CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 27 mai 2021, n° 17/11456
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Citya Cassis Viguerie (SARL)
Défendeur :
L'Immobilière des Calanques (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme Berquet, Mme Combrie
EXPOSE DU LITIGE
La société Citya Cassis Viguerie (SARL), anciennement UFFI Management, est spécialisée dans l'immobilier et notamment dans la gestion des copropriétés, les transactions et la gestion de biens immobiliers sur la commune de Cassis.
Elle a été rachetée en 2012 par le groupe Citya et à compter de l'année 2013 plusieurs salariés ont été licenciés dont M. Daniel S., employé depuis le mois de décembre 2003.
Le 10 avril 2014 M. S. a crée la société L'immobilière des Calanques (SAS) située à quelques centaines de mètres de l'agence Citya et exerçant dans le même domaine d'activité.
D'autres salariés licenciés ont rejoint la société L'immobilière des Calanques.
A compter de l'année 2014 divers mandats de gestion détenus par la société Citya Cassis Viguerie ont été confiés à la société L'immobilière des Calanques, et plusieurs mandats de syndics ont également été transférés à la société L'immobilière des Calanques.
Reprochant à la société L'immobilière des Calanques des actes de concurrence déloyale, et notamment d'avoir détourné divers mandats de syndics de copropriété et de gestion de biens immobiliers à son profit, la société Citya Cassis Viguerie a assigné cette première devant le tribunal de commerce de Marseille le 30 octobre 2015 sur le fondement de l'article 1382 du code civil afin d'obtenir à titre principal l'indemnisation de son préjudice et voir ordonner la publicité de la décision.
Par jugement en date du 23 mai 2017 le tribunal de commerce de Marseille a débouté la société Citya Cassis Viguerie de toutes ses demandes, l'a condamnée à payer à la société L'immobilière des Calanques la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, et a rejeté le surplus des demandes.
Le 15 juin 2017 la société Cassis Viguerie a interjeté appel du jugement.
Par conclusions enregistrées le 20 février 2020 et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens la société Citya Cassis Viguerie (SARL) fait valoir que :
- depuis mars 2014 la société L'immobilière des Calanques est à l'origine d'actes de concurrence déloyale lui ayant permis de détourner à son profit la gestion de diverses copropriétés et biens immobiliers,
- si la concurrence est permise elle ne doit pas être déloyale,
- la déloyauté de la société L'immobilière des Calanques est caractérisée par l'embauche de salariés liés par une clause de non-concurrence (M. Alain O. et Mme Valérie A.),
- la déloyauté est caractérisée également par le démarchage systématique de la clientèle de la société Citya Cassis Viguerie au titre de la gestion des biens immobiliers (15 lettres de résiliation sur le même modèle) et l'obtention de mandats de copropriété qui étaient ceux de la société Citya Cassis Viguerie (20 copropriétés obtenues en six mois),
- hormis le portefeuille acquis par le rachat de la société Apollon Gestion, l'actif de la société L'immobilière des Calanques est constitué exclusivement des clients récupérés de façon déloyale,
- elle subit un préjudice financier direct au titre de la perte des mandats de gestion et des mandats de syndic évalué à la somme totale de 90 906,94 euros,
- elle subit un préjudice au titre de la mauvaise foi de la société L'immobilière des Calanques (SAS), de l'atteinte à sa réputation et du péril subi
Ainsi, la société Citya Cassis Viguerie (SARL) demande à la cour de réformer le jugement attaqué et de :
- condamner la société L'immobilière des Calanques (SAS) à réparer l'entier préjudice de la société Citya Cassis Viguerie (SARL) lequel se décompose comme suit :
. 64 831,75 euros au titre des pertes de mandats de copropriété
. 26 075,19 euros au titre des pertes de mandats de gestion,
. 100 000 euros à titre de dommages-intérêts en raison de la déloyauté
- juger que la publicité, pour les syndicats de copropriétaires, se fera par voie d'affichage dans chaque immeuble anciennement gérés par la société Citya Cassis Viguerie (SARL) et désormais par la société L'immobilière des Calanques (SAS), de manière à ce que le nom des parties, les moyens du jugement et le dispositif puissent être lus par toutes les personnes empruntant le hall de l'immeuble,
- condamner à l'affichage dans chaque syndicat de copropriétaires, lequel devra être effectué pendant 90 jours sous astreinte de 300 euros par jour en cas d'absence d'affichage durant la période requise,
- juger que s'agissant des mandats, la société Citya Cassis Viguerie (SARL) pourra à sa discrétion notifier la décision à intervenir à chacun des anciens mandants dans un délai de 90 jours à compter de la décision à intervenir,
- condamner la société L'immobilière des Calanques (SAS), sous astreinte de 50 000 euros pour tout mandat de gestion ou de syndic obtenu à son détriment pendant une période de cinq ans et ceci sans préjudicier toutes demandes complémentaires que la société Citya Cassis Viguerie (SARL) pourrait formuler ultérieurement,
