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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 18 mai 2021, n° 18/05367

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Elmlinger Patrimoine Conseil (SARL)

Défendeur :

Equance (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Prouzat

Conseillers :

Mme Bourdon, Mme Rochette

Avocats :

Me Lasry, Me Cayol, Me Puech, Me Bertrand

T. com. Montpellier, du 3 sept. 2018

3 septembre 2018

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

La SARL Elmlinger Patrimoine Conseil (la société EPC) et la SAS Equance interviennent l'une et l'autre dans le secteur de la gestion de patrimoine et du conseil en investissements financiers.

Les deux sociétés sont entrées en relations d'affaires courant 2016 ; ainsi, le 15 novembre 2016, la société Equance a signé avec la société EPC deux contrats d'agent commercial, l'un pour la souscription de contrats d'assurance en branche vie et en branche capitalisation et de contrats de produits financiers, l'autre pour la négociation et la conclusion d'opérations immobilières dans le cadre de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970.

Par acte sous-seing privé du 20 juillet 2017, la société EPC a cédé à la société Equance sous diverses conditions suspensives sa clientèle et son portefeuille liés à ses activités de courtage en matière d'assurance toutes branches Iard et vie, de conseil en investissements financiers, de conseil en gestion de patrimoine, d'intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, de conseil auprès des particuliers et des entreprises en matière économique, juridique, financière, patrimoniale, fiscale et sociale et d'agent immobilier ; cette cession d'éléments d'actifs, réitérée par acte du 1er septembre 2017, a été faite moyennant le prix de 345 000 euros correspondant à la somme de trois éléments (2,25 fois le total 2016 des encours d'assurance-vie et retraite des clients disposant de plus d'un million d'euros d'actifs sous gestion au 31 décembre 2016 ; 2,7 fois le total 2016 des encours d'assurance-vie et retraite des autres clients au 31 décembre 2016 ; 2 fois le total 2016 des encaissements des contrats de prévoyance et santé de personnes) payable en trois versements (50 % à la signature de l'acte, 25 % au 31 décembre 2017 et le solde au 31 juillet 2018) ; l'acte a également prévu un complément de prix de cession au titre des actifs sous gestion, ainsi qu'une révision à la baisse du prix en cas de diminution de plus de 10 % des actifs sous gestion, outre une faculté de rétractation du cédant devant être exercée par lettre recommandée avec accusé de réception six mois avant la date de prise d'effet de la rétractation, qui ne pourra être postérieure au 31 décembre 2018.

Par contrat également conclu le 20 juillet 2017, la société Equance a confié à la société EPC un mandat d'intermédiaire d'assurance, l'article 10-3 de l'acte de cession des éléments d'actifs prévoyant que la gestion du portefeuille clients cédé sera assurée par le cédant dans le cadre d'un mandat de gestion que les deux parties s'engagent à signer.

La société EPC a, par courriel du 5 décembre 2017, demandé au dirigeant de la société Equance de préparer le retour de ses dossiers papiers avant le 23 décembre pour une sortie effective au 31 décembre 2017 (sic) et a informé, par courriels du 6 décembre 2017, diverses sociétés d'assurances (April, Generali) qu'elle venait d'exercer la faculté de rétractation prévue contractuellement ; par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 21 décembre 2017, elle a mis en demeure la société Equance de procéder, par virement, au règlement de la somme de 86 250 euros correspondant au second versement égal à 25 % du prix de cession, au plus tard le 31 décembre 2017.

Par courriel du 27 décembre 2017, la société Equance, par l'intermédiaire de son conseil, a informé l'avocat de la société EPC de la consignation de la somme de 86 250 euros dans l'attente de connaître la décision de celle-ci quant à l'exercice ou pas de sa faculté de rétractation ; après que le conseil de la société EPC eut sollicité pour le compte de sa cliente, par courriel du 11 janvier 2018, le paiement de cette somme, un chèque Carpa d'un montant de 78 570 euros lui a été adressé le 12 février 2018, correspondant au second versement du prix de cession diminué de la somme de 7680 euros au titre des commissions (estimées provisoirement à 5 000 euros) et aux loyers (2680 euros) dus à la société Equance.

Entre-temps, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 19 janvier 2018, la société EPC a notifié à la société Equance la résolution de l'acte de cession conclu le 20 juillet 2017, ainsi que du contrat d'agent commercial, du contrat d'agent commercial immobilier et du contrat de mandat d'intermédiaire d'assurance, lui reprochant de ne pas lui avoir réglé le deuxième versement du prix de cession, de ne pas lui avoir procuré les moyens matériels lui permettant de réaliser sa mission, d'avoir été incapable de mettre en œuvre le service de back office propre à assurer la gestion administrative des dossiers des clients prévu contractuellement et de ne pas avoir respecté la réglementation applicable en matière de gestion de patrimoine.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 8 mars 2018, la société Equance a résilié pour faute grave les deux contrats d'agent commercial et le contrat de mandat d'intermédiaire d'assurance la liant à la société EPC, reprochant à celle-ci le détournement de divers clients (MM. I... et C... et A... F...) et le dénigrement de la société.

Par exploit du 16 mars 2018, la société Equance a fait assigner la société EPC devant le juge des référés du tribunal de commerce de Montpellier afin qu'il lui soit fait interdiction sous astreinte d'effectuer des actes de concurrence déloyale et de l'autoriser à consigner sur un compte séquestre le montant des commissions dues à celle-ci à la date de rupture des contrats, dont elle avait pris l'initiative ; par ordonnance du 7 juin 2018, le juge des référés s'est déclaré incompétent pour connaître d'un tel litige.

Le 13 avril 2018, la société EPC a fait assigner à jour fixe la société Equance devant le tribunal de commerce de Montpellier notamment pour voir dire que la résolution du contrat de cession de clientèle et de portefeuille et des trois contrats d'agence et de mandat, qui en sont l'accessoire, telle que notifiée le 19 janvier 2018, est valable, condamner sous astreinte la société Equance à lui restituer les dossiers papiers de la clientèle, lui enjoindre sous astreinte d'accomplir auprès des compagnies d'assurances concernées les démarches nécessaires afin que les codes d'accès des dossiers clients lui soient communiqués et les dossiers transférés, condamner la société Equance à lui restituer l'intégralité des commissions perçues auprès des compagnies assurances (Generali vie, Generali patrimoine, Swiss Life, Alptis assurances, April assurances, UAF Life Side, Cardif, Oradea vie, Eres Debory, Axa, Aviva assurances, CD partenaires), outre intérêts capitalisés, et condamner la même à l'indemniser de ses préjudices financier et moral.

