CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 27 mai 2021, n° 18/01627
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Street Courses (SARL)
Défendeur :
Gandon Transports (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Lignieres
Avocat :
Selarl Lexavoue Paris-Versailles
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Street Courses, créée en 2004, est un prestataire spécialisé dans les livraisons et les transports rapides.
La société Gandon Transports est spécialisée dans le secteur du transport public routier de marchandise et de la logistique. Elle réalise elle-même les prestations de transports qui lui sont confiées ou a recours à certains sous-traitants pour exécuter ces opérations.
A compter de fin 2004, la société Gandon Transports a sous-traité la réalisation de certaines prestations de transport à la société Street Courses, sans qu'un contrat écrit ait été régularisé entre les parties à cet égard.
Par courrier du 29 décembre 2014, la société Gandon Transports a décidé unilatéralement de mettre un terme aux relations commerciales la liant à la société Street Courses avec effet au 31 mars 2015, moyennant ainsi le respect d'un préavis de trois mois.
Considérant cette rupture comme brutale, la société Street Courses a, par acte du 10 juin 2016, fait assigner la société Gandon Transports devant le tribunal de commerce de Laval aux fins de solliciter la réparation de son préjudice au sens de l'article L.442-6-1 5° du code de commerce.
Par jugement du 21 décembre 2016, le tribunal de commerce de Laval s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes.
Par jugement du 23 novembre 2017, le tribunal de commerce de Rennes a :
-constaté la prescription des demandes formées à titre subsidiaire par la société Street Courses, et en conséquence les a rejetées ;
-dit qu'en l'absence de toute convention écrite le contrat-type de sous-traitance annexé à l'article D.3224-3 du code des transports s'applique ;
-dit que la société Gandon Transports a respecté la durée de préavis fixé à l'article 12.2 de ce contrat-type ;
En conséquence,
-débouté la société Street Courses en l'ensemble de ses demandes ;
-condamné la société Street Courses à payer à la société Gandon Transports la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-dit qu'il n'y avait pas lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
-débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes plus amples ou contraires ;
-condamné la société de l'ensemble Street Courses aux dépens de l'instance ;
-liquidé les frais de greffe à la somme de 88.72 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.
Par déclaration du 12 janvier 2018, la société Street Courses a interjeté appel de ce jugement en visant la totalité des chefs du jugement critiqués.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 11 avril 2018, la société Street Courses demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,
Vu les articles 1211 et 1104 du code civil (ancien article 1134 et ancien alinéa 3 de l'article 1134),
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces communiquées,
In limine litis,
-infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a constaté la prescription des demandes formulées à titre subsidiaire ;
-constater que la demande formulée à titre subsidiaire n'est pas prescrite ;
-débouter la société Gandon Transport de sa demande ;
A titre principal,
-infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes ;
-dire et juger que les relations entre les sociétés Street Courses et Gandon Transports constituent des relations commerciales établies au sens de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce ;
-dire et juger que la société Gandon Transports a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Street Courses, faute d'avoir observé un préavis suffisant tenant compte de la longévité et des spécificités des relations commerciales ;
En conséquence,
-condamner la société Gandon Transports à verser à la société Street Courses la somme de 182 492,56 euros à titre de dommage et intérêts pour rupture brutale de leur relation commerciale établie ;
-condamner la société Gandon Transports à verser à la société Street Courses la somme de 4 245,84 euros à titre de réparation de son préjudice subi du fait des investissements non amortis d'un véhicule utilitaire ;
-condamner la société Gandon Transports à verser à la société Street Courses la somme de 10 000 euros à titre de réparation de son préjudice subi du fait des licenciements économiques de deux salariés.
