Cass. com., 10 juin 2008, n° 07-10.940
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Gaschignard
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société Look cycle (la société Look) qui avait été mise en règlement judiciaire le 26 juillet 1983 et avait bénéficié d'un concordat homologué le 12 novembre 1987, a été mise en redressement judiciaire le 22 avril 1998 ; qu'un plan de cession a été adopté par jugement du 8 juillet 1998 désignant M. Y... en qualité de commissaire à l'exécution du plan ; que le 16 septembre 1999, celui-ci a fait assigner la société CDR créances venant aux droits de la SDBO (la banque) en paiement de dommages-intérêts pour soutien abusif ; que la banque a appelé en garantie la banca della svizzera italiana (la BSI) ; que la Selarl Amélie X..., désignée en qualité de commissaire à l'exécution du plan en remplacement de M. Y..., a poursuivi l'instance ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action en responsabilité engagée à son encontre par le commissaire à l'exécution du plan, alors, selon le moyen :
1°/ que lorsque le jugement arrêtant le plan de cession ne fixe pas la durée au plan, la mission du commissaire à l'exécution du plan dure jusqu'à la clôture de la procédure si celle-ci a été ouverte avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994 ; qu'en déclarant recevable l'action de M. Y... ès qualités, qu'a reprise Mme X... ès qualités, au motif que le jugement de clôture n'était pas intervenu au moment où l'action en responsabilité pour crédits abusifs a été lancée, sans rechercher si la procédure de redressement judiciaire la société Look n'avait pas été ouverte postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 621-90, L. 621-68 et L. 621-66 anciens du code de commerce ;
2°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'absence de toute contestation du commissaire à l'exécution du plan de cession sur la réalité du paiement du prix de cession par la société Kangourou, cessionnaire, avant le 16 septembre 1999, la cour d'appel ne pouvait relever d'office le moyen tiré de l'absence de preuve de la date du paiement du prix de cession sans violer l'article 16 du code de procédure civile ;
3°/ qu'il appartient au demandeur de faire la preuve des circonstances auxquelles est subordonnée la recevabilité de son action, qu'il en était d'autant plus ainsi que seul le commissaire à l'exécution du plan de cession était en mesure de faire la preuve de la date à laquelle le cessionnaire de l'activité de la société Look s'était acquitté du prix ; qu'en déclarant la date du paiement du prix non établie, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles 9 et 31 du code de procédure civile ;
Mais attendu que lorsque le jugement arrêtant le plan de cession ne fixe pas de durée au plan, la mission du commissaire à l'exécution du plan dure jusqu'à la clôture de la procédure collective sans que, s'agissant d'une procédure ouverte postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994, elle puisse excéder dix ans ou, si le débiteur est un agriculteur, quinze ans ;
Et attendu qu'ayant constaté que la procédure de redressement judiciaire de la société Look avait été ouverte le 22 avril 1998 et que la clôture n'était pas intervenue au moment où le commissaire à l'exécution du plan a engagé son action, la cour d'appel a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième et troisième branches, légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal :
Vu les articles 1382 et 2270-1 du code civil ;
Attendu que la prescription d'une action en responsabilité extra-contractuelle court à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ;
Attendu que pour déclarer prescrits les faits antérieurs au 16 septembre 1989 reprochés par le commissaire à l'exécution du plan de cession, l'arrêt retient que le commissaire à l'exécution du plan a assigné la banque le 16 septembre 1999 ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher à quelle date s'était manifesté le dommage causé aux créanciers de la société Look du fait de l'aggravation du passif de cette société causé par les crédits accordés par la banque postérieurement à l'homologation du concordat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande du commissaire à l'exécution du plan, l'arrêt retient qu'il convient de rechercher si les concours ont été accordés tandis qu'ils dépassaient les conditions financières de la société Look et si la banque avait connaissance de la situation irrémédiablement compromise de la société Look ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'engage sa responsabilité à l'égard d'une entreprise la banque qui, ou bien pratique une politique de crédit ruineux pour l'entreprise devant nécessairement provoquer une croissance continue et insurmontable de ses charges financières, ou bien apporte un soutien artificiel à une entreprise dont elle connaissait ou devait connaître la situation irrémédiablement compromise, les deux conditions étant alternatives et non cumulatives, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande du commissaire à l'exécution du plan, l'arrêt, après avoir relevé que le rapport de l'expert faisait état de frais financiers élevés en 1989 et 1990 susceptibles d'alerter la banque sur la rentabilité de l'entreprise, retient, par motifs adoptés, que cette charge financière était antérieure à la restructuration des crédits intervenue en 1993 et, par motifs propres, qu'on ne peut ignorer les efforts réalisés entre 1993 et 1995 par les différents intervenants pour améliorer sa situation financière en relevant que la filiale de la BSI, la société Parlook, avait abandonné une créance, que la banque avait restructuré les crédits accordés, et que le mandataire ad hoc écrivait en 1995 qu'une cession d'actifs avait permis de rembourser, outre les fournisseurs, une bonne partie de l'endettement bancaire, allégeant par là-même les frais financiers, admettant ainsi que la situation de la société Look n'était pas définitivement compromise ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, lors de l'octroi des concours, la banque savait ou aurait dû savoir que, soit les crédits avaient été accordés à une société se trouvant dans une situation irrémédiablement compromise, soit que les crédits étaient insupportables pour l'équilibre de la trésorerie de la société emprunteuse ou incompatible pour elle avec toute rentabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
Et sur le second moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 331 du code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer irrecevable l'appel en garantie de la banque à l'encontre de la BSI, l'arrêt retient que seul le commissaire à l'exécution du plan a qualité pour exercer une action en paiement de dommages-intérêts contre toute personne et qu'autoriser l'appel en garantie reviendrait à contourner cette règle ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'action engagée par le commissaire à l'exécution du plan contre la banque n'était pas une action en paiement des dettes sociales et que celle-ci, en appelant en garantie la BSI, la poursuivait sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour obtenir la réparation d'un préjudice qu'elle prétendait avoir subi par suite de sa faute, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a dit que l'action de M. Y... était recevable, l'arrêt rendu le 16 novembre 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.