Le tribunal, par jugement du 3 septembre 2018 :

- a débouté la société EPC de toutes ses demandes, fins et conclusions comme infondées et injustifiées,

- a dit que le contrat de cession et les contrats de mandat doivent s'exécuter,

- a condamné la société EPC à la somme de 8000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice à l'image et à la réputation subie par la société Equance,

- a condamné la société EPC à fournir à la société Equance les relevés des commissions perçues auprès des compagnies Alptis, April, Aviva, Axa, Cardif, Eres, Generali vie, Generali Luxembourg, Oradea, Suravenir, Swiss Life et UAF depuis le 1er septembre 2017, sous astreinte définitive et non comminatoire de 800 euros par jour de retard, faute pour elle d'y avoir déféré dans un délai maximum de 60 jours à compter de la signification de la décision,

- a fait défense à la société EPC d'entreprendre la moindre démarche à l'égard des clients sous mandats et de traiter directement ou indirectement avec lesdits clients de la société Equance pendant une durée de deux ans à compter de la rupture du contrat d'agent commercial en date du 15 novembre 2017 (2016) et ce, sous astreinte définitive et non comminatoire 2 000 euros par infraction constatée,

- a fait défense à la société EPC d'entreprendre la moindre démarche à l'égard des clients sous mandats et de traiter directement ou indirectement avec lesdits clients de la société Equance pendant une durée d'un an à compter du terme du mandat d'intermédiaire signé en date du 20 juillet 2017 et ce, sous astreinte définitive et non comminatoire de 1 000 euros par infraction constatée,

- s'est réservé la faculté de liquider les astreintes,

- a enjoint à la société Equance de payer à la société EPC la somme de 86 250 euros au titre du solde du prix de cession convenue dans l'acte signé entre les parties le 20 juillet 2017 et réitéré le 1er septembre 2017,

- a dit que la liquidation des sommes respectivement dues entre les parties se fera par compensation,

- a ordonné l'exécution provisoire tenant l'obligation de la société Equance de verser le solde du prix de cession et tenant les astreintes ci-dessus,

- a ordonné, avant dire droit, une mesure d'instruction et commis M. G... en qualité d'expert avec pour mission de :

- recueillir les contrats de mandat conclus entre les sociétés Equance et EPC, d'une part, et les contrats des quatre clients visés par le détournement à savoir MM. I... et C... et A... F..., d'autre part,

- rechercher si la société EPC a effectué, depuis le 1er septembre 2017 (date du transfert de propriété de la clientèle cédée), des démarches ou invitations auprès de ces quatre clients pour les inciter à quitter la société Equance au titre des produits que commercialise cette société,

- donner tous éléments utiles pour permettre au tribunal de quantifier le préjudice financier lié à ce détournement,

- entendre les parties sur chacun de ces points, recueillir leurs dires et donner son avis sur ces derniers,

(...)

- a réservé l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

La société EPC a régulièrement relevé appel, le 25 octobre 2018, de ce jugement.

En cours d'instance, par ordonnance du 2 août 2019, confirmée ultérieurement aux termes d'une ordonnance de référé du 18 décembre 2019, le délégataire du premier président a désigné un huissier de justice afin notamment de procéder à toutes investigations, recherches, saisies de documents et de fichiers informatiques relativement à l'exercice par la société EPC d'une activité concurrente à celle de la société Equance ; la SCP Calippe et associés, huissiers de justice à Paris, a établi un procès-verbal de ses opérations le 2 octobre 2019.

La société EPC a ensuite saisi le conseiller de la mise en état en vue d'obtenir la production des bordereaux de commissions se rapportant à la clientèle cédée, au cours de la période comprise entre le 1er juillet 2017 le 8 mars 2018, et émanant de diverses compagnies d'assurances (Generali vie, Generali patrimoines, Swiss Life, Alptis assurances, April assurances, UAF Life Side, Cardif, Oradea vie, Eres Debory, Axa, Aviva assurances, Afi Esca Luxembourg et Allianz Luxembourg) afin de lui permettre de calculer les commissions effectivement dues ; par ordonnance du 7 octobre 2020, qui n'a pas été déférée à la cour, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de production de pièces dont il avait été saisi.

Dans le dernier état de ses conclusions déposées le 26 février 2021 via le RPVA, la société EPC demande à la cour, au visa des articles 561 et suivants du code de procédure civile, des articles 1104, 1240, 1353 et 1626 du code civil et des articles L. 134-12 et L. 442-6 5° du code de commerce, de :

(...)

- lui donner acte de son acquiescement, sans reconnaissance de droit, au jugement entrepris en ce qu'il a dit que le contrat de cession et les contrats de mandat devaient s'exécuter,

Sur l'absence de concurrence déloyale,

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale au préjudice de la société Equance et a parfaitement respecté la clause de non-concurrence figurant dans les trois contrats de mandat litigieux,

- en conséquence, dire et juger n'y avoir lieu à une quelconque astreinte à ce titre, et ce faisant, rejeter toute demande de liquidation formée par la société Equance,

- infirmer le jugement entrepris sur ce point,

- déclarer irrecevable la demande de réduction du prix de cession formée par la société Equance pour la première fois en cause d'appel sur le fondement de la clause de non-concurrence du contrat de cession de clientèle,

- en tout état de cause, dire et juger que la clause de non-concurrence du contrat de cession de clientèle est nulle car disproportionnée dans son objet et dans le temps,

- dire et juger qu'il n'existe aucun lien de causalité entre une quelconque démarche de sa part, à la supposer établie, et la déperdition de clientèle alléguée par la société Equance au sein du portefeuille cédé, à la supposer démontrée,

Sur l'expertise,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 3 septembre 2018 en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise pour quantifier le préjudice allégué par la société Equance au titre d'un prétendu détournement de clientèle,

- en tout état de cause, rejeter la demande d'extension de la mission de l'expert formée par la société Equance,

Sur les trois contrats de mandat,

- dire et juger qu'aux termes de son courrier du 8 mars 2018, la société Equance a non pas résolu mais résilié les trois contrats de mandat litigieux,

- en conséquence, déclarer nulles ou de nul effet ou à défaut irrecevables les conclusions régularisées dans l'intérêt de la société Equance pour manque de base légale comme visant à tort les dispositions des articles 1226 et suivants du code civil relatives à la résolution des conventions,

- en tout état de cause, dire et juger que la société Equance a résilié les trois contrats de mandat dans des conditions abusives et injustifiées,

