Cass. com., 16 janvier 2019, n° 17-25.792
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Alain Bénabent , SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 23 mai 2017), que par un jugement du 23 octobre 2012, un tribunal a mis la société SEG en liquidation judiciaire, autorisé le maintien de l'activité jusqu'au 7 décembre 2012 en vue de la cession totale ou partielle de l'entreprise, et désigné M. Y... en qualité de liquidateur judiciaire et la société HM, prise en la personne de M. Z..., ainsi que la société Ajire, prise en la personne de M. A..., en qualité d'administrateurs judiciaires avec mission d'administrer l'entreprise ; que l'autorisation de maintien de l'activité ayant été prolongée, l'activité s'est poursuivie jusqu'au 4 janvier 2013, date à laquelle l'entreprise débitrice a été cédée ; que le 21 novembre 2012, la société Semi-Loc a informé la société Ajire de sa revendication de divers matériels loués à la société SEG et l'a mise en demeure de se prononcer sur la poursuite des différents contrats de location en cours ; que la société Ajire a obtenu à sa demande, le 3 décembre 2012, un délai de réflexion de deux mois pour prendre parti sur la poursuite des contrats ; que le 30 janvier 2013, la société Semi-Loc a fait connaître au liquidateur sa créance de loyers, née pendant la poursuite d'activité postérieure à la liquidation judiciaire et jusqu'à la date de cession du 4 janvier 2013, d'un montant de 120 766,55 euros ; qu'ayant réclamé en vain le paiement de cette somme, la société Semi-Loc a engagé une action en responsabilité contre la société Ajire ;
Attendu que la société Semi-Loc fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que l'administrateur judiciaire a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur ; que le fait de payer les loyers dus en vertu d'un contrat de location de matériel caractérise l'option de l'administrateur de continuer ce contrat ; qu'en décidant néanmoins, pour écarter toute faute de l'administrateur fondée sur le non-respect des dispositions de l'article L. 641-11-1 du code de commerce l'obligeant à s'assurer de la possibilité de fournir la contrepartie financière des contrats dont il autorise la poursuite, que l'administrateur n'aurait pas « opté pour la poursuite des contrats litigieux avant la cession de la société SEG » et que « les contrats ont été poursuivis du seul fait des dispositions légales de l'article L. 641-11-1 du code de commerce qui énoncent que la liquidation judiciaire ne met pas fin de plein droit aux contrats en cours », la cour d'appel a violé l'article L. 641-11-1 du code de commerce, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
2°/ que l'administrateur judiciaire ne peut solliciter un délai supplémentaire pour exercer l'option prévue à l'article L. 641-11-1 du code de commerce que lorsqu'il se trouve dans l'incapacité d'apprécier l'opportunité de poursuivre le contrat et la réalisation des conditions auxquelles la loi subordonne cette poursuite ; que, pour écarter toute responsabilité de l'administrateur judiciaire pour avoir sollicité du juge-commissaire un délai supplémentaire pour opter sur la poursuite des baux litigieux, la cour d'appel a relevé que cette démarche « s'inscrivait logiquement dans l'objectif, envisagé par le tribunal dans son jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, d'autoriser une poursuite exceptionnelle de l'activité pour permettre, non le redressement certes, mais la cession de la société et avec elle celle des contrats en cours qui auraient pu intéresser le cessionnaire » ; qu'en se déterminant par de tels motifs, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si à la date où il avait été interrogé, à savoir le 21 novembre 2012, l'administrateur judiciaire n'avait pas nécessairement connaissance du fait que la trésorerie de la société SEG, dont la situation était irrémédiablement compromise, ne permettait pas d'honorer les loyers à échoir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
3°/ que l'administrateur judiciaire, au moment où il décide de la poursuite d'un contrat de location en cours, fût-il nécessaire à la continuation de l'activité pendant la période d'observation, doit évaluer la situation financière réelle de l'entreprise afin de s'assurer qu'il disposera des fonds nécessaires au paiement des loyers à échoir ; qu'en l'espèce, il était constant que les éléments comptables prévisionnels fournis par le dirigeant de la société SEG étaient inexactement optimistes, dès lors que le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, dans son jugement du 23 octobre 2012 prononçant l'ouverture à l'encontre de la société SEG d'une procédure de liquidation judiciaire, avait lui-même constaté que « le chiffre d'affaire prévisionnel (75,9 M €) ne sera pas atteint et reste très en dessous du seuil de rentabilité (évalué à 70 M €) » ; que pour écarter cependant toute responsabilité de la société Ajire envers la société Semi-Loc, la cour d'appel, s'est bornée à énoncer que « les éléments comptables prévisionnels fournis par le dirigeant de la société SEG prévoyaient une trésorerie suffisante pour faire face aux engagements jusqu'en février 2013 » ; qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à justifier sa décision, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 641-11-1 du code de commerce, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
