CA Rennes, 2e ch., 26 janvier 2010, n° 09/01525
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sté Abri plus équipement (SAS)
Défendeur :
M. Bazire
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
M. Christien, Mme Cocchiello
Avocats :
SCP Castres Colleu, Perot & LE Couls-Bouvet, SCP Guillou & Renaudin
EXPOSÉ DU LITIGE
Philippe BAZIRE a déposé à l'Institut national de la propriété industrielle :
· le 22 juillet 1993, la marque dénominative 'Modville' pour désigner, dans les classes 6, 9 et 19, du mobilier urbain en aluminium, acier et béton de synthèse équipé pour recevoir un ensemble de communication, de la signalétique de centre ville et urbaine en aluminium, acier et béton de synthèse indiquant des directions et autres, des abris de bus en aluminium, acier et béton de synthèse, verre, matériaux de synthèse (enregistrement n° 93 478 107), étant précisé que les effets de ce dépôt ont expiré le 22 juillet 2003 faute de renouvellement,
· le 1er mars 1994, divers modèles de mât avec pancartes directionnelles (enregistrements n° 94 12 90),
· le 10 février 1998, d'autres modèles de mât avec pancartes directionnelles (enregistrement n° 98 09 18),
· le 25 février 2000, un modèle d'abri à chariots de supermarché 'Hennebont' (enregistrement n°00 13 40),
· le 28 septembre 2004, la nouvelle marque dénominative 'Modville' pour désigner, dans les classes 6, 19 et 35, du mobilier urbain en aluminium, acier et béton de synthèse équipé pour recevoir un ensemble de communication, de la signalétique non lumineuse et non mécanique de centre ville en aluminium, acier et béton de synthèse, des abris de bus en aluminium, acier et béton de synthèse, verre, matériaux de synthèse, de la publicité et gestion des affaires commerciales (enregistrement n° 04 3 315 005).
Prétendant que la société ABRIS PLUS ÉQUIPEMENT, qui conçoit et commercialise du mobilier urbain et dont il fut le salarié du 27 novembre 1995 jusqu'à son licenciement du 5 février 2004, contrefaisait sa marque et ses modèles d'abri à chariots et de signalétique urbaine, Monsieur BAZIRE l'a assignée devant le Tribunal de Grande Instance de NANTES, lequel a, par jugement du 29 janvier 2009, statué en ces termes: 'Condamne la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT à cesser sans accord du titulaire toute reproduction sur l'ensemble de ses supports commerciaux et publicitaires matériels ou immatériels, toute offre à la vente ainsi que toute commercialisation du modèle d'abri à chariot faisant l'objet du dépôt enregistré sous le numéro 00 13 40 dans le mois de la signification du présent et à défaut sous astreinte provisoire de 500 euros par usage constaté;
Condamne la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT à verser à Monsieur BAZIRE la somme de 15.000 euros à titre des dommages-intérêts ;
Déboute Monsieur BAZIRE du surplus de ses demandes;
Déboute la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT de ses demandes reconventionnelles ;
Condamne la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT à payer Monsieur BAZIRE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT aux dépens y compris les frais de saisie-contrefaçon dressés le 22 juin 2004 ;
Ordonne l'exécution provisoire'.
