Cass. com., 23 octobre 1990, n° 89-14.721
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defontaine
Rapporteur :
Mme Loreau
Avocat général :
M. Raynaud
Avocats :
Me Bouthors, Me Boulloche, Me Pradon, Me Vincent, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Delaporte et Briard, SCP Vier et Barthélémy, SCP Piwnica et Molinié
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 janvier 1989), que la société Logabax ayant rencontré de graves difficultés, des accords ont été conclus en septembre 1980 avec la société Intertechnique qui devait en prendre le contrôle ; qu'en application de ces accords, un conseil d'administration, comprenant des membres représentant les intérêts de la société Intertechnique, a été mis en place ; qu'au vu des comptes laissant prévoir des pertes élevées pour l'exercice 1980, la société Intertechnique a décidé de se retirer et le conseil d'administration a démissionné dans son ensemble en novembre 1980 ; qu'à la suite de l'élaboration d'un plan de sauvetage établi sous l'égide du CIASI, un nouveau conseil d'administration a été nommé le 19 décembre 1980 ; qu'une lettre-circulaire a été adressée le 9 janvier 1981 par la société Logabax à ses fournisseurs et sous-traitants, parmi lesquels la Société nouvelle des établissements Charles B... (la société B...) et la Compagnie industrielle de mécanique et électronique appliquée (la société CIMEA), en vue de les informer du plan de sauvetage et de la liste des banques participantes ; que, cependant, le 1er juin 1981, la société Logabax a été mise en règlement judiciaire, lequel fut converti en liquidation des biens le 7 décembre 1981 ; que, le 19 novembre 1984, les sociétés B... et CIMEA ont assigné M. F..., ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la société Logabax, ainsi que MM. K..., Y..., X..., Z..., A..., C..., D..., I..., H... et la Banque nationale de Paris, le Crédit lyonnais, la Société générale, la Banque française pour le commerce extérieur, la Banque Worms, la Banque de Paris et des Pays-Bas, la Banque Hervet, la Banque de l'Union européenne, la Via banque, la First National Bank of Boston (les banques), afin de les faire déclarer responsables du préjudice qui leur a été causé par la perte de leur créance admise au passif de la société Logabax ; que, le 25 juin 1986, les sociétés B... et CIMEA ont assigné en outre, aux mêmes fins, MM. J..., Z..., E..., G..., les sociétés Canonne chirurgical médical vétérinaire, Electrobel et SATOM ;
Sur le premier et le deuxième moyen, pris en leur première branche, réunis :
Attendu que les sociétés B... et CIMEA font grief à l'arrêt d'avoir retenu que leur action en responsabilité, engagée les 19 novembre 1984 et 25 juin 1986, était prescrite, alors, selon le pourvoi, que la prescription triennale, prévue par l'article 247 de la loi du 24 juillet 1986, pour limiter dans le temps la responsabilité contractuelle des administrateurs, étant de droit strict, ne peut être étendue à l'action par laquelle les créanciers d'une société en liquidation des biens mettent en cause, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la responsabilité civile de droit commun des dirigeants sociaux pour obtenir, dans leur intérêt propre, la réparation de leur préjudice personnel ; qu'en soumettant l'action en responsabilité délictuelle exercée par les sociétés B... et CIMEA à la prescription abrégée propre à la mise en oeuvre de la seule responsabilité contractuelle des administrateurs, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 247 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu que la prescription de l'article 247 de la loi du 24 juillet 1966 s'applique aussi bien à des actions individuelles qu'à des actions sociales dirigées contre les administrateurs à raison des fautes commises dans leur gestion ;
Attendu qu'après avoir relevé que les griefs formulés par les sociétés B... et CIMEA concernaient le fonctionnement de la société Logabax et les conditions dans lesquelles les administrateurs de cette société avaient exercé leur mandat social, l'arrêt retient que l'action engagée par les sociétés précitées s'analysait en une action en responsabilité pour fautes de gestion ; qu'en l'état de ces énonciations, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que l'action des sociétés B... et CIMEA était soumise à la prescription triennale prévue à l'article 247 de la loi du 24 juillet 1966 ; que les moyens ne sont pas fondés du chef critiqué ;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir retenu que l'action en responsabilité engagée le 19 novembre 1984 était prescrite, alors, selon le pourvoi, que, suivant l'article 1382 du Code civil, la responsabilité délictuelle des administrateurs peut être recherchée pour les conséquences dommageables de leurs fautes apparues après leur démission ; qu'en situant le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité des créanciers au jour de la démission du premier groupe d'administrateurs de la société Logabax, correspondant à la date à laquelle est apparu un excédent de passif de 100 millions de francs, la cour d'appel n'a pas autrement recherché, au regard des circonstances de la cause, si les fautes reprochées auxdits administrateurs et dont l'importance n'était pas encore apparue dans toute son ampleur, n'avaient pas contribué à rendre ultérieurement impossible le sauvetage de la société Logabax et sa mise en liquidation inévitable ; qu'en faisant dès lors courir le délai de prescription avant le jour où le dommage s'est révélé, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que, selon l'article 247 de la loi du 24 juillet 1966, applicable en la cause, l'action en responsabilité contre les administrateurs se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable, ou s'il a été dissimulé, de sa révélation ; qu'ayant relevé que le fait dommageable allégué par les sociétés B... et CIMEA, constitué par les défauts de déclaration de la cessation des paiements par le conseil d'administration de la société Logabax, se situait au cours de la période octobre-novembre 1980, c'est à bon droit, et sans avoir à effectuer la recherche qu'il lui est reproché d'avoir omise, que la cour d'appel a fixé le point de départ de la prescription au mois de novembre 1980 ; que le moyen n'est pas fondé de ce chef ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche : (sans intérêt) ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que les sociétés B... et CIMEA font enfin grief à l'arrêt de les avoir déboutées de leur action en responsabilité engagée contre les banques, aux motifs énoncés par le pourvoi et reproduits en annexe, alors que, suivant l'article 1382 du Code civil, le banquier dispensateur de crédit dans le cadre d'un plan de redressement d'une société est tenu de vérifier lui-même préalablement les comptes de cette société afin de ne pas créer, par un financement aventureux, une apparente solvabilité génératrice du préjudice subi par les créanciers ; qu'en dégageant la responsabilité des banques, motif pris d'une erreur partagée sur les résultats de l'exercice 1980 sur la base de comptes qui ne seront arrêtés qu'en mai 1981, soit cinq mois plus tard, la cour d'appel a méconnu les conséquences de ses constatations qui établissaient la faute reprochée aux banques, en violation de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que, par les motifs critiqués par le moyen, dont il résulte que les banques avaient accordé à la société Logabax un soutien mesuré dans le cadre d'une politique de redressement de la société présentant des chances raisonnables de succès, telles que ces banques avaient pu les apprécier au moment de leur intervention, et que l'échec de ce plan tenait à des causes extérieures non sérieusement prévisibles, la cour d'appel a pu décider qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre des banques concernées ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.