Sur le contrat de mandat d'agent commercial immobilier,

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun manquement contractuel,

- en conséquence, condamner la société Equance à lui payer au titre de l'indemnité de fin de contrat sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce une somme de 107 628,54 euros, sauf à parfaire,

- condamner la société Equance à lui payer au titre de l'indemnisation de l'absence de préavis une somme de 13 453,57 euros, sauf à parfaire,

- condamner la société Equance à lui payer à titre de dommages et intérêts du fait du caractère abusif de la rupture du mandat une somme de 107 628,54 euros, sauf à parfaire,

Sur le contrat de mandat d'intermédiaire en assurance,

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun manquement contractuel,

- en conséquence, condamner la société Equance à lui payer au titre de l'indemnité de fin de contrat sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce une somme de 10 354,90 euros, sauf à parfaire,

- condamner la société Equance à lui payer au titre de l'indemnisation de l'absence de préavis une somme de 862,90 euros, sauf à parfaire,

- condamner la société Equance à lui payer à titre de dommages et intérêts du fait du caractère abusif de la rupture du mandat une somme de 10 354,90 euros, sauf à parfaire,

Sur le contrat de mandat d'agent commercial,

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun manquement contractuel,

- en conséquence, condamner la société Equance à lui payer au titre de l'indemnisation de l'absence de préavis une somme de 50 854,34 euros, sauf à parfaire,

- condamner la société Equance à lui payer à titre de dommages et intérêts du fait du caractère abusif de la rupture du mandat une somme de 305 126,06 euros, sauf à parfaire,

Sur les commissions,

- dire et juger qu'elle a valablement exécuté le jugement entrepris en ce qui concerne la fourniture des bordereaux des commissions qu'elle a perçues,

- en conséquence, dire n'y avoir lieu à liquidation de ladite astreinte prononcée à ce titre par le tribunal de commerce de Montpellier aux termes de son jugement du 3 septembre 2018,

- dire et juger que la société Equance n'a quant à elle pas valablement justifié du montant des commissions lui revenant en vertu des trois contrats de mandat litigieux,

- en conséquence, enjoindre à la société Equance de lui fournir les bordereaux de commissions portant sur la clientèle litigieuse, émis par les compagnies d'assurances Generali vie, Generali patrimoine, Swiss Life, Alptis assurances, April assurances, UAF Life Side, Cardif, Oradea vie, Eres Debory, Axa, Aviva assurances, CD partenaires, Afi Esca Luxembourg, Allianz Life Luxembourg et Generali Luxembourg au titre de la période courant du 20 juillet 2017, date de la cession, au 8 mars 2018, date de la résiliation des contrats de mandat opérée par la société Equance, ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard faute pour celle-ci d'y avoir déféré dans un délai de 15 jours à compter de la date de signification de l'arrêt à intervenir,

- se réserver la faculté de liquider la présente astreinte,

- surseoir à statuer dans l'attente de la communication par la société Equance des bordereaux de commissions susvisés,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 3 septembre 2018 en ce qu'il a octroyé à la société Equance une somme de 8000 euros au titre de l'atteinte à son image et à sa réputation,

Sur les demandes indemnitaires complémentaires,

- condamner la société Equance à lui payer une somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, en réparation de son préjudice moral et d'image,

- ordonner si nécessaire la compensation entre toutes sommes dues par chacune des parties entre elles au titre de la décision à intervenir,

- dire et juger que les sommes lui étant dues porteront intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2018, date de la résiliation des trois contrats de mandat par la société Equance, avec capitalisation à compter du 9 mars 2019,

- condamner la société Equance à lui payer la somme de 30 000 euros au titre l'article 700 du code de procédure civile.

La société Equance, dont les dernières conclusions dites « récapitulatives n° 2 » ont été déposées le 1er mars 2021 par le RPVA sollicite, au visa de l'article L. 134-4 du code de commerce, de l'article 564 du code de procédure civile et des articles 1104, 1224, 1226 et suivants et 1626 du code civil, de voir :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter la société EPC de toutes ses autres demandes, fins et conclusions et y ajoutant,

- condamner la société EPC au paiement de la somme de 27 448,98 euros au titre des commissions indûment perçues après la cession du portefeuille clients le 1er septembre 2017,

- condamner la société EPC, pour manquement à ses engagements de non-concurrence stipulés dans l'acte de cession du portefeuille clients du 1er septembre 2017 et à son obligation de garantie d'éviction, au paiement de la somme de 241 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- à titre subsidiaire, si la cour s'estimait suffisamment informée sur le quantum du préjudice financier subi par elle, élargir la mission de l'expert judiciaire aux points suivants :

- rechercher si la société EPC a effectué depuis le 1er septembre 2017 (date du transfert de la propriété de la clientèle cédée) des démarches ou invitations auprès des clients cédés qui l'ont quittée depuis le 1er septembre 2017 par rachat ou transfert de leurs contrats, pour les inciter à la quitter,

- donner tout élément utile pour permettre de quantifier le préjudice subi par elle au titre de ce détournement de clientèle,

- condamner la société EPC au paiement de la somme de 148 000 euros au titre de l'astreinte de 1 000 euros par infraction constatée, prononcée par les premiers juges,

- condamner la société EPC au paiement de la somme de 118 992 euros en réparation du préjudice subi par elle au titre du détournement illicite des quatre clients, MM. J... I..., D... C... et B... C... et A... K... F...,

- condamner la société EPC à lui payer la somme de 15 000 euros au titre l'article 700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 2 mars 2021.

Postérieurement, la société EPC a déposé des conclusions d'incident visant au rejet des nouvelles pièces et conclusions déposées par la société Equance la veille de l'ordonnance de clôture ; la société Equance a sollicité, pour sa part, par conclusions d'incident du 11 mars 2020, le rejet de la demande de la société EPC tendant à ce que ses pièces et conclusions du 1er mars 2021 soient écartées des débats et, à titre subsidiaire, le rejet des nouvelles pièces et conclusions de la société EPC régularisées les 22 et 26 février 2021 ; les parties ont ensuite, avant l'ouverture des débats à l'audience, retiré leurs conclusions d'incident, ce qu'elles ont confirmé à la cour par messages transmis via le RPVA.