La société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT a relevé appel de cette décision en demandant
à la Cour de : 'Confirmer que Monsieur BAZIRE n'apporte pas la preuve de l'usage et de l'exploitation de la marque 'Modville' dans les classes de produits et services pour lesquelles cette marque est enregistrée ;
Confirmer la déchéance des droits de Monsieur BAZIRE sur la marque 'Modville' ;
Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT ne s'est livrée à aucun acte constitutif de concurrence déloyale ;
Infirmer le jugement en ce qu'il a retenu que Monsieur BAZIRE est titulaire d'un droit de propriété sur le modèle d'abris à chariots 'Hennebont' ;
Infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT s'est livrée à la contrefaçon du modèle d'abris à chariots 'Hennebont' ;
Dire et juger que le modèle d'abris à chariots (référence 'Hennebont') est une oeuvre collective dont la conception revient à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT ;
En conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a retenu la validité du dépôt du modèle HENNEBONT, ordonner l'annulation du dépôt des dessins ou modèles d'abris à chariots (référence 'Hennebont'), sur longrines béton et sur enrobé, en date du 25 février 2000, aux frais du demandeur, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du mois suivant la signification de la décision à intervenir ;
Ordonner la restitution des sommes versées par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT à Monsieur BAZIRE au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement du Tribunal de Grande Instance du 29 janvier 2009 ;
Condamner Monsieur BAZIRE au versement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale;
Condamner Monsieur BAZIRE à verser à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENT la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour saisie et procédure abusives ;
Condamner Monsieur BAZIRE au versement de 5.000euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile'.
Monsieur BAZIRE a quant à lui conclu devant la Cour en ces termes : 'Confirmer le jugement rendu par la 1ère Chambre du Tribunal de Grande Instance de NANTES le 29 janvier 2009, en ce qu'il a reconnu la titularité des droits de Monsieur Philippe BAZIRE sur le modèle d'abri à chariots n° 00 13 40 qu'il a déposé le 25 février 2000;
Confirmer en outre le jugement entrepris en ce qu'il a condamner la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à cesser toute reproduction sur l'ensemble de ses supports commerciaux et publicitaires matériels ou immatériels, toute offre à la vente ainsi que toute commercialisation du modèle d'abri à chariots n° 00 13 40 et ce, sous astreinte ;
Confirmer le jugement en ce qu'il a admis le principe du versement de dommages et intérêts par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à Monsieur Philippe BAZIRE ;
Infirmer en revanche le même jugement quant au montant desdits dommages et intérêts alloués à Monsieur Philippe BAZIRE ;
Confirmer par ailleurs le jugement en ce qu'il a débouté la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS de l'intégralité de ses demandes;
Confirmer enfin ledit jugement en ce qu'il a condamné la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à verser à Monsieur Philippe BAZIRE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés par lui en 1ère instance ainsi qu'aux entiers dépens, y compris les frais de saisie-contrefaçon ;
Infirmer en revanche le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Philippe BAZIRE du surplus de ses demandes ;
Juger en conséquence :
· que l'offre à la vente et la reproduction des modèles n° 94 12 90 et 98 09 18 par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS sur ses plaquettes commerciales et sur son site Internet constituent des actes de contrefaçon au sens des articles L.335-2, L.335-3 et L.513-4 du Code de la propriété intellectuelle,
· que la reproduction à l'identique et pour des produits identiques par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, de la marque 'Modville' sur ses différents supports commerciaux et publicitaires, constitue une contrefaçon au sens de l'article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle,
· qu'outre la contrefaçon, la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à l'égard de Monsieur Philippe BAZIRE ;
Condamner, en tant que de besoin, la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à cesser, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, toute reproduction sur quelque support que ce soit de la marque 'Modville' ainsi que toute reproduction, offre à la vente et commercialisation des modèles n° 94 12 90 et 98 09 18 ;
Condamner également la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à verser à Monsieur Philippe BAZIRE la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts tous chefs de préjudices confondus ;
Ordonner à titre de réparation complémentaire la publication judiciaire de la décision à intervenir dans trois journaux au choix de l'intimé et aux frais exclusifs de l'appelante dans la limite de 2.500 euros hors taxes par publication ;
Condamner enfin la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à verser à Monsieur Philippe BAZIRE la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'il a engagés dans le cadre de l'appel'.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS le 28 octobre 2009, et pour Monsieur BAZIRE le 16 novembre 2009.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la contrefaçon du modèle d'abri à chariots 'Hennebont' :
Monsieur BAZIRE agit en contrefaçon du modèle d'abri à chariots dénommé 'Hennebont' sur le double fondement de la protection des œuvres de l'esprit et des dessins et modèles industriels, la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, qui prétend que le modèle litigieux serait une œuvre collective créée sous sa direction, réclamant quant à elle reconventionnellement l'annulation du dépôt réalisé en fraude à ses droits antérieurs.
