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Décisions

Cass. 1re civ., 19 mai 2021, n° 20-17.779

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Depil Tech (SAS), Funel et Associés (Selarl), BG et Associés (ès qual.)

Défendeur :

Beauty Pulse (SARL), Watel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Mornet

Avocat général :

Mme Mallet-Bricout

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Aix-en-Provence, ch. 3 sect.3, du 28 mai…

28 mai 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 mai 2020), par acte sous seing privé du 10 novembre 2014, M. Watel et la société Beauty Pulse (les franchisés), qui souhaitaient ouvrir deux instituts esthétiques, ont conclu deux contrats de franchise avec la société Depil Tech (le franchiseur), qui propose des méthodes d'épilation définitive par lumière pulsée et de photo-rajeunissement, moyennant deux droits d'entrée d'un montant total de 52 800 euros.

2. Invoquant un vice de leur consentement et l'impossibilité d'ouvrir l'un des instituts à la suite d'un refus bancaire de financement, les franchisés ont assigné le franchiseur en nullité des contrats pour objet illicite et indemnisation de leurs préjudices.

3. Le franchiseur a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde à la suite de laquelle sont intervenues volontairement à l'instance la société BG et associés, prise en la personne de Mme Bienfait en qualité d'administrateur judiciaire, et la société civile professionnelle Taddei Funel, prise en la personne de M. Funel en qualité de mandataire à la procédure.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La société Depil Tech, le mandataire et l'administrateur à la procédure de sauvegarde de cette société font grief à l'arrêt de prononcer la nullité des contrats de franchise et de condamner le franchiseur au paiement de certaines sommes, alors « que les revirements de jurisprudence sont d'application immédiate ; qu'en retenant, pour considérer que les contrats avaient une cause (en réalité, un objet) illicite, qu'il convenait de se placer au 10 novembre 2014, date de leur signature pour en apprécier la validité, la cour d'appel a violé le principe d'application immédiate des revirements de jurisprudence, et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 4161-1 du code de la santé publique et 2, 5 , de l'arrêté du 6 janvier 1962, fixant notamment la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins :

5. Selon le troisième de ces textes, la pratique de tout mode d'épilation, à l'exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire, est réservée aux médecins.  

6. Selon le deuxième, exerce illégalement la médecine toute personne qui pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre exigé pour l'exercice de la profession de médecin.

7. La Cour de cassation en a déduit que les professionnels non médecins ne pouvaient réaliser d'épilations à la lumière pulsée (1 Civ., re 14 décembre 2016, pourvoi n 15-21.597, 15-24.610, Bull. 2016, I, n 256) et a considéré leur pratique d'épilations au laser ou à la lumière pulsée comme un exercice illégal de la médecine (Crim., 8 janvier 2008, pourvoi n 07-81.193, Bull. 2008, n 2 ; Crim., 13 septembre 2016, pourvoi o o n 15-85.046, Bull. 2016, n 238). 8. Après avoir admis que la pratique de ces épilations était réservée aux médecins (CE 28 mars 2013, M. Bury, n 348089) et que les  articles L. 4161-1 et l'arrêté de 1962 rendaient inutile le recours à un décret pour réglementer les actes à visée esthétique d'épilation (CE 8 novembre 2017, M. Cartier et autres n 398746), le Conseil d'Etat, saisi o d'un recours pour excès de pouvoir, a annulé la décision de refus implicite par la ministre des solidarités et de la santé d'abroger les dispositions du 5 de l'article 2 de l'arrêté, en tant qu'elles réservent aux docteurs en  médecine l'épilation au laser et à la lumière pulsée (CE 8 novembre 2019, M. Debray et SELARL Docteur Dominique Debray, n 424954).  

9. La Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence, a retenu que les personnes non médecins pratiquant l'épilation à la lumière pulsée ne pouvaient être légalement condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim., 31 mars 2020, pourvoi n 19-85.121, publié).  

10. Il s'en déduit que la pratique par un professionnel non médecin d'épilations à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure au seul motif qu'ils concernent une telle pratique.

11. Cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge.

12. Pour prononcer la nullité des contrats de franchise pour cause illicite et condamner le franchiseur au paiement de certaines sommes, l'arrêt retient qu'en 2014, l'épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d'un exercice illégal de la médecine, tout mode d'épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins.  

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.  

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de sursis à statuer et de révocation de l'ordonnance de clôture formées par la société Depil Tech, l'arrêt rendu le 28 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne M. Watel et la société Beauty Pulse aux dépens ;  

En application de l'article 700 du code de procédure civile,  

Rejette les demandes.