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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 20 mai 2021, n° 19/10174

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Loga (SARL)

Défendeur :

The Watches Connexion (SASU), Selarl AJRS (ès qual.), Selafa MJA (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Lignières

Avocats :

Me Guyonnet, Me Vacarie

T. com. Paris, du 17 avr. 2019

17 avril 2019

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 3 septembre 2009, la SAS The Watches Connection (société TWC), exploitant un fonds de vente en gros de produits horlogers, bijoux fantaisies et maroquinerie, a consenti un contrat d'une durée indéterminée d'agent commercial non exclusif à la SARL Loga sur le quart sud-ouest de la France, pour la représentation des articles de maroquinerie et leurs accessoires des marques Eden Park, Le Temps des Cerises et Paul & Joe Sister, auxquelles ont été adjointes, par avenant du 16 juin 2010, la marque Thierry Mugler, la société Loga ayant versé un droit d'entrée d'un montant de 15 000 euros, puis le 19 janvier 2013, la marque Christian Lacroix. Le 4 juillet 2016, la société TWC a résilié le contrat d'agent commercial à effet immédiat en invoquant une faute grave commise par l'agent.

Le 27 juillet 2016, contestant la faute alléguée, la société Loga a attrait la société TWC devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la condamner sous astreinte à lui communiquer, au visa de l'article R.134-3 du code de commerce, les éléments comptables lui permettant de vérifier le calcul de ses commissions du 1er juillet 2011 au 4 octobre 2016 et de lui payer les sommes de :

- 55 309,20 euros (sauf à parfaire), à titre d'arriérés de commissions,

- 105 000 euros, à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,

- 13 125 euros, à titre d'indemnité de préavis,

- 30 000 euros de dommages et intérêts,

- outre l'indemnisation de ses frais irrépétibles par l'allocation d'une indemnité d'un montant de 3 500 euros.

Tout en estimant avoir versé aux débats les éléments comptables demandés, la société TWC s'est opposée au paiement des sommes sollicitées en invoquant :

- à titre principal, la faute grave commise par l'agent commercial,

- subsidiairement, en soutenant que celui-ci ne rapportait pas la preuve des préjudices allégués ni ne justifiait les commissions arriérées dont il demandait le règlement,

Et en sollicitant reconventionnellement la condamnation de la société Loga à lui payer une indemnité d'un montant de 11 680,58 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du dépôt du rapport d'expertise judiciaire antérieurement intervenu, en dédommagement du préjudice résultant 'de la déloyauté' de l'agent commercial, l'indemnisation des frais irrépétibles étant aussi sollicitée à hauteur d'une somme de 10 000 euros.

Retenant la complicité avérée de la société Loga dans l'organisation d'une fraude aux frais professionnels commise par Monsieur I... E..., salarié VRP exclusif de la société TWC, par ailleurs fils de la gérante de la société Loga, revêtant 'un caractère déloyal de nature à rompre le contrat d'intérêt commun liant les parties' et 'constituant une faute grave rendant impossible le maintien du lien contractuel', justifiant de ne pas verser les indemnités de rupture et de préavis et que :

- la communication sollicitée des pièces comptables a été effectuée,

- la société Loga ne justifiait pas les commandes alléguées au soutien de sa demande de paiement d'un arriéré de commissions,

- le versement initial d'un droit d'entrée, lors de l'adjonction de la marque Thierry Mugler au portefeuille de l'agent commercial, était la contrepartie du fichier clients résultant du travail antérieur de prospection par la société TWC, rendant sans fondement la demande de la société Loga d'une indemnité d'un montant de 30 000 euros au moment de la résiliation du contrat d'agent commercial, mais estimant aussi que l'indemnisation du préjudice d'un montant de 11 680,58 euros, invoqué par la société TWC, résultant du versement indu des notes de frais à son salarié aurait pu être directement réclamé par celle-ci à son préposé et que la négligence de la société TWC dans ses contrôles internes justifiait qu'elle conserve la charge du préjudice correspondant, le tribunal, par jugement contradictoire du 17 avril 2019, a débouté :

-la société Loga de toutes ses demandes (y compris celle de fourniture d'éléments comptables supplémentaires) en considérant que la société TWC a régulièrement résilié le contrat d'agent commercial pour faute,

-la société TWC de sa demande reconventionnelle,

la société LOGA étant en outre condamnée à verser à la société TWC, une indemnité d'un montant de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles.