À cet égard, il résulte des dispositions de l'article L.511-2 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 25 juillet 2001 applicable à la cause, que le premier déposant d'un modèle industriel est présumé, jusqu'à preuve contraire, en être le créateur, alors qu'il résulte de la combinaison des articles L.113-1 et L.113-2 du même code qu'une personne morale qui divulgue sous sa direction et son nom une œuvre collective, créée à son initiative et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs se fond dans l'ensemble en vue duquel elle a été conçue, est présumée propriétaire des droits intellectuels attachés à cette oeuvre.
Or, il est en l'espèce constant que le modèle d'abri à chariots a été développé pour satisfaire une commande passée le 15 juillet 1999 par la société HENDIS, exploitant à HENNEBONT un hypermarché LECLERC, à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, laquelle a depuis lors poursuivi la commercialisation de ce modèle en le divulguant auprès du public dans son catalogue sous la dénomination 'abri Hennebont' sans mentionner d'autre nom que le sien, étant à ce sujet observé que les mêmes catalogues reproduisent, à l'inverse, des modèles de signalétique urbaine déposés par Monsieur BAZIRE accompagnés de la mention 'designer : Philippe BAZIRE'.
Il ressort d'autre part de l'attestation de Monsieur QUINIOU, directeur du Centre LECLERC d'HENNEBONT, que la commande a été passée auprès de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS avec instruction expresse de reprendre, pour le auvent, la forme de voûte en berceau inversée adoptée pour le magasin, un croquis ayant de surcroît été fourni par le donneur d'ordre.
Il résulte aussi des productions que, pour développer ce modèle, la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS a commandé et payé des études de design industriel en mars, mai et juin 1999 à la société CROM DESIGN ainsi qu'une étude technique en juillet 1999 au bureau d'étude PAIMBOEUF.
Enfin, Monsieur CHOUIN, directeur technique de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, atteste que c'est bien son employeur qui a développé de nouvelles formes d'abris à chariots de supermarché, dont le modèle 'Hennebont', et qu'il a 'largement contribué à la réalisation de ce projet pour servir les intérêts d'ABRI PLUS', jamais P. BAZIRE ne (lui ayant) dit que c'était sa propriété'.
Il se déduit de ce qui précède que la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS a, dès 1999, initié, dirigé et contrôlé le processus de création du modèle d'abri à chariots litigieux avant de le divulguer et de l'exploiter sous son nom, les contributions personnelles de Messieurs QUINIOU, CHOUIN et BAZIRE ainsi que des sociétés CROM DESIGN et PAIMBOEUF ÉTUDES s'étant fondues dans un ensemble sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinctif sur celui-ci, de telle sorte que ce modèle constitue une œuvre collective dont l'appelante doit être regardée comme propriétaire.
L'attestation de Monsieur LE SOUDER, co-gérant de la société CROM DESIGN, témoignant que sa société agissait sous les directives conceptuelles et esthétiques de Monsieur BAZIRE, n'est pas de nature à exclure le rôle d'initiative, de direction et de contrôle de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS dans le processus de création du modèle 'Hennebont', puisqu'il n'est par ailleurs pas contesté que les prestations d'études de design industriel ont été commandées et réglées par l'appelante, que Monsieur BAZIRE était, à l'époque où ce modèle a été développé, son salarié et que, selon ce témoin, la collaboration avec la société CROM DESIGN sous les directives de l'intimé s'est étendue sur quatre années et a porté sur divers modèles d'abris (au pluriel dans l'attestation), c'est à dire en ce compris ceux sur lesquels Monsieur BAZIRE n'a jamais revendiqué aucun droit de propriété intellectuelle.
Il s'en évince que Monsieur BAZIRE a déposé son modèle d'abri à chariots le 25 décembre 2000 au mépris des droits antérieurs de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, propriétaire des droits intellectuels attachés à l'oeuvre collective de création de ce modèle conçu et développé au cours de l'année 1999.