MOTIFS de la DECISION :

1 - la demande de la société EPC aux fins de résolution de l'acte de cession de clientèle et de portefeuille et des trois contrats d'agence et de mandat :

Le tribunal, dans son jugement du 3 septembre 2018, a débouté la société EPC de sa demande de résolution et a dit que l'acte de cession et les contrats d'agence et de mandat doivent s'exécuter ; pour statuer comme il l'a fait, le premier juge a notamment considéré que le défaut paiement de la seconde tranche de prix, reproché à la société Equance, n'était pas suffisamment caractérisé, alors qu'il ressortait de l'examen des pièces que la position de la société EPC était incertaine puisque celle-ci avait, les 5 et 6 décembre 2017, manifesté son intention d'exercer la faculté de rétractation prévue contractuellement avant de solliciter, le 21 décembre 2017, le versement de la seconde partie du prix, que c'est donc de parfaite bonne foi que la société Equance avait demandé, par courriers des 27 décembre 2018 et 12 janvier 2018, à la société EPC de préciser sa position, déposant dans l'immédiat la deuxième partie du versement sur un compte séquestre, que l'acte de cession ne prévoyait pas de date butoir pour la fourniture d'une garantie et ne contenait aucune sanction en cas de versement des tranches de prix hors des délais prévus, qu'aucune mise en demeure d'exécuter cette obligation n'avait d'ailleurs été adressée à la société Equance, qu'aucune pièce n'étayait l'affirmation de la société EPC relativement à d'éventuels dysfonctionnements dans la gestion et le suivi de la clientèle et qu'enfin, la résolution de l'acte de cession ne rendait pas impossible la poursuite des contrats de mandat ; même si elle conteste les motifs par lesquels le tribunal s'est ainsi déterminé, la société EPC déclare acquiescer à ces dispositions du jugement.

2 - la résiliation des contrats d'agence et du mandat d'intermédiaire d'assurance, dont la société Equance a pris l'initiative :

La société Equance a, dans son courrier recommandé du 8 mars 2018, notifié à la société EPC la cessation des contrats d'agence et du mandat d'intermédiaire d'assurance à réception de son courrier (sic), reprochant à son partenaire contractuel le détournement de divers clients, à savoir MM. I..., et C... et A... F..., et le dénigrement de la société ; c'est bien la résiliation des contrats d'agence et du mandat d'intermédiaire d'assurance, dont la société Equance a pris l'initiative.

L'article 8-1 du contrat d'agent commercial conclu le 15 novembre 2016 entre les parties dispose que pendant l'exécution du contrat, l'agent commercial s'interdit, sauf accord préalable et écrit du mandant, toute activité se rapportant à la commercialisation de tous produits susceptibles de concurrencer ceux dont la représentation lui est confiée et qu'à l'issue de l'exécution du contrat, l'agent s'interdit, pendant une durée de deux ans à compter de la date de rupture effective, de s'intéresser à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, sur le secteur géographique et auprès des clients d'Equance à toute entreprise ou activité ayant trait la distribution de produits similaires ou semblables à ceux distribués par la société ; le second alinéa de l'article L. 134-4 du code de commerce énonce également que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

De même, le contrat de mandat d'intermédiaire d'assurance conclu concomitamment à l'acte de cession du 20 juillet 2017 prévoit, à l'article 1-2, que l'intermédiaire d'assurance ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente du mandant sans l'accord express et par écrit de ce dernier et à l'article 9, que le mandataire s'interdit, dans un délai de douze mois à compter de la fin du mandat, de démarcher ou de traiter directement ou indirectement avec la clientèle du mandant, y compris celle que le mandataire aura lui-même apportée ; aux termes de l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

La société EPC soutient que les clients prétendument détournés faisaient partie du portefeuille de clientèle cédé le 20 juillet 2017 à la société Equance, qu'antérieurement à la cession de son portefeuille, elle a souscrit pour le compte de ces clients des produits commercialisés par la société Equance auprès des compagnies Afi Esca Luxembourg et Allianz Life Luxembourg, que les démarches entreprises pour le compte des clients concernés postérieurement à la résolution des contrats notifiée le 19 janvier 2018, étaient légitimes compte tenu de l'effet immédiat s'attachant à la résolution, que ces clients ont ensuite refusé que leurs contrats soient traités par la société Equance, le transfert de la gestion d'un contrat ne pouvant s'opérer au Luxembourg sans l'accord écrit du client, et qu'elle a cessé d'intervenir pour ces clients à compter du jugement de première instance en sorte qu'il ne peut lui être reproché un détournement de clientèle, pas plus qu'un dénigrement de la société Equance.

Certes, MM. I... et C... et A... F... figurent sur la liste des clients établie sous format Excel, que la société EPC a transmise le 20 juillet 2017 à la société Equance, mais ces quatre clients avaient été démarchés par la société EPC en exécution du contrat d'agent commercial conclu le 15 novembre 2016 et avaient souscrit entre le 9 décembre 2016 et le 12 juin 2017, sous mandats Equance, des produits d'assurance auprès des compagnies Afi Esca Luxembourg et Allianz Life Luxembourg pour un montant total de 5 034 000 euros ; la société EPC a d'ailleurs perçu des commissions en tant qu'agent commercial sur le montant des investissements ainsi réalisés, ainsi qu'il ressort des bordereaux de commissions en date des 2 mars 2017, 3 mai 2017 et 30 juin 2017 produits aux débats ; elle n'apparaît pas dès lors fondée à soutenir que les clients concernés faisaient partie du portefeuille cédé aux termes de l'acte de cession du 20 juillet 2017, réitérée le 1er septembre 2017, quand bien même elle aurait été en relations avec eux antérieurement à la conclusion du contrat d'agence.

Il n'est pas discuté que dans le courant du mois de février 2018, MM. I... et C... et A... F... ont demandé aux compagnies d'assurances un changement d'intermédiaire pour la gestion de leurs contrats, désignant la société EPC comme courtier ; un différend a ensuite opposé la société EPC à la compagnie Afi Esca Luxembourg relativement au paiement des commissions sur trois des contrats d'assurance-vie transférés labélisés par Equance sous la dénomination International Pension Luxembourg en raison du fait que le barème de commission avait été négocié avec la société Equance et que dans l'attente de l'accord négocié avec celle-ci, la compagnie estimait ne pas être en mesure de payer à la société EPC les commissions dues.

Dans l'échange de courriels avec la compagnie, la dirigeante de la société EPC, estimant illégale la rétention des commissions, a alors menacé d'inciter les clients à racheter leurs contrats (le transfert ayant été demandé par les clients, il est illégal que vous reteniez les commissions. Je vais également en informer les clients qui ne souhaitent surtout plus travailler avec Equance ; ceci entraînera sûrement un rachat total à suivre si nécessaire et bien sûr la résiliation de notre partenariat' quoiqu'il en soit, mes clients me suivront, chez vous ou ailleurs et cela dans les prochains jours si besoin) ; un jugement du tribunal de paix de Luxembourg en date du 14 décembre 2018, confirmé en appel, a d'ailleurs débouté la société EPC de sa demande en paiement de commissions, dirigée à l'encontre de la compagnie Afi Esca Luxembourg, au titre des contrats d'assurance-vie « International Pension Luxembourg » notamment souscrits par MM. C... et A... F....