- condamner la société L'immobilière des Calanques (SAS) au paiement de la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens de première instance et d'appel
Par conclusions enregistrées le 30 mai 2018, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société L'immobilière des Calanques (SAS) fait valoir que :
- il n'existe aucun acte de concurrence déloyale et aucune confusion n'est possible entre les deux sociétés,
- la perte de clientèle invoquée par la société Citya Cassis Viguerie n'est que la conséquence de la détérioration de ses prestations à la suite notamment du rachat de la société par Citya et de la dégradation de l'ambiance de travail pour les salariés,
- la société L'immobilière des Calanques n'a commis aucun détournement de clientèle déloyal dès lors qu'il n'est pas démontré que le démarchage ait été systématique ou agressif, ni que la perte d'une partie de la clientèle aurait provoqué un déséquilibre tel que l'entreprise risquerait de s'effondrer,
- les lots en gestion perdus par la société Citya Cassis Viguerie doivent être appréciés à la lumière de l'ensemble du portefeuille de gestion et résultent du mécontentement des clients, et du déni de la société Citya Cassis Viguerie,
- la perte de 20 mandats de copropriété doit également être appréciée au regard du nombre de mandats détenu par la société Citya Cassis Viguerie et ne s'explique que par les fautes de gestion commises par cette société et le mécontentement des clients,
- la société L'immobilière des Calanques n'a procédé à aucun débauchage dès lors que M. S. et Mme C. n'étaient pas liés pas une clause de non-concurrence et ont été licenciés et que M. O. et Mme A., également licenciés, ne travaillent au sein de la société L'immobilière des Calanques (SAS) que depuis quelques mois et non quelques années, et ont été embauchés à l'issue de la période de non-concurrence,
- la société Citya Cassis Viguerie ne démontre pas l'existence d'un préjudice ni d'un lien de causalité avec la perte des mandats,
Ainsi, la société L'immobilière des Calanques (SAS) demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal de commerce, de débouter la société Citya Cassis Viguerie (SARL) de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme irrecevables et mal fondées et de condamner la société Citya Cassis Viguerie (SARL) à lui payer la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à prendre en charge les entiers dépens dont distraction.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 28 février 2020 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 30 mars 2020.
A cette date l'affaire a été renvoyée au 12 novembre 2020 puis au 25 mars 2021.
Le 25 mars 2021 l'affaire a été retenue et mise en délibéré au 27 mai 2021.
MOTIFS
Sur la concurrence déloyale :
Aux termes de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Par ailleurs, il résulte de l'article 1383 ancien du code civil que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
A cet égard, la concurrence existant entre deux sociétés, spécialisées dans un secteur de marché similaire, ne constitue pas en soi un acte fautif en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie.
En revanche, est fautive la concurrence qui s'accompagne d'actes ou de manœuvres déloyales employées à dessein dans le but de désorganiser ou déstabiliser une autre entreprise, notamment dans l'objectif de neutraliser son activité.
En l'espèce, il n'est pas contesté que quatre des sept employés de la société Citya Cassis Viguerie ont retrouvé une activité professionnelle au sein de la société L'immobilière des Calanques, et en premier lieu M. S., à l'origine de la création de la société L'immobilière des Calanques en 2014, suivi de Mme C. et ce, alors qu'ils n'étaient soumis à aucune clause de non-concurrence.
S'agissant de M. O. et de Mme A., il ressort des pièces communiquées que ceux-ci étaient soumis à une clause de non-concurrence dans le cadre de leur contrat de travail passé avec la société Citya Cassis Viguerie. Si Mme A. a effectué des démarches en vue d'obtenir la levée de la clause au regard de l'arrêt rendu le 5 septembre 2014 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence et du jugement du conseil de prud'hommes de Marseille en date du 20 février 2015, il apparaît néanmoins que tous deux restaient soumis à une clause de non-concurrence.
Les circonstances de la présence de M. O. et de Mme A. au sein de la société L'immobilière des Calanques et ce, avant la levée de leur clause de non concurrence, telles qu'elles ressortent du rapport d'enquête établi le 28 juillet 2014 par la société Sud Intelligence et du procès-verbal de signification par huissier de justice le 14 octobre 2014, en dépit de leur caractère ambigu, ne permettent pas de relever avec certitude que ceux-ci étaient employés au sein de la société L'immobilière des Calanques avant l'expiration des délais impartis par les clauses de non concurrence.
