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Décisions

Cass. com., 8 janvier 2008, n° 03-13.319

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

Me Blanc, SCP Célice, Blancpain et Soltner

Paris, du 11 févr. 2003

11 février 2003

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris,11 février 2003), que la Société d'études et de réalisations de travaux publics (la société SERP), créée en mars 1987 et dont M.X... était le dirigeant de fait, a été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 20 décembre 1990, la SCP Brouard-Daudé étant nommée liquidateur (le liquidateur) ; que le liquidateur, estimant que la Banco di Sicilia (la banque) avait consenti des crédits excessifs à la société SERP, l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ;


Sur le premier moyen :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait commis des fautes l'obligeant à payer au liquidateur, le montant de l'insuffisance d'actif de la société SERP, alors, selon le moyen :

1° / qu'il appartient à celui qui se prétend victime d'un fait fautif d'en démontrer l'existence ; qu'en faisant droit à la demande du liquidateur au motif qu'il n'est pas vraisemblable que la banque ait ignoré le contexte économique et personnel concernant les dirigeants cependant qu'il appartenait au liquidateur de faire la preuve de la connaissance par la banque de l'existence d'un gérant de fait et de ses pratiques frauduleuses et non à la banque de prouver la vraisemblance de ses dénégations, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1382 du code civil, ensemble les articles 6 et 9 du nouveau code de procédure civile ;

2° / que rien ne permettait à la banque, implantée à Paris en 1984, et n'ayant ouvert aucun compte à la famille X..., de soupçonner que la société SERP, représentée par M. Y..., sans lien de parenté avec la famille X... et non frappé d'incapacité, aurait été de fait dirigée par M.X..., l'intervention de celui-ci à l'acte de cautionnement n'étant pas de nature à éveiller des soupçons ; que l'absence d'analyse par l'arrêt des comptes de la société EGP ne permettait pas davantage d'affirmer que la banque avait connaissance de la situation désespérée de celle-ci comme co-emprunteur ; qu'en fondant ainsi sur de simples supputations la preuve que les dénégations de la banque n'étaient pas vraisemblables, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

3° / que l'octroi ou le renouvellement de crédits à une entreprise n'est fautif que si celle-ci se trouve dans une situation irrémédiablement compromise et que ces crédits ont créé une apparence trompeuse de solvabilité auprès de tiers ; que la situation irrémédiablement compromise ne saurait se déduire des difficultés même structurelles d'une entreprise sans que soit démontrée l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait, à une époque précise, de redresser la situation ; qu'en faisant état, pour l'exercice 1988 ayant dégagé un bénéfice de 1 499 833 francs, d'un simple endettement excessif et de soupçons sur la sincérité du bilan, dérivés de la connaissance non établie des malversations antérieures d'un gérant de fait ignoré de la banque sans caractériser la situation alors irrémédiablement compromise de la société SERP, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

4° / que, s'agissant de l'exercice 1989, la cour d'appel ne pouvait se refuser à rechercher, comme il le lui était demandé, si l'augmentation du crédit était imputable à la banque alors que le découvert bancaire de la société SERP dans les livres de la banque avait baissé au cours de l'exercice et ne comptait que pour 5 594 704 francs dans le découvert total de 15 627 805 francs ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