La société Loga a interjeté appel le 10 mai 2019. La société TWC a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juin 2019, ayant désigné la SELARL AJRS (en la personne de Maître P... A...), en qualité d'administrateur judiciaire et la SELAFA MJA (en la personne de Maître L... U...) en qualité de mandataire judiciaire. La société Loga a assigné le 17 juillet 2019, la société TWC devant la cour, puis a cité en intervention forcée le 4 septembre suivant l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire de celle-ci.

Ensuite, par jugement du 10 décembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de redressement par voie de continuation de la société TWC, en mettant fin à la mission de l'administrateur judiciaire et en maintenant la SELAFA MJA ès-qualités de mandataire judiciaire, puis en désignant la SELARL AJRS (en la personne de Maître A...), ès-qualités désormais de commissaire à l'exécution du plan. En concluant en commun le 16 décembre 2020 avec son administrée, le commissaire à l'exécution du plan est devenu ès-qualités intervenant volontaire et comme tel intimé à l'instance en sa nouvelle qualité, tandis que la SELAFA MJA mandataire judiciaire étant déjà précédemment attraite dans la cause par la citation précédente, est demeurée ès qualités intervenante forcée et comme tel, également intimée.

Appelante la société Loga, réclame, aux termes de ses dernières écritures transmises par le RPVA le 29 janvier 2020, la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles et poursuit l'infirmation du jugement en formulant à nouveau les mêmes demandes qu'en première instance, sauf désormais à fixer le montant des créances correspondantes au passif de la procédure collective de la société TWC.

Intimée, la société TWC, intervenante volontaire ès-qualités, la SELARL AJRS et intervenante forcée ès-qualités, la SELAFA MJA, les deux intervenantes étant comme telles également intimées, réclament, aux termes de leurs dernières écritures communes transmises par le RPVA le 16 décembre 2020, chacune la somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuivent :

- la confirmation du jugement, tout en estimant subsidiairement que la société Loga ne rapporte pas la preuve des préjudices allégués ni ne justifie les commissions dont elle demande le règlement, tout en demandant, en tout état de cause, au visa de l'article L.622-26 du code de commerce, de dire inopposables à la société TWC les condamnations en raison du défaut de déclaration préalable des créances correspondantes,

- sauf à le réformer en sollicitant à nouveau reconventionnellement, la condamnation de la société Loga à payer à la société TWC, la somme de 11 680,58 euros de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter du dépôt du rapport d'expertise le 18 février 2018, en réparation du préjudice résultant « de sa déloyauté ».

Sur ce,

En 2011, la société TWC a embauché, en qualité de VRP salarié, Monsieur I... E..., par ailleurs fils de Madame F... E..., gérante de la société Loga, et de Monsieur B... E..., associé dans la même société. Le 4 juillet 2016, la société TWC a notifié à la société Loga, la résiliation du contrat d'agent commercial à effet immédiat en invoquant une faute grave et en précisant avoir découvert que, par l'intermédiaire des notes de frais de son préposé VRP, l'agent commercial s'était fait rembourser des frais lui incombant contractuellement, en estimant en outre qu'en dépit de son obligation de loyauté, celui-ci était complice des agissements frauduleux du VRP salarié, 'par remise de factures relatives à des frais relevant de sa propre activité', rendant ainsi 'impossible la poursuite des relations contractuelles'. C'est ainsi que la société TWC a requis dès le 11 juillet 2016 (soit avant l'assignation délivrée le 27 juillet suivant par la société Loga) la désignation en référé d'un expert, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et que Monsieur J... O... a été désigné par ordonnance du 9 septembre 2016 du juge des référés du tribunal de commerce de Paris, confirmée par arrêt du 18 avril 2017 de la cour de céans ayant simplement précisé différemment la mission de l'expert. Le rapport a été déposé le 28 février 2018 en faisant notamment apparaître une somme globale de 11.680,58 euros comme se retrouvant en doublon dans les comptabilités des sociétés Loga et TWC, démontrant que les mêmes charges ont été comptabilisées à la fois dans les comptes de la société TWC (suite aux notes de frais du VRP salarié) et dans les comptes de la société LOGA (suite aux prélèvements directs ou par notes de frais de l'associé).