A titre subsidiaire,
-dire et juger que les relations entre les sociétés Street Courses et Gandon Transports sont régies par un contrat ;
-dire et juger que la société Gandon Transports a manqué de loyauté dans l'exercice de la rupture et ainsi fait dégénérer en abus son droit de résiliation ;
En conséquence,
-condamner la société Gandon Transports à verser à la société Street Courses la somme de 182 492,56 euros à titre de dommage et intérêts pour rupture abusive ;
-condamner la société Gandon Transports à verser à la société Street Courses la somme de 4 245,84 euros à titre de réparation de son préjudice subi du fait des investissements non amortis d'un véhicule utilitaire ;
-condamner la société Gandon Transports à verser à la société Street Courses la somme de 10 000 euros à titre de réparation de son préjudice subi du fait des licenciements économiques de deux salariés ;
En tout état de cause,
-condamner la société Gandon Transports à verser à la société Street Courses la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-à titre subsidiaire, réduire à de plus juste proportion la condamnation de la société Street Courses au paiement des sommes relatives à l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamner la société Gandon Transports aux entiers dépens ;
-ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 3 juillet 2018, la société Gandon Transports demande à la cour de :
In limine litis, dire et juger,
-confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes en date du 23 novembre 2017 ayant jugé que conformément à la jurisprudence de la cour de cassation en la matière, la demande formulée à titre subsidiaire, afférant à une action en responsabilité fondée sur un prétendu abus dans l'exercice de la rupture est prescrite.
Sur le fond, dire et juger,
-en l'absence de toute disposition contractuelle régissant les relations entretenues entre les parties, le contrat-type sous-traitance annexé à l'article D.3224-3 du code des transports s'applique ;
-conformément à la jurisprudence constante de la cour de cassation en la matière, l'article L.442-6-I-5° du code de commerce n'est pas applicable en l'espèce, la SAS Gandon Transports ayant parfaitement respecté la durée de préavis fixée à l'article 12.2 du contrat-type ;
-la SAS Gandon Transports n'a commis aucune faute, ni abus, dans le cadre de la rupture des relations commerciales entretenues avec la SARL Street Courses ;
A titre très subsidiaire, les demandes financières présentées par la SARL Street Courses sont injustifiées, en ce que, notamment, la notion de marge brute doit tenir compte des coûts afférant à la réalisation des prestations, qu'il n'existait aucune dépendance économique et que la SAS Gandon Transports ne saurait être responsable des investissements engagés ou de prétendus licenciements économiques.
Par voie de conséquence,
-déclarer la SARL Street Courses non fondée en son appel, l'en débouter ;
-confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes en date du 23 novembre 2017 et débouter la SARL Street Courses de l'ensemble de ses demandes et prétentions, comme injustes et à tout le moins, non fondées ;
-condamner la SARL Street Courses à payer à la SAS Gandon Transports la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais d'appel ;
-la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Paris-Versailles.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 janvier 2020.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce
La société Street Courses soutient qu'elle a été victime d'une rupture brutale au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce.
La société Gandon Transports demande la confirmation du jugement qui a dit inapplicables les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce en l'espèce du fait d'une relation de sous-traitance de transport régie par le contrat type en l'absence de convention contractuelle.
Sur ce,
La lettre de rupture du 24 décembre 2014 de la société Gandon Transports adressée à la société Street Courses a fait référence explicitement au décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 (article 12-2) qui prévoit 3 mois de préavis en cas de résiliation pour une relation dont la durée est supérieure à un an, et a indiqué que la résiliation serait effective à compter du 31 mars 2015.
Il est constant qu'en l'espèce la relation entre les parties consiste en une relation de sous-traitance de transport et qu'aucun contrat écrit n'a prévu un préavis en cas de résiliation.
Les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ne s'appliquent pas dans le cadre des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, lorsque le contrat-type qui prévoit la durée des préavis de rupture, institué par la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs (LOTI), régit, faute de dispositions contractuelles, les rapports du sous-traitant et de l'opérateur de transport.
Ainsi l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce suppose à la fois l'absence de contrat-type prévoyant la durée d'un préavis de rupture et l'absence de dispositions contractuelles quant à un préavis de rupture.