En acceptant d'être désignée comme intermédiaire en remplacement de la société Equance pour la gestion de quatre contrats d'assurance-vie représentant plus de 5 millions d'euros de placements, alors que ces contrats étaient sous mandat Equance, et en menaçant l'une des deux compagnies d'assurances concernées d'inciter les clients, ne souhaitant plus de la société Equance comme intermédiaire, de racheter leurs contrats correspondant à des produits commercialisés par son mandant, la société EPC a manifestement méconnu l'obligation de loyauté pesant sur elle dans l'exécution du contrat d'agence et du mandat d'intermédiaire d'assurance.

Elle est mal fondée à prétendre que les démarches entreprises pour le compte des clients étaient légitimes compte tenu de l'effet immédiat s'attachant à la résolution de l'acte de cession notifiée le 19 janvier 2018, alors que MM. I... et C... et A... F... ne faisaient pas partie de la clientèle cédée, que la résolution dont elle a pris l'initiative, sans mise en demeure préalable, l'a été à ses risques et périls comme il est dit à l'article 1226 du code civil, sachant qu'elle acquiesce désormais au jugement l'ayant déboutée de sa demande de résolution, et qu'au surplus, la résolution du contrat d'agence et du mandat d'intermédiaire d'assurance ne la dispensait pas du respect des clauses de non-concurrence conformément à l'article 1230 du même code.

Le contrat d'agent commercial du 15 novembre 2016 et le mandat d'intermédiaire d'assurance ont le même objet, à savoir la souscription, pour le compte de la société Equance, de contrats d'assurance tant en branche vie qu'en branche capitalisation et de contrats concernant les produits financiers, précision faite que le mandat d'intermédiaire d'assurance conclu le 20 juillet 2017 porte sur la gestion du portefeuille clients de la société EPC cédée à la société Equance ; le contrat d'agent commercial immobilier visant à la négociation, pour le compte du mandant, d'opérations sur les immeubles et les fonds de commerce entrant dans le champ d'application de l'article 4 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 dite « loi Hoguet », complète le contrat d'agent commercial signé le même jour pour la souscription de contrats d'assurance et de placements financiers et participe donc à l'activité de gestion de patrimoine poursuivi par la société Equance ; les trois contrats conclus, qui sont des mandats d'intérêt commun, forment donc un tout, en sorte que le manquement de la société EPC à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat d'agent commercial du fait du détournement de quatre clients importants, est de nature à justifier la résiliation de l'ensemble des contrats eu égard à la perte de confiance qui en résulte nécessairement et qui empêche la poursuite d'une relation contractuelle d'ensemble.

Dès lors qu'il porte atteinte à la finalité commune des mandats d'intérêt commun, le détournement de clientèle imputable à la société EPC doit être regardé comme constitutif d'une faute grave au sens de l'article L. 134-13 du code de commerce, privative de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de fin de contrat dues à l'agent commercial ; de même, la cessation du mandat d'intermédiaire d'assurance pouvait être notifiée par la société Equance en raison de la faute grave du mandataire conformément l'article 9 du contrat en sorte que celui-ci ne peut solliciter ni une indemnité compensatrice de préavis, ni une indemnisation au titre du caractère abusif de la rupture.

Il y a lieu en conséquence de rejeter les demandes de la société EPC en paiement d'indemnités au titre de la rupture des contrats d'agence et du mandat d'intermédiaire d'assurance et de confirmer le jugement en ce qu'il a fait défense à la société EPC d'entreprendre la moindre démarche à l'égard des clients sous mandats et de traiter directement ou indirectement avec eux pendant une durée de deux ans à compter de la rupture du contrat d'agent commercial du 15 novembre 2016 et pendant une durée d'un an à compter du terme du mandat d'intermédiaire d'assurance du 20 juillet 2017.

Il n'appartient pas, en revanche, à la cour de liquider les astreintes prononcées, faculté que le tribunal s'est expressément réservé ; il convient seulement de dire que les astreintes prononcées le sont, non pas à titre définitif et non comminatoire, mais à titre provisoire.

3 - la demande de la société Equance en paiement de la somme de 241 500 euros à titre de dommages et intérêts en raison du non-respect des clauses de non-concurrence stipulées dans l'acte de cession et la violation de la garantie d'éviction du fait personnel :

Il est stipulé à l'article 5-2 de l'acte de cession de clientèle et de portefeuille en date du 1er septembre 2017 que le cédant, d'une part, s'interdit expressément, en dehors du mandat de gestion que le cessionnaire lui confiera (...), pour une durée de trois années entières et consécutives à compter de la date d'entrée en jouissance, de s'intéresser directement ou indirectement, notamment en tant que salarié, gérant associé ou même associé commanditaire, à l'exploitation d'une activité de même nature que celle des activités cédées ou susceptible de lui faire concurrence et ce pour la France entière, sauf accord exprès, préalable et écrit du cessionnaire et, d'autre part, s'interdit, en dehors du mandat de gestion que le cessionnaire lui confiera (...) de démarcher et de prospecter les clients et prospects dont la liste est annexée sur des activités que développe le cessionnaire à la date des présentes, sauf accord exprès, préalable et écrit du cessionnaire.

L'obligation de non-concurrence ainsi stipulée court à compter de l'entrée en jouissance du cessionnaire, qui a été fixée contractuellement au 1er septembre 2017.

Il ne peut être soutenu que la demande indemnitaire en paiement de la somme de 241 500 euros est irrecevable comme ayant été présentée pour la première fois en cause d'appel, alors qu'en première instance, la société Equance avait seulement demandé le paiement de la somme de 118 992 euros en réparation du préjudice consécutif au détournement de clientèle limitée aux quatre contrats transférés en février 2018 et que la demande litigieuse doit être ainsi regardée comme le complément nécessaire à la prétention initiale au sens de l'article 566 du code de procédure civile.

