CA Paris, 4e ch., 18 mai 2001, n° D20010075
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Beiersdorf (SA)
FAITS ET PROCEDURE
Madame C a élaboré en 1993 une pochette de petit format dans une matière opaque, permettant le rangement de deux à quatre préservatifs, qu'elle a enregistré sous enveloppe SOLEAU à l'INPI le 1er juillet 1993. Cette pochette a été commercialisée par la société "CHACUN POUR L'AUTRE" créée le 10 septembre 1993 puis dissoute le 30 juin 1996. Afin d'assurer la commercialisation de ces pochettes, Mme C s'était adressée à divers organismes et entreprises dont la société BEIERSDORF, en 1994, à laquelle elle avait également transmis des propositions de prix. Cette société n'avait pas donné de réponse et n'avait passé aucune commande.
Ayant pris connaissance de ce que des sachets semblables aux siens étaient commercialisés par BEIERSDORF sous la marque HANSAPLAST, en accompagnement de boîtes de préservatifs et estimant que cette société avait porté atteinte à ses droits d'auteur, Madame C a fait pratiquer saisie contrefaçon le 20 mai 1997 dans les locaux de BEIERSDORF à SAVIGNY-LE-TEMPLE, puis fait assigner BEIERSDORF, devant le tribunal de grande instance de MELUN, par acte d'huissier du 9 juin 1997 sur le fondement de la contrefaçon pour obtenir, outre des mesures d'interdiction sous astreinte, de destruction et de confiscation, paiement d'une provision de 500 000 francs à titre de dommages et intérêts à compléter après expertise ainsi que de la somme de 10 000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
BEIERSDORF avait conclu au rejet de ces prétentions, soutenant que la pochette en cause ne présentait aucune originalité et qu'en conséquence, Mme C ne pouvait revendiquer des droits d'auteur.
Par jugement du 11 mai 1999, le tribunal de grande instance de MELUN a :
- "dit que Madame C à la propriété exclusive de modèle de pochette porte préservatifs enregistrés à l'Institut National de la Propriété Industrielle avec une enveloppe SOLEAU en date du 1er juillet 1993,
- dit que BEIERSDORF a porté atteinte à cette propriété,
- fait défense à BEIERSDORF de commercialiser sans autorisation de Madame C le modèle litigieux,
- validé la saisie contrefaçon effectuée le 20 mai 1997,
- ordonné la confiscation et la destruction de toutes les présentations contrefaisantes ou imitantes saisies aux frais de BEIERSDORF,
- condamné BEIERSDORF à verser à Madame C la somme de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts,
- prononcé l'exécution provisoire de la décision,
- condamné BEIERSDORF à verser à Madame C la somme de 7 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile."
II- Madame C, ayant relevé que postérieurement à ce jugement, se trouvaient encore proposés en vente des sachets litigieux, a fait citer à jour fixe, devant le tribunal de grande instance de MELUN, par acte d'huissier du 6 mars 2000, BEIERSDORF pour obtenir paiement à titre de dommages et intérêts de la somme de 300 000 francs en réparation de son préjudice moral et de celle de 500 000 francs en réparation de son préjudice matériel et financier ainsi que la fixation d'une astreinte.
Par jugement du 23 mai 2000, le tribunal de grande instance de Melun a :
- "condamné BEIERSDORF à payer à Madame C la somme de 150 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
- débouté Madame C du surplus de ses demandes,
- fixé une astreinte de 1000 francs par jour et par infraction constatée en violation de l'interdiction faite par jugement de ce tribunal en date du 11 mai 1999 à BEIERSDORF de commercialiser sans autorisation de Madame C le modèle enregistré à l'INPI avec enveloppe Soleau le 1er juillet 1993 à compter de la signification de la présente décision,
- dit n'y avoir lieu à réserver la compétence du tribunal pour liquider cette astreinte,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- condamné BEIERSDORF à payer à Madame C la somme de 7000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile".
Appel a été interjeté par BEIERSDORF à l'encontre de ces deux jugements, respectivement le 22 juin 1999 et le 17 juillet 2000. Ces deux procédures ont été jointes au cours de la mise en état.
Par ses dernières écritures du 27 mars 2001, BEIERSDORF qui soutient essentiellement que la pochette incriminée est dénuée de toute originalité, demande à la cour de :
- "infirmer les jugements entrepris en toutes leurs dispositions et statuant à nouveau,
- dire et juger Madame C irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes et l'en débouter,
- condamner Madame C à rembourser à BEIERSDORF, d'une part, la somme de 100 000 francs augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2000 et, d'autre part, la somme de 150 000 francs augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2001,
- condamner Madame C à payer à BEIERSDORF la somme de 50 000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- la condamner à lui payer la somme de 50 000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile".