Monsieur BAZIRE, qui n'ignorait pas avoir contribué à cette oeuvre collective en fondant indistinctement sa contribution dans un ensemble auquel ont participé, à l'initiative et sous la direction et le contrôle de son employeur, d'autres salariés ainsi que le premier acquéreur du modèle et des prestataires extérieurs, et qui, en sa qualité de responsable commercial de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, ne pouvait davantage ignorer que celle-ci avait intégralement financé la conception et le développement de ce modèle puis l'avait exploité et divulgué sous son nom depuis octobre 1999, a procédé à ce dépôt frauduleusement, à l'insu de son employeur.
À cet égard, la circonstance que le catalogue de l'appelante présentait l'abri à chariot 'Hennebont' avec la mention 'modèle déposé' ne démontre nullement que la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS n'ignorait pas que son salarié avait procédé au dépôt sous son nom, alors que d'autres modèles d'abris développés par elle, comme le modèle 'Rennes' sur lesquels Monsieur BAZIRE ne revendique aucun droit, étaient présentés au catalogue avec une mention identique et qu'au contraire, les modèles de signalétique urbaine déposés par Monsieur BAZIRE sans contestation de la part de l'appelante étaient présentés avec la mention 'modèles déposés, designer : Philippe BAZIRE'.
Ainsi, la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS n'a été informée des prétentions de Monsieur BAZIRE sur la propriété de ce modèle par courriers de l'intimé du 9 janvier 2004 puis du conseil de celui-ci en date du 16 janvier 2004, et elle a alors immédiatement réagi.
Il convient donc, en application de l'article L.512-4 du Code de la propriété intellectuelle, d'annuler le dépôt du modèle d'abri à chariots enregistré à l'Institut national de la propriété industrielle sous le numéro 00 13 40, étant néanmoins précisé qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette décision d'une astreinte puisque la radiation du registre national des dessins et modèles sera, en application de l'article R.512-8 du Code de la propriété intellectuelle, requise par le greffier.
D'autre part, l'annulation de l'enregistrement du modèle litigieux, qualifié d'œuvre collective dont la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS est propriétaire, entraînera nécessairement le rejet de l'action en contrefaçon engagée par Monsieur BAZIRE, quel que soit son fondement.
Le jugement attaqué sera par conséquent réformé. Sur la contrefaçon de la marque 'Modville' :
Monsieur BAZIRE démontre avoir fait un usage sérieux de sa première marque 'Modville' déposée le 22 juillet 1993 en autorisant une société SEI, dont il fut le salarié puis l'agent commercial, à commercialiser sous ce signe des panneaux de signalétique urbaine jusqu'en décembre 1994.
Il est d'autre part établi que cette première marque 'Modville' a, après l'embauche de Monsieur BAZIRE par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS le 27 novembre 1995, été utilisée par l'appelante pour offrir à la vente sur son catalogue ou son site Internet des panneaux de signalétique, l'intimé précisant explicitement qu'il avait autorisé son employeur, pendant toute la durée de son contrat de travail, à faire usage de ce signe.
Cette marque, exploitée jusqu'au 22 juillet 2003, date d'expiration des effets du dépôt, sans période d'inexploitation ininterrompue de 5 ans, n'encoure donc pas la déchéance de l'article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Cependant, Monsieur BAZIRE, qui argue, pour éviter la déchéance de sa marque, de ce que la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS a fait usage celle-ci pendant la durée de son contrat de travail et avec son autorisation, ne peut, pour la période considérée, accuser son employeur de s'être livré à des actes de contrefaçon de sa marque qui supposent précisément que la reproduction ou l'usage aient été perpétrés sans l'autorisation du titulaire du signe.
En effet, et contrairement à ce que Monsieur BAZIRE prétend, rien ne démontre que le salarié, qui admet explicitement avoir autorisé son employeur à utiliser sa marque, précise qu'il était lui-même à l'origine des plaquettes commerciales reproduisant cette marque et fait par surcroît valoir que cette exploitation lui a permis d'éviter la déchéance de celle-ci, ait exigé de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS une contrepartie financière que celle-ci se refusait à régler.