Contrairement à ce qu'affirme la société EPC, l'obligation de non-concurrence contenue à l'article 5-2 de l'acte est valable ; en effet, si la clause litigieuse fait interdiction au cédant de s'intéresser à l'exploitation d'une activité de même nature que celle des activités cédées correspondant aux opérations de courtage en matière d'assurance toute branches Iard et vie, de conseil en investissements financiers et en gestion de patrimoine, d'intermédiaire en opérations de banque et services de paiement, de conseil auprès des particuliers et des entreprises en matière économique, juridique, financière, patrimoniale, fiscale et sociale et d'agent immobilier pour la carte transaction, il n'en demeure pas moins que l'activité de conseil rémunéré sous forme d'honoraires et l'activité de Private Equity, notamment toutes les rémunérations passées et contrats futurs venant des clients, transactions, contrats signés avec la Financière fonds privés, se trouve exclue de la cession comme il est dit en préambule de l'acte, page 2, et que la clientèle que le cédant s'interdit de démarcher ou de prospecter est celle liée exclusivement aux activités cédées ; elle n'a donc pas pour effet d'interdire au cédant l'exercice de toute activité professionnelle dans son domaine de compétence, d'autant que celui-ci se voyait concéder un mandat d'intermédiaire en assurance relativement aux clients cédés.

Le fait que la clause de non-concurrence a pour champ territorial la France entière ne revêt, par ailleurs, aucun caractère abusif puisque les clients cédés se trouvent répartis sur l'ensemble du territoire national et dès lors que l'acte de cession opère un transfert de clientèle et que les parties à l'acte interviennent toutes les deux dans le même secteur de la gestion de patrimoine et du conseil en investissements financiers, il est évident qu'elle est proportionnée aux intérêts légitimes de la société Equance au regard de l'objet du contrat ; en outre, l'application de la clause est limitée dans le temps, à trois années à compter de la date d'entrée en jouissance du cessionnaire.

Il résulte des pièces produites par la société Equance qu'entre le 28 septembre 2017 et le 19 juillet 2019, divers clients identifiés parmi ceux figurant sur la liste des clients cédés (Fabien Garcelon, Françoise Mathieu-Mazières, Dominique Rouvrais et Sylvie Rouvrais-Dorison, Marielle Beltrane, Julie Fuillet, Xavier Vermaud, Jean-François Heyer, Laurent Sabatucci, Virginie Thiery, Aurélia Troche, Michel Lemoine, Jeanine Beyler, Muriel de Kersaingilly) ont demandé que la société EPC soit désignée comme gestionnaire de leurs contrats d'assurance-vie, notamment souscrits auprès de Generali vie, Generali patrimoine ou Axa, et que le 15 octobre 2019, deux autres clients parmi les clients cédés (Carine Castet, Xavier Baudard) ayant souscrit des contrats de prévoyance-santé auprès d'April assurances ont désigné comme nouvel assureur conseil une société Social Care Consulting ayant pour directeur général la dirigeante de la société EPC, société immatriculée le 28 novembre 2018 au registre du commerce et des sociétés et ayant pour activité le courtage en assurance.

Eu égard au caractère intuitu personae de la relation s'établissant entre le courtier et son client, il n'est pas établi que ces demandes de transfert ont été suggérées par la société EPC à ses anciens clients et il ne saurait a priori être reproché à celle-ci de n'avoir pas présenté la société Equance comme son successeur auprès des clients cédés, rien ne permettant d'affirmer qu'elle ait été défaillante dans son obligation, prévue contractuellement, de signer les avenants de transfert des contrats repris par le cessionnaire ; la société Equance ne pouvait avoir la naïveté de croire que l'ensemble des clients accepterait le transfert de leurs contrats, alors qu'ils ne la connaissaient pas et que nombre d'entre eux était domicilié ....

En revanche, le tableau Excel que l'huissier de justice désigné par ordonnance du 2 août 2019 a pu saisir dans l'ordinateur de la dirigeante de la société EPC, démontre que certains clients ayant demandé un transfert de leurs contrats ont ensuite été détournés par la société EPC qui a directement repris à son compte la gestion des contrats, notamment en proposant des placements auprès d'Aviva retraite, comme en témoignent les diligences mentionnées sur le tableau Excel en mai ou en juin 2019 au profit de ces clients (Fabien Garcelon, Francine Mathieu-Mazières, Julie Fuillet, Xavier Vermaud, Jean-François Heyer, Laurent Sabatucci, Carine Castet, Xavier Baudard) ; le manquement de la société EPC, directement ou par l'interposition de la société Social Care Consulting, à son obligation de non-concurrence se trouve ainsi caractérisé , comme l'inexécution de son obligation de garantie découlant de l'article 1626 du code civil, qui lui faisait le devoir de s'abstenir de détourner la clientèle cédée.

Tel n'est pas le cas en ce qui concerne les demandes de rachat partiel ou total des contrats d'assurance-vie que certains clients (Nicolas Bouchenoire, Mariyah Akbraly, B... C..., K... F...) ont effectué, aucun élément ne démontrant un remploi des fonds issus de ces rachats en vue de la souscription de contrats d'assurance ou de contrats concernant des produits financiers par l'intermédiaire de la société EPC ; de même, il ne peut être tiré aucune conséquence du fait que des contrats souscrits l'ont été sous le code de courtier de la société EPC et non sous celui de la société Equance peu après la régularisation de l'acte de cession, alors que la société EPC était titulaire d'un mandat de gestion du portefeuille clients.

La société EPC estime que, dans l'hypothèse où des inexécutions contractuelles seraient retenues à son encontre, elle serait alors en droit d'opposer à la société Equance une exception d'inexécution au sens de l'article 1219 du code civil eu égard aux propres manquements contractuels de celle-ci.

En premier lieu, le défaut de paiement au 31 décembre 2017 du deuxième versement sur le prix de cession ne peut être regardé comme un manquement suffisamment grave de la société Equance à ses obligations contractuelles, alors que début décembre 2017, la société EPC, par divers courriels adressés à son cocontractant ou à des compagnies d'assurances, avait manifesté son intention d'user de la faculté de rétractation prévue en sa faveur à l'article 9 de l'acte de cession avant de mettre en demeure, par lettre recommandée du 21 décembre 2017, la société Equance de procéder au règlement de la somme de 86 250 euros due à ce titre ; comme l'a justement retenu le tribunal, il ne peut être reproché à cette dernière d'avoir suspendu le paiement du deuxième versement dans l'attente de connaître la décision de la société EPC quant à l'exercice ou pas de sa faculté de rétractation, qui l'aurait alors obligé à rembourser la totalité des sommes encaissées, outre l'ensemble des coûts directs et indirects supportés par le cessionnaire.