Madame C, par ses dernières écritures du 27 mars 2001, demande à la cour de :
- la déclare recevable et bien fondée en son appel incident du jugement du tribunal de grande instance de MELUN du 11 mai 1999,
- y faisant droit,
- confirmer ce jugement en ce qu'il :
"dit que Madame C a la propriété exclusive du modèle de pochette porte-préservatifs enregistré à l'INPI avec une enveloppe Soleau en date du 1er juillet 1993?
dit que la société BEIERSDORF a porté atteinte à cette propriété,
fait défense à BEIERSDORF de commercialiser sans autorisation de Madame C le modèle litigieux,
validé la saisie-contrefaçon effectuée le 20 mai 1997,
ordonné la confiscation et la destruction de toutes les présentations contrefaisantes ou imitantes saisies aux frais de la société BEIERSDORF"
- réformer pour le surplus le jugement entrepris et statuant à nouveau,
- condamner BEIERSDORF à payer à Madame C :
* en réparation de son préjudice moral, une somme de 1 350 000 francs à titre de dommages et intérêts,
* en réparation de son préjudice financier, une somme de 1 222 568 francs à titre de dommages et intérêts provisionnels sauf à parfaire,
- confirmer le jugement entrepris du tribunal de grande instance de Melun en date du 23 mai 2000 en ce qu'il a prononcé une astreinte de 1000 francs par jour et par infraction,
- débouter BEIERSDORF de toutes fins et autres demandes,
- condamner BEIERSDORF à payer à Madame C une somme de 50 000 francs à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et injustifié,
- la condamner à lui payer la somme de 30 000 francs par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
DECISION
Considérant que BEIERSDORF fait valoir essentiellement au soutien de son appel que :
- la pochette invoquée est dénuée de toute originalité, présentant une forme banale,
- le tribunal a, à tort, reconnu des droits d'auteur à Mme C, en relevant principalement qu'elle avait eu "l'idée de placer les préservatifs dans un étui élégant et pratique" et que, par rapport à une "antériorité" invoquée, "l'un des avantages de la pochette de Mme C est que les dimensions correspondent à l'usage prévu puisqu'elle permet la contenance de 4 à 6 préservatifs",
alors qu'une idée n'est pas protégeable et qu'il n'existe aucun effort créatif dans l'adaptation de systèmes de conditionnements connus à la taille des contenants ;
Considérant que Madame C se réfère à la motivation du tribunal pour réfuter ces prétentions et ajoute que le nouveau document versé aux débats en appel par son adversaire pour démontrer que le même genre de pochette était commercialisé en 1978, outre le fait que sa date n'est pas certaine, présente un objet de forme, d'usage et de destination différents ;
Considérant, cela exposé, que selon les dispositions de l'article L 112-1 du Code de la propriété intellectuelle, la protection du livre 1 s'attache à toute œuvre de l'esprit, quel qu’en soit le genre, la forme et l'expression, le mérite ou la destination ; qu'il est toutefois nécessaire que l'œuvre invoquée révèle l'effort créatif de l'auteur, qui lui confère ainsi son caractère d'originalité, sans qu'il y ait lieu de rechercher si l'œuvre est nouvelle ;
Considérant que Mme C qui ne décrit pas les caractéristiques de son œuvre estime que, comme l'ont retenu les premiers juges, la création d'une "pochette permettant de façon élégante et discrète le transport des préservatifs est une œuvre originale", et que "le fait de pouvoir distribuer cette pochette comme support de communication est un deuxième élément d'originalité" ;
Mais considérant qu'outre le fait que l'idée n'est pas protégeable, la finalité de la création ne l'est pas davantage ; qu'il est donc en l'espèce inopérant, pour apprécier l'originalité, que la pochette permette un transport élégant et discret des préservatifs ;
Considérant que la pochette en cause peut se décrire ainsi :
- format carré de petites dimensions en matière opaque,
- se fermant par un rabat de forme trapézoïdale se glissant derrière une lanière rectangulaire ;
- ne comportant aucun décor (étant observé que Mme C a exploité les pochettes avec des décors diversifiés) ;
Considérant que les documents versés aux débats par BEIERSDORF, particulièrement la pochette HANSAPLAST de 1984, montrent que le principe de pochette à rabat de format relativement plat (pour permettre notamment le rangement dans des sacs ou des poches, de pansements ou de minces bijoux) relève du domaine public et est banal ; qu'il en résulte que la transposition d'une pochette, sans ornementation spécifique, dans un format plus petit en raison de la taille des objets destinés à y être placés ne témoigne d'aucun effort créatif, la possibilité d'inscriptions sur les faces de tels produits étant une pratique très courante ; que le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions ; que le jugement du 23 mai 2000 qui en est la suite, en ce qu'il a condamné BEIERSDORF pour avoir continué à commercialiser les pochettes malgré l'interdiction ordonnée par le jugement, sera également infirmé ;
Considérant que BEIERSDORF réclame à juste titre le remboursement du montant des dommages et intérêts versés à Madame C ; qu'il convient en conséquence de condamner cette dernière à rembourser la somme totale de 250 000 francs avec intérêts de droit à compter du présent arrêt ;
Considérant qu'aucun élément ne permet de faire droit à la demande de dommages et intérêts formée par BEIERSDORF pour procédure abusive ; qu'elle sera rejetée ;
Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS :
Infirme les jugements en date des 11 mai 1999 et 23 mai 2000 dans toutes leurs dispositions ;
Statuant à nouveau et ajoutant ;
Dit Madame C mal fondée en toutes ses demandes ;
La condamne à rembourser à la société BEIERSDORF la somme totale de 250 000 francs augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne Madame C aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Autorise la SCP TEYTAUD, avoué, à recouvrer les dépens d'appel selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.