En l'espèce, la relation contractuelle liant les parties est un contrat de transport soumis au contrat type annexé au décret n°2003-1295 du 26 décembre 2003 en l'absence de disposition contractuelle prévoyant un préavis et ce, compte tenu du caractère supplétif du contrat-type.
Ainsi, les dispositions du contrat-type doivent recevoir application et excluent l'application des dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce.
Dès lors, la société Street Courses ne peut prétendre à l'engagement de la responsabilité de la société Gandon Transports sur le fondement de la rupture brutale et ses demandes d'indemnisation sur ce fondement seront écartées, à l'instar de ce qui a été décidé en première instance. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur la prescription des demandes subsidiaires fondées sur la responsabilité contractuelle pour rupture fautive
La société Street Courses estime que la société Gandon Transports a commis un abus dans la rupture de leur relation et donc a engagé sa responsabilité contractuelle envers elle du fait du manque de loyauté au sens de l'ancien article 1134 du code civil.
La société Gandon Transports demande la confirmation du jugement ayant déclaré prescrite cette demande fondée sur la responsabilité contractuelle du fait du caractère abusif de la résiliation unilatérale.
La société Street Courses réplique à l'exception de prescription opposée :
-aux termes de l'article L.133-6 du code de commerce, le délai de prescription d'un an de l'action en réparation relative à un contrat de transport est écarté en cas de fraude ou d'infidélité, lesquels supposent une mauvaise foi, volonté malveillante, ou déloyauté ;
-la société Gandon Transports aurait manqué de loyauté envers la société Street Courses, en ce qu'elle l'aurait entretenu jusqu'au bout dans l'illusion que le contrat serait renouvelé ;
-la véritable rupture des relations commerciales entre les deux sociétés, et donc le point de départ de la prescription, se situerait au moment où la société Street Courses a pu considérer qu'elle ne serait pas retenue dans le cadre de l'appel d'offre, soit en fin d'année 2015 ;
-la demande formulée à titre subsidiaire n'est pas prescrite dès lors que le délai de prescription d'une année expirait postérieurement à l'assignation datée du 10 juin 2016.
Sur ce,
Aux termes de l'article L.133-6 du code de commerce « Les actions pour avaries, pertes ou retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d'un an, sans préjudice des cas de fraude ou d'infidélité.
Toutes les autres actions auxquelles ce contrat peut donner lieu, tant contre le voiturier ou le commissionnaire que contre l'expéditeur ou le destinataire sont prescrites dans le délai d'un an.
En l'espèce, la société Street Courses argue d'une faute de la société Gandon Transports dans l'exécution du contrat de transport qui les lie consistant à avoir rompu leur relation de façon abusive.
Le point de départ de la prescription ne peut être que la lettre de rupture initiée par la société Gandon Transports et notifiée à la société Street Courses le 29 décembre 2014 annonçant très explicitement une rupture des relations avec 3 mois de préavis, car il s'agit de la date à laquelle l'appelante a pris connaissance du fait lui permettant d'exercer son action en justice.
Le fait qu'un appel d'offres ait été organisé et que la société Street Courses n'ait pas été retenue ne peut être assimilé à une fraude. Le seul acte interruptif de prescription est l'assignation du 10 juin 2016 délivrée plus d'un an après l'annonce de la rupture. L'action fondée sur l'exécution du contrat de transport est donc prescrite au jour de l'assignation en justice. Le jugement sera également confirmé sur ce point.
Sur les frais
La société Street Courses succombant dans son appel, en supportera les dépens.
Il est équitable que la société Street Courses participe aux frais irrépétibles engagés par la société Gandon Transports pour se défendre en procédure d'appel à hauteur de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris,
Y ajoute,
CONDAMNE la société Street Courses à payer à la société Gandon Transports la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Street Courses aux dépens de l'appel.