S'agissant du paiement du solde du prix, devant intervenir le 31 juillet 2018, force est de constater que la société EPC avait notifié entre-temps la résolution de l'acte de cession et des divers mandats puis saisi le tribunal de commerce d'une assignation à jour fixe pour faire valider la résolution et que le jugement rendu le 3 septembre 2018 par le tribunal, s'il a condamné la société Equance au paiement de la somme de 86 250 euros au titre du solde du prix, n'en a pas moins ordonné la compensation avec les sommes susceptibles d'être mises à la charge de la société EPC au titre des commissions, qu'elle avait continué à percevoir sur les contrats des clients cédés ; le fait que la société EPC ait été contrainte de procéder par voie de saisie-attribution au recouvrement du solde du prix correspondant à la condamnation prononcée ne peut être regardé, compte tenu du contentieux judiciaire qui se poursuivait devant la cour sur l'appel formé par celle-ci, comme une inexécution contractuelle suffisamment grave de nature à permettre à la société EPC de ne pas exécuter ses propres obligations contractuelles.

Lorsqu'elle a pris l'initiative, le 19 janvier 2018, de notifier à la société Equance la résolution de l'acte de cession et des divers mandats la liant à celle-ci, la société EPC ne s'est pas prévalue du défaut de paiement des commissions, que son mandant devait lui rétrocéder au titre de ses activités d'agent commercial et d'intermédiaire d'assurance ; en outre, elle est intervenue, dès la fin du mois de janvier 2018, auprès des compagnies d'assurances en vue d'obtenir la délivrance de nouveaux codes d'accès lui permettant d'assurer le suivi de sa clientèle et la suspension du paiement des commissions à la société Equance dans l'attente d'un accord amiable entre les parties ou d'une décision de justice à intervenir.

Si elle invoque le fait qu'un seul bordereau de commissions éditée le 30 novembre 2017 lui a été adressé par la société Equance, elle reconnaît que des commissions lui ont été payées, après la cession de son portefeuille clients intervenue le 20 juillet 2017, par plusieurs compagnies d'assurances (Alptis, April, Aviva, Axa, Eres, Cardif, Generali vie, Generali patrimoine, Generali Luxembourg, Oradea, Suravenir, Swiss Life, UAF life patrimoine) en l'absence de changement du nom du courtier ; dès lors qu'une compensation était à faire entre les commissions dues à la société EPC et celles que cette dernière a perçu indûment de compagnies d'assurances, il ne peut être considéré que le défaut de paiement par la société Equance des commissions dues à son mandataire au cours de la période comprise entre le 20 juillet 2017 et le 8 mars 2018 constitue un manquement d'une gravité telle qu'il autorisait la société EPC à ne pas respecter son obligation de non-concurrence relativement à la clientèle cédée.

S'agissant du reproche fait à la société Equance de n'avoir pas mis à la disposition de son partenaire les moyens matériels nécessaires à la réalisation de sa mission de conseil auprès de la clientèle cédée, il n'est pas établi en quoi les difficultés rencontrées par la société EPC pour utiliser son « espace consultant » sur le site Internet d'Equance et pour accéder aux sites des compagnies d'assurances seraient exclusivement imputables à la société Equance qui a dû effectuer la digitalisation de 500 dossiers papiers, opération qui n'a été terminée qu'en décembre 2017, et demander la création de sous codes permettant à la société EPC d'accéder directement aux sites des compagnies d'assurances ; il en est de même en ce qui concerne la prétendue défaillance du service de Back Office destiné à assurer la gestion administrative des dossiers clients, alors que cette gestion administrative devait être assurée par le mandataire lui-même notamment tenu, selon l'article 1-5 du mandat d'intermédiaire d'assurance, de faire signer le contrat par le souscripteur et de remettre au mandant tous les documents originaux signés par celui-ci et lui rendre compte de l'ensemble des informations collectées auprès du souscripteur.

C'est donc vainement que la société EPC tente de s'exonérer de l'exécution de son obligation de non-concurrence, qu'elle a souscrite aux termes de l'acte de cession du 1er septembre 2017, et dont il a été indiqué plus haut qu'elle avait été méconnue puisqu'entre septembre 2017 et octobre 2019, la société EPC, directement ou par interposition de la société Social Care Consulting, a repris la gestion de plusieurs dossiers de clients, après que ceux-ci l'eurent désigné comme nouveau gestionnaire de leurs contrats en remplacement de la société Equance.

A l'appui de sa demande en paiement de dommages et intérêts compensatoires de son préjudice, la société Equance fait valoir, en produisant deux tableaux récapitulatifs des pertes subies, que les contrats d'assurance vie rachetés par les clients ou transférés à la société EPC auxquels s'ajoutent les contrats prévoyance santé annulés, représentent 70 % du total des contrats cédés, son préjudice s'établissant alors, par rapport au prix de cession payé, à la somme de 345 000 euros x 70% = 241 500 euros.

Pour autant, il n'est pas établi que les pertes subies par la société Equance, particulièrement en ce qui concerne les contrats d'assurance-vie, sont toutes imputables au détournement de clients commis par la société EPC, qui a effectivement repris la gestion de certains contrats en méconnaissance de son obligation de non-concurrence et de sa garantie d'éviction ; le préjudice qu'elle subit n'est avéré que pour les clients figurant sur le tableau Excel saisi dans son ordinateur, hors les clients détournés en février 2018 (MM. I... et C... et A... F...) ne faisant pas partie du portefeuille cédé ; en l'état des éléments analysés, il convient de considérer que les pertes directement liées au détournement de clientèle commis par la société EPC représentent 4 % des pertes totales, ce dont il se déduit un préjudice égal à la somme de : 345 000 euros x 4% = 13 800 euros arrondie à 14 000 euros.

La société EPC doit en conséquence être condamnée au paiement de ladite somme à titre de dommages et intérêts, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une mesure d'expertise.

4 - la demande de la société Equance en paiement de la somme de 118 992 euros en réparation du préjudice subi au titre du détournement illicite des quatre clients (MM. I... et C... et A... F...) ne faisant pas partie du portefeuille cédé :

Il a été indiqué plus haut que ces clients, détournés par la société EPC, avaient souscrit des produits d'assurance auprès des compagnies Afi Esca Luxembourg et Allianz Life Luxembourg pour un montant total de 5 034 000 euros ; pour l'évaluation du préjudice, il convient de retenir que la perte subie par la société Equance correspond au montant des commissions, dont elle a été privée, égal à 0,8 % par an sur le montant des fonds placés et pendant trois ans puisque la valeur du portefeuille clients correspond à trois années de commissions, mais en déduisant le montant des commissions rétrocédées à l'agent commercial à l'origine de la souscription des produits d'assurance sur une base moyenne de 50 % ; il s'ensuit que le préjudice peut être chiffré à la somme de : 5 034 000 euros x 0,8 % x 3 x 50 % = 60 408 euros arrondie à 60 000 euros ; la société EPC doit ainsi être condamnée au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts, sans qu'il soit, là encore, nécessaire de recourir à une mesure d'expertise.