Monsieur BAZIRE soutient par ailleurs que, postérieurement à son licenciement du 5 février 2004, la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS a, cette fois sans son autorisation, reproduit et fait usage de ses marques 'Modville'.
Il sera toutefois observé que les effets du dépôt de la première marque déposée le 22 juillet 1993 étaient expirés depuis le 23 juillet 2003, de sorte qu'aucun acte de contrefaçon de cette marque n'a pu avoir été commis postérieurement à cette date et que, partant, les constations du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 22 février 2004, établi à une date où la seconde marque n'avait pas encore été déposée, sont à cet égard, inopérantes.
Il est en revanche suffisamment établi que la reproduction du signe 'Modville' sur le site Internet de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS a perduré postérieurement au dépôt de la seconde marque intervenu le 28 septembre 2004.
L'appelante fait à ce sujet certes valoir que la date du 1er juin 2006 figurant sur les captures d'écran produites par Monsieur BAZIRE n'est pas certaine, mais elle admet pourtant elle-même, pièces à l'appui, n'avoir fait procéder à la modification de son site qu'à la fin de l'année 2005, ce dont il résulte que la marque 'Modville' déposée le 28 septembre 2004 a bien été reproduite durant de nombreux mois, sans autorisation de son propriétaire, pour offrir à la vente des produits identiques à ceux visés au dépôt.
Le fait que, selon l'attestation du commissaire aux comptes de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, aucun produit revêtu de cette marque n'ait été commercialisé entre 2004 et 2006 ne saurait être de nature à l'exonérer, dès lors que le signe a bien été reproduit sans l'autorisation de Monsieur BAZIRE sur le site Internet du contrefacteur.
En outre, rien n'indique que ce second dépôt de marque ait présenté un caractère frauduleux, le déposant qui a omis de renouveler sa marque dans les délais requis étant parfaitement en droit, si le signe est toujours disponible pour les produits et services désignés, de procéder à un nouveau dépôt.
Il s'infère nécessairement de cet acte de contrefaçon une atteinte aux droits de Monsieur BAZIRE, résultant notamment des gains de redevance de concession de marque manqués durant les mois de reproduction non autorisée ainsi que du préjudice moral procédant de l'appropriation de sa marque, qui sera exactement réparé par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant de 7.000 euros.
En outre, il y aura lieu d'ordonner, en temps que de besoin, à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS de cesser toute reproduction de la marque 'Modville' sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Sur la contrefaçon des modèles de signalétique urbaine :
Monsieur BAZIRE soutient avoir créé, avant son embauche par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, divers modèles de signalétique urbaine, référencés sous les dénominations Julenia, Severina, Alizé, Mistral, Bora, Zéphyr et Bise, déposés à l'Institut national de la propriété industrielle les 1er mars 1994 et 10 février 1998.
L'appelante ne conteste pas les droits de propriété intellectuelle détenus par Monsieur BAZIRE sur ces modèles, mais elle nie avoir commis quelque acte de contrefaçon que ce soit dès lors que, d'une part, elle n'aurait jamais commercialisé d'éléments de signalétique urbaine et que, d'autre part, leur reproduction dans son catalogue ne résulterait que de l'initiative de Monsieur BAZIRE lui-même.
À cet égard, si Monsieur BAZIRE admet avoir, pendant la durée de son contrat de travail, expressément autorisé son employeur à reproduire sur sa documentation commerciale et sur son site Internet les modèles de signalétique urbaine déposés les 1er mars 1994 et 10 février 1998, il conteste avoir concédé à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS le droit de les utiliser sans aucune contrepartie financière.
Or, les pièces produites révèlent que la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS a bien, à partir de 1998, offert à la vente des panneaux de signalétique urbaine incorporant les modèles déposés par Monsieur BAZIRE, l'attestation du commissaire aux comptes de la société appelante n'excluant au surplus toute vente effective que pour les années 1995, 1996, et de 2001 à 2006 mais non pour les années 1997 à 2000.