5° / qu'ayant déclaré, d'une part, que la situation apparaissait irrémédiablement compromise au vu des résultats de 1989, lesquels ont été communiqués à la banque en 1990, dans le délai légal d'établissement des documents comptables, et, d'autre part, que cette communication a fait l'objet le 21 juin 1990 d'une demande de la banque tendant à la production complémentaire du rapport du commissaire aux comptes, la cour d'appel n'a pu considérer tardive la réaction de la banque sans violer l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que l'acte de caution du 28 juin 1988, auquel M.X... est intervenu, mentionne que la banque a accordé le 15 février 1988 un crédit de 10 000 000 francs aux sociétés SERP et EGP, la première ayant acquis le fonds de commerce de la seconde, l'arrêt relève que la banque devait connaître la situation respective des deux sociétés, dès lors qu'elle a dû se faire communiquer les comptes de la société EGP, qui était alors à quelques semaines du dépôt de bilan, et ceux de la société SERP qui était en début d'activité ; qu'il retient qu'en raison de l'intervention de M.X... à cet acte, la banque aurait dû savoir, en procédant au besoin à des investigations élémentaires, que ce dernier avait été frappé d'incapacités commerciales ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs des deux premières branches ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir souligné, au vu des documents comptables de l'exercice 1988, l'importance de l'endettement de la société SERP au regard de ses fonds propres et le montant anormal de différents postes, dont celui des " créances clients ", l'arrêt retient que la situation de la société SERP est celle d'une entreprise malsaine, ayant un endettement excessif ; que l'arrêt retient encore qu'au cours de l'exercice 1989, les dettes ont augmenté, le bénéfice, dû essentiellement à des produits exceptionnels, ayant chuté, le résultat courant avant impôts étant déficitaire de 2 100 000 francs, en raison notamment de 2 500 000 francs de charges financières ; que l'arrêt retient enfin que la banque, qui n'a interrompu ses concours qu'en juillet 1990 apparaît comme le principal dispensateur de crédit, le montant de ses créances déclarées s'élevant à un total de 18 046 732 francs, tandis qu'une autre banque est tenue pour un montant de 60 507,62 francs et une troisième pour celui de 400 000 francs ; que par ces seuls motifs, la cour d'appel, sans encourir les griefs des trois dernières branches, a pu déduire que la banque avait commis une faute à l'égard des créanciers de la société SERP, en lui consentant des crédits excessifs dont elle n'ignorait pas ou n'aurait pas dû ignorer qu'ils entraîneraient à plus ou moins brève échéance sa ruine ; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; Sur le deuxième moyen :

Attendu que la banque fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1° / qu'après avoir indiqué que la faute de la banque consistait à avoir créé au préjudice des créanciers une fausse apparence de solvabilité, la cour d'appel ne pouvait la tenir pour responsable du passif fiscal et social, né d'obligations légales et non d'une appréciation de la solvabilité par les autorités fiscales et les organes sociaux ; qu'en considérant néanmoins le passif fiscal et social comme la conséquence de la fausse apparence de solvabilité qu'aurait créée la banque, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2° / qu'il en est d'autant plus ainsi que l'accumulation de dettes fiscales et sociales depuis la constitution de la société SERP était de nature à maintenir, au préjudice des créanciers, une apparence de solvabilité au même titre que l'octroi de crédits ; qu'en incluant néanmoins le passif fiscal et social dans le préjudice réparable, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais attendu que l'arrêt retient que les fautes commises par la banque dès le début de l'activité de la société ont contribué à la création de la totalité de son insuffisance d'actif ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la banque a permis la poursuite déficitaire de l'activité au détriment de tous les créanciers, la cour d'appel a mis en évidence le lien de causalité entre l'insuffisance d'actif et les concours fautifs de la banque, tenue dès lors de réparer en totalité cette insuffisance indépendamment de tout recours éventuel contre les tiers à qui elle impute une part de responsabilité dans la survenance de ce préjudice ; que le moyen n'est pas fondé ; Et sur le troisième moyen :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait commis des fautes qui l'obligeaient à payer au liquidateur le montant de l'insuffisance d'actif de la société SERP et enjoint à ceux-ci de produire aux débats un décompte précis et détaillé de l'insuffisance d'actif de la société SERP en fournissant toutes justifications utiles, alors, selon le moyen :

1° / que tout fait qui cause à autrui un dommage obligeant celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, la cour d'appel ne pouvait condamner la banque à payer au liquidateur de la société SERP le montant de l'insuffisance d'actif de cette société sans caractériser l'existence même d'un préjudice, entachant ainsi sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

2° / qu'il était d'autant plus impérieux de vérifier l'existence de l'insuffisance d'actif avant de prononcer une condamnation à réparer le préjudice subi que le liquidateur n'avait pas fourni aucun décompte, douze ans après l'introduction de l'instance, qu'il avait, en revanche, fourni des documents sans rapport avec l'insuffisance d'actif de la société SERP mais d'autres sociétés contrôlées par M.X..., qui n'avait aucun lien avec la banque, et qu'il s'était, de surcroît, abstenu de rappeler que, par décision passée en force de chose jugée, le dirigeant de la société SERP avait été condamné à prendre à sa charge l'insuffisance d'actif de cette société à concurrence de 4 000 00 francs ; que le défaut de base légale au regard du texte susvisé est ainsi constitué ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la banque avait commis des fautes l'obligeant à payer le montant de l'insuffisance d'actif de la société SERP, n'a pas prononcé de condamnation à son encontre ; que le moyen manque en fait ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.