La société Loga conteste les faits allégués en estimant qu'ils sont sans date ni précision ou élément objectif, pour en déduire qu'ils « sont artificiels et soulevés pour les seuls besoins de la cause », pour la priver de ses indemnités, tout en faisant valoir que la société TWC 'était parfaitement informée de la situation' et qu'elle ne peut pas se prévaloir des faits qu'elle connaissait de longue date pour justifier la résiliation sans indemnité du contrat d'agent commercial, tout en observant que le mandant ne peut pas davantage invoquer les éléments du rapport d'expertise déposé le 28 février 2018 pour justifier une rupture notifiée 20 mois plus tôt le 4 juillet 2016. L'appelante critique aussi le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il viserait une faute simple, insuffisante à priver l'agent commercial de l'indemnité compensatrice de cessation des relations prévue par l'article L.134-12 du code de commerce.

Cependant, il résulte des constatations de l'expert (rapport page 16) que « certaines factures fournies au titre des justificatifs de Monsieur I... E... ont été modifiées. L'expert a constaté la présence de ratures sur certaines factures en vue de modifier la date de la prestation ; l'ajout de manière manuscrite du prénom I... quand le seul nom E... était présent sur la facture. La comptabilisation desdits frais dans les comptes de la société Loga (par le biais des notes de frais de de Monsieur B... E... ou des frais directs) et de la société TWC (par le biais des notes de frais de Monsieur I... E...) met donc en évidence la présence de doublons. La société TWC a subi un préjudice dans la mesure où elle a pris en charge et a remboursé des frais, qui selon la lecture des factures, ne lui étaient pas imputables. » L'expert a relevé l'incohérence entre le constat qu'il a fait de la présence de nombreux justificatifs de paiement par carte bancaire sur les notes de frais analysés alors que Monsieur B... E... a indiqué que son fils I... E... ne disposait pas de carte bancaire personnelle.(page 14 de l'expertise).

En affirmant, sans au demeurant le démontrer, que la société TWC « était parfaitement informée de la situation », la société Loga ne conteste pas que le VRP salarié de la société TWC s'est fait rembourser des frais par son employeur en fournissant des justificatifs afférents en réalité à des dépenses incombant à l'activité de l'agent commercial, lesquels justificatifs frauduleux ont nécessairement été transmis par la société Loga au préposé de la société TWC, à l'occasion de l'exécution de son contrat d'agence commerciale, servant ainsi de support aux agissements frauduleux du salarié au préjudice de la société TWC ; la société Loga a commis une faute grave envers son mandant, portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun, rendant impossible le maintien des relations contractuelles, justifiant, en application de l'article L.134-13 du code de commerce, sa privation de l'indemnité compensatrice de rupture prévue par l'article L.134-12 du même code, étant en outre observé que la disproportion alléguée par la société Loga entre les montants détournés au titre des remboursements frauduleux de frais et le montant de l'indemnité compensatrice de cessation du contrat d'agence commerciale, est inopérante, dès lors que la relation de confiance est irrémédiablement rompue.

En outre, en raison de la gravité de l'atteinte à la confiance, devant nécessairement exister entre mandant et mandataire d'un contrat d'agent commercial, les relations contractuelles ne pouvaient pas davantage être maintenues durant le préavis envisagé tant à l'article L.134-11 du code de commerce, qu'à l'article 9 du contrat d'agent commercial, de sorte que la demande correspondant de paiement de la société Loga n'est pas non plus fondée.

La société Loga estime encore qu'en se limitant à produire le relevé des commissions déjà versées, la société TWC ne s'est pas acquittée de son obligation légale résultant de l'article R.134-3 du code de commerce l'obligeant à fournir les éléments comptables permettant de vérifier le calcul des commissions du 1er juillet 2011 au 4 octobre 2016, l'appelante formulant à nouveau sa demande de communication sous astreinte et maintenant en conséquence sa demande d'un montant de 46 091 euros HT, soit 55 309,20 euros TTC, sauf à parfaire en fonction des éléments comptables à venir, au titre de l'arriéré de commissions sur des commandes prises par l'agent commercial auxquelles la société TWC n'aurait pas donné suite.