4°/ qu'en retenant, pour écarter toute faute de la part de l'administrateur, que la société Semi-Loc ne l'aurait pas avertie du non-paiement de ses factures par la société débitrice, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, et a violé l'article L. 641-11-1 du code de commerce, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
5°/ qu'en tout état de cause, lorsque l'administrateur judiciaire a été investi d'une mission complète d'administration par le tribunal de la procédure collective, il se voit conférer tous les pouvoirs de gestion de l'entreprise, le débiteur étant dessaisi de l'administration de l'entreprise ; qu'en retenant, pour écarter la faute de l'administrateur, que « le seul fait que la mission confiée à (celui-ci) était une mission complète d'administration ne saurait suffire à considérer qu'il ne pouvait ignorer cet état de fait (l'existence de factures impayées avant avril 2013) », tandis qu'il incombait à cet administrateur judiciaire, investi des plus vastes pouvoirs d'administration et de gestion, d'assurer lui-même le suivi des factures adressées à la débitrice, ce dont il résultait qu'il en avait nécessairement connaissance, la cour d'appel a violé l'article L. 641-10 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 ;
6°/ que d'une façon générale, l'administrateur judiciaire est tenu d'une obligation de prudence et de diligence, dans le cadre de sa mission d'administration, quant à la création du passif d'exploitation de la société débitrice ; qu'il doit mettre en garde ses interlocuteurs, et en particulier les créanciers, sur le risque d'impayé généré par la poursuite d'activité ; qu'en se bornant à retenir « qu'il n'est pas non plus établi comme le soutient la société Semi-Loc qu'elle aurait été induite en erreur par l'administrateur par de quelconques assurances données sur la poursuite des contrats », sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si le simple silence gardé par l'administrateur sur la situation irrémédiablement compromise de la société SEG n'était pas lui-même fautif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que la demande de prolongation du délai pour prendre parti sur la poursuite des contrats a été soumise par l'administrateur au juge-commissaire immédiatement après la mise en demeure de la société Semi-Loc, délivrée moins d'un mois après le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, qu'elle s'inscrivait dans l'objectif, envisagé par le tribunal dans le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, d'autoriser une poursuite exceptionnelle de l'activité pour permettre la cession de la société SEG et celle des contrats en cours qui auraient pu intéresser le cessionnaire et que l'intérêt d'une cession envisagée et non encore définie en novembre 2012 commandait la plus grande prudence quant à une résiliation anticipée des contrats en cours ; qu'il constate encore que la prolongation de deux mois du délai pour prendre parti a été octroyée à l'administrateur par le juge-commissaire le 3 décembre 2012, et que la cession est intervenue le 4 janvier 2013, soit avant l'expiration de ce délai ; qu'il retient qu'à cette époque, l'administrateur ne pouvait avoir connaissance du fait que le cessionnaire qui serait finalement choisi, dont l'offre définitive n'était pas encore déposée, ne reprendrait pas les contrats de la société Semi-Loc ; que de ces constatations et appréciations, excluant tout abus de l'administrateur dans l'exercice de la faculté qui lui était conférée par l'article L. 641-11-1 III 1° du code de commerce, la cour d'appel a pu déduire qu'il n'était pas démontré que l'administrateur ait eu la volonté d'opter pour la poursuite des contrats avant que la cession n'intervienne ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que les éléments comptables prévisionnels fournis par le dirigeant de la société SEG prévoyaient une trésorerie suffisante pour faire face aux engagements jusqu'en février 2013, et que la société Semi-Loc ne justifiait pas avoir porté à la connaissance de l'administrateur l'existence de factures de loyers impayées avant le mois d'avril 2013, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise mentionnée par la sixième branche, a pu en déduire que, nonobstant la mission d'administration confiée à l'administrateur, celui-ci n'avait pas commis de faute en ne mettant pas fin aux contrats ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.