En outre, l'existence d'un contrat de travail entre les parties n'emportait, pour le salarié, aucune dérogation à la jouissance de ses droits d'auteur et rien ne démontre qu'il ait, au delà de la simple reproduction de ses modèles, consenti sans contrepartie financière à ce que ceux-ci fussent incorporés dans des produits mis sur le marché du mobilier urbain par son employeur.
Et, de surcroît, il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 22 juin 2004, que, postérieurement au licenciement de Monsieur BAZIRE et alors que celui-ci avait explicitement fait grief à son ancien employeur de méconnaître ses droits de propriété intellectuelle sur les modèles en cause, certains de ceux-ci (Alizé et Mistral) étaient toujours offerts à la vente sur le site Internet de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS.
Il s'infère nécessairement de ces actes de contrefaçon une atteinte aux droits de Monsieur BAZIRE, résultant notamment des gains manqués d'auteur ainsi que du préjudice moral procédant de l'appropriation de ses créations, qui sera exactement réparé par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant de 20.000 euros.
En outre, il y aura lieu d'ordonner, en temps que de besoin, à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS de cesser toute utilisation de ces modèles de signalétique urbaine sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée. Sur les actions réciproques en concurrence déloyale :
Monsieur BAZIRE reproche par ailleurs à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS de s'être livrée à des actes de concurrence déloyale en continuant, postérieurement à son licenciement, à citer son nom sur ses documents commerciaux et en s'appropriant frauduleusement sa marque et ses modèles, l'empêchant ainsi de fonder sa propre entreprise pour exploiter ses créations.
Il a cependant été jugé que le modèle d'abri à chariots 'Hennebont' était une oeuvre collective sur laquelle Monsieur BAZIRE ne pouvait revendiquer aucun droit, de sorte qu'il ne peut être fait grief à l'appelante de l'avoir exploité, ni sur le fondement de la contrefaçon de modèle, ni sur celui de la concurrence déloyale.
D'autre part, les actes de concurrence déloyale par désorganisation du marché et du projet d'entreprise de Monsieur BAZIRE en raison de la reproduction de la marque 'Modville' et de l'utilisation des modèles de signalétique urbaine ne sont pas distincts des actes de contrefaçon de marque et de modèles dont le préjudice a été précédemment réparé, étant précisé que Monsieur BAZIRE n'établit pas que cette reproduction de marque et cette utilisation de modèles illicites aient été de nature à créer une confusion dans l'esprit du public entre les produits commercialisés par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS et ceux qu'il aurait eu pour intention de mettre sur le marché.
Enfin, rien ne démontre que la mention, sur certains documents commerciaux de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, du nom de Monsieur BAZIRE postérieurement à son licenciement ait été de nature à l'empêcher de percer le marché du mobilier urbain.
Les premiers juges ont donc à juste titre rejeté la demande de Monsieur BAZIRE fondée sur la concurrence déloyale.
En revanche, la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS fait à juste titre grief à l'intimé de l'avoir déloyalement concurrencée en l'empêchant, par un dépôt de modèle frauduleux, d'exploiter le modèle d'abri à chariots 'Hennebont'.
En effet, le dépôt du modèle considéré, en fraude aux droits de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS, a eu pour conséquence de désorganiser cette entreprise en l'empêchant, jusqu'à ce qu'elle fasse triompher ses prétentions devant la Cour, de commercialiser le produit incorporant ce modèle tout en permettant à Monsieur BAZIRE de faciliter son entrée sur le marché du mobilier urbain en créant une entreprise concurrente susceptible d'exploiter un produit dont il ne pouvait ignorer que son ancien employeur en avait intégralement supporté les coûts de conception et de développement.