Néanmoins, outre que le jugement dont appel indique dans sa motivation, sans véritablement avoir été démenti, que la société TWC a justifié en première instance de la fourniture à la société Loga des éléments comptables afférents à la période couvrant l'exécution du contrat d'agence commerciale, l'appelante n'a fait aucune observation lorsque la société TWC indique dans ses écritures en appel que lesdites pièces ont antérieurement été transmises « sous forme de courriel officiel adressé au conseil de la société Loga », étant surabondamment observé qu'en pièces n° 24 et 25, la société TWC a communiqué les extraits de son grand livre compte fournisseur afférent aux commissions Loga de janvier 2010 à avril 2016 et justifiant du paiement régulier de celle-ci. Il convient de relever, en revanche, que, tout en fournissant une estimation précise à l'euro près, la société Loga ne fourni aucune justification sur les prises de commandes qu'elle allègue qui n'auraient pas été exécutées par la société TWC. Le rejet de ses demandes correspondantes tant de fourniture à nouveau de documents comptables justificatifs, que de paiement de prétendues commissions arriérées, doit être confirmé.

La société Loga soutient aussi que l'inexécution des obligations contractuelles « se traduit par un préjudice important », qu'elle évalue à la somme de 30 000 euros, en raison particulièrement « de la diminution des commissions perçues notamment à la suite de la perte de la distribution des produits Thierry Mugler, pour laquelle elle avait versé un droit d'entrée d'un montant de 15 000 euros ». Cependant, outre qu'il n'est pas contesté que le contrat d'agent commercial n'est pas exclusif, il résulte de son préambule que la société TWC a souhaité développer la commercialisation de ses marques en recourant aux services d'agents commerciaux et, en indiquant avoir perdu la distribution des produits Christian Lacroix et Thierry Mugler, la société Loga n'a pas allégué que ces marques faisaient encore partie du portefeuille de marques exploitées par la société TWC. Dès lors que la société TWC n'en était plus titulaire, l'agent commercial ne peut pas revendiquer l'indemnisation de la diminution correspondante des commissions antérieurement perçues lorsque le mandant était titulaire des dites marques. Par ailleurs, c'est à juste titre que les premiers juges ont relevé que le versement initial d'un droit d'entrée, lors de l'adjonction de la marque Thierry Mugler au portefeuille de l'agent commercial, était la contrepartie du fichier clients résultant du travail antérieur de prospection par la société TWC, de sorte que la société Loga ne justifie nullement aujourd'hui avoir subi un préjudice supplémentaire et distinct de celui résultant de la résiliation de son contrat d'agent commercial, le rejet de sa demande de dommages et intérêts d'un montant de 30 000 euros devant dès lors être également confirmé.

La société TWC, soutenant que son éventuelle négligence dans ses contrôles internes ne justifie pas que le préjudice qu'elle a subi ne soit pas indemnisé, de telle sorte que la société Loga doit en assurer l'indemnisation, sollicite reconventionnellement la condamnation de celle-ci à lui payer une indemnité d'un montant de 11 680,58 euros en principal, en dédommagement du préjudice résultant « de la déloyauté » de l'agent commercial, en raison de son attitude malveillante.

Même si le préposé de la société TWC est l'auteur principal de la fraude, il y a lieu néanmoins de relever qu'en y participant par fournitures de moyens et en bénéficiant par l'économie correspondante des charges qu'elle n'a pas eu à supporter réellement, la société Loga a engagé « in solidum » sa responsabilité envers la société TWC, justifiant qu'elle soit condamnée à indemniser la victime à hauteur de la somme des doublons identifiés par l'expert judiciaire. Le jugement sera en conséquence réformé de ce chef, la somme demandée en principale n'étant productive d'intérêts qu'à compter de la demande judiciairement formulée lors des conclusions déposées à l'audience du tribunal du 15 juin 2018.

Succombant dans son recours, l'appelante ne peut pas prospérer dans sa demande d'indemnisation de ses frais irrépétibles, mais il serait, en revanche, inéquitable de laisser à la société TWC la charge définitive de ceux supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel, les demandes des organes de la procédure collective au titre des frais non compris dans les dépens n'étant cependant pas justifiées dès lors que, comparant ès-qualités, ils ne démontrent pas supporter eux-mêmes d'autres frais que ceux déjà pris en charge par leur administrée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

RÉFORME le jugement uniquement du chef de la demande d'indemnité de la SASU The Watches Connection et statuant à nouveau,

CONDAMNE en outre la SARL LOGA à payer à la SASU The Watches Connection la somme de 11 680,58 euros de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2018,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

DÉBOUTE la SELARL AJRS, ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement par continuation de la SASU The Watches Connection, et la SELAFA MJA, ès-qualités de mandataire judiciaire de ladite société, de leur demande respective au titre des frais irrépétibles,

CONDAMNE la SARL Loga aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et à verser à la SASU The Watches Connection une indemnité complémentaire d'un montant de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.