En outre, il convient d'observer que M. S., Mme C., M. O. et Mme A. n'ont pas été débauchés par la société L'immobilière des Calanques, laquelle n'a été créée le 10 avril 2014 que postérieurement au licenciement de M. S. et que les autres employés ont également été licenciés à compter de l'année 2013 par la société Citya Cassis Viguerie après son rachat par le groupe Citya.
Dès lors, il ne peut être fait grief aux salariés licenciés, sous réserve du respect des clauses de non-concurrence, d'avoir poursuivi une activité professionnelle dans un domaine d'activité pour lequel ils avaient acquis une expérience certaine, étant rappelé que M. S. avait été embauché en 2003 au sein de la société Citya Cassis Viguerie, anciennement groupe Urbania, et Mme O. bénéficiait d'une ancienneté de 35 ans au sein du même groupe.
Par ailleurs, la société L'immobilière des Calanques ne conteste pas avoir récupéré à son profit vingt mandats de syndics de copropriété détenus auparavant par la société Citya Cassis Viguerie, en l'espace de six mois. Néanmoins, ce chiffre doit être comparé aux quinze autres mandats perdus par cette même société au profit d'autres agences (pièce 5 de l'intimée) et doit être comparé au nombre de mandats de syndics détenus par la société L'immobilière des Calanques, soit 62 copropriétés au total.
Au demeurant, il ressort des nombreuses attestations et courriers produits aux débats par la société L'immobilière des Calanques (pièces 2, 6 à 19) que la nomination de cette dernière en qualité de syndic de copropriété en lieu et place de la société Citya Cassis Viguerie trouve à s'expliquer par le mécontentement de nombreux copropriétaires dans la gestion opérée par Citya et que plusieurs copropriétés ont inscrit à l'ordre du jour des assemblées la désignation d'un nouveau syndic, en invoquant les erreurs de gestion commises par la société Citya Cassis Viguerie et sa carence (fournisseurs non payés, visites non effectuées, suivi des demandes non traité, erreurs de millièmes, impréparation des assemblées générales, manque de réactivité sont ainsi pointés).
Dès lors, il ne peut être fait grief aux copropriétaires d'avoir fait le choix, entre autres, d'une société dont certains membres leur étaient connus et avec lesquels ils avaient pu nouer des liens de confiance, étant rappelé que les deux sociétés ont leur siège dans la ville de Cassis, ville dont la taille modeste favorise nécessairement les relations de proximité.
S'agissant de la gestion des biens immobiliers, il n'est pas davantage contesté qu'au moins quinze propriétaires dont le bien était initialement géré par la société Citya Cassis Viguerie ont révoqué leur mandat au profit de la société L'immobilière des Calanques.
De la même façon, ces transferts doivent être analysés au regard du nombre de biens gérés par la société L'immobilière des Calanques elle-même, soit 54 au 9 décembre 2015 (pièce 4 de l'intimée) et du nombre de mandats détenus par la société Citya Cassis Viguerie par ailleurs, soit 203 avant son rachat par Citya. En outre, ces transferts ne sont corroborés par aucun acte dénotant une déloyauté. Il ressort par ailleurs des chiffres non contestés par la société Citya Cassis Viguerie que celle-ci a perdu entre 2013 et 2017 131 lots ans, attestant que la défection des syndicats de copropriété n'est pas le seul fait de la société L'immobilière des Calanques, même si la société Citya Cassis Viguerie ne communique pas d'éléments chiffrés sur l'évolution de ses mandats, se contentant de lister les mandats perdus au profit de la seule société intimée.
La seule circonstance que certains courriers de révocation soient rédigés selon le même modèle est insuffisant à démontrer l'existence de manœuvres fautives en provenance de la société L'immobilière des Calanques tant à la lumière des griefs formulés à l'encontre de la société Citya Cassis Viguerie depuis son rachat en 2012 que du caractère type des certains formulaires usuellement employés.
En conséquence, si la société L'immobilière des Calanques a indéniablement représenté une concurrence directe pour la société Citya Cassis Viguerie aucun élément ne permet d'accréditer l'existence d'actes de concurrence déloyale revêtant un caractère fautif.
Dès lors, au vu de ces éléments et au vu des motifs adoptés par les premiers juges et auxquels il convient de se référer pour le surplus, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions.
Sur les frais et dépens :
La société Citya Cassis Viguerie, partie succombante, conservera la charge des dépens de l'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La société Citya Cassis Viguerie sera également tenue de payer à la société L'immobilière des Calanques la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Citya Cassis Viguerie aux entiers dépens de la procédure d'appel,
Condamne la société Citya Cassis Viguerie à payer à la société L'immobilière des Calanques la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.