la maison CHOPARD, à savoir la même posture, le même vêtement bouffant à l'aspect gaufrons, le chapeau à double étage, la large collerette agrémentée d'un noeud serti d'une pierre, les pieds latéralisés chaussés de poulaines à pompon, et les oreilles formées d'une pierre, en constitue une copie quasi servile, constitutive de contrefaçon ;

III - SUR LA BONNE FOI DE LA SOCIETE HATTORI

Considérant qu'en sa qualité de professionnel et en raison de la large publicité que la maison CHOPARD a donné à ses modèles amplement commercialisés, et dont elle justifie, la société HATTORI n'ignorait pas que les bijoux qu'elle s'étaient procurés auprès de la société VIP JEWELLERY LTD PART, étaient contrefaisants ;

Que contrairement à ce qu'elle prétend, sa bonne foi n'est nullement établie ;

Qu'en important de Thaïlande et en vendant et/ou offrant à la vente, de tels bijoux, la société HATTORI s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon, pour ceux des modèles ci-dessus retenus, et a causé un préjudice tant à l'égard de la société CHOPARD GENEVE, titulaire des dits modèles, qu'à la société CHOPARD FRANCE qui les exploite en FRANCE ;

IV - SUR LE PREJUDICE INVOQUE

Considérant que la société HATTORI soutient que les demandes de condamnation dirigées contre elle sont exorbitantes et ne sont appuyées sur aucune justification sérieuse, prétendant que les bijoux incriminés occupent dans la gamme de produits offerts à la vente par la maison CHOPARD, une place réduite, sans commune mesure avec le chiffre d'affaire qu'ils auraient permis de réaliser, chiffre d'affaire qui, selon elle, n'a pas du excéder 90.000 francs ;

Qu'elle se prévaut également du caractère ponctuel de la vente par elle réslisée et du modeste bénéfice qu'elle en retiré,

Considérant que de leur côté les sociétés CHOPARD se prévalent de la perte de valeur patrimoniale des bijoux contrefaits et, s'agissant de bijoux de grand prix, de l'atteinte à l'image de marque et de la stérilisation des dépenses publicitaires particulièrement importantes qu'elles ont engagés pour la promotion de ces bijoux et la conquête d'une clientèle exigeante ; Qu'elles invoquent une perte de marché importante en raison du discrédit que les produits contrefaisants n'ont pu manquer de porter sur les produits authentiques aux yeux de la clientèle qui s'en détourne, selon elles, nécessairement, discrédit qui se serait trouvé aggravé par la pratique d'une politique de "solde" incompatible, selon elles, avec l'image de marque développée ;

Considérant qu'au vu des éléments produits aux débats, compte tenu de ce que les bijoux en cause, s'il ne représentent pas l'ensemble de la gamme de produits offerts par la Maison CHOPARD à la vente, n'en occupent pas moins une place de choix non négligeable, la COUR dispose des éléments suffisants pour ramener globalement à la somme de 150.000 francs le montant des dommages-intérêts dus à la société CHOPARD GENEVE en raison de la titularité des droits sur les modèles en cause, et fixer à la somme de 600.000 francs le montant des dommages-intérêts dus à la société CHOPARD FRANCE en raison de l'exploitation des dits modèles, ces dommages-intérêts comportant la part de stérilisation des dépenses de publicité à juste titre invoquée et dont il est justifié, et tenant compte de ce que la pratique de "soldes", dans les conditions dans lesquelles elle a été réalisée, n'a pu qu'aggraver l'atteinte à l'image de marque et détourner de plus fort une clientèle à la recherche de luxe et d'exclusivité, particulièrement exigeante ;

Que la COUR n'étant pas saisie à l'égard de la société VIP JEWELLERY LTD PART, la condamnation doit être prononcée à l'encontre de la seule société HATTORI qui ne saurait, pour le même motif, prospérer dans son action en garantie à l'encontre de cette dernière ;

Considérant, s'agissant des meures annexes, que la confiscation des bijoux saisis doit être confirmée et les interdictions habituelles ordonnées ;

Que la publication de la présente décision doit être ordonnée dans trois revues au choix des intimées et aux frais de la société HATTORI à concurrence de la somme de 25.000 francs par insertion ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser aux sociétés CHOPARD la charge de leurs frais irrépétibles, la somme de 30.000 francs devant leur être octroyée de ce chef ;

Que la société HATTORI, qui succombe en ses prétentions, doit être en revanche déboutée de la demande formée à ce titre ;

PAR CES MOTIFS

Constate que la COUR n'est pas régulièrement saisie en ce qui concerne la société VIP JEWELLERY LTD PART ;

En conséquence déclare les sociétés CHOPARD GENEVE et CHOPARD FRANCE d'une part, et la société HATTORI d'autre part, irrecevables en leur appel à l'encontre de celle-ci ;

CONFIRME le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 16 décembre 1992 en ce qu'il a retenu la contrefaçon de modèles ;

MAIS Y AJOUTANT :

PRECISE qu'en important en France et en offrant à la vente et/ou en vendant les bijoux en forme de Coeur et de Clown sus visés la société HATTORI a contrefait les bijoux objet des modèles N 12, 19, 20, 31, 33, 34, 35, 36 et 37 d'une part et n 22 d'autre part du dépôt international n DM/006 052 du 4 novembre 1985 dont la société LE PETIT-FILS DE L.U. CHOPARD S.A. dite C GENEVE est titulaire

CONFIRME le jugement en ce qu'il a ordonné la confiscation des objets saisis et leur remise aux fins de destruction aux sociétés CHOPARD ;

Y AJOUTANT

Interdit à la société HATTORI d'importer en FRANCE, de détenir à quelque titre que ce soit, de faire usage sous quelque forme que ce soit, d'offrir en vente et/ou de vendre les articles sus visés sous astreinte de 50.000 francs par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ;

LE REFORMANT pour le surplus :

CONDAMNE la société HATTORI à payer à la Société CHOPARD GENEVE la somme de 150.000 francs avec intérêts au taux légal à compter de la décision de première instance et à la société CHOPARD FRANCE la somme de 600.000 francs avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, en réparation de leur entier préjudice ;

Ordonne la publication de la présente décision dans trois publications au choix des sociétés CHOPARD et aux frais de la société HATTORI à concurrence de 25.000 francs par insertion ;

CONDAMNE la société HATTORI à payer aux sociétés CHOPARD la somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en sus des sommes allouées à ce titre par les premiers juges ;

Condamne la société HATTORI aux entiers dépens dont distraction au profit de la S.C.P. BOMMART FORSTER conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code Procédure Civile.