Il s'infère de cet acte de concurrence déloyale un trouble commercial qui sera exactement réparé par l'allocation d'une somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Il y aura lieu de compenser cette condamnation avec celles prononcées en faveur de Monsieur BAZIRE au titre de la contrefaçon de marque et de modèles. Sur les demandes complémentaires :
La réparation du préjudice découlant des actes de contrefaçon commis par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS est suffisamment assurée par l'allocation de dommages-intérêts et l'interdiction de poursuivre ces actes sous peine d'astreinte sans qu'il soit de surcroît nécessaire, eu égard aux circonstances de l'espèce, d'ordonner la publication du présent arrêt par voie de presse.
Il convient en revanche d'ordonner la restitution sommes versées par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à Monsieur BAZIRE au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement attaqué dans la mesure où ces sommes excéderaient celles que l'appelante doit à l'intimé en exécution du présent arrêt de réformation.
L'action en contrefaçon de Monsieur BAZIRE et la saisie-contrefaçon qui en a été le préalable ont été jugées partiellement fondées, en sorte qu'elle ne saurait être regardée comme ayant dégénéré en abus.
La demande de dommages-intérêts formée à son encontre par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS pour saisie et procédure abusive est, par conséquent, mal fondée.
La Cour considère enfin qu'il ne serait pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elles à l'occasion de la procédure de première instance et d'appel et non compris dans les dépens, en sorte que la condamnation prononcée à ce titre par les premiers juges en faveur de Monsieur BAZIRE sera infirmée et que les demandes d'application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel seront rejetées.
De même, chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 29 janvier 2009 par le Tribunal de Grande Instance de NANTES ;
Statuant à nouveau,
Annule l'enregistrement du modèle d'abri à chariots de supermarché déposé le dépôt le 25 février 2000 et enregistré à l'Institut national de la propriété industrielle sous le numéro 00 13 40 ;
Dit que l'enregistrement de ce modèle sera radié du registre national des dessins et modèles sur réquisition du greffier ;
Déboute Monsieur BAZIRE de son action en contrefaçon de ce modèle ;
Rejette la demande de déchéance de la marque 'Modville' déposée le 22 juillet 1993 et enregistrée à l'Institut national de la propriété industrielle sous le numéro 93 478 107 ;
Déboute Monsieur BAZIRE de son action en contrefaçon de cette marque ;
Dit que la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS a commis un acte de contrefaçon de la marque 'Modville' déposée le 28 septembre 2004 et enregistrée à l'Institut national de la propriété industrielle sous le numéro 04 3 315 005 ;
Condamne en conséquence la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à payer à Monsieur BAZIRE une somme de 7.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Ordonne, en tant que de besoin, à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS de cesser toute reproduction de cette marque sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
Dit que la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS a commis des actes de contrefaçon des modèles de signalétique déposés à l'Institut national de la propriété industrielle les 1er mars 1994 (enregistrement n° 94 12 90) et 10 février 1998 (enregistrement n° 98 09 18) ;
Condamne en conséquence la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à payer à Monsieur BAZIRE une somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Ordonne, en tant que de besoin, à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS de cesser toute utilisation de ces modèles sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée ;
Déboute Monsieur BAZIRE de son action en concurrence déloyale ;
Dit que Monsieur BAZIRE a commis un acte de concurrence déloyale au préjudice de la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS ;
Condamne en conséquence Monsieur BAZIRE à payer à la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS une somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Dit que cette condamnation se compensera avec celles prononcées en faveur de Monsieur BAZIRE au titre de la contrefaçon de marque et de modèles ;
Dit n'y avoir lieu à publication du présent arrêt par voie de presse ;
Ordonne la restitution des sommes versées par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS à Monsieur BAZIRE au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement réformé dans la mesure où ces sommes excéderaient, en principal et accessoires, celles que par la société ABRI PLUS ÉQUIPEMENTS doit à Monsieur BAZIRE en exécution du présent arrêt ;
Dit qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile tant au titre des frais irrépétibles de première instance que de ceux d'appel ;
Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ;
Dit que les parties conserveront la charge de leurs propres dépens de première instance et d'appel .