5 - la demande de la société Equance en paiement de la somme de 27 448,98 euros au titre des commissions indûment retenues par la société EPC :

Par courrier recommandé du 26 novembre 2018, la société EPC a adressé à la société Equance l'état des commissions perçues directement des compagnies d'assurances au cours de la période du 20 juillet 2017 au 8 mars 2018, date de résiliation du mandat, s'établissant à la somme de 25 872,49 euros ; la moitié de cette somme aurait dû être reversée à la société Equance, sachant que 50% des commissions demeurent, ... ; en revanche, la somme de 1576,46 euros correspondant au montant des commissions versées par la société d'assurances Axa après la résiliation du mandat d'intermédiaire d'assurance doit être restituée en intégralité à la société Equance ; celle-ci est donc fondée à obtenir le paiement de la somme de : (25 872,49 euros x 50 %) + 1576,46 euros = 14 512,70 euros.

6 - la demande de la société EPC tendant à ce qu'il soit fait injonction à la société Equance de lui fournir sous astreinte les bordereaux de commissions portant sur la clientèle litigieuse, émis par les compagnies assurances Generali vie, Generali patrimoine, Swiss Life, Alptis assurances, April assurances, UAF Life Side, Cardif, Oradea vie, Eres Debory, Axa, Aviva assurances, CD partenaires, Afi Esca Luxembourg, Allianz Life Luxembourg et Generali Luxembourg au titre de la période courant du 20 juillet 2017 au 8 mars 2018 :

Cette demande a été soumise au conseiller de la mise en état qui, par une ordonnance rendue le 7 octobre 2020 non déféré à la cour, l'a rejetée.

Aucune disposition du contrat d'agent commercial ou du mandat d'intermédiaire d'assurance n'impose à la société Equance de fournir les bordereaux de commissions établis par les compagnies d'assurances, étant observé que les conditions d'attribution et les modalités de versement des commissions sont précisément définies dans les mandats ; lors des débats devant le conseiller de la mise en état, la société Equance a fourni un tableau récapitulatif recensant les primes encaissées et les commissions versées ou à verser sur la période de septembre 2017 à mars 2018 au titre du portefeuille clients, objet de la cession ; dans ses conclusions d'appel, la société Equance indique que le montant des commissions dues à la société EPC s'élève à la somme de 29 016,27 euros, dont 1916,45 euros déjà payés, soit un solde restant dû de 27 099,82 euros, chiffre cohérent avec le volume du portefeuille cédé ; elle observe même que le montant, dont elle se reconnaît débitrice, est supérieur à celui déterminé par la société EPC elle-même ressortant à la somme de 18 201,51 euros.

Ce tableau récapitulatif, qui n'est pas produit aux débats devant la cour, ne fait l'objet d'aucune critique précise de la part de la société EPC, alors qu'étant à l'origine de la signature des contrats d'assurance, elle dispose nécessairement des éléments lui permettant de vérifier le montant des commissions devant lui être rétrocédé ; la demande tendant à ce qu'il soit fait injonction à la société Equance de communiquer sous astreinte les bordereaux de commissions émis par diverses compagnies d'assurances, qui n'a pas été soumis au premier juge, ne peut ainsi qu'être rejetée.

7 - les demandes respectives des parties en paiement de dommages et intérêts compensatoires d'un préjudice d'image ou moral :

Il n'est fourni aucun élément de nature à établir l'existence des préjudices invoqués, en relation directe avec les manquements contractuels de l'une ou l'autre des parties ; ses demandes ne peuvent également qu'être rejetées.

8 - les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, les dépens de première instance et d'appel doivent être intégralement mis à la charge de la société EPC qu'il y a lieu en outre de condamner à payer à la société Equance la somme de 8000 euros, incluant les frais liés au procès-verbal de la SCP Calippe et associés en date du 2 octobre 2019 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Réforme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 3 septembre 2018 mais seulement en ce qu'il a :

- condamné la société Elmlinger Patrimoine Conseil (la société EPC) à payer la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice à l'image et à la réputation de la société Equance,

- assorti la défense faite à la société EPC d'entreprendre la moindre démarche à l'égard des clients sous mandats et de traiter directement ou indirectement avec eux pendant une durée de deux ans à compter de la rupture du contrat d'agent commercial du 15 novembre 2016 et pendant une durée d'un an à compter du terme du mandat d'intermédiaire d'assurance du 20 juillet 2017 d'une astreinte définitive et non comminatoire de 1 000 euros par infraction constatée,

- ordonné une expertise confiée à M. G...,

- réservé les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Rejette la demande de la société Equance en paiement de dommages et intérêts compensatoires de son préjudice d'image et de réputation,

Dit que l'astreinte de 1 000 euros par infraction constatée est une astreinte provisoire,

Dit n'y avoir lieu à l'instauration d'une mesure d'expertise,

Condamne la société EPC aux dépens de première instance,

Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette les demandes de la société EPC en paiement d'indemnités au titre de la rupture des contrats d'agence et du mandat d'intermédiaire d'assurance,

Dit n'y avoir lieu pour la cour à liquider les astreintes prononcées, faculté que le tribunal s'est expressément réservé,

Condamne la société EPC à payer à la société Equance :

- la somme de 14 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du non-respect des clauses de non-concurrence stipulées dans l'acte de cession et la violation de la garantie d'éviction du fait personnel,

- la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice subi au titre du détournement illicite des quatre clients (MM. I... et C... et A... F...) ne faisant pas partie du portefeuille cédé,

Condamne la société EPC à payer à la société Equance la somme de 14 512,70 euros au titre des commissions indûment retenues par celle-ci,

Rejette la demande de la société EPC tendant à ce qu'il soit fait injonction à la société Equance de lui fournir sous astreinte les bordereaux de commissions portant sur la clientèle litigieuse, émis par les compagnies assurances Generali vie, Generali patrimoine, Swiss Life, Alptis assurances, April assurances, UAF Life Side, Cardif, Oradea vie, Eres Debory, Axa, Aviva assurances, CD partenaires, Afi Esca Luxembourg, Allianz Life Luxembourg et Generali Luxembourg au titre de la période courant du 20 juillet 2017 au 8 mars 2018,

Donne acte à la société Equance de ce qu'elle reconnaît devoir à la société EPC la somme de 27 099,82 euros au titre des commissions devant lui être rétrocédées,

Rejette la demande de la société EPC en indemnisation d'un préjudice d'image et moral,

Condamne la société EPC aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Equance la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.